vendredi 29 juillet 2005

Emile à l'appui.

Je trouve chez Durkheim des idées proches de celles développées dans le texte précédent - nous sommes en 1893. (Les italiques sont de moi.)

"Ce n'est pas à dire, d'ailleurs, que la conscience commune soit menacée de disparaître totalement. Seulement, elle consiste de plus en plus en des manières de penser et de sentir très générales et très indéterminées, qui laissent la place libre à une multitude croissante de dissidences individuelles. Il y a bien un endroit où elle s'est affermie et précisée, c'est celui par où elle regarde l'individu. A mesure que toutes les autres croyances et toutes les autres pratiques prennent un caractère de moins en moins religieux, l'individu devient l'objet d'une sorte de religion. Nous avons pour la dignité de la personne un culte qui, comme tout culte fort, a déjà ses superstitions. C'est donc bien, si l'on veut, une foi commune ; mais d'abord elle n'est possible que par la ruine des autres, et par conséquent ne saurait produire les mêmes effets que cette multitude de croyances éteintes. Il n'y a pas compensation. De plus, si elle est commune en tant qu'elle est partagée par la communauté, elle est individuelle par son objet. Si elle tourne toutes les volontés vers une même fin, cette fin n'est pas sociale. Elle a donc une situation tout à fait exceptionnelle dans la conscience collective. C'est bien de la société qu'elle tire tout ce qu'elle a de force, mais ce n'est pas à la société qu'elle nous attache : c'est à nous-mêmes. Par conséquent, elle ne constitue pas un lien social véritable." (De la division du travail social, PUF, pp.146-47).

Dans la fin de son livre, Durkheim semblera revenir sur le poids de ces affirmations : une meilleure organisation de la justice sociale pourrait satisfaire tout le monde, la division du travail accomplirait sa fonction, chacun serait à la fois spécialisé, conscient de contribuer au bien de la société et d'être épanoui grâce à elle, et vive l'harmonie. C'est laisser de côté ce problème de la "conscience commune" si nettement posé dans le passage que je viens de citer, ou tout au moins accorder au volontarisme une place subitement plus importante que celle que la sociologie de Durkheim lui laisse d'ordinaire.

D'une façon générale, lire Durkheim après Muray est plus qu'amusant, tant les prévisions du premier, dans l'ensemble assez justes, deviennent erronées ou plus fragiles lorsque on en arrive au monde le plus contemporain, celui que Muray, à tort ou à raison (mais c'est une autre histoire, justement), situe Après l'Histoire. Et bien sûr on retombe alors sur les questions de volontarisme et de possibilités d'action.

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