samedi 29 avril 2006

Mise au point (Connaissance biblique).

"Le paradoxe, c'est que presque tout le monde croit ou fait semblant de croire que chrétien ou catholique sont synonymes exclusifs de répulsion de la sexualité, condamnation des élans du corps, répression du plaisir, hypocrisie "jésuitique" sur le désir, étouffement des libertés envolées de la chair, culpabilisation sordide des plus légitimes aspirations de chacun à une jouissance absolument égale en intensité à celle des autres. Comme il me paraît évident, au contraire, et démontrable quotidiennement, que l'émancipation sexuelle est la réalisation de la pire des répressions puisqu'il s'agit d'un stade d'égalisation par effacement des différences jusqu'ici jamais atteint, donc aussi de l'enfer inévitable des rivalités entre égaux (entre partenaires, pour commencer, devenus obstacles à la place de la Loi qui jusque-là endossait toutes les responsabilités et faisait ce sale travail d'obstacle pour eux), je ne crois pas qu'il soit nécessaire de perdre trop de temps avec ces balivernes."

"Est-ce que le nihilisme de maintenant ce n'est pas cela : le monde le plus idiot possible, peut-être, mais au moins sans sexe ?"



Newton-Muray



"Le corps en soi, LE CORPS, est-ce que ça existe ?
Pour un homme, la réponse est vite trouvée : il n'y a d'autre corps que le corps féminin. S'il faut mettre les points sur les i, c'est un homme qui parle ici et sa perception de l'élément physique est féminocentrique, inutile d'y aller par quatre chemins, liquidons les faux problèmes et surtout les fausses symétries : le corps masculin n'existe pas pour un homme.

Pourquoi ? mais tout simplement parce qu'il n'y a jamais eu de corps d'homme à offrir en pâture, il n'y en a jamais eu, l'art ne s'est pas inventé à partir d'une vibration autour de la forme mâle. Au contraire, elle n'est là, cette machine, que pour rendre compte du phénomène féminin, pour le percevoir, le retenir dans le souvenir. Mains d'homme, regard, sexe, tout ça se sont des instrument de mesure avant d'être des organes. Des outils de comparaison, d'appréciation, de pénétration, de rapprochement ou de mise à distance. Des appareils d'enregistrement et de description de ce qui, en face, se présente au contraire, d'abord, comme organes. Courbes, poids, chaleur, lumière et ainsi de suite.

Je n'ai un corps, moi, homme, que dans l'exacte mesure où je parviens à dire ce ou ces corps féminins qui sont en face de moi. La preuve de mon corps n'est rien de plus, et rien de moins, que ma parole en train d'essayer de traduire un corps qui n'est pas le mien."

(P. Muray - photo H. Newton - montage et coups de ciseaux divers : AMG).


"Il n'y a que deux hommes qui sachent encore faire l'amour : Ben Laden et AMG." (Anonyme, belle, intelligente, 2006)

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jeudi 27 avril 2006

Le désintéressement et l'honneur (Chateaubriand V).

Cela fait plus d'un mois que je n'ai pas porté à votre connaissance ou intérêt quelques sentences de François-René. Laissons donc momentanément de côté les aventures de la collection, du système, de l'intérieur et de l'extérieur - nous y reviendrons bientôt -, et en voiture Simone. L'impérialisme, les "chiens de garde", les constitutions politiques... Comme d'habitude avec les prophètes de bon sens, les sujets d'actualité ne manquent pas. Et finalement, si, il y aura tout de même un peu de "tout", de "collectivité".

- "Toutes les constitutions ne sont pas applicables aux mêmes peuples ; toutes les formes de gouvernement sont bonnes, hors celles qui enlèveraient à l'homme sa dignité. Nos révolutionnaires, qui manquent surtout d'élévation d'âme, ont placé l'indépendance dans les mots ; ils n'ont pas vu qu'elle peut exister dans certaines institutions qui impriment à certains peuples un caractère spécial de liberté." (1819)

- "A Dieu ne plaise, que je me fasse l'apôtre de cette propagande qui prétend coûte que coûte, sang et pleurs, anarchie et ruines, rétablir des institutions pareilles en tous pays, comme si la civilisation atteignait partout le même niveau. Il me semble voir des costumiers qui, n'ayant qu'une forme et qu'une mesure, jettent le même habit tantôt sur le dos d'un nain, tantôt sur le dos d'un géant. Manteau court pour l'un, robe traînante pour l'autre." (1831)

- A propos de velléités d'alliance avec l'Angleterre : "Qu'avons-nous donc à espérer d'elle ? Quelle niaiserie de nous croire ses alliés, parce qu'elle a comme nous deux Chambres qui ne ressemblent guère aux nôtres ! Le peuple anglais possède de grandes qualités ; son gouvernement a de l'expérience et de la fermeté ; mais en politique il est tout positif. S'imaginer qu'il va devenir le Don Quichotte des libertés du monde, c'est étrangement le méconnaître : le cabinet de Saint-James s'est-il jamais piqué d'un dévouement sentimental pour les institutions d'un peuple ? Il a toujours fait bon marché du salut des rois et des nations, prêt à sacrifier monarchie ou république à ses intérêts."

Chateaubriand cite en exemple le roi d'Espagne Ferdinand, "voué tour à tour au despotisme et à la démocratie, selon le vent qui amenait dans le port les vaisseaux de la cité [City]." (1831)

- "Un homme n'est pas grand par ce qu'il entreprend, mais par ce qu'il exécute. Tout homme peut rêver la conquête du monde : Alexandre seul l'accomplit." (1814)



- "Les Français ont toujours été libres au pied du trône : nous avions placé dans nos opinions, l'indépendance que d'autres peuples ont mise dans leurs lois." (1814)

- "L'étendue naturelle d'un empire n'est point fixée par des bornes géographiques, quoi qu'on en puisse dire, mais par la conformité des mœurs et des langages : la France finit là où on ne parle plus français." (1814)

- J'ai déjà cité une partie de ce passage dans la note 12 de mon texte sur Benjamin Constant. Je l'avais abrégé pour ne pas divertir l'attention par les considérations un peu béates sur la Divinité. Je le retranscris plus longuement ici, souhaitant surtout attirer l'attention sur ce qui est fait et ce qui est fiction :

"Je ne serais pas étonné de m'entendre répondre : Fonder la société sur un devoir, c'est l'élever sur une fiction ; la placer dans un intérêt, c'est l'établir dans une réalité.

Les esprits spéciaux ne seraient-ils que des esprits bornés ? Je remarque que leur positif est presque toujours un manque d'idées : ce sont des joueurs d'échecs qui ne voient que le premier coup (...). Il faut donc leur apprendre que c'est précisément le devoir qui est un fait, et l'intérêt une fiction. Le devoir qui prend sa source dans la Divinité descend d'abord dans la famille où il établit des relations réelles entre le père et les enfants ; de là, passant à la société, et se partageant en deux branches, il règle dans l'ordre politique les rapports du Roi et du sujet ; il établit dans l'ordre moral la chaîne des services et des protections, des bienfaits et de la reconnaissance. C'est donc un fait très positif que le devoir, puisqu'il donne à la société humaine la seule existence durable qu'elle puisse avoir.

L'intérêt est une fiction quand il est pris, comme on le prend aujourd'hui, dans son sens physique et rigoureux, puisqu'il n'est plus le soir ce qu'il était le matin, puisqu'à chaque instant il change de nature, puisque fondé sur la fortune il en a la mobilité. J'ai intérêt à conserver le champ que j'ai acquis, mais mon voisin a intérêt à me le prendre : si pour s'en rendre maître il n'a besoin que de faire une révolution, il la fera ; car il est reconnu que partout où il y a intérêt, il n'y a plus crime. (...)

L'intérêt meurt avec l'homme, le devoir lui survit : voyez si vous voulez faire une société mortelle comme notre corps, ou immortelle comme notre âme."

Il serait dommage de ne pas rapprocher ces considérations d'une tirade de Durkheim dans la Division du travail social (1893) :

"Mais si les sociétés supérieures ne reposent pas sur un contrat fondamental qui porte sur les principes généraux de la vie politique, elles auraient ou tendraient à avoir pour base unique, suivant M. Spencer, le vaste système de contrats particuliers qui lient entre eux les individus. Ceux-ci ne dépendraient du groupe que dans la mesure où ils dépendraient les uns des autres, et ils ne dépendraient les uns des autres que dans la mesure marquée par les conventions privées et librement conclues. La solidarité sociale ne serait donc autre chose que l'accord spontané des intérêts individuels, accord dont les contrats sont l'expression naturelle. Le type des relations sociales serait la relation économique, débarrassée de toute réglementation et telle qu'elle résulte de l'initiative entièrement libre des parties. En un mot, la société ne serait que la mise en rapport d'individus échangeant les produits de leur travail, et sans qu'aucune action proprement sociale vienne régler cet échange.

Est-ce bien le caractère des sociétés dont l'unité est produite par la division du travail ? S'il en était ainsi, on pourrait avec raison douter de leur stabilité. Car si l'intérêt rapproche les hommes, ce n'est jamais que pour quelques instants ; il ne peut créer entre eux qu'un lien extérieur. Dans le fait de l'échange, les divers agents restent en dehors les uns des autres, et l'opération terminée, chacun se retrouve et se reprend tout entier. Les consciences ne sont que superficiellement en contact ; ni elles ne se pénètrent, ni elles n'adhèrent fortement les unes aux autres. Si même on regarde au fond des choses, on verra que toute harmonie d'intérêts recèle un conflit latent ou simplement ajourné. Car, là où l'intérêt règne seul, comme rien ne vient refréner les égoïsmes en présence, chaque moi se trouve vis-à-vis de l'autre sur le pied de guerre et toute trêve à cet éternel antagonisme ne saurait être de longue durée. L'intérêt est, en effet, ce qu'il y a de moins constant au monde."

- J'ai déjà aussi cité cette phrase, mais ce serait mentir par omission que de ne pas l'adjoindre de nouveau à la précédente :

"Notre vieille monarchie était fondée sur l'honneur : si l'honneur est une fiction, du moins cette fiction est-elle naturelle à la France, et elle a produit d'immortelles réalités."

Et puisque nous avons évoqué Durkheim : "L'ancienne légitimité [la monarchie légitime] n'était autre chose que la volonté nationale personnifiée et maintenue dans une famille." (1831 - tout ce qui suit, sauf mention, remonte à cette année, quelques mois après que Chateaubriand eut quitté la vie politique suite à la Révolution de Juillet et l'avènement du régime du même nom ("la monarchie de l'argent").

- "La société ne périt point, mais les sociétés périssent : nos lumières seront transmises à la postérité et profiteront au genre humain, mais il est possible que nous-mêmes, comme nation, nous entrions tous les jours dans notre décrépitude. Tout paraît usé ; arts, littérature, mœurs, passions, tout se détériore. Les plus nobles délassements de l'esprit sont remplacés par des spectacles grossiers ; si l'on pouvait faire renaître les gladiateurs, ils obtiendraient un succès que n'ont plus les chefs-d'œuvre de Voltaire, de Racine, de Corneille et de Molière : la Grèce aussi déserta Eschyle, Sophocle, Euripide et Ménandre pour les pantomimes des carrefours et les chevaux du cirque. (..., J'en profite pour caser du Céline : "Le Cirque fera fermer tous les théâtres... ; puis : "du spectacle !… joliment mille fois plus jouissant que nos pauvres branlettes en salles obscures… (…) qui qu’est pas gladiateur ennuie ! et gladiateur éventré !…" ; puis encore : "Une fois que l’on commence à jouer les jeux du cirque il faut au moins une nouvelle Religion pour en guérir la foule." We'll see !]) L'existence des nations est plus longue que celle des individus : un homme politique reste quelquefois étendu sur sa couche plusieurs années avant de disparaître ; une nation infirme demeure longtemps sur son lit avant d'expirer. Tout le monde dit en parlant de ce qui est : "cela ne peut pas aller comme cela." L'assertion serait juste, s'il s'agissait de la vie, mais si ce que l'on prend pour la vie est l'agonie, une lente gangrène ? Cela va, parce que le dernier moment n'est pas arrivé : le Bas-Empire mit quatre siècles à mourir." (1831)

Méditation qu'il faut tout de suite, pour éviter un éventuel malentendu, compléter par ce jugement :

- "Vous parlez de l'abaissement de la France, et vous êtes à genoux : cela vous va mal."

L'exemple de Jacques Marseille nous ayant encore récemment montré que les vilenies aimaient à se cacher sous le manteau des (fausses) évidences, ajoutons encore : "Personne n'est de l'avis de celui qui est de l'avis de tout le monde." (1816)


Tout cela nous permet de revenir en 1814, alors que Chateaubriand s'apprête à vraiment entrer dans l'arène politique, et qu'il n'a pas encore l'âge ni l'humeur de ces considérations mélancoliques sur la décrépitude des peuples :

- "Le désintéressement et l'honneur sont les deux vertus des Français : avec un tel fond, on peut tout espérer." (1814)


L'année prochaine (aïe ! 2007 !) à Jérusalem...

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lundi 24 avril 2006

Prosélytisme.

Pour ceux qui sont un peu perdus dans les aventures du concept et de la collection, je conseille ce texte de Vincent descombes (dont je dévore actuellement l'ouvrage majeur La denrée mentale, Minuit, 1995), texte qui permet de mettre certaines idées au clair sur ce qui fait que l'on peut parler ou non d'une collectivité à propos d'un ensemble d'individus. Jean-Pierre Voyer ajoute une distinction supplémentaire sur son site.

Pour ceux qui n'y voient que subtilités conceptuelles sans applications pratiques, je suggère ce petit exercice pédagogique : dans une interview que j'ai déjà citée, Marcel Gauchet parle de "désespoir collectif" à propos de la France. Il peut être amusant pour le lecteur de s'interroger sur les conditions de validité d'une telle assertion. Je n'ai pas dit que c'était absolument facile.



L'année prochaine à Jérusalem !

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samedi 22 avril 2006

Quel con, ce Muray,

d'avoir passé sans s'être expliqué nettement sur tous les points.

Il revient à maintes occasions sur le protestantisme - qu'il n'aime pas -, reprend à son compte une phrase de Mme de Staël (protestante elle-même) selon laquelle "Le protestantisme et le catholicisme existent dans le cœur humain ; ce sont des puissances morales qui se développent dans les nations, parce qu'elles existent dans chaque homme.", ajoute : "On pourrait même aggraver les choses en affirmant qu'il s'agit de deux visions du monde inconciliables et qui dureront bien après les religions dont elles portent les masques." (Préface à Procope, La guerre des vandales, Belles-Lettres, 1990), mais s'esquive dès qu'il s'agit de définir avec un rien de précision ces deux "visions du monde", laissant le profane démuni.

A une autre occasion (Après l'Histoire II, Belles-Lettres, 2001), il s'appuie sur une opposition de Gibbon entre "l'inclination contre-nature à la servitude des protestants et "la tendance irrégulière des papistes à la liberté", là encore sans donner beaucoup de compléments utiles.

Le non-spécialiste doit donc se débrouiller tout seul (je n'appelle plus mes lecteurs à l'aide, vous ne servez à rien, que Benoît XVI vous fasse griller la plante des pieds), et pour commencer émet cette idée : en plaçant l'autorité en-dehors d'eux, les catholiques se seraient simplifié la vie. On obéit à ce que la hiérarchie nous commande, mais pour le reste, tout ce qui n'est pas interdit est autorisé, il n'y a plus de questions à se poser. Au lieu qu'en situant l'autorité en lui-même le protestant la transporterait toujours avec lui. D'une part il ne pourrait jamais se débarrasser de la morale, ce qui n'est pas très réjouissant, d'autre part, lassé de ce questionnement perpétuel qu'il s'impose à lui-même, il aurait tendance à se fier à toutes les formes d'autorité, histoire de se débarrasser de temps à autre de ce fardeau - le catholique aurait quant à lui mieux délimité à qui il faut obéir et qui on peut contester.

Evidemment, il y a des catholiques serviles et des protestants plein d'individualité - mais on parle d'ensembles. Mon interprétation peut-elle tenir la route ? Est-elle mauvaise ? Ou bien Muray balançait-il des généralités spectaculaires pour impressionner les esprits naïfs ? Sa sincérité n'est pas en cause, mais tout de même. Ach, au paradis, entre deux havanes et deux houris, s'il peut me faire signe et m'expliquer ce qu'il voulait dire, je gagnerais du temps.




Dans un domaine proche, je découvre cet article sur les rapports entre l'Eglise catholique et les Etats-Unis, ce n'est pas inintéressant. Et me permet de rappeler ce fait découvert chez Alain de Benoist : il y aura dans quelques années plus de catholiques que de protestants aux Etats-Unis. Malgré ma bienveillance actuelle à l'égard du catholicisme - largement due à Muray d'ailleurs : rendons à César... -, je n'attends guère de miracles de cette évolution, mais j'ai peine à croire qu'elle n'entraînera pas quelques changements significatifs. Ce n'est pas tous les jours que la première puissance mondiale (si les Etats-Unis le sont encore lorsque cette mutation aura lieu) change de religion principale.

(Ajout le 5.05) Tout ceci est de la "politique-fiction", mais allons plus loin dans le raisonnement. D'une part, les catholiques ayant dû se résoudre à suivre le mouvement festif de l'époque et mettre en place des catho pride, chose difficilement imaginable il y a peu, il faudrait déjà se demander si le catholicisme n'évolue pas dans un sens qui lui ferait perdre sa spécificité. Mais il est vrai que cette religion a souvent su faire preuve de souplesse, pour le meilleur et pour le pire. D'autre part et surtout, la vie américaine est tellement marquée par le protestantisme depuis l'origine, y compris dans ses institutions et la façon dont les Américains sont habitués à les voir fonctionner, que si le changement de religion principale que j'ai évoqué doit avoir lieu, il ne pourra se faire sans que le catholicisme américain ne se mâtine de protestantisme, Dieu seul sait comment et à quel point. Fin de la politique-fiction.

Au passage : d'après le Vocabula Amatoria - A French-English glossary of words, phrases and allusions, occurring in the works of Rabelais, Voltaire, Molière, Rousseau, Béranger, Zola and others, with English equivalents and synonyms, Londres, 1896, qui ne cite malheureusement pas sa source, "changer de religion" a pu signifier "devenir pédéraste". Mais cela n'a pas de rapport avec ce que je viens d'écrire.



(Ajout le 4.05) L'évocation des houris n'était pas aussi incongrue qu'il y pouvait paraître, mais elle n'était pas tout à fait adaptée au volontés de feu Muray, qui écrivait en 1991, je le découvre, à propos des allègres femmes peintes et repeintes par Rubens :

"Habiter le rêve de Rubens ! C'est comme un rêve, oui, où je disparaîtrais sans difficulté, le plus réaliste, le plus raisonnable, le mieux fondé des rêves, le moins attaquable. Les houris du paradis de Mahomet ne sont que de pauvres filles, à peine des ombres, en comparaison des pensionnaires divines de son Bordel du Firmament."


rubens2


Dont acte !

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vendredi 21 avril 2006

Ce n'est pas moi, c'est la réalité.

Il y a peu, je me suis laissé aller à quelques considérations sur l'Apocalypse à venir, et voilà qu'à mon retour de week-end pascal, lesté d'un bon kilo supplémentaire réparti dans ma ceinture abdominale, mais encore vaillant, je tombe sur cette photo de M. Rumsfeld :


Rummy




Vous le reconnaissez ? C'est Peter Sellers dans Docteur Folamour (Dr. Strangelove), film sur l'Apocalypse nucléaire et comment l'atteindre. Vous ne pourrez pas dire que vous n'avez pas été prévenus !






(Désolé pour la qualité moyenne de l'image. Si un internaute est plus patient et plus astucieux que moi, il peut en chercher une meilleure copie (et me la communiquer) : l'auteur de cette photo est Carolyn Kaster pour AP, elle a été prise en Pennsylvanie le 27 mars dernier. Elle a été publiée en France par un journal parisien et pharisien dirigé par un ancien mao gras, vulgaire et, espérons-le, fort malade. Merci d'avance !)

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jeudi 13 avril 2006

La nostalgie camarades.

C'était quand même cool, ces émeutes.

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Santé mentale.

Ce qui suit a souvent été exprimé d'une manière ou d'une autre sur ce site, mais lorsque l'on tombe sur un texte où l'on retrouve beaucoup de ses propres préoccupations, exprimées qui plus est avec une louable clarté, pourquoi se priver d'en faire profiter ses lecteurs ?

Il s'agit d'une interview donnée par Vincent Descombes à la revue Esprit (numéros de mars-avril et mai 2000). Je ne ferai que quelques commentaires, et vous laisse éventuellement mettre des noms sur les idées critiquées ici.

"Ceux qui s'appellent eux-mêmes intellectuels critiques, ceux qui se sentent investis de la tâche quasi officielle de la critique, sont souvent des conservateurs idéologiques, alors qu'on préférerait avoir autour de soi des gens capables de proposer la critique intellectuelle dont nous avons besoin pour sortir d'une paralysie mentale devant l'événement. J'ai évoqué l'avant-guerre [avec l'exemple d'Aron invitant à forger de nouveaux concepts face à la montée des totalitarismes], ce sera bien sûr pareil après guerre avec la guerre froide, période durant laquelle l'intellectuel critique se montrera durablement incapable de dissocier progrès et révolution. D'où vingt ans de malheur pour les intellectuels français." (Descombes fait exception pour Castoriadis et Lefort.)

"J'ai (...) en vue un genre de situation qui se répète chaque fois que les représentations communes sont devenues intolérantes et résistent à toute mise en question par l'événement. (...) Dès lors, que va-t-on faire ? On peut se raidir et réaffirmer plus fortement les principes, comme si l'origine de nos difficultés était qu'on manquait de fermeté dans l'affirmation des principes : attitude typiquement conservatrice. Ou bien nous pouvons dire qu'en réalité, ce sont ces fameux grands principes que nous comprenons mal, faute d'être capables de procéder à des distinctions nécessaires."

"Je ne crois pas à l'"anthropologie philosophique" qu'un philosophe pourrait élaborer a priori dans son bureau, et c'est pourquoi je tente de montrer par des raisons philosophiques la supériorité d'une "anthropologie de la modernité" sur ce qu'on a appelé le "discours philosophique de la modernité" (construction qu'on trouve chez Heidegger comme chez Foucault ou Habermas).

Il faut ici revenir sur la partition actuelle des disciplines, la sociologie d'une côté et l'anthropologie de l'autre. Cette situation est anormale au regard de notre tradition sociologique, car Durkheim et Mauss (mais aussi Max Weber) traitent à la fois des sociétés traditionnelles et des sociétés modernes, le but étant d'établir une typologie reposant sur un contraste entre les unes et les autres. (...) La sociologie proprement dite et l'anthropologie, c'est la même chose. En revanche, il y a aujourd'hui des chercheurs qui sont en réalité des dissidents de la sociologie au sens classique, car ils prétendent pouvoir étudier le social autour d'eux sans passer par un certain nombre d'épreuves qui leur permettraient d'acquérir des concepts plus pertinents, plus rationnels, plus universels que ceux dont ils disposent d'emblée du fait d'appartenir à cette société. L'anormal, c'est de séparer l'anthropologie (pour les autres) et la sociologie (pour nous) parce que, dans cette situation, la sociologie de nous-mêmes devient une sorte de réflexion spéculaire, de narcissisme, puisque, sous le nom de "sociologie", nous ne ferons qu'appliquer à nous-mêmes les idées que nous avions en commençant. De son côté, l'anthropologie devient un divertissement, un voyage qui ne remet pas [en cause] l'image qu'on se fait de l'être humain, une fois revenu chez soi.

Pour se démarquer de cette approche, il faut rappeler que la grande sociologie apparaît après la Révolution française : c'est une réflexion qui suppose la Révolution et qui réfléchit de façon critique sur les limites intellectuelles des Lumières devant l'événement de la Révolution française. (...) Chez les ancêtres de la grande sociologie et surtout chez Durkheim, il y a l'idée qu'il faut un effort intellectuel gigantesque pour comprendre la société moderne et saisir parallèlement la manière dont les différentes formes d'humanité se rapportent les unes aux autres en partant de l'Australie et en allant jusqu'aux phénomènes anomiques et aux pathologies de la société moderne. Tandis que si l'on prétend être juste un expert des pathologies modernes, sans un équipement intellectuel comme celui que requiert l'anthropologie sociale, on va sans doute traiter de problèmes brûlants, mais on n'aura pas grand-chose à en dire. Nous avons besoin d'une anthropologie de nous-mêmes et non d'une "ontologie de nous-mêmes" [référence critique à une formule de Foucault]. (...)

La compréhension passera par le travail de décrire différents types d'humanité et, par là, de nous situer nous-mêmes comparativement."

- sur Durkheim, on notera pour mémoire que Descombes présente les choses à l'envers de leur déroulement effectif, sans trahir pour autant l'esprit du maître : Durkheim a commencé par étudier les sociétés modernes, et il s'est peu à peu aperçu que pour les comprendre il fallait mener une investigation plus vaste, notamment sur l'importance de la religion. Il est donc plus reparti que parti de l'Australie et de ses "primitifs".


"Ce qui frappe un philosophe, dans les philosophies progressistes de l'histoire, c'est le côté bizarre d'une classification des formes d'humanité qui distingue la raison des Modernes et la déraison du monde prémoderne. Une telle classification n'est pas descriptive puisque nous appliquons les concepts de nos sociétés aux autres sociétés et, du même coup, nous découvrons qu'elles sont déraisonnables puisqu'elles ne disposent pas de nos concepts. Ce n'était pas la peine de faire de l'anthropologie pour en arriver à un si mince résultat. Nous voyons ici que c'est le philosophe qui doit protester quand le concept de raison est utilisé - malheureusement par des philosophes - pour contraster des cultures, pour distinguer des cultures rationnelles et des cultures irrationnelles. Un tel usage du concept de raison est privé de sens. Il peut y avoir des formes d'irrationalité dans n'importe laquelle des cultures, mais il ne peut pas y avoir une culture qui soit globalement irrationnelle ou globalement rationnelle. Ce qu'on appelle "irrationalité" trouve sa source dans une contradiction entre une affirmation et une autre, entre une pratique et une autre. Elle tient à un conflit entre des idées qu'on soutient et d'autres idées opposées, qu'on soutient également. Pour qu'il soit possible de parler de contradiction ou de rationalité, il faut donc pouvoir confronter des éléments au sein d'un même contexte. La rationalité n'est pas une espèce de qualité comme l'élasticité est la qualité de certains matériaux, c'est la place qu'ont certaines idées dans un contexte formé par d'autres idées. Il ne peut donc être question de rationalité qu'une fois donné un contexte."

"Je ne conteste pas une classification de type wéberien distinguant la légitimation par la tradition et la légitimation rationnelle par le respect de règles générales. mais il faut qu'il y ait dans les deux cas une légitimation, il faut qu'il y ait une rationalité propre à une culture qui se légitime par la tradition, et une rationalité propre à une culture qui se légitime par le fait que les règles sont générales, procédurales ou efficaces."

"S'il nous est en général difficile de penser qu'une valeur s'attache au tout comme tel, c'est parce que nous croyons comprendre ce que c'est qu'une hiérarchie en nous représentant de simples situations d'inégalité (de pouvoir, de richesse, de prestige). Mais ces inégalités n'ont justement aucune valeur, elles ne peuvent pas prétendre apporter un bien à tout le monde. Ce qu'il nous faut donc comprendre, c'est que la hiérarchie comme valeur n'est qu'un autre nom de la solidarité entre les parties dans le tout. Tant qu'une inégalité ne peut se présenter comme lien, elle est incapable de porter la moindre valeur. Tocqueville peut nous guider sur ce point. Dans une société hiérarchisée, les rangs supérieurs ne peuvent se passer des rangs inférieurs et réciproquement. Le suzerain n'est rien sans ses vassaux, et le vassal ne peut pas se passer du suzerain : ils sont dans un rapport de subordination qui assure à l'un et à l'autre une place stable dans un certain ordre propre à la féodalité." (je souligne).

"Le fait de proclamer indépendant un individu doté de ses droits ne le rend pas indépendant intellectuellement : les individus ont les idées de tout le monde et ils dépendent, pour nourrir leur esprit, de tout ce qui se pense autour d'eux. Il y a donc un conflit perpétuel entre l'idéal qui est posé est une réalité sociale faite de solidarités, de dépendances, et donc de subordination. C'est le paradoxe que Durkheim avait noté quant il remarquait que les sociétés traditionnelles qui affirment la solidarité sont beaucoup moins structurées et complexes que les nôtres, et que, par conséquent, les hommes y sont plus indépendants matériellement, même s'ils tiennent à se penser dépendants les uns des autres. Alors que nous tenons, nous Modernes, à nous penser indépendants les uns des autres, la vie sociale nous met dans une plus grande dépendance - on le voit bien quand intervient subitement une catastrophe naturelle ou un désordre matériel.

Le sociologue ou l'anthropologue n'ont pas le choix : ou bien ils feront semblant de décrire la vie sociale en respectant l'idéologie individualiste du sens commun, ou bien ils vont décrire des gens qui dépendent les uns des autres alors que leurs valeurs sont celles de l'indépendance dans la vie de tous les jours. Si les gens se pensent comme des individus, ils n'ont pas envie cependant de devenir de véritables individus, je veux dire des "individus hors-du-monde", des moines, des solitaires ; bref, ils ne souhaitent pas renoncer à la vie sociale ordinaire. Tel est le conflit intellectuel qui nous travaille du fait de nos valeurs. C'est pourquoi le philosophe doit prendre en compte, pour sa part, l'affirmation de principe de l'indépendance individuelle, tout en soulignant la présence dans toute vie active de la hiérarchie, mais non pas de la hiérarchie entre des individus nés dans telle ou telle condition."

- sur ces thèmes, et notamment sur Durkheim, je me permets de renvoyer au passage de la Division du travail social, à laquelle Descombes fait ici allusion, que j'ai cité il y a quelques mois.

Les citations suivantes sont consacrées à Habermas, ce qui nous fait sortir de nos soucis principaux - mais des remarques incidentes y ramènent :

"Quand il expose une théorie du droit tel qu'il doit s'élaborer dans une démocratie, il le fait selon un modèle contractualiste. On s'aperçoit alors que sa théorie le range parmi les défenseurs d'une tradition française que nous ne connaissons que trop bien : celle de la supériorité morale d'un régime nomocratique, d'un régime où c'est la Loi qui décide de tout et non pas les hommes. En France, tant notre tradition juridique que notre idéologie politique ont souffert d'une tendance à constamment exalter la volonté générale ou la Loi. L'idée était que le gouvernement devait être le simple exécutif, le pur agent d'exécution, tandis que, de son côté, le juge n'aurait d'autre fonction que d'appliquer la loi. On peut ici penser au titre d'un pamphlet bien représentatif de cette manière de penser : l'exercice du pouvoir par le général de Gaulle aurait été un "coup d'Etat permanent". L'ineptie de ce titre en dit long sur toute une école de pensée. Je considère que nous avons fait en France un grand progrès dans la réflexion politique quand nous avons commencé à reconnaître les limites de ce modèle nomocratique dont la troisième République à ses débuts a cherché à être l'incarnation. (Certains parmi les plus estimables, comme Mendès-France, ne l'ont jamais reconnu, et cela a été leur limite.) En fait, notre expérience nous a appris que la réalisation terrestre du modèle nomocratique n'était pas le nec plus ultra de la démocratie et du contrôle par les citoyens de leurs affaires. La nomocratie réelle, c'était le parlementarisme avec tous ses défauts, et, en particulier, son incapacité à concevoir le rôle propres des institutions juridiques.

Pour penser le droit, il ne faut pas se placer du point de vue de la loi et du législateur, mais du point de vue du juge : la loi n'est là que pour permettre au juge de juger. Une philosophie du droit doit partir du juge, et plus précisément du problème de savoir quelles sont les difficultés, les conflits humains susceptibles d'être traités par l'art juridique. (Tout conflit humain ne relève pas [ou ne devrait pas relever...] de l'art du juge.) Quelles que soient l'abondance et la richesse des lois, il faudra bien que le juge interprète la loi puisqu'il rend une décision sur un cas particulier, lequel, forcément, n'était pas prévu comme tel par la loi."

- ici, je n'achète pas forcément tout, mais ce n'est pas le moment d'en discuter. Il me suffit de répercuter ces intéressantes remarques.

"On a l'impression que Habermas aimerait bien, grâce au concept de "raison communicationnelle", régler simultanément des problèmes qu'on pose dans la théorie de la connaissance (Qu'est-ce que la vérité ?), des problèmes d'éthique (Comment fonder nos décisions ?), et enfin des problèmes politiques (La communication dans l'espace public se fait-elle démocratiquement ou subit-elle des distorsions provoquées par l'idéologie ou des rapports de force ?). Si le concept de raison communicationnelle doit rendre tous ses services, quelque chose ne va pas, car une telle idée de la communication est nettement équivoque."

"Habermas voudrait avoir à la fois la radicalité du dialogue philosophique, l'efficacité propre au débat scientifique qui élimine les mauvaises idées dans le cadre d'une discussion entre chercheurs qui s'estiment mutuellement, mais encore l'égalité démocratique. Pourtant, la démocratie n'a pas grand-chose à voir avec la liberté qui règne dans une société de savants. La société de savants est ouverte - qu'un Finlandais me fasse une objection, c'est très bien si l'objection est solide, le fait que mon contradicteur soit finlandais n'a aucune importance - tandis que la discussion démocratique n'implique que des personnes concernées. On ne cherche pas à convaincre tous les gens qui peuvent avoir une opinion sur le sujet. En principe, en démocratie, on ne s'occupe que de l'opinion des gens qui vont avoir, d'une façon ou d'une autre, à payer de leur personne, à subir les conséquences. C'est pourquoi la démocratie peut très facilement tourner à une sorte de conservatisme suisse où nous préférons rester entre nous, car la démocratie directe s'exerce d'abord entre soi, entre des gens qui se connaissent. Contrairement à ce que laisse croire la théorie de la "société ouverte" [Popper], il n'est pas toujours facile d'ouvrir une démocratie à des idées nouvelles, alors que le débat scientifique est par définition ouvert, et l'est parce qu'il est plein de présupposés [partagés par tous, à partir desquels on peut travailler], tandis que le débat philosophique, qui est sans présupposés [on y remet toujours tout en question], ne saurait prétendre donner les bonnes solutions pour les problèmes urgents."

"Joyeuses Pâques." (G. Lautner, 1984).

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mercredi 12 avril 2006

Apocalypse soon !

Lorsque les guerres occidentales ont commencé à être des guerres de masse, que les armées de métier ont cédé la place aux levées de populations, c'est-à-dire en gros sous Napoléon, dame Nature a trouvé une parade pour limiter les effets destructeurs des pulsions humaines : les épidémies. Après une bataille sanglante, une bonne razzia microbienne limitait les ardeurs comme les possibilités des survivants. Le temps passé à reconstituer une armée permettait de discuter, de se dire parfois que finalement, entre gens de bonne volonté, un traité de paix n'était pas si humiliant, au moins pour quelques années, un peu de propagande ferait passer la pilule auprès des populations saignées...

Les progrès de la médecine ont permis aux hommes de réduire à néant les efforts qu'avait fait la Providence pour les protéger de leur enthousiasme. Aussi le XXe siècle vit-il des guerres longues que de vulgaires bactéries ne purent vraiment ralentir. Le plus grand conflit de l'histoire universelle à ce jour s'est d'ailleurs achevé sur un énorme massacre de laboratoire, qui fut à la fois une caricature des précautions prises par Notre Père pour limiter quelque peu les effets de nos folies, et la transcription prométhéenne de la dissuasion divine à l'égard de notre ubris.

Les guerres, les massacres, les génocides même n'ont certes pas cessé depuis que Hiroshima a explosé et implosé. Mais, par comparaison avec les deux grands conflits mondiaux du XXe siècle, il n'est certes pas interdit d'estimer qu'il y eut depuis 1945 un certain "progrès", ou un "retour à la normale" de ce point de vue.

Ce qui n'a pas empêché la médecine de continuer ses progrès fulgurants - ni la transmission fulgurante de ceux-ci à une partie de plus en plus grande de la planète. Par conséquent, ce que l'on a appelé l'essor démographique est devenu au fil du temps surpopulation mondiale.

Alors l'Eternel s'est remis au travail. Le SIDA d'abord, la grippe aviaire ensuite et peut-être - car si celle-ci est pour l'instant bien clémente, certains scénarios de transmission de cette maladie de l'homme à l'homme envisagent à terme une consumation de 20% de la population mondiale -, mettent en échec, temporairement bien sûr, mais pour longtemps qui sait, le savoir et la technique des chercheurs.

Ajoutons deux et deux. Seul un conflit nucléaire ou une épidémie serait susceptible de redonner un peu de place comme de modestie à l'espèce humaine. On peut objecter qu'en ce qui concerne le SIDA le travail est déjà largement commencé en Afrique, mais cet exemple, pour lugubre qu'il soit, n'est pas tout à fait probant, puisqu'il serait justement tout à fait possible de réduire de façon très significative la progression du virus sur ce continent si on le voulait vraiment. Tout le monde le sait, cela ne change rien à rien, c'est donc qu'il faut un remède plus puissant.


[Ajout lors de la relecture / archivage, le 9.09.12 : ceci doit être au moins nuancé, qui donne l'impression de faire très bon marché des mentalités collectives.]

L'homme est dangereux pour les autres espèces, mais il est devenu comme un luxe - et donc presque inutile - pour la sienne propre. Un de perdu, dix mille de retrouvés, dont on se passerait bien. Des assistés qui creusent le déficit de l'état, des esclaves d'ailleurs pratiquant un dumping de plus en plus intense sur le temps de travail qu'ils vendent, des clandestins sans nombre, des victimes de tsunamis ou de tremblements de terre en quantité inimaginable, des hurleurs anonymes et standardisés... Des emmerdeurs. Des nuls, des zéros.

Que les Etats-Unis donc tentent de vitrifier l'Iran.

Ceci ou autre chose.

Les voies du Seigneur sont impénétrables.

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mardi 11 avril 2006

Pain in the ass.

On n'a pas tort de dire que les Français font parfois n'importe quoi, mais il faut relativiser : les Américains élisent un Président en lui donnant moins de voix qu'à son adversaire ; les Allemands n'arrivent pas à choisir et élisent tout le monde en même temps ; les Italiens, entre deux abominables canailles, font des manières au moment de se décider... Il n'y a finalement que les Britanniques pour, imperturbablement, réélire à satiété le même enculé depuis des années. Ils avaient d'ailleurs fait pareil avec Maîtresse Thatcher. C'est le syndrome de Stockholm façon éducation anglaise.

(Le pire, c'est que quand les Palestiniens, les Biélorusses, et même les Américains la deuxième fois, s'expriment clairement, nous ne sommes pas contents non plus).

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dimanche 9 avril 2006

Publicité.

Suite à un mail reçu il y a quelques semaines, j'ai découvert une constellation de blogs, en direction desquels il m'est depuis arrivé d'adresser le lecteur à l'occasion d'un lien ou d'un autre.

J'en regroupe certains ici, étant entendu que cela ne vaut pas de ma part caution à tous ce que ces gens écrivent - loin s'en faut. Cette annonce n'est qu'un hommage à la passion qui les anime - et qui les fait parfois s'engueuler entre eux. Il va de soi par ailleurs que je n'ai pas exploré tous les liens que l'on peut trouver sur ces sites : des perles peuvent très bien m'avoir échappé.

Voici donc :

- A tout seigneur tout honneur, l'auteur du mail en question, M. Cinéma, le plus serein du lot ;

- M. Littérature, qui comme moi se consume dans la passion de Karl Kraus - qu'Allah le bénisse ! -, et à qui plus encore qu'à son maître il arrive d'être injuste ;

- M. Religion, pas commode non plus, qui parle parfois bien de sa croyance, et qui comme moi se consume dans la passion de Blaise Pascal - qu'Allah l'ait en sa très sainte garde ! ;

- M. Vague, dont j'ai plus de mal à cerner l'état d'esprit, mais qui peut avoir le sens de la synthèse percutante ;

- M. Citations, dont je redécouvre à l'instant l'existence, et chez qui il semble y avoir de quoi piocher ;

- et bien sûr un bonjour à Mauricette Beaussart pour finir.


Ach, débrouillez-vous avec ça !

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Reddition (ekki Muray nuna).

Mur.

(Photographie Sophie Bassouls (1988), prise dans la revue L'imbécile.)



Cela doit faire plusieurs mois que j'annonce un texte sur l'œuvre de Philippe Muray : un retard si souvent répété a pu paraître suspect - il l'était. M'étant replongé dans ses livres suite à sa mort au champ d'honneur du politiquement incorrect (cancer du fumeur à 60 ans), j'ai vite constaté que je risquais fort de ne pas rendre service à son œuvre si je la traitais de façon systématique.

D'abord, Muray s'est beaucoup répété, et donc parfois contredit, ce qui obligerait à un lourd travail de clarification de ce qu'il aurait vraiment voulu dire. Ensuite et surtout, les présupposés sur lesquels reposent son travail, d'une part pour être étudiés de près demanderaient rien moins que la lecture de la Bible, de Freud et de René Girard..., d'autre part me semblent discutables, alors même que ce qu'il en dégage pour l'étude du monde contemporain est extrêmement fécond. Je finirais par me perdre dans des disputatio sur les "choses cachées depuis la fondation du monde", et dissoudre Homo Festivus dans l'histoire universelle.

Aussi me semble-t-il plus sage de remettre sine die une étude qui exigerait probablement beaucoup de travail pour un résultat décevant, et de continuer à me servir de ses intuitions et recherches pour tenter de comprendre deux ou trois choses à notre désarmant présent. Ce n'est que par ces tentatives sporadiques d'approche que j'arriverai peut-être le mieux à saisir ce qui séduit le plus dans cette œuvre, les liens énigmatiques entre le catholicisme de Muray et son approche du monde. J'ai donc perdu une bataille, mais, j'espère, pas la guerre.


(Quelques heures plus tard).
Furetant un peu sur Internet, je trouve, via une fiche Wikipedia qui lui est consacrée (il suffit de crever pour être wikipédié - la mort transforme la vie en Wikipedia), d'intéressants textes sur Muray, de la part de son éditeur ou de lecteurs. J'y apprends notamment qu'il assurait son pain quotidien en écrivant des polars sous pseudo, et que Péguy, à qui on rappelait la parole du Christ : "Ne jugez point", répondait : "Je ne juge pas, je condamne". La classe.

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jeudi 6 avril 2006

J'aurais pu y penser plus tôt...

...mais : les "Trente Glorieuses", en quoi furent-elles glorieuses ? Placer la gloire dans la croissance, quelle noble ambition ! Il y avait vraiment de quoi être fier. On a ce qu'on mérite.

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dimanche 2 avril 2006

Un libéral-stalinien de bonne compagnie.

(Ajout le 9.06.)

(Ajout le 10.09.)




"C’est toujours des douillets nantis, des fils bien dotés d’archevêques qui vous parlent des beautés de l’angoisse, je leur en filerai de la voiture, moi ! de la sérieuse voiture à bras, et poil, certificat d’étude ! à l’âge de 12 ans ! je te leur passerai le goût de souffrir !"

(Céline).



Lors des situations, peut-être pas en l'occurrence de crise, mais un peu agitées, certaines interventions semblent tomber au bon moment, résumer une forme de sagesse attendue de beaucoup. A en juger par le nombre de citations qu'elle a suscitées dans des endroits variés, l'interview de Jacques Marseille au Monde daté du 26 mars dernier fait partie de ces sorties opportunes.

Il est conseillé de lire ce bref entretien avant que de s'attaquer à mes commentaires. Si d'aventure le lien que je viens de donner ne fonctionne plus, je reproduis les propos de M. Marseille ci-dessous. C'est moins joliment présenté, mais il n'y a pas de publicité.

Même si je serai en partie amené à le faire, mon propos n'est pas du tout d'énumérer et décrire les contre-vérités, inexactitudes, amalgames - et bonnes idées : principalement la suggestion finale - énoncées par J. Marseille : je voudrais surtout nuancer le cliché, employé ici dans un sens libéral, selon lequel l'histoire de France n'est faite que de ruptures et de psychodrames dommageables - quand, à entendre Jacques Marseille, il suffirait presque de s'asseoir tous autour d'une table, comme savent si bien le faire nos gentils voisins si doux et si tolérants, pour que tout s'arrange - c'est le grand soir libéral, finalement.

Je précise tout de même que je vise une interview parue dans le cadre de la promotion d'un livre, et qu'il se peut que l'auteur soit bien plus précis et prudent dans ce qu'il écrit que dans ce qu'il déclare. Ach, c'est lui qui a décidé de l'ouvrir, je n'avais pas quant à moi les moyens de le faire parler. J'éviterai d'ailleurs les procès d'intention, et si je parle de "libéral", c'est aussi parce que ce n'est pas d'aujourd'hui que M. Marseille publie des livres et expose publiquement ses idées.

Parenthèse : il y a des spécificités françaises comme il y a d'autres spécificités, mais le premier réflexe doit être de méfiance devant tout ouvrage ou article annonçant la couleur dans le style : "une exception française", "une passion française", etc. Dans le cas présent, je suis ravi d'apprendre, si je lis bien ce que M. Marseille cherche à nous dire, que l'histoire de l'Allemagne est un long fleuve tranquille, notamment pour ses voisins et pour ses Juifs, que les Anglais, qui ont eux aussi étêté un monarque, et qui ont de surcroît pondu Mme Thatcher, savent ne jamais s'énerver au moment de faire des réformes, que l'Espagne et l'Italie, qui ont toujours eu un mal de chien à avoir un régime consensuel, ont des leçons à nous donner... Quant aux Etats-Unis de la guerre de sécession, de la ségrégation, de la Nouvelle-Orléans sous les eaux, du système carcéral comme deuxième employeur du pays... ah, voilà "une démocratie qui fonctionne" ! Bien sûr, j'exagère... mais comme J. Marseille, je mélange passé et présent au gré des besoins de ma démonstration. Fin de parenthèse.


Tout cliché a une part de vérité. Que les Français aient un goût pour la dramatisation, ce ne sont pas les événements de ces jours-ci qui vont le contredire ; qu'il y ait eu des ruptures importantes dans notre histoire, je le veux bien. Qu'enfin nous ayons produit quelques "hommes [plus ou moins] providentiels", admettons, au moins pour l'instant. Mais Jacques Marseille confond tout au long de cet entretien des choses très différentes, ce qui l'amène finalement, à nous proposer, sous l'apparence de la simplicité et de la modération, un véritable galimatias, d'esprit un peu trop stalinien à mon goût.

Afin de tenter de le démontrer, il me faut varier les angles d'attaque :

- Pour juger si une démocratie "fonctionne", il ne faut pas seulement voir si ses institutions fonctionnent, cette fois-ci sans guillemets, correctement : il faut que les actes des gouvernants soient à l'unisson de la volonté populaire. Pour prendre un exemple extrême, certaines sociétés tribales, évoquées me semble-t-il par Durkheim, où le chef obéit en tout et pour tout à la volonté du groupe qu'il se contente de symboliser et d'exprimer à haute voix, sont démocratiques, puisque le chef ne fait qu'y rendre plus aisément formulable et applicable le "pouvoir du peuple". Lorsque Bismarck met en place les institutions de la social-démocratie allemande, quand de Gaulle en 1944 prend appui sur le programme du Conseil National de la Résistance pour très fortement consolider l'Etat-providence, ils ne sont en rien des "grands hommes", ils obéissent, poussés l'un par le SPD, l'autre par le PCF, à une forte demande de la société. J. Marseille oppose la naissance de la social-démocratie en Allemagne par Bismarck - omettant d'évoquer les socialistes et les syndicats, sans qui ce charmant démocrate de Bismarck n'aurait jamais levé le petit doigt pour les ouvriers - à l'immobilisme de la IIIe République, suggère que nous ne sommes pas vraiment démocrates parce que nous aimons les grands hommes, ce qui sous-entend que les autres pays les vénèrent moins que nous ou y moins souvent recours ; cite le cas du Général à l'appui de sa thèse... pour finalement laisser tomber, comme si cela ne changeait rien à ses arguments, que de Gaulle en 1944 n'avait fait qu'appliquer le programme de la Commune (ce qui d'ailleurs est une formulation discutable).

Cela donne une drôle de mélasse conceptuelle. Tout ce que l'on peut dire en vérité, c'est que la classe ouvrière allemande de la fin du XIXe siècle était mieux organisée que la nôtre, et que, précisément parce que l'Allemagne était à l'époque rien moins que démocratique d'un point de vue constitutionnel, celui qui la dirigeait a pu assez rapidement réformer un système dans un sens qui lui déplaisait fortement, ceci afin de limiter les mécontentements et de rester au pouvoir. Un pays était "en avance" socialement, l'autre "en avance" politiquement. C'est tout.


MAR

Seconde parenthèse. Quand quelqu'un sourit sur une photo, il vaut mieux se méfier. Staline sourit plus souvent à l'objectif que Churchill ou de Gaulle ; Baudelaire ne faisait guère de risettes à Nadar. Le faux cul n'est jamais loin du sourire. Fin de la seconde parenthèse.


- Pour juger si un pays se réforme, s'est réformé, a su se réformer, il ne faut pas simplement observer les évolutions spectaculaires. Il importe de prendre en considération les évolutions silencieuses, discrètes, à long terme. Ainsi de l'accession des femmes au marché du travail, qui s'est faite en France comme dans les pays d'Europe occidentale, sans plus de drames - et parfois mieux : les femmes allemandes, qui doivent en grande majorité abandonner, et pour toujours, leur boulot dès la naissance de leur premier enfant, sont jalouses des femmes françaises et des garanties qu'elles ont de retrouver assez rapidement la vie active.

On pourrait aussi parler de l'exode rural, de la consolidation progressive de l'Etat-providence sous deux républiques différentes...

- Pour faire des comparaisons historiques valables, il faut comparer des grandeurs commensurables, ne pas mettre sur le même plan des choses qui n'ont rien à voir. Ce n'est pas la peine d'être professeur d'histoire économique si l'on croit possible d'obtenir des chiffres significatifs en ajoutant des choux, des voitures blindées et des ratons laveurs.

D'abord, il aurait mieux valu ne comparer la France qu'avec un seul de ses voisins - l'Angleterre alors sans doute s'imposait. Chateaubriand, peut-être le père du cliché libéral dont j'essaie de démontrer l'insuffisance, s'en contentait. Car à picorer dans tous les sens, on trouvera bien sûr toujours dans un pays quelque chose qui marche mieux ou a mieux marché qu'en France.

Ensuite, donc, il ne faut pas tout mélanger. Revenons donc aussi brièvement que possible à ces ruptures "consubstantielles à notre histoire". Sur le grand gâchis des guerres de religion, admettons - tout en rappelant qu'en Angleterre, Henri VIII... Mais bon. "C'est avec la Fronde que les privilégiés ont dû se soumettre à une certaine forme d'ordre" : erreur ! Ces privilégiés avaient pendant des siècles dans leur grande majorité obéi à une "forme d'ordre" (divin) : c'est avec la naissance de l'absolutisme, qui rognait sur leurs privilèges, qu'ils se sont révoltés, parce qu'ils se sont sentis agressés, parce que l'ancien ordre était remis en cause. Il est vrai que l'histoire de France de Jacques Marseille ne commence qu'au XVIe siècle...

Je ne comprends pas le passage sur Mme de Staël et Napoléon.

L'exemple de Napoléon III est pernicieux, parce que finalement il réduit la révolution de 1848 à une crise issue d'une problématique protectionnisme (évidemment "exacerbé")/libre-échange. Matérialisme étonnant pour qui donne des leçons de démocratie, alors même que cette révolution a constitué un important moment de réflexion collective sur ce que pouvait être la démocratie en France.

Je ne vais pas détailler tous les autres affirmations de ce genre, d'autant que certaines restent peu claires (la "première mondialisation" aurait gagnée à être présentée). Je note juste la référence à Munich, mis sur le dos de la IIIe République : peut-être faut-il rappeler qu'un Premier Ministre anglais y était, et qu'il n'y fut pas plus brillant que notre Président du Conseil. Ceci sans évoquer les atermoiements des Etats-Unis vis-à-vis de l'Allemagne hitlérienne jusqu'à une date fort tardive.

En ce qui concerne l'évocation de 1958, en revanche, je n'ai rien à redire, c'est évidemment un très bon exemple. Mais quand on additionne toutes les exagérations, erreurs et comparaisons non valables, on finit par se dire qu'il ne reste plus tant de ces ruptures si "consubstantielles" à notre histoire.

Quant à la notion d'"homme providentiel", je crois qu'il serait trop long, et pas tout à fait dans le sujet, d'étudier ce que veut vraiment dire M. Marseille, en admettant qu'il ait des idées précises à ce sujet. Il est d'ailleurs attiré sur ce terrain par les journalistes du Monde.

- Enfin, pour donner autant de leçons aux autres et aller jusqu'à qualifier la moitié des adultes de son pays comme des "inutiles", il faudrait peut-être songer préalablement à se regarder un peu soi-même en face. Je ne vais pas me lancer dans une défense, que certainement M. Marseille jugerait démagogique, de personnes qui malgré leur "inutilité" travaillent ou essaient de le faire et ne sont pas, comme M. Marseille, payées - avec un statut de fonctionnaire -, pour lire et écrire des conneries dans les journaux. Je préfère laisser la parole à Louis-Ferdinand, qui en 1941 apostrophait ainsi une dame qui, comme M. Marseille, se mêlait de faire la morale aux "familles" (elle voulait en l'occurrence s'attaquer à des livres qu'elle jugeait corrupteurs) :

"Ce qui les corrompt, c'est votre exemple, c'est l'exemple de vos privilèges, c'est votre astucieuse réussite de foutre rien avec des rentes, d'être bien heureuse dans votre nougat, toute parasite et pépère. La voilà la folle indécence, l'obscénité en personne ! Voilà le fléau Madame, c'est pas dans les livres, c'est dans votre existence même.

Je vous vois qu'une façon de les aider les familles qui vous sont précieuses, c'est de leur verser tout votre pognon, tous les attributs de la fortune. C'est ça qui les soulagera bien, c'est pas les déplacements de virgules, les nitoucheries effarées, les trémoussements autour du pot... Si vous attaquez le problème alors allez-y carrément ! amenez vos ronds ! là ! sur la table ! tous vos ronds ! on verra de cy que vous êtes sincère, que c'est pas du cinéma, que les familles vous tiennent à cœur.

Parce que si c'est pour la musique, nous aussi on peut composer..."


Puisque donc M. Marseille - à qui je ne reproche aucunement d'avoir de l'argent, tant mieux pour lui - se plaint d'avoir une trop bonne retraite et qu'il évoque "la guerre d'aujourd'hui", "celle du courage contre l'égoïsme", il ne lui reste plus qu'à montrer l'exemple. Ma langue de bois dans ton cul, fonctionnaire inutile !

On répondra que c'est là du poujadisme, que c'est le système entier qu'il faut réformer, que le cas de M. Marseille n'est qu'un exemple... Précisément non. Il se peut qu'il faille faire des réformes dans tel ou tel domaine. Mais tant que ceux qui les réclament ainsi, pleins de mépris à l'égard de ceux qui craignent, à tort ou à raison, d'en subir les conséquences, le font avec le sourire de qui ne craint rien pour lui-même... bonnes ou mauvaises, les réformes ne sont pas prêtes d'arriver. Ce qui donnera l'occasion à M. Marseille d'un nouveau tour sur les plateaux de télévisions et dans les colonnes des journaux, à coups d'affirmations soi-disant érudites que ses interlocuteurs n'osent pas, ne peuvent pas ou ne prennent pas le temps de contester.



Je vous laisse. Un jour je vous dirai pourquoi, malgré ses jeunes pleureurs, ses femmes de plus en plus désespérantes, ses Villepin et ses Marseille, la France est encore un beau pays.










Entretien réalisé le 25 mars.


La France est-elle un pays impossible à réformer ?

Oui. Ou en tout cas, c'est éminemment difficile. J'ai cherché désespérément dans l'histoire les moments où la France avait été capable de faire les grandes réformes qui allaient changer son destin, tranquillement, par le dialogue, par le Parlement. Je n'en ai pas trouvé.

Pour vous, la France n'évolue que par ruptures successives ?

La rupture est consubstantielle à notre histoire. J'ai examiné nos grandes ruptures. Il faut les guerres de religion pour passer du fanatisme religieux à une certaine forme de tolérance. C'est avec la Fronde que les privilégiés ont dû se soumettre à une certaine forme d'ordre. Après dix ans de révolutions, les contemporains auraient plutôt misé sur Cambacérès, Mme de Staël ou Benjamin Constant. Ils n'auraient jamais cité Bonaparte, qui incarnait la populace et qui allait pourtant, en l'espace d'un quinquennat, créer le socle de granit de la France : le franc, le Code civil, les lycées, l'université, le cadastre, les préfets. Lors de la révolution industrielle, la rupture pour faire passer la France du protectionnisme exacerbé à l'ouverture et au libre-échange est accomplie par Louis Napoléon Bonaparte, celui que les bien-pensants de l'époque traitaient de "crétin".

Comment expliquez-vous cette résistance au mode de la réforme ?

La France est incapable de faire des diagnostics partagés. Je provoque mes étudiants en leur disant que chaque matin, quand il se rase, Dominique de Villepin n'a qu'une seule idée en tête, précariser la jeunesse française, et que les patrons français n'ont qu'une seule obsession, licencier sans motif ceux qu'ils ont embauchés l'avant-veille. Avec de tels présupposés et une telle incapacité à négocier, il ne peut qu'y avoir des "guerres civiles" en France. La vraie question qui se pose aux jeunes n'est pas : est-ce que le gouvernement ultralibéral cherche à les précariser ?, mais comment, avec une croissance comparable à celle de ses voisins, la France crée si peu d'emplois et exclut du monde du travail les seniors et les juniors.
Ensuite, la France n'a pas réellement fait le choix de son régime politique : avons-nous un régime parlementaire ou présidentiel ? Les démocraties qui fonctionnent ont soit l'un soit l'autre. Dans les pays d'Europe du Nord, il existe deux grands partis, l'un, social-démocrate, qui, contrairement au Parti socialiste français, a fait le choix de l'économie de marché, et un parti chrétien-démocrate. Il existe deux chefs de parti, qui n'ont pas fait l'ENA et sont souvent issus du mouvement syndical. Ils ne font pas partie de l'"élite", au sens où on l'entend en France. Ils ont des programmes divergents, plus ou moins social ou libéral ; lorsqu'ils gagnent les élections, ils deviennent premier ministre et sont réélus une ou deux fois. Au bout de dix ou douze ans, on change de génération.

Dans un régime présidentiel comme aux Etats-Unis, le président est obligé de négocier avec le Congrès et ne peut rester à la Maison Blanche plus de huit ans. Après, c'est fini. Jimmy Carter et Bill Clinton donnent bien des conférences, mais ils sont écartés du jeu politique. En France, nous n'avons pas choisi. L'UMP soutient à peine le gouvernement et le Parlement n'a en fait aucun pouvoir. Les dirigeants font de la politique à vie et sont coupés du monde. Valéry Giscard d'Estaing fête ses cinquante ans de vie politique ; François Mitterrand est mort un an après avoir quitté l'Elysée après cinquante ans de vie politique. Jacques Chirac n'a fait lui que quarante-trois ans, et Lionel Jospin risque de se représenter.

Et les syndicats ?

Le syndicalisme en France est faible et divisé, alors qu'il est uni et représente les deux tiers de la population active dans les autres démocraties. Les corps intermédiaires n'existent pas : la Révolution française les a tous brisés pour établir une relation directe entre l'Etat et le citoyen. Il est donc assez logique que ce soit la rue qui ait pris la place du Parlement en France, d'autant plus que la moitié des Français ne participent pas à la vie politique : 20 % à 30 % ne votent pas, 15 % votent pour l'extrême droite et 10 % pour l'extrême gauche. C'est ce que j'appelle des Français "inutiles", qui ne participent pas à la vie politique du pays, sauf sous la forme de la contestation. La France est ainsi devenue le modèle de l'absence de réelle démocratie, en tout cas d'une réelle incapacité à la discussion, à la réforme ou au compromis.

Les choses vont-elles assez mal aujourd'hui pour qu'il y ait rupture ?

Les Français ont très souvent cette expression lorsque vous les interrogez : "Ça va péter." S'ils le disent, c'est que cela va assez mal pour qu'il y ait rupture. L'histoire nous offre trois scénarios.

Le premier - auquel je crois de moins en moins - est celui de l'accommodement, c'est-à-dire celui de la non-rupture, de la lente agonie. C'est l'exemple de la IIIe République. La Commune, qui est la plus terrifiante des guerres civiles, ne débouche sur rien. Adoptée à une voix près, la IIIe République est une alliance mi-chèvre mi-chou entre les orléanistes et les républicains les plus opportunistes. Elle prend un grand retard sur le plan social. Il faut plus de vingt ans entre le moment où on dépose la loi sur les accidents du travail et son vote, en 1898, pour reconnaître la responsabilité des employeurs en cas d'accident. Pendant ce temps, l'Etat-providence naît rapidement dans l'Allemagne ultra-conservatrice de Bismarck. La France, très ouverte sur le monde, se replie sur elle-même et rate la première mondialisation. Elle sait creuser des tranchées, mais pas construire des blindés. Pendant l'entre-deux-guerres, elle s'accommode de la menace allemande avec Munich et Vichy.
La plus longue de nos Républiques débouche ainsi sur une triste agonie. La deuxième en longueur, c'est la Ve République, qui connaît de nouveau un accommodement : une France pour laquelle la mondialisation est l'horreur absolue, l'Europe une menace, et qui veut rétablir la ligne Maginot pour se protéger du plombier polonais. Cette coalition hétéroclite qui dit non au monde, ou vit dans un monde imaginaire qui fait de plus en plus sourire les étrangers, a paradoxalement pour grand rassembleur Jacques Chirac. Il est l'anti-Charles de Gaulle des années 1940.

L'agonie de la Ve République, dont "l'esprit" est en fait bonapartiste, commence lorsque François Mitterrand accepte la cohabitation. La Ve République a beaucoup de défauts, si celui qui en est à la tête trahit ainsi son esprit. Si le peuple désavoue le président, il doit se démettre, comme l'avait fait Charles de Gaulle en 1969 et comme aurait dû le faire M. Chirac après la dissolution manquée de 1997 et le référendum perdu de 2005.

Quels sont les autres scénarios ?

Le deuxième scénario est celui de la "rupture-trahison". Notre histoire en offre deux superbes. La plus belle est celle de De Gaulle, qui arrive au pouvoir en 1958 avec une opinion qui croit que, comme elle, il est pour l'Algérie française, alors qu'il est persuadé qu'il faut s'en débarrasser. Pour faire cette rupture-trahison, il faut un charisme très fort, beaucoup d'autorité et de cynisme. Un cynisme porté par un grand dessein. La deuxième est celle de François Mitterrand, qui se fait élire en 1981 sur le thème de la rupture avec le capitalisme, et qui opère peu après la conversion de la France au "réel", c'est-à-dire à l'économie de marché.

Le troisième scénario est celui de la rupture-élan, qui consiste à accepter la modernité. Cela s'est produit avec Louis XIV après la Fronde, Henri IV à l'issue des guerres de religion, Bonaparte en 1799, puis avec Napoléon III en 1851. Au XXe siècle, la France connaît une rupture-affirmation avec le de Gaulle de la Résistance et de la Libération. A l'époque, les bastilles sont à prendre. Et de Gaulle réalise finalement le programme des "communards", qui est à la fois patriotique et social.

Vos hypothèses tablent toutes sur l'homme providentiel ?

C'est ce qui apparaît dans notre histoire, je n'y peux rien. On peut y trouver des causes historiques, notamment dans la faiblesse du lien syndicat - social-démocratie. La France n'a pas fait son deuil de la monarchie, alors qu'elle se croit révolutionnaire. Elle se pense l'héritière de la Révolution et affirme au monde qu'elle est le modèle à suivre en matière de démocratie, alors qu'elle ne l'est pas réellement.

Sur le CPE, quelle issue vous paraît la plus probable ?

La guerre d'aujourd'hui, c'est celle du courage contre l'égoïsme. Pour la première fois, les Français pensent que leurs enfants vivront moins bien qu'eux. Ces enfants vont devoir financer la retraite et la santé de leurs parents, leur propre retraite, et rembourser la dette publique, qui ne cesse de grossir. Un système de répartition où l'on vit trente ans après son départ en retraite, cela ne peut pas fonctionner sans réelle remise en question. J'ai ainsi calculé qu'avec mon espérance de vie je toucherai plus en retraite que l'ensemble de mes revenus d'activité ! Aux frais, bien évidemment, de la génération suivante, qui devra supporter ce poids. Le service de la dette représente l'équivalent de l'impôt sur le revenu. L'autre jour, Bercy a révélé que la dette n'était pas de 65,6 % du PIB, mais de 66,4 %. 0,6 % de PIB en plus, c'est 10 milliards d'euros, deux fois le budget du ministère de la justice, quatre fois celui de la culture, quatre fois l'ISF.

Assiste-t-on à une rébellion de la classe moyenne, dont le niveau de vie s'érode ?

Effectivement, les classes moyennes souffrent. Elles ont dit non au référendum européen, pour la première fois. Leur idéologie, c'est l'ascenseur social. A partir du moment où elles pensent qu'il est en panne, cela devient très grave. Il y a bien deux France, une France exposée et une France abritée, mais notre lecture des grilles sociales habituelles ne fonctionne plus. Les ouvriers et employés "protégés" votent socialiste, tandis que ceux qui sont "exposés" votent Le Pen ou s'abstiennent.
On est à la veille de la rupture. La rupture élan, pour moi, ce serait affirmer que le monde existe et que la France ne peut pas se couper de ce monde. Mais on ne peut exclure une rupture socialiste, qui risquerait d'être, une nouvelle fois, une rupture-trahison. Ce serait celle d'un parti qui arrive au pouvoir grâce aux voix des "protégés" et qui s'adapte ensuite au "réel". Car il sera obligé de le faire.


Retour au début de l'analyse.




Ajout le 9.06.


La découverte de l'œuvre de Max Weber me permet d'apporter quelques compléments à cette analyse, précisément dans l'optique du "grand homme", ou "homme providentiel", que j'avais laissée de côté.

Dans la conférence "La profession et la vocation de politique", prononcée en 1919, Weber distingue trois types de domination d'ordre politique : la domination "traditionnelle" (j'obéis aux institutions parce que je l'ai toujours fait), la domination "légale" (j'obéis aux institutions parce que j'admets leur légalité, légalité à laquelle il se peut de surcroît que j'ai contribué, par exemple par mon vote), la domination "charismatique" (j'obéis à X (et à X précisément), parce que j'ai confiance en lui). Cette typologie a posé des problèmes à Weber, lequel précise d'emblée que dans la réalité ces trois types de domination agissent le plus souvent ensemble, dans des mesures néanmoins variables selon les circonstances historiques et les individus. Ce qui amène rapidement à la question du statut de validité de cette classification : est-elle valable pour l'homme de la fin du XIXe siècle seulement, pour l'histoire universelle (mais quid alors de la domination "légale" ?), ou "entre les deux" ?

Telle quelle cependant, elle est tout à fait adaptée pour nuancer les propos de Jacques Marseille, puisque, précisément, Weber met les pieds dans le plat, en suggérant très fortement, par cette théorie, et en affirmant nettement, par des exemples sur lesquels nous allons revenir, que le régime démocratique est loin de reposer uniquement, comme cela semblerait devoir être le cas, sur la domination légale, l'acceptation par tous de lois auxquelles tous sont censés avoir contribuer plus ou moins directement.

Comme toute personne de bonne foi, serais-je tenté de dire, Weber avait des sentiments mélangés à l'égard de la "démocratie" - du moins si l'on ne fait pas l'impasse sur le décalage entre ce qu'elle est censée être et ce qu'elle devient souvent. Quoi qu'il en soit de son diagnostic personnel, il a beau jeu de montrer que, dans une démocratie installée, la domination devient souvent aussi "traditionnelle" que "légale" - on obéit par habitude, parce qu'on fait confiance à ses "représentants" ou parce qu'on a le sentiment de ne plus rien maîtriser à des lois toujours plus compliquées.

Jusqu'ici, cette typologie est justiciable d'une analyse dans l'esprit de Jacques Marseille : en France nous serions trop enclins à miser sur le "charisme" (le terme est employé dans l'interview retranscrite plus haut) de nos grands hommes, au lieu d'évoluer vers une élimination progressive de cette composante de la domination, au profit de la domination légale, évolution qui serait le signe d'une démocratie mature. Or, ce qui est piquant dans l'analyse de Weber, c'est qu'il prend ces exemples de domination charismatique dans les démocraties anglo-saxonnes (j'utilise la traduction de Catherine Colliot-Thélène, La découverte, 2003, pp. 167-180). Il montre ainsi que le système moderne de partis en Angleterre a été fondé par Gladstone grâce à son charisme personnel, au point de transformer d'abord le parti libéral, puis, par contrecoup, s'il voulait rester dans la course au pouvoir, le parti conservateur, en machines à voter pour un seul homme - le plus charismatique du parti, en droit sinon toujours en fait (John Major ?). "La dimension fascinante de la "grande" démagogie de Gladstone, le fait que les masses aient cru fermement au contenu moral de sa politique, et surtout au caractère moral de sa personnalité, furent ce qui permit à cette machine [électorale] de l'emporter si rapidement sur les notables. Ainsi apparut un élément plébiscitaire-césariste sur la scène politique, le dictateur du champ de bataille électoral." (pp. 167-68). Précisons que pour Weber le terme "démagogie" n'est pas nécessairement péjoratif, il fait plutôt référence au fait qu'en démocratie un homme politique doit séduire et convaincre le maximum de gens. Quoi qu'il en soit de ce point de vocabulaire, Weber enfonce le clou (pp. 170-71) en estimant qu'aux Etats-Unis, "le principe plébiscitaire a été développé particulièrement tôt et sous une forme particulièrement pure", grosso modo à partir de l'élection d'Andrew Jackson en 1828, Lincoln en étant une confirmation plus récente (p. 180).

Elargissant le propos, Weber va alors jusqu'à écrire :

"Il doit être clair pour nous que la direction des partis par des chefs élus par plébiscite entraîne la "mort spirituelle" de leurs partisans, leur prolétarisation intellectuelle pourrait-on dire. Pour qu'un chef puisse user d'eux comme d'un appareil, ils doivent obéir aveuglément, constituer une machine au sens américain, qui ne soit troublée ni par la vanité des notables ni par leurs prétentions à l'originalité. (...) C'est là le prix qu'il faut payer pour la direction par des chefs. Mais il n'y a qu'une alternative : démocratie de chefs avec "machine", ou démocratie sans chef, c'est-à-dire la domination d'hommes politiques professionnels dépourvus de vocation, sans les qualités charismatiques intérieures qui font les chefs. Et cela signifie ce que les frondeurs à l'intérieur d'un parti nomment habituellement la domination de la "clique" [plus actuel : les "éléphants" du PS]. Pour l'instant, en Allemagne, c'est ce que nous avons." (p. 180)

On est libre de trouver cette analyse excessive ou datée (1919), et je ne la discuterai pas en elle-même. Ce qu'elle met tout de même à jour, de façon difficilement discutable me semble-t-il, c'est, si l'on respecte l'équation "domination légale" = "démocratie", la nécessité, pour que la démocratie fonctionne à peu près correctement, de la présence en son sein de caractères non-démocratiques [cf. P.-S.]. Si l'on est choqué par cette formulation, on peut très bien adopter l'équation : "démocratie" = "domination légale" + "un peu de domination charismatique" + "un peu de domination traditionnelle" - on est libre de se disputer alors sur le seuil viable de ces "un peu", mais je crois qu'il serait aberrant de les fixer trop bas.

Revenons aux exemples pris par Weber : ils montrent bien, surtout celui de Gladstone (qui, avec quelques adaptations, vaut pour Margaret Thatcher et Tony Blair, deux grands démocrates), en quoi l'analyse de Marseille souffre d'un défaut d'optique, ou de choix d'objectif, au sens où un photographe choisit le meilleur objectif pour obtenir le meilleur rendu possible du réel : vue de loin, avec son régime qui semble avoir si tranquillement évolué depuis la "Glorious Revolution", l'Angleterre peut passer pour le paradis de la démocratie et de la domination légale. Ce que Weber nous apprend, c'est que, en admettant que cela soit vrai, cela a continué à l'être, à partir de la fin du XIXe siècle, par la forte injection d'un élément de domination charismatique, qui a alors permis à ce système démocratique de fonctionner avec stabilité. On est d'ailleurs tout à fait autorisé à juger ce système plus malin que "le" système français, si l'on tient vraiment à porter un jugement de valeur sur une période historique aussi longue et variée. Mais l'on voit bien combien il faut pour ce faire affiner les outils d'analyse, si j'ose dire, de Jacques Marseille. Après quoi l'on sera rendu aux problèmes signalés dans mon commentaire : le chef charismatique peut ou non refléter la société qui l'a porté au pouvoir ; et, bien entendu, ceci à l'intention de ceux qui en lisant la référence à l'Allemagne dans la dernière citation que j'ai faite de Weber, ont pensé à Hitler, il peut la représenter plus ou moins selon les moments et selon son action. La difficulté qu'il y a encore aujourd'hui, après des centaines ou des milliers de travaux d'historiens sur le sujet, à savoir à quel point, jusqu'à quelle date et dans quels domaines Hitler a été représentatif de la population allemande, prouve bien que ces questions ne sont pas dans tous les cas d'une grande simplicité.




P.-S. : Je pense faire un jour un commentaire de ce texte, mais comme il m'arrive de ne pas donner suite à tous les projets qui me passent par la tête, et comme un extrait dudit texte vient à point par rapport à ce que je viens d'écrire, je vous soumets sans plus attendre ces propos tenus par Vincent Descombes à la revue Esprit en juillet 2005 :

"Les valeurs modernes sont parfaitement incompatibles avec d'autres choses importantes et précieuses de la vie humaine, du moins au premier abord et tant qu'on n'a pas introduit toutes sortes de complexités nécessaires. La démocratie, c'est très bien, la famille c'est très bien, mais la famille démocratique, cela n'existe pas. Ce qui peut exister, peut-être, et doit certainement être recherché, c'est la famille dont les membres sortent sur l'agora avec les vertus de caractère d'un citoyen démocratique. Cette famille sera donc démocratique par sa finalité [coïncidence ? c'est un terme très wébérien.], par son adéquation aux conditions d'une société démocratique, mais pas littéralement par son fonctionnement, car aucune famille ne saurait être conçue sur le modèle d'une société contractuelle, d'un instrument au service d'individus qui ont accepté de coopérer. Même chose pour l'école : elle est l'exemple même d'une condition non démocratique, du moins immédiatement, de la démocratie. De l'école devraient sortir des citoyens prêts à se tenir les uns les autres pour des égaux, mais à l'école elle-même, il est exclu que toutes les opinions aient le même droit à se faire entendre, ou qu'elles soient toutes respectables, ce serait même absurde de le demander. Qui plus est, sans ce passage par une école où tout n'est pas à égalité, les citoyens ne seront pas capables de pratiquer l'autolimitation qui permet de rendre viable l'égalité, que ce soit dans l'exercice de la souveraineté et dans les rapports sociaux."



Ajout le 10.09.

Dans la série "qu'il est doux de voir souffrir les gens qu'on ne peut pas souffrir", j'apprends (Le canard enchaîné, 6.09., p. 5), que Jacques Marseille, qui gagne une partie de son argent en dénonçant régulièrement les fraudes commises par "les" chômeurs, vient d'être condamné en appel à de fortes amendes pour avoir enfreint le droit du travail, ceci parce qu'il payait en droits d'auteurs, et non par un vrai salaire, une directrice de collection dans la maison d'édition qu'il gère avec sa femme (laquelle en est la gérante officielle, puisque M. le fonctionnaire n'a pas le droit d'avoir ce genre de double casquette.) Lui qui se plaignait d'avoir une trop forte retraite a maintenant de quoi l'employer aux fins altruistes qui lui semblent si délaissées par ses compatriotes. Espérons que la prochaine fois qu'il paradera sur un plateau de télévision, un interlocuteur lui rappellera ce brillant complément à sa crédibilité.

M. Marseille s'est pourvu en cassation (si j'apprends ce que cela donne, je vous le ferai savoir), mais pour ce faire il doit s'acquitter de cette amende, d'un montant de 74.000 euros. Il juge que cette affaire a "quasiment mis en faillite" sa maison d'édition. Ce "quasiment" me chagrine, évidemment. De même que l'idée que notre homme va devoir pondre encore plus d'enquêtes à la con dans Le Point pour se refaire. A part cela, santé bonheur, santé bonne humeur !

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