lundi 28 mars 2005

Au sujet du contexte.

Un contradicteur attentif (cf. commentaires de "De la servitude admise") ne se satisfait pas de ce que j'aie l'ambition, selon lui "ridicule" et illusoire, de prendre certains propos au pied de la lettre, de faire autant que possible abstraction du contexte dans lequel ils ont été dits ou écrits.

J'avais commencé à préparer une réponse, le "hasard" me fait tomber aujourd'hui sur ces lignes d'Alexandre Zinoviev (Les hauteurs béantes, trad. V. Berelowitch, L'âge d'homme, 1977, pp. 82-83), citées par Jacques Bouveresse :

"En réalité, ce n'est pas que les hommes utilisent toujours les règles de logique sans en avoir conscience, mais c'est qu'ils ne les utilisent pour ainsi dire pas. Essayez d'analyser les discours des hommes politiques et des juristes d'un point de vue logique et, à votre propre étonnement, vous découvrirez justement une absence presque complète de logique, quoique en principe elle doive être le fondement de leur réflexion. (...) L'activité linguistique des hommes est un chaos d'un point de vue logique et l'irruption en elle de la logique est une tentative insignifiante du point de vue de ses conséquences d'apporter un ordre à ce chaos." Ajoutez "journalistes" à la liste, et vous aurez à la fois mon projet, et ses limites.

Il s'agissait simplement de montrer que lorsque les porte-parole auto-proclamés d'une société qui se veut et se pense démocratique, les porte-parole acceptés, bon ou mal gré, par cette société, critiquent des personnes ou des prises de position et vont jusqu'à les juger anti-démocratiques, il n'est aucun besoin de partir du principe que ces porte-parole sont des canailles ou de leur prêter des motivations banales (garder leur chèque de fin de mois) ou machiavéliques pour s'apercevoir qu'ils profèrent des inepties. Il suffit de juger leurs discours selon les critères qu'ils disent si souvent appliquer aux autres, les exigences rationnelles de bons sujets kantiens, de bons citoyens républicains.

Alors bien sûr, quand je fais ça je ne découvre pas la lune - et la question intéressante serait : le diagnostic de Zinoviev est-il un constat limité dans le temps, ou bien en a-t-il et en sera-t-il toujours ainsi, et dans quelle mesure ? Mais au moins, cette méthode permet d'affronter ces gens sur la position même depuis laquelle ils aiment tant donner des leçons de morale, et d'éviter de recourir à des procès d'intention - ce dont, soit dit en passant, M. Contradicteur semble avoir du mal à s'abstenir. Ce pourquoi d'ailleurs sa façon de me titiller sur les sentiments de supériorité qu'il me prête par rapport aux gens que je critique me semble non avenue. Pas inexacte - mais enfin, qui ne souhaiterait être supérieur à BHL ? Le contraire serait tout de même grave. Mais non avenue : ce n'est pas le problème.
Quant à la portée effective de tout ça... Quelques pages plus loin dans Jacques Bouveresse (Le philosophe chez les autophages, Minuit, 1984, p.157), je tombe sur une citation d'Erich Kästner :

"La caricature, moyen artistique légitime, est la dernière de[s] possibilités [du satiriste]. Si même ce moyen n'est pas efficace, rien ne peut plus l'être. Que rien ne soit efficace, ce n'est pas une situation exceptionnelle, pas plus hier qu'aujourd'hui. Ce qui serait exceptionnel, ce serait la démobilisation du satiriste. Son poste habituel est et reste celui de la "sentinelle perdue". Il en respecte les obligations autant qu'il le peut. Sa devise a toujours été, est encore : Quand même !"

Après, il est sûr que même l'expression la plus désabusée d'une ambition peut toujours passer pour prétentieuse.

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