jeudi 30 juin 2005

Tombeau du héraut.

François-Xavier Verschave est mort le 29 juin. Ne l'ayant pas connu, je ne ferai pas semblant de parler de lui : je récapitulerai juste ce que j'ai pu tirer de son action.
Bercé dans le doux confort de l'existence et de l'égoïsme, on peut avoir besoin de comprendre que l'on est responsable du malheur ailleurs pour pouvoir saisir de quelle nature est le malheur ici. C'est entre autres la lecture des livres de M. Verschave qui, en montrant ce que la République était capable de faire chez les Nègres, m'a amené à conclure qu'elle était aussi capable de tout ici. François Mitterrand, Jacques Chirac, Hubert Védrine, Michel Rocard, Charles Pasqua, Nicolas Sarkozy... la liste est longue des hommes politiques que l'on ne peut plus voir autrement que comme des canailles et des assassins, au moins par complicité (a contrario A. Juppé et D. de Villepin semblent presque honnêtes !). La figure du Chirac "un peu con mais sympa" disparaît - de même que le "Florentin" Mitterrand devient comme un mélange de Biscmarck et de Hitler qui n'eut même pas le courage de se salir les mains lui-même. Quant à la France, la "patrie des droits de l'homme"... Nous sommes plus intelligents que les Américains en Irak, nous faisons faire le boulot par d'autres, voilà tout.

Ces conclusions me sont personnelles, mais elles me semblent dans le droit fil des faits patiemment accumulés et interprétés par M. Verschave dans ses livres : Au mépris des peuples, bonne introduction, La Françafrique et Noir silence, les deux pièces maitresses, et Noir Chirac, le plus risqué, à la fois par sa cible et parce que la part de l'hypothèse y est la plus importante.
Autre aspect, variante en mineur du précédent. Comme les romans de J. Ellroy, les travaux de F.-X. Verschave excellent à montrer concrètement qu'il est possible d'être à la fois un très bon "politicien" et une parfaite ordure - dans les deux cas on se fait déniaiser - et on risque de commettre l'erreur de croire l'être pour toujours.

M. Verschave peut être qualifié d'altermondialiste. Ce n'est pas nécessairement son plus grand mérite. Mais, outre qu'il fut d'un grand courage dans ses livres et qu'il ne joua jamais à prendre la place des Africains dont il évoquait le sort, il sut montrer les liens entre la déliquescence de la classe politique française et son action en Afrique : il était donc fondé à partir de ce point de vue, dont la pertinence est établie, pour chercher des solutions globales, malheureusement et sans doute inévitablement fort vagues (cf. Un autre monde est possible, éd. La découverte).

La Françafrique est évidemment en joie aujourd'hui, car ce n'est pas pour bientôt que l'on retrouvera un aussi éloquent procureur d'un système infâme - qui, indirectement, me permet d'écrire ce texte sur mon bel ordinateur...

Pour en savoir plus :

- le site de Survie , l'association fondée et présidée par M. Verschave (ou dans mes liens : "Chirac assassin);

- les sites des Arènes et de La fabrique ;

- un site que je connais mal, mais qui creuse les mêmes sillons : stop-Françafrique .

(Rajouté le 6 juillet). Merci Acrimed, qui montre une fois de plus de quoi les individus du Monde et de Libération sont capables - et de quoi ils ne sont pas capables, c'est-à-dire d'oser écrire, purement et simplement, que F.-X. Verschave les gênait. Il est vrai qu'il leur faudrait alors avouer qu'ils sont stipendiés par la Françafrique (je rappelle que M. Colombani, d'après la justice française, est "renseigné" par la DGSE), et qu'il vaut donc mieux prétendre, comme ils le font, que la Françafrique est une affaire du passé, ce qu'un Togolais serait sans doute ravi d'apprendre.

Passons. Je tenais à faire remarquer par ailleurs qu'un des mérites de M. Verschave fut d'avoir été à la hauteur de ses découvertes : ainsi qu'il le rappelait fréquemment, lorsqu'il s'était lancé dans l'aventure de "Survie", il ne s'attendait pas du tout à apprendre que la Françafrique avait à ce point gangrené l'état français. Mais lorsqu'il en prit conscience, il ne recula pas, bien au contraire. Pour le dire à la manière d'Alain Badiou, il sut rester fidèle à un événement primordial (la prise au sérieux des responsabilités de la France dans le génocide rwandais), et c'est ce qui le constitua en tant que sujet - pas une pose révolutionnaire prise à l'avance et s'accommodant ensuite aisément des "dures réalités".

Enfin, me relisant, je me suis aperçu que j'avais enfreint un de mes propres principes, en étant plus violent à l'égard d'un mort, François Mitterrand, que d'un vivant (en mauvais état, mais les crapules ont la vie dure), Jacques Chirac. J'essaierai donc de me rattraper à l'occasion. A propos d'occasion, je profite de celle-ci pour signaler que dans Au mépris des peuples se trouvent de très éclairants passages sur Nicolas Sarkozy, ses rapports avec Charles Pasqua, les Hauts-de-Seine, l'argent...

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mardi 21 juin 2005

Tout change et rien ne change.

L'anthologie de K. Papaioannou étant passionnante (cf. texte précédent), je m'en voudrais de ne pas en faire profiter mon public.

Voici tout d'abord quelques autres prophéties. La pagination renvoie à l'édition Gallimard, coll. "Tel" :

- "Il ne s'agit plus seulement de réduire les salaires anglais au niveau de ceux de l'Europe continentale, mais de faire descendre, dans un avenir plus ou moins proche, le niveau européen au niveau chinois...

A mesure qu'il développe le pouvoir productif du travail, le système capitaliste développe aussi les moyens de tirer plus du travail du salarié, soit en prolongeant sa journée, soit en rendant son labeur plus intense, soit en augmentant en apparence le nombre des travailleurs employés en remplaçant une force supérieure et plus chère par plusieurs forces inférieures et à bon marché, l'homme par la femme, l'adulte par l'adolescent et l'enfant, un Yankee par trois Chinois." K. Marx, 1867, p. 193.

- "La concurrence chinoise, dès qu'elle sera massive, aura vite fait d'aggraver à l'extrême la situation chez vous [aux Etats-Unis] comme chez nous, et c'est ainsi que la conquête de la Chine par le capitalisme poussera vers sa chute le capitalisme en Europe et en Amérique." F. Engels, 1894, pp. 186-87.

- "Une sincère collaboration des nations européennes n'est possible que si chacune d'elles reste autonome chez elle." F. Engels, 1892, p. 208.

Ce qui suit relève de la seconde partie de cette anthologie. Certains des thèmes des bolcheviks puis de leurs descendants m'ont paru toujours actuels, en ce sens que leur rhétorique et leurs justifications sont utilisées avec le même aplomb par des gouvernants actuels, de France ou d'ailleurs.

- Lénine, peu syndicaliste : "La production est toujours nécessaire, pas la démocratie. La démocratie de la production engendre une série d'idées radicalement fausses." (1920, p. 324).

- G. Safarov, émissaire de Lénine au Turkestan, justifiant l'invasion de ce pays par l'URSS : "Dans l'Orient arriéré, le droit électoral généralisé et les "libertés formelles" ne sont pas applicables aux masses laborieuses qui ont subi durant des siècles la dictature féodale et l'obscurantisme spirituel et sont encore empêtrées dans les traditions féodales-patriarcales. L'intervention despotique dictatoriale de l'avant-garde avancée de la révolution est indispensable afin d'écarter du pouvoir tous les éléments oppresseurs-exploiteurs." 1922; p. 344.

- p. 390 : le décret du 15 décembre 1930 (sous Staline, donc) "stipule qu'un ouvrier cherchant du travail peut être contraint à accepter n'importe quelle tâche qui lui est offerte, dans n'importe quelle région."

- "Quelle est la cause des fluctuations de la main-d'œuvre ?

C'est l'organisation défectueuse des salaires, le système défectueux des tarifs, c'est le nivellement "gauchiste" dans le domaine des salaires.

Pour remédier à ce mal, il faut supprimer le nivellement et briser l'ancien système des tarifs. Pour remédier à ce mal, il faut organiser un système de tarifs, qui tienne compte de la différence entre le travail qualifié et le travail non qualifié, entre le travail pénible et le travail facile." J. Staline, 1931, pp. 391-92.

- "La tâche des syndicats est d'élever la productivité, d'augmenter le revenu national, de produire davantage, mieux et à meilleur marché." A. Zapotocky, président du Conseil (?) tchécoslovaque, 1952, p.409.

- dans le même ordre d'idées, peut-être se souvient-on du "prurit égalitaire" évoqué par le grand démocrate du Point C. Imbert. On lisait de même dans la Pravda de Bratislava en 1951 une dénonciation des "fâcheuses tendances égalitaristes des éléments retardataires." (p. 409)

- p. 443, on trouve le poème écrit par Brecht après l'écrasement de la révolution est-allemande de 1953, dans laquelle il conseille au gouvernement, s'il n'est pas content du peuple, "d'en élire un autre", formule souvent citée ou évoquée depuis le référendum du 29 mai.

- un texte satirique enfin, dont l'auteur est L. Kolakowski, publié en 1957, évoque ce que n'est pas le socialisme :
"Un Etat qui aimerait voir son Ministère des Affaires étrangères déterminer l'opinion politique de toute l'humanité (...)
Un Etat qui distingue difficilement une révolution sociale d'une agression armée." (p.491)

Evidemment, comparaison n'est pas raison, mais qui se sent morveux...

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mercredi 15 juin 2005

La mondialisation n'existe pas.

Cela fait longtemps, en fait depuis l'apparition dans le langage courant de ce terme, que je pense que "mondialisation" ne veut pas dire grand-chose, que "capitalisme" est suffisant. Et commençant enfin à lire Marx via l'anthologie de K. Papaioannou, je tombe sur ces lignes, écrites en 1858 :

"La tendance à créer le marché mondial existe donc immédiatement dans la notion de capital. Toute limite lui apparaît comme un obstacle à surmonter. Il commencera par soumettre chaque élément de la production à l'échange et par abolir la production de valeurs d'usage immédiate n'entrant pas dans l'échange : il substitue donc la production capitaliste aux modes de production antérieurs qui, sous son angle de vue, ont un caractère naturel [bassement spontané]. Le commerce cesse d'être une fonction permettant d'échanger l'excédent entre les producteurs autonomes : il devient une présupposition et un élément fondamental embrassant toute la production." (Grundrisse, in Marx et les marxistes, Gallimard, "Tel", p.156).

S'il ne s'agissait que d''une querelle de mots, il suffirait de rendre hommage sur ce point à la clairvoyance de Marx. Mais cela signifie que la "mondialisation" n'est pas une déviation, une exagération regrettable du capitalisme : elle n'est que le nom de la progression du capitalisme dans l'espace comme dans les consciences et les comportements. Ce n'est donc pas quelque chose que l'on corrige, mais quelque chose que l'on doit changer. Le pouvoir, et pour quoi faire, sont d'autres histoires - auxquelles nous assisterons sans doute, tôt ou tard.

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lundi 13 juin 2005

Florence est libre !

Libre ! De bosser à Libération ! D'être l'employée de M. July ! L'esclave de M. Rothschild ! Bienvenue au pays !

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samedi 11 juin 2005

Je serais Galouzeau...

...de Villepin, je me méfierais : les mouvements sociaux et révolutionnaires importants de l'histoire de France, principalement 1789 et 1848, ont reposé sur la même alliance des classes populaires et des classes moyennes qui a manqué à la Commune et que l'on vient de retrouver d'une certaine manière lors du référendum sur le Traité constitutionnel.

Ceci n'est pas une prophétie, encore moins un souhait ou une crainte. Mais l'on peut se demander si "assouplir le code du travail", c'est-à-dire rapprocher encore dans les difficultés ces catégories de population, est bien le meilleur moyen pour apaiser les tensions actuelles.

Citons Tocqueville ! La "crainte des révolutions", c'est-à-dire la crainte d'en provoquer, est selon lui (je retrouve la phrase exacte dès que possible, promis) le meilleur rempart au despotisme et à l'incompétence des gouvernants. Et cela fait maintenant fort longtemps que cette crainte a disparu chez ceux-ci, il n'est pas sorcier de s'en apercevoir. Alors, bientôt la lanterne ?



PS : bon article de J-M Rouillan (ex-Action directe) dans le Monde diplomatique de juin sur les prisons en France et leur évolution récente.
"Douce France,
cher pays de mon enfance,
bercé de tendre insouciance..."

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mercredi 8 juin 2005

La démocratie selon Télérama.

Je ne perdrai pas de temps à commenter l'éditorial du maffieux Jézégabel, nous expliquant en gros que le "non" a déjà perdu, juste quelques chiffres :

- six lettres de lecteurs, toutes sur le référendum. Deux partisans du non, contents, trois partisans du oui, mécontents, un partisan du non, qui regrette déjà.

- six interviews d'"intellectuels" européens : cinq partisans du oui, un partisan du non.

Cela se passe de commentaires. On rappellera qu'avant le rééquilibrage de fin de campagne, les grands media, tous partisans du oui, avaient justifié le peu de place qu'ils accordaient au non par le fait que la majorité des partis politiques français, supposément représentatifs, s'étaient prononcés pour le oui. Maintenant que le non l'a emporté, "haut la main" et "démocratiquement", comme le dit M. Jézégabel avec une nuance de regret pour le moins évidente, il semblerait logique que... Mais non. Les passions sont, croit-on, retombées, le CSA ne demande plus rien. On repart pour un tour !

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