mercredi 23 mars 2005

Manifeste social barbare célinien.

Il arrivait à Cornelius Castoriadis de faire preuve de bon sens. Ainsi souligna-t-il à bon droit l'absurdité du chantage contemporain aux salaires et conditions de travail, effectué sous le prétexte que les travailleurs chinois ou indiens seraient d'un bien meilleur rapport qualité-prix, et donc d'une plus grande compétitivité sur le marché international du travail, que leurs "homologues" français ou allemands. En admettant que cela soit vrai, répondait Castoriadis, de combien faudrait-il alors baisser le salaire des travailleurs occidentaux pour qu'ils deviennent concurrentiels comparativement à l'immense potentiel de main-d'œuvre exploitable présent dans le Tiers Monde ? Poser la question revient à y répondre : même Ernest-Antoine Seillière ne voudrait pas d'une pareille fuite en avant dans la baisse des revenus de ceux dont la consommation est si importante pour le "fonctionnement" du système.

Mais le bon sens, fût-il celui d'un aussi éminent esprit, atteint vite ses limites : C. Castoriadis ne propose guère de solution à cet éminent problème. Sans doute en serai-je moi-même bien incapable ; il n'est pourtant pas difficile de retourner les thèmes de l'alternative. L'indigné perpétuel Jean-Louis Porquet, dans une récente chronique du Canard enchaîné, nous peignait l'apocalyptique tableau d'une Chine pollueuse et destructrice d'emplois dans les pays occidentaux, reprochant au passage à ceux-ci de n'avoir pas assez soutenu les dissidents chinois lorsque cela aurait été utile et de le payer aujourd'hui, quand l'absence de liberté politique en Chine contribue au déclin économique de ces pays. Loin de moi l'idée de me faire l'avocat de la pusillanimité des Européens et Nord-Américains en la matière, encore que la question de la réalité de leurs moyens d'action puisse tout de même être posée ; je trouve que ces accusations sentent un peu trop le prêtre - on est puni par où on a péché - pour ne pas être quelque peu suspectes ; je trouve surtout qu'elles reposent sur un présupposé contestable, l'apathie politique des travailleurs chinois.

Il est tout à fait possible que beaucoup d'entre eux, animés de nationalisme et touchant quelques dividendes en récompense de leurs efforts, constituent une armée capitaliste redoutable pour nos économies vieillissantes. On peut néanmoins avoir peine à croire qu'un pays aussi immense et varié, qui a connu des conflits politiques aussi importants depuis que les pays occidentaux ont voulu se le partager, n'abrite pas de situations et états d'esprit divers, des velléités de soulèvement, des emmerdeurs indépendantistes et/ou musulmans... Je m'en voudrais de tomber dans des travers polémiques trop courants actuellement, mais il me semble que J.-L. Porquet est ici un peu victime du courant stéréotype raciste anti-asiatique : tous petits, tous pareils, tous interchangeables...

De là à en déduire qu'une nouvelle révolution point en Chine, c'est autre chose. Mais finalement, si l'on suit autant un idéologue libéral comme Alain Minc qu'un prêcheur altermondialiste comme J.-L. Porquet et si l'on dénoue à leur place les fils de leurs présupposés (présupposés dont un célinien peut constater qu'ils prennent acte d'une certaine façon de la sagacité de l'une des dernières prophéties du maître : les Chinois n'ont même pas besoin d'être "à Paris" pour gouverner Paris !), on en arrive à la conclusion que l'avenir de la terre, de la civilisation occidentale, de l'économie capitaliste, et sans doute aussi de la démocratie... appartiennent au peuple chinois.

A chacun ses angoisses.

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