dimanche 27 février 2005

Pas d'arrêt sur image.

J'avais fini par trouver la bonne adresse e-mail de "Arrêts sur images" - avec une semaine de retard - et même obtenu l'assurance de la part de M. Schneidermann qu'il allait vérifier ou faire vérifier mon allégation comme quoi les médias avaient semble-t-il enlevé 100,000 morts au bombardement allié sur Dresde... mais l'émission d'aujourd'hui n'en a pas fait mention, et M. Schneidermann, que bien sûr je n'aurais garde de déranger une seconde fois, ne m'a pas informé de l'état de ses recherches.
Chou blanc. Il y a des jours comme ça.

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samedi 26 février 2005

Pas cocorico...

Bravo les Gallois, c'est nettement plus agréable de perdre contre eux que contre les Anglais. Quelques regrets quand même, il y avait la place pour gagner. Mais bon, vive le sport, et allez l'Irlande demain !

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vendredi 25 février 2005

Le monde à l'envers.

Ma doué, si "Libération" et "Proche-Orient.info" se mettent à donner raison à Dieudonné en voulant l'accabler, c'est à n'y plus rien comprendre !
Un réflexe d'honnêteté ? De la bêtise ? La perte de repères ? Un verre de trop ? Aidez-moi...

Ces "journalistes" ("Proche-Orient.info" précise bien que tous ses membres ont la carte de presse, i.e. que ce sont des gens très sérieux) sont tout de même amusants : leur article dit le contraire du titre ! On nous annonce que l'expression "pornographie mémorielle" ne figure pas dans le livre de l'historienne israélienne citée par Dieudonné - et finalement l'article nous indique le contraire, et même que l'auteur avait eu peur des réactions en France à ce sujet, ce qui va tout à fait dans le sens de ce que dit Dieudonné... Soit dit en passant, toutes ces précisions auraient eu leur place dans l'article de Mme Chemin mentionné dans "Pour le plaisir".

Par ailleurs, bon article sur communautarisme.net au sujet de la difficulté à enseigner la Shoah comme "un devoir de mémoire" et pas comme tout autre sujet ou presque, avec des méthodes pédagogiques classiques.



PS du 1er mai : j'apprends aujourd'hui que cette fameuse expression ne figure dans aucune édition du livre de Mme Zertal, qu'il y avait une entourloupe de la part du traducteur (cf.L'Arche). Cela ne change bien sûr rien au raisonnement ci-dessus.

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Un rien...

"Un rien me fait chanter,
Un rien me fait danser,
Un rien me fait trouver
Belle la vie...
J'aime mon père, ma mère,
La France bon Dieu !
Et puis les femmes les femmes les femmes
Qu'ont les yeux bleus..."

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mardi 22 février 2005

Pour le plaisir.

Les journalistes du Monde, à qui rien de ce qui fait l'art difficile et masochiste de s'exprimer avec un balai durablement inscrit dans le fondement n'est étranger, ont décidé de faire leur une et leur éditorial sur Dieudonné. Profitons de l'occasion pour les prendre sur le fait de l'affirmation gratuite et diffamatoire.
"Il a choisi son théâtre, celui de la Main-d'Or, dans le XIè arrondissement. Rameuté son fan-club - plus quelques figures de l'antisionisme radical, comme, à l'accueil, Ginette Skandrani, proche du négationniste tunisien Mondher Sfar." L'article ne précise pas si Dieudonné et ce M. Sfar se sont déjà rencontrés, n'évoque pas non plus précisément ce qui lie Dieudonné à Mme Skandrani. Mais dès le premier paragraphe on (Mme Ariane Chemin) nous ramène un négationniste.

L'article s'attarde ensuite sur la question de savoir si Dieudonné a parlé de la Shoah elle-même ou de sa commémoration, précise que le comique "s'abrite derrière - et détourne - le livre d'une historienne israélienne, Edith Zertal". Aucun élément ne nous est donné sur ce détournement si clairement affirmé.

Mme Chemin cite Harlem Désir - une référence morale de premier ordre, soit dit en passant -, omettant de préciser que ce dernier avait été mis en cause (ou tout au moins SOS racisme à l'époque où il en était le dirigeant, je ne me rappelle plus exactement) par Dieudonné dans ses interviews. M. Désir : "C'est aujourd'hui l'un des plus grands antisémites de France". Ce qui ne veut rien dire.

Quant à l'éditorial, "Dieudonné, assez !", il est malgré ce titre plutôt plus indulgent que l'article que je viens de citer, se contentant d'un arrêt de mort relativement platonique : "L'humoriste Dieudonné ne fait plus rire. Et ce constat vaut déjà condamnation.", d'une comparaison attendue avec Jean-Marie Le Pen, d'un appel à une justice enfin ferme - on déplore que Dieudonné, en dix-sept procès, n'ait jamais été condamné.

Il serait regrettable d'omettre de citer la dernière phrase de la présentation de couverture (dont le titre est tout un programme : "Le scandale Dieudonné et le nouvel antisémitisme"), au sujet de la pétition sur "les indigènes de la république" : "Les signataires de ce texte revendiquent une mémoire et une identité arabes et africaines, qu'ils présentent comme oubliées dans la conscience collective. Certains d'entre eux sont des militants connus de l'extrémisme propalestinien ou antisémite." Une telle précision dans les concepts et un tel sens de l'à-propos sont tout à l'honneur du "quotidien de référence" que le monde entier nous envie.

Blague à part, si j'ai pris la peine, outre de dépenser 1,20 € pour lire de tels pensums, de reproduire ces citations, qui, il faut le préciser, ne sont pas entièrement révélatrices du dossier complet que "Le Monde" consacre à ce "scandale" - un portrait de Dieudonné est plutôt chaleureux -, ce n'est pas pour le simple plaisir de dire du mal d'un journal aussi ennuyeux et bien-pensant, ni pour prendre la défense de Dieudonné, ce qui me motive moyennement et lui ferait par ailleurs une belle jambe. C'est tout simplement pour exprimer le vœu pieux que l'on fasse preuve d'un peu de précision dans les termes. Ce qui s'adresse d'ailleurs tout autant à Dieudonné lui-même, dont la vision de la traite des Noirs, pour le peu que j'en connais, me semble extrêmement sommaire. Mais ce qui est sûr, c'est que, quel que soit le sujet abordé, si l'on se contente de chercher des arrières-pensées, d'utiliser l'arme Le Pen à tort et à travers - il doit bien rire dans son coin, d'ailleurs -, de faire de la surenchère permanente, bien ou mal pensante, au lieu de se concentrer sur ce qui a été dit ou fait... eh bien on en arrive à la sinistre comédie actuelle. Tout le monde certes y trouve son compte : Dieudonné qui parfait son image de martyr (il ne cache d'ailleurs pas qu'il n'a jamais eu autant de monde à ses spectacles que depuis que la télévision ne veut plus de lui), Proche-Orient.info qui s'est fait un gros coup de publicité, et nos amis les journalistes qui peuvent presque sincèrement croire qu'ils ont quelque chose d'intéressant à dire. Concluons à la Vialatte : "Et c'est ainsi qu'Allah est grand"...

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dimanche 20 février 2005

Dieudonné et Schneidermann.

Bon, ben, c'était une vraie bouteille à la mer, "Arrêts sur images" n'a pas répondu à mon mail, n'a pas évoqué l'anomalie qu'il m'avait bien semblé remarquer... Il faut dire qu'à la place les éructations antisémites d'un général russe (doublé, mille fois hélas...) valaient certes la peine d'être vues. A côté de cela, évidemment, M. Dieudonné fait figure de petite bière... J'ai lu une autre interview de lui sur Proche-Orient.Info, dans laquelle, à côté d'une formule peu politiquement correcte ("Le sionisme, c'est le sida du judaïsme"), il justifie ou tente de justifier son approche volontairement offensive. Je ne suis toujours pas convaincu, mais il faut bien reconnaître une certaine cohérence à son comportement - ce qui n'excluerait pas un peu plus de nuances et d'ironie. Bien évidemment, lorsqu'il fait allusion aux sources de la richesse de M. Lévy, on ne peut que souscrire à son indignation, de même lorsqu'il s'en prend à M. Sarkozy.

Ceci posé, je ne vais pas passer mon temps à épiloguer sur chacune de ses déclarations, démêler le bon grain de l'ivraie, savoir ce qui est provocation et ce qui est à prendre au pied de la lettre, chercher d'éventuelles circonstances atténuantes, etc... Il s'agissait d'exprimer une position dans ses grandes lignes, de me positionner par rapport à je ne sais pas encore quoi. Une autre bouteille à la mer, donc.

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samedi 19 février 2005

Réaction à chaud.

J'écris ces lignes vers 17 heures, je viens de lire sur Proche-Orient.info, qui sera ma seule source dans ce qui suit, que M. Dieudonné avait cherché à se rétracter et à faire croire qu'il n'avait pas utilisé l'expression de "pornographie mémorielle" au sujet de la Shoah. Si cela est vrai, je trouve cela dommage.

D'une part parce que rien ne sert de nier une vérité : M. Soral par exemple n'a jamais essayé de convaincre quiconque qu'il n'avait pas dit les propos qui lui ont valu de se faire arranger le portrait (où en est l'enquête, à propos ?), il a, comme on fait logiquement dans ces cas-là, expliqué que ses mots avaient dépassé sa pensée. Hypocrite ou sincère, ce genre d'excuse vaut toujours mieux qu'une manipulation stalinienne des faits.

D'autre part parce que, si l'on se fonde uniquement sur les propos rapportés par Proche-Orient.info - dont on admettra que ce n'est pas une source supposée très indulgente à son égard -, il n'y a pas de quoi fouetter un chat. Certes il me semble pour avoir écouté l'enregistrement des propos de M. Dieudonné qu'à un moment il était tout près de dire une vraie insanité, certes encore libre à chacun de se poser des questions sur ce que M. Dieudonné a vraiment en tête. Mais si l'on s'en tient aux faits et aux mots effectivement prononcés, traiter le CRIF de mafia n'est pas très différent de parler de lobby ou de groupe de pression, comme le font certains membres du CRIF eux-mêmes, ou comme l'a sainement regretté M. Finkielkraut il y a peu ; signaler que la présence de 17 ministres au dîner du CRIF est en déséquilibre flagrant avec ce que l'on peut observer comme symboles du même type vis-à-vis d'autres communautés est du pur et simple bon sens ; expliquer que les Juifs tiennent le cinéma français est une bien mauvaise raison pour expliquer que l'on n'a pas pu tourner un film dont le scénario était peut-être très mauvais et rappelle certes de mauvais souvenirs historiques, mais il faut garder en tête, si l'on veut vraiment évoquer ces souvenirs-là, que dans l'Allemagne des années 30 une très forte part du monde du spectacle était composée de Juifs : de ce point de vue l'antisémitisme pouvait se nourrir, dans sa logique propre, de faits ; quant à s'offusquer de l'abus de programmes consacrés à l'extermination des Juifs, il serait malvenu de ma part de m'en offusquer - cf. le texte "Auschwitz-ras-le-bol !" - et ce même si je ne suis pas convaincu que M. Dieudonné partage mon sens des nuances.

Car bien sûr, que l'on l'en blâme ou l'en loue, cet homme-là ne fait pas dans la finesse. Et s'il se met à reculer, cela veut plutôt dire qu'il est involontairement lourd. Mais laissons ce détail. On peut discuter de la stratégie employée, elle n'est pas vraiment ma tasse de thé. D'un certain point de vue M. Dieudonné a donné le bâton pour se faire battre. De là à le traiter comme un criminel ou à lui reprocher d'avoir nié le fait même de l'extermination des Juifs, il y a des marges qu'il me semble pour le moins malvenu de franchir, au moins pour l'heure.

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jeudi 17 février 2005

Une bouteille à la mer de plus...

Copie d'un mail envoyé ce jour à l'émission Arrêts sur images - affaire à suivre ?

"Dresde révisionnée ?

Bonjour et pardon pour le barbarisme dans le titre,

il m'a bien semblé entendre à la télévision, lors de la commémoration du bombardement sur Dresde et des manifestations néo-nazies qui se produisirent alors, le chiffre de 35 000 morts. Un peu surpris, j'en parle à des amis qui ont entendu la même chose que moi (sur RFI, radio en principe sérieuse), et je finis par ouvrir mon Larousse, qui lui indique environ 135 000 morts. Mes amis et moi-même avons-nous été victimes de la même hallucination auditive ? Ou bien une tendance stalinienne des médias contemporains aurait-elle fait passer à la trappe 100 000 victimes civiles ? Si tel était le cas, on en serait amené à conclure, une fois de plus, que le "devoir de mémoire" concerne surtout les crimes commis par les autres. Ceci sans se lancer dans des comparaisons hors de propos, "cela va de soi".

En tout cas, ce petit mystère m'a semblé digne de vous être signalé.

Cordialement."

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dimanche 13 février 2005

Cocorico !

Sans doute aurai-je souvent l'occasion de donner cours à mon antipathie à l'égard des anglo-saxons au long de ce journal, mais aujourd'hui c'est avec l'esprit le plus sportif et le plus pacifique que je me félicite haut et fort : on les a bien baisés, ces sales cons !

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vendredi 11 février 2005

Par A + B.

La destruction de l’environnement " est, jusqu’à nouvel ordre, nécessaire à la survie du système [capitaliste]. Le régime d’oligarchie libérale, avec l’apathie et la privatisation qui le rendent possible, présuppose que les gens passent effectivement leur temps dans les supermarchés et devant leur télévision. Les pays où les gens peuvent vivre ainsi représentent quelque chose comme 800 millions de personnes, sur une population totale du globe qui approche les cinq milliards et demi – soit environ un septième du total. Dans les régions riches, habitées par les premiers, le PNB par tête et par an, conventionnellement mesuré, est de l’ordre de 20 000 dollars. Dans les autres, avec leur population de 4,7 milliards de personnes, le PNB ne doit pas dépasser en moyenne les 500 ou 600 dollars (…). Or, s’il y a effectivement, comme je le crois, une liaison non pas entre démocratie et capitalisme mais entre l’avachissement politique moyennant lequel fonctionnent à peu près les sociétés riches et le niveau de vie au sens capitaliste du terme, l’universalisation de cette " démocratie " exigerait que l’on porte le niveau de vie ainsi défini des pays pauvres à la hauteur de celui des pays riches, à 20, 30 ou 50% près. Il faudrait, autrement dit, multiplier la production annuelle mondiale par un facteur d’environ 200 (en gros, 7 pour tenir compte de la différence du nombre d’habitants, et 30 de celle des " niveaux de vie ") ; et, par là même, augmenter de 200 fois la vitesse de destruction annuelle de la nature, le volume des émissions polluantes, etc. Et, en supposant qu’une opération magique permette d’atteindre ce niveau de production mondiale, il faudrait encore que celui-ci continue par la suite d’augmenter de 2 à 3% par an – c’est-à-dire de doubler à peu près tous les trente ans. Si l’on veut l’universalité de la " démocratie " de style occidental, et que l’on méprise les " utopies " et les " utopistes ", il faut dire comment ces défis seront relevés. "

C. Castoriadis, "Quelle démocratie ?", 1990, repris dans Figures du pensable, 1997.

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mercredi 9 février 2005

Un Pétain parmi beaucoup d'autres

Eh oui, moi aussi, je prends mes références dans la période d'occupation allemande...
Quoi qu'il en soit, je voulais juste réagir à chaud et prendre date quant à ce magnifique "espoir-de-paix" qui surgit du Proche-Moyen-Orient. Si j'ai bien compris, M. Abbas accepte de faire comme M. Arafat avant lui, la police au profit du gouvernement israélien, en échange de quoi celui-ci veut bien arrêter de trop assassiner de Palestiniens. La plupart des autres points restent en suspens, comme on dit.

Bien que le fait que les services palestiniens, ou ce qu'il en reste, seront peut-être plus justes dans leurs interventions que l'armée israélienne et causeront moins de "dommages collatéraux", ne soit pas négligeable - et encore cela est-il du domaine de l'hypothèse -, on admettra que tout ceci constitue un point de départ bien mince. On sait bien, le plus stalinien des journalistes occidentaux ne peut ignorer que la question des colonies est cruciale, que c'est à ce niveau que les choses peuvent se débloquer : tant qu'il n'y aura pas d'engagements fermes des Israéliens à ce niveau (on attend de voir pour la bande de Gaza, surtout si Israël a toujours la main-mise sur ses ressources énergétiques), il ne faut pas s'attendre à ce que les mouvements de combattants déposent les armes. Et très honnêtement, quoi que l'on pense de leur idéologie, on ne saurait tout à fait leur donner tort. Toutes choses égales par ailleurs, c'est un peu comme si l'on avait demandé aux résistants de rendre les armes sous prétexte que ce serait la milice et non la Gestapo qui désormais serait chargée de les arrêter. Il avait fallu longtemps à M. Arafat pour passer de de Gaulle à Pétain (oh les gros traits !...), M. Abbas semble vouloir aller beaucoup plus vite.
Mais peut-être que la "reprise du dialogue", la politique des petits pas, porteront à long terme leurs fruits. Je crois néanmoins beaucoup plus à la vieille maxime "mêmes causes, mêmes effets".

mardi 8 février 2005

"Liar liar pants on fire..."

Je viens de voir un western très élégant et agréable de Budd Boetticher, "Buchanan rides alone" ("L'aventurier du Texas"), je repense à cette idée lue dans un livre de M. Razac ("Une histoire du barbelé", quelque chose dans ce genre), comme quoi les Nord-Américains ont transféré sur le cow-boy, dans la réalité valet des basses œuvres des hommes d'affaires, les valeurs de l'Indien qu'ils ont génocidé : sens de l'honneur, goût de la solitude, de l'indépendance, de la liberté, des grands espaces... Dans ce beau film, comme dans tant d'autres westerns, cette alchimie donne un résultat émouvant et captivant. Aujourd'hui ce genre de mensonge ne peut plus fonctionner, le roi est de plus en plus nu, le cinéma américain de plus en plus nul... Braves Indiens ! Non seulement on les a trucidés, mais on a utilisé leurs valeurs pour faire la promotion du pays que l'on avait bâti sur leurs cadavres. Depuis, seule la mafia a permis de créer de nouveaux mythes cinématographiques, un rien plus cyniques. Il n'est pas sûr que les Irakiens en fassent autant.

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"Auschwitz ras-le-bol !" (Ajout le 02.04.06)

L'actualité aidant, c'est par cette sentence quelque peu provocatrice, énoncée déjà il y a une bonne dizaine d'années par M. Jean-Edern Hallier, que je débute cette chronique. Cette commémoration m'a parue gênante sous divers aspects.

- Tout d'abord par son caractère massif. Pendant quelques semaines, il a semblé qu'il n'y avait rien de plus important que cet anniversaire. Mais outre que cette commémoration ne fera pas revenir les victimes, on peut légitimement se demander si elle constitue en soi un événement. On me répondra tout de suite que j'enfonce une porte ouverte, qu'affirmer qu'un événement est un événement est une tautologie persuasive dont la mécanique médiatique actuelle ne peut se passer, que de surcroît ladite mécanique ne faisant jamais rien à moitié, à partir du moment où elle avait décidé de s'occuper d'Auschwitz, elle ne pouvait le faire qu'avec ses gros sabots. Ces arguments ne sont pas insignifiants, mais à mon tour je peux répliquer, d'une part que cela ne change rien à la situation de départ : on a voulu faire de cette commémoration quelque chose d'essentiel - et cela, je suis désolé, n'est pas si évident que l'on veut bien le dire -, d'autre part que j'attends de voir si les commémorations de Hiroshima et Nagasaki susciteront autant d'heures de programmes et autant de couvertures de magazines que celle-ci. Et bien évidemment, ces deux arguments sont liés, et liés par ceci qu'Auschwitz et Hiroshima le sont eux-mêmes, et indissolublement : ce n'est pas nier la singularité de l'un ni de l'autre, bien au contraire, que d'affirmer que l'on ne peut à peu près les comprendre que si l'on oublie pas qu'ils ont eu lieu en même temps et à travers des états d'esprit proches.

- Ensuite par certaines de ses tonalités. Peut-être n'ai-je pas été assez attentif, mais je suis surpris que l'on n'ait pas plus noté les instrumentalisations de cet anniversaire auxquelles se sont par exemple livrés MM. Poutine et Sharon. Je ne vais pas jouer les oies blanches, je sais bien que c'est la loi du genre : je m'étonne juste que les commentateurs n'aient pas plus insisté sur ce point, comme si rien ne devait pouvoir entacher la dignité postulée - et par ailleurs m'a-t-il semblé grosso modo effective, à l'exception du feu d'artifice final à la Disneyland - de la cérémonie.

- Enfin et peut-être surtout par l'état d'esprit de l'ensemble. Je prends un exemple qui en vaut d'autres, l'éditorial de M. Jézégabel dans Télérama du 2 février. On y apprend par exemple qu'il a fallu "soixante ans... pour que la parole des témoins directs se libère, s'impose." Bien sûr, ce que David Rousset, Primo Levi ou Robert Antelme ont publié dans les années d'après-guerre n'a jamais dû exister... De même, il apparaît qu'il a fallu "six longues décennies pour que les historiens imposent, malgré les tentatives de falsification négationistes ou révisionnistes, leur vérité." Là encore, j'ai dû rater un épisode, et c'est plutôt M. Jézégabel qui me semble faire figure de révisionniste en la matière. On connaît "la" vérité, ou plutôt, plus simplement, on sait qu'il y a eu les chambres à gaz depuis plus de soixante ans, et jusqu'à ce que l'on s'agite un peu du côté de Lyon à la fin des années 70, seuls quelques fanatiques d'extrême-droite s'amusaient à nier l'existence des chambres à gaz : il n'y a rien là d'un dur combat des historiens contre des bandes de négationnistes déchaînés et dangereux !

Et c'est un des points qui me gênent vraiment, cette simulation d'un danger permanent sur la mémoire d'Auschwitz. Non seulement tout le monde sait bien qu'il s'agit là d'un événement capital et tragique, non seulement les négationnistes seraient restés dans leur petit coin si on ne leur avait pas fait autant de publicité (ce que bien sûr la très absurde loi Gayssot n'a fait que renforcer), mais encore on voit bien que tout cela est contre-productif. Parce que, contrairement à ce que fait M. Jézégabel tout au long de son éditorial (et encore une fois, il n'est qu'un parmi d'autres), il ne faut pas confondre sans arrêt vérité historique, devoir de mémoire, et mémoire collective. La vérité historique est dans ses grandes lignes connue depuis longtemps et n'a jamais été menacée : ce n'est pas en faisant croire qu'elle l'est et en jouant sur des fibres affectives, pour ne pas dire religieuses, qu'on va la renforcer. Au contraire, on stimule des réactions contradictoires, elles-mêmes affectives, politisées, religieuses..., qui prennent l'apparence de la recherche historique parce que c'est leur meilleur angle d'attaque. C'est pourquoi M. Jézégabel, si on le lit bien, apparaît presque schizophrène, nous disant à la fois que "la bataille de la mémoire" (pas trop de blessés en première ligne, intrépide reporter de salon ?) paraît "gagnée" et que les négationnistes sont toujours là. Au contraire, plus on centrera le débat sur cette mémoire sacralisée, plus on alimentera en énergie les négationnistes.

On me répondra sur le terrain de la pédagogie, du "plus jamais ça" (évidemment cité par M. Jézégabel). Mais il y a une dizaine d'années, à l'époque de la loi Gayssot et alors que M. Hallier se lamentait déjà du poids excessif du culte d'Auschwitz dans la vie politique et culturelle française, est-ce que cette pédagogie, déjà bien en marche, a changé quoi que ce soit au déroulement du génocide au Rwanda ? Le même état français qui pondait cette loi stalinienne a même encouragé ce génocide !

Il se peut que grâce à l'écho énorme de ce soixantième anniversaire, la prochaine fois, effectivement, les réactions politiques soient plus rapides. Je serai le premier à m'en féliciter et à faire amende honorable. Mais d'ici là, car hélas il y aura certainement une "prochaine fois" - qui d'ailleurs ressemblera peut-être bien plutôt à Hiroshima qu'à Auschwitz -, qu'il me soit permis d'en douter fortement.



(Ajout le 02.04.06) Quoique je ne voie pas de raison de revenir sur les idées principales qui y sont exprimées, beaucoup de choses me gênent dans ce premier article (dont je me suis permis d'améliorer la présentation) ; si je reviens dessus, c'est principalement pour une erreur flagrante, dont la lecture des livres d'Enzo Traverso m'a fait prendre conscience. D'abord, j'ai surestimé le poids d'un livre comme Si c'est un homme, de P. Levi, qui a l'époque eut du mal à trouver d'abord un éditeur, puis un public. Ensuite et surtout, j'ai assimilé des récits évoquant différents types de camp. Rousset et Antelme furent des déportés politiques, et n'ont pas du tout perçu et décrit le processus d'extermination qui se poursuivait pendant leur détention dans les camps du même nom. Traverso estime même que le succès de ces récits a indirectement contribué à rendre plus difficilement concevable l'ampleur de la Shoah : les lecteurs ont cru que tous les camps ou presque ressemblaient à ce que décrit par exemple Rousset. Sur ce point donc, qui n'est pas un détail, M. Jézégabel avait raison, et je l'ai critiqué à tort.

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"Il n'y a rien d'incompréhensible."

Voilà, c'est une sentence de Ducasse-Lautréamont-Maldoror, et je ne vois pas de meilleure manière de commencer ce journal critique en ligne.

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