mardi 30 mai 2006

Lien.

(Texte légèrement augmenté le lendemain.)


On en arrive à un stade où il suffit de marcher dans la rue sans commettre de délit pour faire la une des journaux,

et où la seule mesure qu'un gouvernement juge utile de prendre est la censure d'un site internet (Sarkozy j'écris ton nom) - empêchant ainsi les curieux de juger sur pièces de la façon dont se présentent les auteurs d'un coup médiatique pour l'instant réussi - trente nègres pleins de suite dans les idées sont moins cons que des centaines de journalistes.

Mazette ! Le mieux est de recopier ce texte piqué chez Les Ogres - cela faisait longtemps que je n'étais pas allé sur ce portail que je trouvais de plus en plus nul, mais là, à quelque détails près, je n'ai rien à ajouter ni retirer :

"Le débat lancé suite au défilé de la Tribu Ka dans le quartier juif du Marais à Paris, est l’occasion de soulever une question importante : Comment se fait-il que la République tolère des milices privées et communautaires sur son sol, alors même que ces milices sont interdites dans leurs pays d’origines (USA et Israël pour le cas de la LDJ, considérée aux USA comme une organisation terroriste) ?

Il n’est pas question de prendre la défense de la Tribu Ka qui par ses excès VERBAUX et son goût de la provocation offre du pain béni à tout ceux qui fantasment sur un supposé racisme anti blanc.

Néanmoins on constate avec peine que les médias traitent cette affaire avec un parti pris évident : Il est bien souvent question dans les dépêches de "milice antisémite noire armée" et venue s’en prendre indistinctement aux juifs, alors que Kémi Séba leader de la tribu Ka affirme pourtant sur RMC ce matin avoir été à la recherche de la LDJ censée les attendre. Les milices LDJ et Bétar, les rares fois où elles sont évoquées, sont parfois présentées comme des mouvements de jeunesse, sans plus de précision ! De qui se moque-t’on ? Quelques organes de presse ont néanmoins fait correctement leur travail sur cette affaire en citant nommément la LDJ et le Bétar pour ce qu’elles sont : Des milices privées et communautaires. On peut les en remercier.

On attend maintenant de voir le traitement télévisuel de fond de cette affaire, légé hier soir sur France 3 irresponsable et TF1 prudente, ce soir sur France 2 sans doute plus approfondi, et de voir la façon dont les politiques vont s’en emparer.

Si la Tribu Ka a violé la loi, il faut qu’elle soit sanctionnée conformément à la loi, y compris si la sanction implique la dissolution de ce mouvement.

Mais dans ce cas à fortiori, il faudra procéder à la dissolution de la LDJ et du Bétar qui ont à leur actif de nombreuses agressions.

En particulier des agressions de personnalités politiques : Mamère, Bové, Aounit, etc., ou d’intellectuels français, et même d’un commissaire de police poignardé en marge d’une manifestation ( !) sans parler de militants propalestiniens, ou plus simplement encore d’innocents passants noirs ou arabes ( !) qui ont eu le malheur de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment. On pourrait rajouter à la liste les agressions dont Dieudonné a été victime, y compris le jet d’une bouteille d’acide dans le public d’un de ses spectacles qui a blessé une petite fille (RAS depuis !?).

Dans la plupart de ces affaires, les médias sont curieusement restés silencieux, ou alors en ont pudiquement et succintement parlé, pour rapidement tourner la page, alors qu’un débat de fond est nécesaire sur la question. Les enquêtes de police ont été longues, quand elles ont débouchées, et la plupart du temps les nervis n’ont pas été inquiétés ou ont écoppé de sursis, exceptionnellement de prison ferme. Quand aux hommes politiques aucun n’a jamais évoqué la question, hormis ceux qui ont été victimes d’agressions de la part de ces milices, mais l’écho médiatique a été très faible.

Ce black-out médiatique et politique sur ces agissements, comparé au traitement actuel dont bénéficie la Tribu Ka, témoigne d’un édifiant deux poids deux mesures. Une quarantaine de personnes qu’on risque de présenter comme représentatifs de la violence "des noirs" chère à Sarkozy... "curieusement les noirs sont plus violents que les arabes"

Jusqu’à présent, bien que ses propos soient intolérables, la Tribu Ka s’est surtout rendue coupable de provocations verbales à l’encontre de toutes les communautés autres que Kémite et pas seulement contre les juifs [Dans l'impossibilité d'accéder à leur site, on est obligé de considérer ce point comme (provisoirement ?) acquis, merci Staline-Sarko.], dans une espèce de délire sectaire autocentré. Or les médias ne parlent quasiment que de l’opposition Noirs/Juifs !

La LDJ et le Bétar eux, se sont bel et bien rendus coupables d’agressions en bandes organisées et armées.

Demandons l’application des lois de la République et l’interdiction de TOUTES les milices : Tribu Ka, LDJ, Bétar,...

Attention, les émeutes des banlieues reprennent !

Si la Tribu Ka est interdite sans que la question de l’interdiction de la LDJ et du Bétar soit posée publiquement, et sans qu’un traitement médiatique équitable du phénomène des milices sur le sol républicain ait lieu, alors cela ne fera qu’alimenter les extrémismes et le sentiment de deux poids deux mesures, qui empoisonnent la vie de la République.

Et cela en prend le chemin depuis que Sarkozy s’est emparé de l’affaire et à l’heure actuelle le site internet de la tribu Ka est inaccessible donc sans doute fermé.

D’autant que les médias risquent de présenter cette affaire de manière à aller dans le sens des clichés : Noirs violents et suspects, Juifs paisibles et victimes gratuites, alors qu’on assiste avant tout à un règlement de comptes entre bandes communautaires ennemies.

Au final, si c’est le cas, cela fera une publicité exceptionnelle à la Tribu Ka qui pourra jouer les victimes "parce-que Noirs", et désigner les milices sionistes comme bénéficiant de la mansuétude de la police et de la justice "parce-que Juifs".

Est-ce vraiment ce que veulent nos hommes politiques ? Et le premier concerné ?

On peut malheureusement craindre le pire étant donné les récupérations politiques auxquelles on est habitués, et qui ont lieu à chaque affaire dite "antisémite", même lorsqu’elles s’avèrent douteuses voire bidons, et qui font que la République Une et Indivisible en vient à se fracturer en 3 morceaux :

d’un côté on aurait une communauté à part qui serait perpétuellement menacée, sur laquelle la République se doit de veiller plus particulièrement, car :

de l’autre côté on aurait une ou des communautés, elles aussi à part, car supposées dangereuses et antisémites du fait de leurs religions, couleurs ou milieu social, et constamment suspectées par la République tandis que :

au milieu de tout ça, le citoyen moyen, la grande majorité du peuple français, est prise en otage, sommée de désigner les "gentils" et les "méchants", ce qui ne fait qu’alimenter le sentiment que les communautés juives, noires ou arabes sont des communautés "à part", pas tout à fait des citoyens comme elle, pas vraiment égaux. Bref, cela revient à alimenter un racisme sournois.

Evidemment jouer sur ce registre est du pain béni pour des politiciens sans scrupules, car cela permet de focaliser l’attention sur des questions secondaires politiquement, tandis que les questions importantes comme chômage, projet économique et social, construction européenne, mondialisation, etc., sont laissées de côté.

Il est plus facile de fermer un site internet (qui va maintenant s’installer à l’étranger...), que de régler les problèmes de fond. Cela permet de donner l’illusion qu’on agit, qu’on est réactif.

Quel homme politique aura le courage aujourd’hui de ne pas augmenter cette fracture et de rappeller les fondamentaux de l’idéal Républicain ?

Alors que certains se pressent de tenter de tirer des bénéfices de cette pitoyable affaire, nous attendons la personalité courageuse qui osera poser honnêtement la question des milices communautaires.

Car il ne s’agit pas simplement ici, comme on voudrait nous le faire croire, de "méchants noirs" voulant faire du mal à de "gentils juifs", mais d’un affrontement d’une milice communautaire noire (la Tribu Ka est seule à être dans la ligne de mire du ministre de l’intérieur pour le moment), et de milices communautaires juives sionistes particulièrement violentes.

Bref, il s’agit avant tout d’une histoire de rivalité entre bandes de jeunes, illuminés dans l’intégrisme, et pratiquant la violence physique ou sur le point de le faire.

Alors mettons nos élus et homme politique en face de leurs responsabilités : Posons leur la question de l’interdiction de toutes les milices communautaires sans exclusive."

La source, avec des soulignements que je n'ai pas retranscrits, est ici. Libre à chacun bien sûr d'épiloguer sur les considérations tactiques qui ont pu pousser les proches de Dieudonné, animateurs des Ogres, à prendre cette position, mais au café du commerce on se flatte de ne pas perdre de temps avec les procès d'intention, et de s'intéresser plus à ce que les gens disent qu'à ce qu'ils sont peut-être censés vouloir dire ou penser.

Ceci dit, que les membres du Betar et de la LDJ passent un peu pour des lopettes dans l'histoire n'a rien de désagréable. Ils se rattraperont comme ils savent le faire, sur des gens sans défense. Ça leur passera les nerfs. Escadrons de la trouille, brutes grégaires, pajdarans d'opérette, vous êtes piégés : répliquer, c'est nourrir l'escalade, la surenchère, avec tous les risques de tous ordres que cela comporte ; ne rien faire, c'est s'écraser, s'agenouiller. Quelques nègres décidés ont fait ce que la police ne peut pas faire, ce que la journaille ne veut pas faire : ils vous ont réduit - momentanément peut-être - à néant, en vous ridiculisant. C'est très français, c'est très hégélien, c'est très réjouissant : dans la lutte pour la reconnaissance, vous vous êtes pris une sacrée branlée. Rien n'est perdu, sauf l'honneur !

- cette envolée comporte sa propre réplique : être plus drôle et plus décidé que la tribu Ka, la prendre à son propre jeu. Mais je ne vais pas non plus donner de conseils au Bêtar...



(J'ai oublié hier : bon anniversaire à tous ceux qui ont voté non le 29 mai dernier - le seul fait que depuis l'on parle périodiquement de nous faire revoter au sujet d'un texte pourtant explicitement et largement condamné par le peuple français (dans une cité près de chez moi : 83% de non, la classe) prouve bien que nous avions raison. Le reste est littérature.)


L'année prochaine à Jérusalem !

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vendredi 26 mai 2006

Comment on écrit l'histoire.

Si l'on en croit Jean-Pierre Grossein, qui a l'air d'en connaître un bout sur Max Weber, Jacques Attali, dans Les Juifs, le monde et l'argent, Fayard, 2002 (notamment p. 396), cite L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme "sans aucune référence paginée", dans une traduction "non identifiable" (traduisez : inexistante), invente au passage une phrase qui ne figure pas dans le livre,

- le tout bien sûr pour conclure que L'éthique... est "une somme d'ignorance et de naïveté", faisant de son auteur, "avec Marx, qu'il détestait" (ce qui est inexact), rien moins que "l'une des sources majeures (...) de l'antisémitisme allemand".

No comment !


(Source : Présentation de L'éthique..., Gallimard, "Tel", 2003, p. XXXVII.)

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jeudi 25 mai 2006

Zappy Max M. Jourdain du holisme ?

"Parmi toutes les grandes oeuvres de la sociologie du XXe siècle, celle de Max Weber brille d'un état singulier ; alors que la valeur du Traité de Pareto reste contestée et que les travaux de Durkheim semblent trop souvent marqués par le contexte politique et épistémologique de son temps, les analyses de Max Weber n'ont pas cessé d'informer la pensée contemporaine."

- mon 11 septembre dans ta gueule ! Voilà quelqu'un de bien sûr de lui, que les faits se sont chargés de démentir.

Ces lignes, signées Philippe Raynaud, datent de 1987, elles sont les premières du premier chapitre de Max Weber et les dilemmes de la raison moderne (PUF, réédition "Quadrige" 1996, p. 13), classique ouvrage de vulgarisation consacré à un sociologue que je n'ai presque jamais lu, mais auquel je commence à m'intéresser, dans l'espoir de comprendre plus précisément encore pourquoi tous les héritiers plus ou moins lointains de Benjamin Constant me débectent et me semblent dangereux. - Pauvre Constant d'ailleurs, je lui en fais porter beaucoup - disons de ma hargne qu'elle s'exerce sur lui en tant que symbole. Passons. Deux sujets (liés) me poussent à m'intéresser à Weber : la dichotomie jugements de fait - jugement de valeur, dont j'ai lu sous la plume de Hilary Putnam qu'elle venait de lui, ce dont je ne suis pas sûr, et le thème du "désenchantement du monde", que j'aimerais creuser avec les outils conceptuels appropriés. Je vous raconte cela qui n'est pas mon sujet du jour, au cas où vous auriez des lumières sur ces questions complexes, et l'envie de me les communiquer.

Mon sujet du jour, c'est un bond que j'ai fait - je bondis souvent, certes - à la lecture des pp. 96-98 du même livre. La section est consacrée à l'individualisme méthodologique. P. Reynaud présente d'abord les grandes lignes de ce principe complexe, puis enchaîne :

"On pourrait tout d'abord objecter à Weber, dans la perspective qui domine la sociologie française (d'Auguste Comte à Emile Durkheim et, plus récemment, à Louis Dumont), que l'"individualisme méthodologique" méconnaît l'exigence première de la sociologie qui est d'admettre que son objet (la "société") préexiste aux individus. La difficulté essentielle du point de vue de l'"individualisme méthodologique" serait donc qu'il doit reconnaître un statut à des structures collectives (Etat, famille, Nation, etc.) qui, du point de vue même de l'individu agissant, n'apparaissent pas comme des résultats de leur activité, mais comme des références nécessaires qui s'imposent à la totalité des individus.

De là provient, dans une certaine tradition sociologique, une méthode qui, à l'opposé exact de l'"individualisme" wébérien, privilégie la totalité et tend à réduire l'activité des individus, et la signification que les hommes ont donnée à leurs actions et à leurs croyances, à de simples conditions fonctionnelles de la vie sociales.

Weber n'ignore pas ces objections : "la sociologie", écrit-il, "ne peut pas, même pour ses propres fins, ignorer les formes de pensée collective" ; elle doit donc faire une place aux représentations "holistes", pour des raisons qui tiennent à la fois à la structure du langage ordinaire, au fait que les hommes orientent leur activité en fonction des structures "collectives" (qui ont de ce fait une importance considérable) et à la puissance heuristique apparente des modèles organicistes ou fonctionnalistes d'interprétation de la société."

Viendront ensuite les réponses à ces objections, mais il faut d'abord décoder ce passage, lequel contient de multiples inexactitudes.

La première phrase est tout à fait juste, la seconde ne l'est pas du tout. P. Reynaud passe de la "société" en tant qu'elle préexiste aux individus, aux "structures collectives" en tant qu'elles s'imposent à eux, ce qui n'est pas la même chose. Qui plus est, il mélange dans ces structures des institutions juridiques : Etat, Nation, et une institution au sens large : la famille, que l'on retrouve dans toutes les sociétés. L'idée directrice de la sociologie durkheimienne est ainsi progressivement affadie et dénaturée. Durkheim met très fortement l'accent sur le fait que la société est toujours-déjà-là pour l'individu : par le langage, par l'éducation, par le poids des mœurs et des conventions - et aussi, naturellement, par tout ce qui est juridique, lois, police, sanctions. En assimilant la préexistence de la société au poids des institutions, Reynaud réintroduit le point de vue des individus opposés (dans le sens le plus neutre, topologique) aux institutions, ne respecte pas l'idée durkheimienne (que l'on est libre de critiquer par ailleurs) de la société comme présente dans les individus - à des degrés d'ailleurs divers.

Le deuxième paragraphe. Cette fois-ci le glissement se fait entre "privilégie la totalité" et "tend à réduire l'activité des individus, et la signification que les hommes ont donnée à leurs actions et à leurs croyances, à de simples conditions fonctionnelles de la vie sociales." Il n'y a aucun lien strict de cause à conséquence entre ces deux attitudes. P. Reynaud le dira d'ailleurs plus tard, nous allons le voir - mais sous le patronage de Weber et non celui de Durkheim.

Le troisième paragraphe répète, en gros, l'opération du premier - les structures "collectives" (je passe sur l'usage irrégulier et tendancieux des guillemets) n'auraient d'importance que parce que les individus leur en donnent. On remarquera que Weber, lui, parle de "formes de pensée", ce qui le rapproche déjà plus des thématiques de Durkheim.

Dans ces conditions, on s'attendrait à ce que les réponses de Weber soient sans grand intérêt, puisqu'il est ainsi mis en position par son commentateur d'abattre une adversité déjà diminuée par les soins d'icelui. Eh bien, ce n'est pas du tout ce qui va se passer. Reprenons où nous nous étions arrêtés - cette fois-ci j'interromprai de temps en temps P. Reynaud :

"Cependant, les structures collectives [tiens, plus de guillemets...] et les concepts qui les désignent ne constituent, pour la sociologie compréhensive, que le point de départ de la recherche. Affirmer l'unité fonctionnelle des phénomènes sociaux, c'est donc construire un modèle provisoire qui peut orienter la recherche, mais qui ne permet pas de comprendre pourquoi les acteurs remplissent - ou ne remplissent pas - la fonction qui est la leur ;

- c'est effectivement ce qu'il y a de plus délicat dans la sociologie de Durkheim, et cela a pas mal tourmenté son héritier Mauss. Ainsi, d'où peut venir la nouveauté dans une société, si celle-ci tient ses membres en laisse ? Et si on se contente de dire qu'elle les tient plus ou moins rigoureusement, et que donc certains individus se retrouvent libres d'innover, ne dissout-on pas le modèle explicatif que l'on a mis en place ?

Il reste néanmoins capital de tenir ferme sur la ligne de départ - un modèle en serait l'
Homo Hierarchicus de Louis Dumont (Gallimard, 1966).

la transposition du modèle "biologique" des fonctions de l'organisme dans la sociologie et son absolutisation aboutissent en revanche à une tautologie qui présuppose ce qui doit être expliqué : les manières différentes dont les hommes se conduisent en fonction des conditions préexistantes.

- ceci doit être nuancé. Il est vrai tout d'abord que Durkheim use et abuse des métaphores empruntées à la biologie. D'une part cela ne donne pas ses meilleures pages, d'autre part et surtout ces métaphores deviennent parfois de véritables explications, et ceci bien sûr pose problème. Il me semble néanmoins que l'essentiel de ces théories se passe très bien de ces emprunts à la biologie et que l'"absolutisation" évoquée par P. Reynaud est plus un parasite ponctuel qu'un grand danger théorique. En ce qui concerne les différents comportements des hommes, il faut au moins reconnaître que Durkheim et son école ne considèrent pas que "la société", mais toutes formes de collectivités, plus ou moins juridiques, auxquelles tout un chacun se trouve appartenir. Cela fournit déjà un grand nombre de facteurs explicatifs. On peut affiner l'analyse, mais après ce gros travail préalable.

Les modèles "holistes" ou fonctionnalistes ont donc un usage légitime pour aider à la sélection et à la formulation des questions scientifiques, mais le véritable intérêt du travail scientifique se situe au-delà :

- suit une intéressante citation de Weber, qui n'est toutefois pas indispensable à notre raisonnement. Reynaud l'analyse ainsi :

Dans cette argumentation, les "structures collectives" apparaissent donc à la fois comme ce qu'il s'agit de réduire à l'activité individuelle et comme le présupposé toujours déjà présent de l'action individuelle-même.

- vous l'aurez remarqué : la fin est typiquement durkheimienne. Sur le début, patience.

On rencontre évidemment, de ce fait, une objection classique contre toutes les formes d'individualisme : alors que le problème serait de construire à partir de l'individu le collectif ou l'intersubjectif, ce dernier n'est-il pas en fait présupposé au départ ?

- cette fois-ci, l'objection est formulée en toute rigueur.

L'objection peut être surmontée, à condition de replacer la sociologie de Max Weber dans le contexte criticiste de son épistémologie. Le problème n'est pas ici d'opérer une déduction de la société en général à partir de l'individualité mais simplement de donner à la science pour tâche infinie (par définition jamais inachevée) l'explicitation de l'activité objectivée dans les structures collectives. La réduction de ces dernières à l'activité individuelle n'exprime donc pas la structure intime de la réalité

- se rend-il compte du poids de cet aveu ?

mais constitue simplement l'horizon d'attente du savant : rien ne garantit d'avance qu'elle sera accomplie."

(J'abandonne les italiques). Reformulées ainsi, les thèses wébériennes ne semblent pas si éloignées du projet de Durkheim que P. Reynaud (et d'autres avant lui) veulent bien le dire. On pourrait même les y intégrer, en jugeant simplement - c'est une intuition que peut-être l'expérience démentira complètement - que Weber est trop rapide à vouloir dépasser le stade collectif dans lequel Durkheim se maintient. Car celui-ci n'a à ma connaissance jamais prétendu qu'expliquer les comportements individuels n'était d'aucun intérêt en sociologie ; il a maintenu que pour les expliquer il fallait passer par les comportements collectifs, et que ceux-ci n'étaient eux-mêmes explicables que par d'autres comportements collectifs. En tout cas, dans le passage de Weber que je n'ai pas retranscrit, on trouve une conscience acérée des risques encourus par l'individualisme méthodologique : "Cet acquis supplémentaire [ - la "compréhension du comportement des individus singuliers" - qui n'est pas un acquis, Weber va le dire tout de suite] est cependant payé chèrement, car il est obtenu au prix du caractère essentiellement hypothétique et fragmentaire des résultats auxquels on parvient par l'interprétation." Et mon intuition donc, est que la conscience de ces risques n'aurait pas été contrebalancée par la conscience de la difficulté à passer du niveau collectif au niveau individuel.

Quoi qu'il en soit, j'en étais là de ces réflexions lorsque je tombe, pp. 143-144, sur le passage suivant :

"Si l'on considère que la logique des représentations relève d'une herméneutique des significations sédimentées au cours de l'Histoire, on est sans doute conduit à nuancer les principes "individualistes" de la méthodologie de Max Weber, pour retrouver l'inspiration qui avait conduit Dilthey à redécouvrir l'intérêt de la catégorie hégélienne de l'"Esprit objectif". Dans la compréhension de la logique de l'évolution des idées, en effet, le problème n'est pas tant de remonter aux activités individuelles objectivées dans les représentations collectives que de traiter celles-ci comme significatives en elles-mêmes, en y voyant les conditions toujours déjà présupposées pour la constitution de l'individualité. La dissociation, déjà opérée par Dilthey, entre les deux plans que l'hégélianisme confondait (celui des significations et celui de la causalité), conduirait ainsi à dépasser le conflit parfois stérile entre méthodologie individualiste et sociologie "holiste" : privilégiée dans l'analyse des activités techniques ou stratégiques, la méthodologie individualiste passe au second plan dans la reconstitution de la logique des représentations."

A quoi ça sert qu'Emile se décarcasse ? (Ne pinaillons pas sur la dernière phrase.) Il existe un livre collectif intitulé Durkheim, Weber, vers la fin des malentendus. Ce peut être une direction de recherche intéressante, effectivement.




Quel est l'enjeu de tout cela ? Je ne vais pas jouer les Zorro pro-Durkheim (ou pro-Muray, ou pro-Chateaubriand, etc.) chaque fois que ses thèses me sembleront déformées, a fortiori dans des ouvrages dont il n'est pas le sujet principal. Mais il serait tout de même intéressant de comprendre pourquoi sa pensée est aussi souvent dénaturée - c'est loin d'être la première fois que je le constate, y compris en en parlant autour de moi depuis que je l'ai redécouvert.

Dans le cas présent, et sans très bien connaître Philippe Reynaud, dont l'intention donc ne me semble pas bassement polémique, et dont le livre est plein d'enseignements, je crois que comme beaucoup d'autres il a cru la question religieuse (comme on parlait de la question sociale) résolue. Le contexte n'a peut-être pas tant changé que l'on veut bien le croire depuis, il ne permet tout de même plus d'ignorer que cette question n'est en rien résolue - à supposer qu'elle puisse l'être un jour, ce que j'ignore complètement et ne vivrai très probablement pas assez longtemps pour savoir. Il se peut d'ailleurs, mais de nouveau je serai prudent, que Weber ne soit pas pour rien dans ce type de... croyances en la fin de la religion, en la rationalisation du monde, en son désenchantement. Mais, ainsi que je l'ai dit en introduction, sur tous ces thèmes, je n'en suis qu'au début. Et encore faudrait-il que les thèses de Weber à ce sujet aient toujours été correctement interprétées. Après tout, un lieu commun à propos de Durkheim - qui certes fut dreyfusard et laïcard - le peint comme positiviste anti-religieux.

Bref, nos libéraux (ou nos matérialistes, si l'on veut) sont bien dépourvus depuis que le 11 septembre est venu. Admettons qu'ils ne sont pas tout à fait les seuls. De là à les suivre pour qu'ils nous sortent de là où ils nous ont eux-mêmes mis, il y a plus qu'un pas.

Les vrais intérêts sont ailleurs...







P.S. : J'oubliais ! Dans Le monde morcelé (Seuil, 1990), C. Castoriadis analyse le livre de Reynaud et en profite pour se situer par rapport à Weber. Sa perspective est à certains égards très différente de celle utilisée ici, mais il insiste de même sur la préexistence des institutions (au sens large) par rapport aux individus. Le texte, clair et dynamique, s'intitule "Individu, société, rationalité, histoire" - pp. 39-69.

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mardi 16 mai 2006

Durkheimien (bis).

Si Dieu est l'auteur de la Passion selon Saint Matthieu, il est aussi celui du Requiem de Verdi. Que Verdi fût athée n'y change strictement rien.


(Athée... Il se fit quand même paraît-il enterrer avec la partition de l'une de ses rares compositions religieuses - au cas où Saint-Pierre lui demanderait des comptes sans doute. Il paraît que Lacan a dit de l'athée qu'il se contredisait tout le temps. Peut-être avait-il ce genre de "au cas où" en tête.)


A propos de Durkheim, pour ceux qui y voient encore un penseur austère IIIè République, voici quelques lignes qui se passent de commentaires :

"La vie économique elle-même ne s'astreint pas étroitement à la règle de l'économie. Si les choses de luxe sont celles qui coûtent le plus cher, ce n'est pas seulement parce qu'en général elles sont les plus rares ; c'est aussi parce qu'elles sont les plus estimées. C'est que la vie, telle que l'ont conçue les hommes de tous les temps, ne consiste pas simplement à établir exactement le budget de l'organisme individuel ou social, à répondre, avec le moins de frais possible, aux excitations venues du dehors, à bien proportionner les dépenses aux réparations. Vivre, c'est avant tout, agir, agir sans compter, pour le plaisir d'agir. Et si, de toute évidence, on ne peut se passer d'économie, s'il faut amasser pour pouvoir dépenser, c'est pourtant la dépense qui est le but ; et la dépense, c'est l'action."


Allah l'ait en sa très sainte garde !

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samedi 13 mai 2006

La brève qui tue.

"Décès de Claude Dalla-Torre.
Ancienne attachée de presse chez Flammarion puis Grasset jusqu'en 2003, Claude Dalla-Torre est morte à 64 ans, le 6 mai des suites d'un cancer. Elle a contribué au succès d'auteurs comme BHL ou Beigbeder."

(20 minutes, 11.05.06, rubrique "Cultures", p.31.)

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mercredi 10 mai 2006

Le beurre et l'argent du beurre (Benjamin Constant au pays des pédés - Mon "désespoir collectif" dans ton cul).

Ajouts le 16.05.et le 01.06




"Je ne dis pas pour cela qu'on quitte Sodome,
Je permets par-ci, par-là,
Qu'on puisse foutre son homme !
Mais je tiens qu'il est brutal
D'en faire son capital
Comme l'on fait à Rome."

(Charles Collé.)



Suite à la lecture cursive d'un récent (2003) document de propagande,

2130535828.08.LZZZZZZZ

on a jugé utile de préciser quelques aspects de la notion de communautarisme, auparavant abordée surtout sous l'angle polémique. Ceux qui ont les idées claires sur le sujet s'abstiendront tout aussi bien de lire cette étude. Le document a moins été choisi pour ses qualités et ses défauts propres que pour son caractère exemplaire et pour les généralisations qu'il inspire.

Il y a des contradictions dynamiques, fécondes - que l'on appelle, parfois abusivement, "dialectiques" - et des contradictions statiques, ou paralysantes : des impasses. Je me propose de montrer que le communautarisme gay repose sur un grand nombre de ces impasses, impasses dans lesquelles qui plus est il s'efforce d'égarer la société dans son ensemble.

Précisons une bonne fois pour toutes que tout n'est pas mauvais dans ce dictionnaire, que l'on y apprend beaucoup de choses - j'en utiliserai d'ailleurs quelques-unes. Si certains articles ne sont pas loin du délire (Outing, Philosophie...), c'est un ensemble que je vais juger, avec les risques d'imprécision que cela comporte.

Il y a une première contradiction à la base du projet : les auteurs s'appuient souvent sur les travaux de Michel Foucault, lequel a montré, et je serai plutôt enclin à l'accepter, que l'"homosexuel" est un concept récent (XIXè siècle). Auparavant l'on séparait beaucoup plus la personne et ses actes, ce qui ne signifie pas qu'il n'y avait pas d'individus aux penchants uniquement homosexuels, d'hommes efféminés, ni d'actes cruels commis à leur encontre. Mais à partir du XIXè se constituerait un "type" homosexuel, on se mettrait à rechercher dans la personne les racines de son homosexualité, on relierait ce qu'elle fait à des traits de caractère et réciproquement, etc. - par conséquent, en toute rigueur, un dictionnaire de l'homophobie ne devrait concerner que les deux derniers siècles (et il y aurait déjà du boulot). Elargir la notion d'homophobie à toute l'histoire est un abus de langage, que l'on peut admettre s'il s'agit de ne pas devoir intituler le livre "Dictionnaire des pratiques et pensées négatives à l'égard des comportements et des individus homosexuels", mais qui bien sûr tend à accréditer l'idée que l'homophobie est éternelle, et à assimiler abusivement des condamnations portées sur des actes à des condamnations portées sur des catégories de personnes (cf. par exemple l'article Paul). Ce glissement est plus ou moins remarquable et gênant selon les auteurs et les articles.

Mais soyons bonne pomme, considérons qu'il ne s'agit en somme que d'une commodité de langage due aux conditions historiques de l'émergence du vocabulaire relatif à l'homosexualité, et attaquons tout de suite la première vraie contradiction, très clairement (d)énoncée par Louis Dumont dès 1978 :

"On parle beaucoup de "différence", de la réhabilitation de ceux qui sont "différents" d'une façon ou de l'autre, de la reconnaissance de l'Autre. Ceci peut signifier deux choses. Dans la mesure où c'est affaire de "libération", de droits et de chances égaux, de l'égalité de traitement des femmes, ou des homosexuels, etc. - et telle semble être la portée principale des revendications présentées au nom de telles catégories -, il n'y a pas de problème théorique. Il faut seulement faire remarquer que, dans un traitement égalitaire de ce genre, la différence est laissée de côté, négligée ou subordonnée, et non "reconnue". (...)

Mais il se peut qu'il y ait davantage dans ces demandes. On a l'impression qu'elles présentent aussi un autre sens plus subtil, la reconnaissance de l'autre en tant qu'autre. Ici je soutiens qu'une telle reconnaissance ne peut être qu'hiérarchique (...). Ici, reconnaître est la même chose qu'évaluer ou intégrer (...). Un tel énoncé fait injure à nos stéréotypes et à nos préjugés, car rien n'est plus éloigné de notre sens commun que la formule de saint Thomas d'Aquin : "On voit que l'ordre consiste principalement en inégalité (ou différence : disparitate)." Et cependant c'est seulement par une perversion ou un appauvrissement de la notion d'ordre que nous pouvons croire à l'inverse que l'égalité peut par elle-même constituer un ordre. (...)

Je soutiens ceci : si les avocats de la différence réclament pour elle à la fois l'égalité et la reconnaissance, ils réclament l'impossible. On pense au slogan "séparés mais égaux" qui marqua aux Etats-Unis la transition de l'esclavage au racisme." (Essais sur l'individualisme, Seuil, 1978, pp. 259-260).

Cette dernière formule est bien sûr trop lapidaire, puisqu'il y avait du racisme durant l'esclavage, mais là n'est pas le problème, que j'espère on discerne bien : soit on se bat pour un accès égal aux métiers, aux salaires (je laisse de côté la famille, l'homoparentalité, qui est un autre problème), et dans ce cas on le fait en montrant que l'homosexualité ne compte pour rien, soit on veut être reconnu en tant qu'homosexuel, on veut être compté et compter en tant qu'homosexuel, et dans ce cas on ne peut faire l'économie de jugements à sa propre encontre, et donc, aussi, de jugements négatifs.

On peut le formuler autrement. Dans un premier cas ce que l'on disqualifie habituellement sous le nom de "communautarisme homosexuel" serait un stade associatif intermédiaire entre les individus et l'Etat, le type de "corporations" dont Durkheim appelait de ses vœux le retour dans la préface de la deuxième édition de sa Division du travail social. On verrait un bon exemple de leur efficacité dans un élément apporté par ce dictionnaire, hélas sans chiffres à l'appui : ce serait dans les communautés les moins structurées que le Sida ferait le plus de ravages, et vice-versa. Il est certes du ressort ultime des individus de savoir s'ils veulent se "protéger" lors de leurs relations sexuelles, mais il est aussi évident que pour décider de cela il faut encore qu'ils disposent des éléments nécessaires d'information.

Dans le second cas, on retombe dans les brillantes analyses d'un Muray sur le ressentiment des mouvements communautaristes, les petits égocentrismes étalés sur la place publique, la culpabilisation des autres à partir de choix individuels et privés, etc. Ce qui permet, sans vouloir tomber dans le manichéisme, de dissocier deux critiques du communautarisme, que j'appellerai le versant Taguieff et le versant Muray. Les auteurs du dictionnaire, qui ne se privent pas de confondre les deux versants, ont beau jeu de rappeler aux zélateurs de la République à quel point l'indifférence aux différences (quel langage !) peut masquer des politiques oppressives. Ils ne peuvent en revanche éviter d'étaler à longueur de page leur mesquinerie. (D'une façon générale, et c'est pourquoi je préfère l'approche de l'écrivain à celle du "politologue", il ne s'agit pas tant, dans ces histoires, de protéger notre belle République-si-magnifique-et-si-française, que de barrer la route à des psychologies de groupes décadentes et culpabilisantes.)


Tout cela, grosso modo, les auteurs qui ont participé à ce dictionnaire, les mouvements gays dans leur ensemble, en ont conscience, même si, je viens de le signaler, il leur arrive de biaiser sur ces questions. Aussi voit-on ici se développer une autre stratégie, absente du tableau dressé par Dumont, stratégie d'une ampleur dont je n'avais pour ma part pas conscience.

Toujours sous les auspices de Michel Foucault (notamment), il s'agit maintenant de montrer que l'homosexualité est un vain mot, que l'hétérosexualité aussi, que tout cela est une question d'hétérosexisme [cf. P.-S.]..., bref, il s'agit de dissoudre l'homophobie en dissolvant les identités sexuelles. Cette optique, qui n'est pas tout à fait nouvelle, mais qui est maintenant centrale à en juger par ce dictionnaire, est plus offensive que la précédente, mais elle n'échappe pas me semble-t-il à une contradiction du même type.

Tâchons d'abord d'être clair. Les auteurs prennent appui sur la variété des approches des pratiques homosexuelles selon les sociétés et les périodes historiques, pour en conclure que finalement tout cela, toute cette question d'identité sexuelle est affaire de culture, d'apprentissage, de formation - de dressage, de coercition, etc. (cf. l'article Hétérosexisme). Je ne discuterai pas cette théorie, qui n'est pas notre sujet, je vais même l'admettre pour les besoins du raisonnement. On serait d'abord tenté de répondre que ce n'est peut-être pas la peine de réclamer à corps et à cris des légitimations juridiques (Pacs, mariage, droit de fonder une famille...) si dans le même temps on cherche à montrer que ces légitimations ne reposent que sur un ordre symbolique qui lui-même ne repose sur rien. Dénoncer ce double jeu, comme l'a brillamment fait Muray, est certes salubre, mais ne suffit pas tout à fait, car à cela on peut rétorquer, d'une part que sur ces problèmes les mouvements homosexuels sont justement partagés, d'autre part et surtout qu'il ne s'agit précisément que de donner la même convention juridique à tout le monde. Admettons encore.

Mais on retombe alors dans une impasse. Car cette théorie repose sur une mauvaise compréhension, ou une compréhension alternative, comme le courant, d'une convention dans son rapport avec "la nature". Laissons le Robert nous dire ce qu'il en est d'une convention (je retiens le plus important) :

1/ Accord de deux ou plusieurs personnes portant sur un fait précis. Convention expresse, tacite.
2/ (XVIIIè) Ce qui résulte d'un accord réciproque, d'un consensus, d'une règle acceptée (et non de la nature). / Ce qui est admis par un accord tacite. / Principe choisi par décision volontaire pour la commodité d'une description systématique (d'où le conventionnalisme).
3/ LOC. ADV (1762) DE CONVENTION : qui est admis par convention. Conforme aux conventions sociales ; peu sincère.

(Il n'est pas sans intérêt pour la suite de notre propos que le Robert lie certains usages du mot au XVIIIè siècle.)

Si l'on tient à appeler conventionnels à la fois les rapports sexuels, les unions amoureuses, et plus encore les unions sanctionnées par la loi, on ne peut le faire en toute rigueur qu'au sens 1 : deux personnes font accord sur un "fait précis" - coucher ensemble, vivre ensemble, se marier. On voit tout de suite qu'à part pour le fait même de la signature du contrat de mariage le terme de convention n'est alors pas idiomatique.

Si l'on veut utiliser le sens 2 - la convention par opposition à la nature -, il faut limiter son application au mariage - mais on enfonce alors une porte ouverte. Personne n'a jamais prétendu que le mariage était chose naturelle (les animaux ne passent pas devant le maire ou le curé) : tout au plus a-t-on pu vouloir établir que le mariage était le régime juridique le mieux adapté à ce que l'on pensait être les pulsions naturelles. Définition elle-même vague et qui varia selon les époques : on peut entendre par cela la simple activité de reproduction, ou au contraire le fait que naturellement un individu ne doit éprouver des désirs que pour un seul autre toute sa vie durant. Du harem au divorce en passant par l'adultère condamné-mais-en-fait-toléré et le libertinage (hétérosexuel, bisexuel...) institutionnalisé, nombreuses sont les variations possibles entre ces deux pôles - qui bien sûr ouvrent toutes voies à l'emploi du sens 3.

Par conséquent, on ne peut réunir tout ce que les auteurs du dictionnaire se plaisent à dénoncer comme "convention" sous un seul sens de ce terme ; de plus, même une répartition des pratiques considérées entre différents sens ne semble pas satisfaisante. On est d'emblée renvoyée à la variété des types historiques et à des notions plus fortes, comme la coutume et la culture.

Ce que je veux donc dire, c'est que même si on démontrait que tout ce qui est sexualité et pratiques juridiques autour de celles-ci relèvent de la culture et non pas de la nature (ce que j'ai admis mais qui n'est pas prouvé), on ne serait pas plus avancé, car précisément la sexualité n'est pas banale affaire juridique, et la culture bien autre chose que la convention. On me répondra que c'est moi qui part du terme de convention, que les auteurs du dictionnaire parlent aussi de culture : le problème est que justement ils traitent de la culture, en dernière instance, comme si elle était une convention aussi aisée à changer qu'une loi sur la revalorisation à la hausse de l'indemnité de fonction des députés. Reprenons, avec les termes d'un Dumont : la sexualité hiérarchise, elle établit ce qui est désirable et ce qui ne l'est pas, et si cela n'a peut-être aucun rapport avec toute forme de caractère, cela engage la personne - comme disait Brassens, évidemment épinglé dans ce dictionnaire, "la bandaison papa, ça ne se commande pas" ; sociale, culturelle ou conventionnelle, la sexualité aboutit tout de même à l'instinctif. C'est évident ? Sauf que l'on retrouve cette évidence après avoir postulé qu'elle n'en était pas une.

Ce qui signifie que sortir son Bourdieu (article Hétérosexisme, encore une fois) pour tenter de montrer que les hétérosexuels sont finalement les plus malheureux, "victimes individuelles" de d'une idéologie "lourde" et "coûteuse" revient à souligner par antiphrase à quel point sa théorie du "dominé qui intériorise sa domination" peut dans certains contextes être difficile à soutenir : qu'est-ce qu'un dominé qui ne se sent pas dominé, ou pas beaucoup, et qui ne souffre pas, ou fort peu, de la domination qui s'exerce sur lui ? La lecture de cet article est d'ailleurs à conseiller à quiconque me croirait exagérément sévère avec ce dictionnaire, tant le portrait qui y est dressé de l'hétérosexuel moyen, dont j'ignorais quant à moi qu'il passe son temps à affirmer, de façon "exigeante et épuisante à la longue", son hétérosexualité contre toutes les tentations (de féminisation, homosexuelles, on ne sait pas trop) dont il est l'objet, tant ce portrait vaut le détour. Mais bref : c'est toute la démarche du dictionnaire, ce sont presque toutes les entrées dont j'ai pris connaissance qui viennent s'échouer sur ce point : dans un domaine comme la sexualité, il ne sert de rien de critiquer l'établissement d'une norme - la majorité non seulement définit la norme, mais elle la renouvelle à chaque coït hétérosexuel que Dieu fait, la majorité est 150% durkheimienne. On est bien sûr tout à fait libre de trouver cette norme débile, de vivre une vie bisexuelle épanouie et heureuse, ce n'est pas ici que l'on se permettra un jugement sur un comportement individuel aussi inoffensif. Mais de là à prescrire ce remède à la société entière...

En résumé : soit l'on accepte la contradiction dénoncée par Muray notamment, comme quoi on ne peut pas à la fois dauber sur le mariage et réclamer de pouvoir se marier, soit on s'expose à l'impasse de dénoncer une "imposture" dont pas grand-monde ne semble avoir grand-chose à faire. Précisons d'ailleurs - moi aussi je peux dégainer mon Bourdieu - que même cette attitude est imprégnée de beurre symbolique : nous autres chercheurs et auteurs de ce dictionnaire avons compris, contrairement à vous pauvres cons d'hétérosexuels, que tout cela est culture et pas nature. Ach, si cela leur permet de mieux jouir... Qui ne voit pourtant que le ressentiment est le grand vainqueur dans toutes ces manœuvres ? Il n'y a pas alors de quoi s'étonner que certains parlent de "désespoir collectif" au sujet de l'ambiance actuelle.


Ce dictionnaire m'a tout de même appris quelque chose, à savoir le rôle joué par les utilitaristes anglo-saxons, au premier rang desquels Jeremy Bentham (on retrouve le XVIIIè siècle). Le raisonnement utilitariste peut se résumer ainsi : un couple homosexuel consentant qui ne lèse pas un tiers ne peut être condamné d'aucun point de vue. D'où, d'après le dictionnaire (et même si en l'espèce les écrits de Bentham sur le sujet ne furent publiés que tardivement), une plus grande tolérance à l'égard des homosexuels dans les pays marqués par la tradition utilitariste. Le lecteur habitué de ce café du commerce ne me soupçonne pas j'espère de condamner une évolution des mœurs qui a permis à des hommes et des femmes de mieux vivre, ou à tout le moins de ne plus être trop embêtés du fait de leurs préférences sexuelles, sous le prétexte que cette évolution a pu être encouragée en théorie comme en pratique par les honnis utilitaristes.

Il reste que ce fait peut me semble-t-il être rapproché de l'acharnement du Dictionnaire de l'homophobie à s'attaquer à toute forme de règle, à tout dissoudre dans tout (rappelons-nous de Maistre, le protestantisme comme "dissolvant universel", expression que j'avais appliquée au capitalisme), à tout déconstruire blabla. Les promoteurs de l'enculage généralisé, au sens figuré, ont aussi soutenu l'enculage au sens propre - les enculés au sens propre se mettent à soutenir une idéologie homologue à celle des enculés au sens figuré. (Liberté d'enculer pour tous !) Toutes choses égales par ailleurs, et sans oublier le petit tour de passe-passe logique auquel je viens de me livrer, les résultats de cette idéologie dans le monde ne plaident pas en faveur de son application à la sexualité.


Ceci posé, il se peut que l'on attende de moi, après tous ces développements, des "prises de position" sur ces fameux sujets de société. Allons-y donc : si le mariage est un compromis "entre le désir de satisfaction sexuelle des individus" et "les nécessités vitales de perpétuation" de l'espèce (Muray), il est évident que le mariage homosexuel n'a rien d'un mariage, et qu'il peut même dévaloriser (quel langage (bis) ! ) l'institution du mariage. A chacun alors de voir à quel point il y est attaché. Dans le cas de l'homoparentalité, je ne vois pas en revanche en quoi elle pose problème, ce n'est de toute façon pas une sinécure d'avoir des parents (encore faudrait-il être sûr que cette revendication est vraiment si importante pour les personnes concernées). Quant à la pénalisation des insultes homophobes... Pour ce qu'elle participe à un mouvement d'ensemble de censure de tout et rien, et parce que toute ma démonstration tend vers l'idée que, bon gré mal gré, il faut bien admettre qu'en tant que différence l'homosexualité sera toujours jugée, il est évident que je trouve les "avancées législatives" en ce domaine aussi ridicules qu'absurdes, si ce n'est contre-productives. Mais sans doute l'ai-je déjà assez répété. Il me semble pourtant, pour un homosexuel, plus amusant de clouer le bec avec verve à quelqu'un qui l'insulte que d'aller pleurer auprès de l'état parce qu'on l'a traité de pédé.

Peut-on enfin élargir certaines des considérations faites ici à l'ensemble des mouvements communautaristes ? Il faut bien sûr être prudent, d'une part en raison de l'organisation plus ou moins développée de ces mouvements - Juifs et homosexuels ont une longueur d'avance, les Noirs commencent à vouloir les rattraper, les Arabes semblent en retard, prions avec Allah pour qu'ils le restent, etc. - d'autre part bien sûr du fait de leur spécificité propre. D'une façon générale, l'analyse de Dumont me semble toujours valable et féconde. L'équivalent de ce que nous avons essayé d'y ajouter en réaction aux nouvelles stratégies des mouvements homosexuels serait à chercher dans la relecture de l'histoire de France dans une seule optique : la longue oppression des Juifs, pourtant tous si gentils et admirables (le cas Dreyfus en ce moment), la longue oppression des Noirs, pourtant tous si gentils et admirables, la longue oppression des femmes, pourtant toutes si gentilles et admirables... On a parfois le sentiment - mon désespoir collectif, bis... - que les Français n'ont cherché pendant toute leur histoire qu'à opprimer, opprimer, opprimer... La France ne s'est pas fondée sur l'oppression des Juifs, des Arabes, des Noirs, des femmes, des homosexuels, il lui est arrivé de les opprimer, sans scrupules et pour son profit, et dans certains cas il lui arrive de continuer à le faire, sans scrupules et pour son profit. Ach, faisons confiance à la communauté des historiens pour trier le bon grain de l'ivraie.

En guise de conclusion, je vous donne une autre phrase de Dumont, qui à la vérité ne fait que répéter, en s'appuyant sur un passage de Durkheim dans la Division, ce que j'ai déjà écrit souvent. Mais sa formulation est claire et percutante, qui ramène certaines des plaintes communautaristes à un problème plus large :

"Cette tendance individualiste que l'on voit s'imposer, se généraliser et se vulgariser du XVIIIè siècle au romantisme et au-delà, accompagne en fait le développement moderne de la division sociale du travail, de ce que Durkheim a appelé la solidarité organique. L'idéal de l'autonomie de chacun s'impose à des hommes qui dépendent les uns des autres sur le plan matériel bien davantage que tous leurs devanciers. Plus paradoxalement encore, ces hommes finissent par réifier leur croyance et s'imaginer que la société tout entière fonctionne en fait comme ils ont pensé que le domaine politique créé par eux doit fonctionner. [En note : "Typique à cet égard est la disparition de la division (sociale) du travail dans la "société" communiste de Marx."] Erreur que le monde moderne, et la France et l'Allemagne en particulier, ont payée fort cher." (Homo hierarchicus, Gallimard, 1966, rééd. 1979, p. 25).

De profundis !




P.-S. Quelques points de détail, qui n'ont pas trouvé place dans le corps du texte, peuvent mériter d'être explorés ici.

L'article Communautarisme à lui seul mériterait une analyse. Retenons-en cette brillante formule auto-justificatrice et fort discutable : "Se battre pour soi, c'est immédiatement se battre au-delà de soi." Par l'opération du Saint-Esprit sans doute. Précisons aussi rapport à cet article qu'il est inexact que P. Muray "ne manque pas une occasion de faire de la Gay Pride la fable d'un système politique dévirilisé." : il met en regard la société de plus en plus maternelle dans laquelle nous vivons avec certaines manifestations comme la Gay pride. A moins donc, ce qui serait un comble ici, d'assimiler féminité et maternité, on ne saurait considérer comme sérieux cet aperçu sur les livres de Muray. Je conseille de toute façon aux curieux la lecture de cette entrée, parce qu'elle pue le ressentiment et offre ainsi une parfaite illustration à ce que j'entends par ce terme (entre autres : la ramener sur sa propre souffrance, parler au nom des autres et des souffrances qu'on leur prête dans un langage de mélo moderne, culpabiliser qui ne compatit pas assez à ces souffrances, etc.) et parce que c'est un point nodal qui y est discuté par l'avocat de la cause.

La grande pauvreté conceptuelle de l'introduction de Louis-Georges Tin n'empêche pas non plus qu'on la lise. On y apprendra ainsi que l'anthropologie est homophobe, ou du moins que les utilisations de l'anthropologie dans les "débats de sociétés" sont nécessairement homophobes (cf. aussi l'entrée Anthropologie - pauvre Lévi-Strauss...), et que donc il ne faut pas les prendre en compte. Je me suis plié docilement à cette injonction démocratique. Il faut aussi souligner que la formule lancée au début de cette introduction, selon laquelle "le XXè siècle a sans doute été la période la plus violemment homophobe de l'histoire", est peut-être impressionnante et vraie d'un point de vue statistique, mais doit tout de même être replacée dans le contexte d'un siècle singulièrement peu économe en vies humaines.

J'en profite : il est fait beaucoup usage dans ce livre de la notion, elle aussi empruntée à Foucault, d'"impensé". Il importe de ne pas se laisser impresionner par ce genre de manœuvres (mon nain pansé dans...). Que ce terme substantivé ne soit pas dans le Robert est déjà un indice du flou qui l'accompagne. On peut penser qu'il désigne soit un simple oubli, soit quelque chose mis volontairement de côté, éventuellement oublié par la suite, soit, peut-être, un déséquilibre caché dans une démonstration, déséquilibre qui la rendrait sans objet. Ce dernier sens, ou un sens approchant, est souvent celui que les auteurs ont en tête, mais il leur faut alors être plus précis dans leurs raisonnements (l'article Anthropologie, justement), faute de quoi on a l'impression d'en rester aux autres sens - si l'ethnologie ne parle pas beaucoup d'homosexualité, c'est peut-être tout simplement parce qu'elle a des sujets plus importants à explorer.

"A la fois ouvrage de savoir et de combat", ce dictionnaire consacre trois colonnes à Christine Boutin, cela donnerait presque envie de la défendre, tant cela pue la vengeance personnelle. Ressentiment, ressentiment...

Et égoïsme : je veux bien que les intellectuels célèbres laissent plus de traces écrites, donc d'archives aisément disponibles, que le pékin moyen, mais on est tout de même frappé ici par la sur-représentation des normaliens, aussi bien parmi les rédacteurs que parmi les exemples qu'ils choisissent.

Un fait devrait nous alarmer : si tant de gens se mettent à se battre contre l'homophobie, c'est qu'elle est moins dangereuse qu'auparavant, c'est qu'ils ne risquent pas grand-chose. Il est plus facile de se prendre pour Genet que d'avoir été Genet. Ce qui me fait penser que je ne vous ai pas parlé de ce charmant petit opuscule (et de son admirable première phrase : "Etre homosexuel, c'est être victime d'homophobie. C'est cela avant tout autre chose - ce n'est peut-être même que cela.") :

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ni de son préfacier, constamment cité par les auteurs du dictionnaire, l'inénarrable Eric Fassin :

Genoux Laurel


Pardon ! Le voilà :

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L'arriviste de nos jours ressemble jusqu'à la fadeur bonnasse à M. Tout-le-monde. Faut-il en conclure que tout le monde est devenu arriviste ? Cela nous promettrait bien du plaisir.


Je n'ai pas pris la peine de définir encore la notion d'hétérosexisme. Il est sûr qu'"il n'est pas facile de définir une notion nouvelle sur laquelle n'existe pas de consensus, une notion qui est avant tout un outil de critique sociale, dont la portée et les vertus, si tant est qu'il y en ait, sont encore à venir [précautions louables, si ce n'est drôles, mais qui n'empêchent pas les auteurs d'user de ce concept à tour de bras]. Quoi qu'il en soit, l'hétérosexisme peut être défini comme un principe de vision et de division du monde social, qui articule la promotion exclusive de l'hétérosexualité à l'exclusion quasi promue de l'homosexualité [admirons ce quasi.] Il repose sur l'illusion téléologique selon laquelle l'homme serait fait pour la femme, et surtout, la femme pour l'homme, intime conviction qui se voudrait le modèle nécessaire et l'horizon ultime [ce qui veut dire ?] de toute société humaine. Dès lors, en attribuant à l'hétérosexualité le monopole de la sexualité légitime, cette sociodicée remarquable [pour qui ? pourquoi ?] a pour effet, sinon pour but, de proposer par avance une justification idéologique des stigmatisations et discriminations que subissent les personnes homosexuelles." (L.-G. Tin encore). Il n'est pas besoin d'être féru de logique pour voir que cette définition "a pour effet, sinon pour but", de constituer sur mesure un objet critiqué à partir des concepts mis en œuvre pour la définition elle-même - la poule et l'œuf. Durkheim vous déblaierait ça vite fait. Encore Constant : mes désirs pris pour des réalités, une fausse distinction du fait et de la valeur servant à substituer celle-ci à celui-là (j'y reviendrai d'ici quelque temps).

J'en profite d'ailleurs pour dissiper une éventuelle ambiguïté. L'auteur de l'article Différence des sexes accuse Durkheim de ne concéder que du bout des lèvres une place à l'évolution des rapports des femmes au monde du travail, à leur entrée dans des carrières qui leur étaient jusqu'ici interdites. Je n'ai pu vérifier à quel point c'était vrai. Il reste que si Durkheim pouvait être ravi en tant que personne de certaines pesanteurs de la société par rapport à certaines évolutions, voire même peut-être à exagérer l'importance de celles-là, il n'était justement pas du genre, en tant que sociologue, à considérer ces pesanteurs comme le dernier mot de la réalité. ("Si la famille a, à ce point, varié [au fil de l'Histoire], il n'y a pas lieu de croire que ces variations doivent désormais cesser, et, par conséquent, on doit et on peut essayer de prévoir dans quelles sens elles se feront." (1895 ; Textes 3, Minuit, 1975, p. 91)

Bref. Finissons sur une dernière note plus favorable : l'entrée Chanson est délectable, aussi bien dans les saillies homophiles ("Amy, le cul fut de tout temps / Le plaisir des honnestes gens / Et de Rome et de Grèce ; / Tous nos docteurs l'ont deffendu, / Mais un auteur plus entendu / Dit qu'il est pour l'individu / Et le con pour l'espèce.") que dans les couplets homophobes ("Un homme à l'autre se marie, / Et la femme à l'autre s'allie, / Bouillans ensemble les ordures / De leurs deux semblables natures.") Bravo d'ailleurs aux libertins du début du XVIIè siècle, Théophile, Dassoucy, Cyrano de Bergerac, etc., des gens qui ne manquaient ni de courage ni d'humour, eux - bravo surtout à la gouaille française...






Ajout le 16.05.

Obnubilé par l'importance de mes marjolles, j'ai oublié de prendre en compte l'existence de techniques de reproduction ex nihilo, lesquelles évidemment, si leur accès est permis aux couples homosexuels, ruineraient à échéance mon argument sur le mariage homosexuel - et peut-être le concept même de mariage, je ne sais pas. Il est difficile de rêver à ces évolutions sans être pris de vertige. D'ici là, vive mes marjolles.

Via Rezo et cherchant à en savoir plus sur Peter Handke (et, en général, la Serbie, qui s'est fait bombarder à une époque où je n'existais pas), je découvre le site d'un nommé Claude Guillon, spécialiste auto-proclamé ès-sodomie, sur laquelle il a écrit un livre. Nonobstant la curiosité de voir quelqu'un faire référence au système spectaculaire-marchand (credo debordien) et l'éloge de la sodomie hétérosexuelle, je ne vous en aurais pas parlé si une expression dans un de ses textes ne m'avait frappé. A propos d'hommes qui sont réticents à accompagner leurs conjointes dans leurs fantasmes de leur fouiller le fondement à l'aide d'objets appropriés - d'après M. Guillon c'est une pratique en expansion -, il lance : "Il va falloir qu'ils suivent." On ne peut pas avoir la paix trente secondes, non ? Ces gars-là (il s'agit d'une interview publiée dans Libération, pas de hasard) ne peuvent pas avoir leurs goûts sans les imposer aux autres. Va-t-il falloir se sentir coupable, ou ringard, ou macho ou je ne sais pas, parce qu'on ne saute pas de joie à l'idée de se faire encaldosser par un godemiché ?

Encore une fois et je m'arrête : les gens font ce qu'ils veulent et aiment ce qu'ils aiment, le disent ou l'écrivent si ça leur chante - mais quel démon les pousse à vouloir que les autres fassent comme eux ? La joie du Duce ? Un reste d'instinct grégaire ? Foutue époque (par-derrière).





(Le soir.)
Ach, on va dire que je suis obsédé par les trous du cul, mais en voilà un beau :

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Il s'agit de Louis-Georges Tin, le coordinateur du Dictionnaire de l'homophobie. Vous pouvez consulter une biographie tout empreinte de stalinisme baveux, ou un exposé de ses motivations en tant que leader du Conseil Représentatif des associations noires. Eh oui, on peut attendre sous peu un dictionnaire de la négrophobie, puisque notre homme semble avoir délaissé quelque temps la cause des pédés pour celle des noirs - un tel altruisme laisse rêveur. Le parvenu multi-fonctions est arrivé ! Nulle surprise que ce qu'il écrive soit aussi nul, quelqu'un qui dépense autant d'énergie pour se pousser du coude n'a plus guère que le temps de recycler deux trois conneries apprises sur les bancs de l'Ecole Normale Supérieure.

Tout certes n'est pas à jeter (cf. Dumont) dans ce que ce monsieur raconte à l'Observatoire du communautarisme, mais on ne peut qu'être écœuré par sa jouissive insistance sur les particularismes. Que l'universel l'encule ! - Voilà quelqu'un qui doit avoir de l'entregent. Le bras long à n'en pas douter. A côté, Eric Fassin, qui ne s'occupe que des pédés, c'est vraiment de la petite bière dans l'arrivisme. Quant à Cukierman, il peut prendre sa retraite.



(Le 01.06)
Grâce à mon ami P., j'ai identifié Claude Guillon : il est le co-auteur du fameux (et interdit en France) Suicide, mode d'emploi, qui comme son nom l'indique contient (entre autres choses) des conseils pour ne pas se rater. Le pire est que je l'ai chez moi au cas où - mais comme l'humeur n'est pas trop mauvaise en ce moment, je ne l'ai pas ouvert depuis longtemps, au point d'oublier le nom de ses auteurs. Bref, le réflexe prescripteur que j'ai dénoncé plus haut est d'autant plus étonnant - et révélateur - que cette mentalité directive était me semble-t-il absente de Suicide, mode d'emploi, qui avait plutôt pour but d'éviter aux suicidaires de finir catatoniques, légumes en fauteuil roulant à la charge de leurs proches. Le diable est vieux, comme disait l'autre.

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lundi 8 mai 2006

Appel au meurtre.

Si le grand art s'est traditionnellement nourri de grandes catastrophes historiques - guerres, notamment civiles, massacres, épidémies, révolutions... -,

S'il n'y a plus de grand art en France,

Si donc nous vivons depuis trop longtemps dans un confort anesthésiant,

S'il nous faut quelque catastrophe pour retrouver le grand art,

Si cette catastrophe ne doit pas être une guerre,

Car aujourd'hui, qui dit guerre, et pas agression contre l'Irak ou génocide local, a de fortes chances de dire apocalypse,

Ce qui amènerait au choix : apocalypse ou absence d'art - retour alors à Lascaux ?

Si donc il faut une catastrophe,

Et que nous n'avons rien contre nos voisins,

Les Anglais valets soumis, et aimant ça, des Américains - éducation anglaise oblige - bien sûr un peu, mais tout de même, de là à les envahir,


Il ne reste à l'homme de bon sens (à moins d'envahir les Etats-Unis ou la Chine...) qu'une solution s'il ne veut plus s'ennuyer en ouvrant un livre et en allant au cinéma - donc dans la vie, car on ne voit pas ce que les artistes auraient à dire ou à communiquer si les gens n'ont rien à dire ou à communiquer (Ozon est néanmoins un gros con) : la guerre civile et/ou la révolution. Ce qui d'ailleurs est peut-être aussi bien, puisque cela ne dépend que de nous et que cela commence à avoir de relatives chances de survenir. Pauvres, catholiques, musulmans, ralliez-vous à votre panache blanc !

Travail du négatif ? Négation de la négation ? Je passe une partie de mon temps sur ce blog à montrer pourquoi il est normal et plutôt bien que la société soit lourde, je ne perds pas une occasion (ou plutôt si, plein, mais je ne vais pas dire du mal de Libération, qui bientôt j'espère nous libèrera de sa présence, tous les jours) de critiquer certains stéréotypes "de gauche" - et voilà que la consultation d'un programme de cinéma m'amène, non pas à prêcher la révolution, mais à souhaiter une forme sanglante de conflit civil. Ach, ce n'est pas moi qui ai mis dans la tête des élites qu'elles devaient jouir non pas qualitativement - le sang, le rang, la liberté, le luxe même à la rigueur, la gloire aussi, la recherche parfois meurtrière et inconsciente de la gloire - mais quantitativement - toujours plus donc, toujours plus, et encore plus -, ce n'est pas moi qui ai créé les conditions de cette guerre civile. Mon gouvernement, mon régime, mes élites pour un bon film, pour un bon livre ! Que Sarkozy, Parisot, Breton, soient punis par où ils ont péché !

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samedi 6 mai 2006

Salauds d'Anglais.

Tony Blair devrait venir travailler en France, il a l'air plus apprécié ici que chez lui. Quels ingrats, ces Anglais, quels cons, qui ne réalisent pas tout ce que cet homme fait de bien pour eux. Il n'y a vraiment qu'en France que nous sachions apprécier à leur juste valeur les grands mérites incompris en leur patrie, de Staline à Blair en passant par Mao.

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vendredi 5 mai 2006

Tiens, Proudhon.

"L'homme le plus libre est celui qui a le plus de relations avec ses semblables."


Un nouveau monde s'offre à qui découvre cette phrase - à condition de prendre en compte les différents sens du mot relation (dans l'ordre du Robert 2006) : "Lien de dépendance ou d'influence réciproque (entre des personnes)." ; "Rapports sexuels." ; "Le fait de communiquer, de se fréquenter." ; "Connaissance, fréquentation d'une personne." ; "Lien moral et variable entre groupes (peuples, nations, Etats)." ; "Tout ce qui, dans l'activité d'un être vivant, implique une interdépendance, une interaction (avec un milieu)." Bref, c'est encore pour les rapports sexuels que cette phrase est la moins vraie.

Le reste on s'en fout.

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mercredi 3 mai 2006

Mise en bouche (Connaissance philosophique).

Revenons brièvement à nos plaisirs philosophico-politiques - pour aujourd'hui, je n'insisterai que sur le versant philosophique.

Où sont les pensées ? A l'intérieur des invidivus ? A l'extérieur ? Ailleurs ? Où ? Vincent Descombes, dans La denrée mentale (Minuit, 1995), procède à une critique minutieuse des théories qui situent les pensées à l'intérieur du cerveau, et plaide "la thèse de l'extériorité de l'esprit". Cela a l'air d'une énormité ? Que l'on considère alors l'extrait suivant :

"On parle d'agir sur l'esprit de quelqu'un. Mais on n'agit pas sur l'esprit de quelqu'un en agissant sur une partie de ce quelqu'un (pour ébranler par là sa machine interne), contrairement à ce que suggèrent certaines images (s'adresser à sa tête, à son cœur). L'image de la manipulation est plutôt celle d'une marionnette dont l'orateur habile saurait tirer les ficelles. S'il y avait un mécanisme, il serait dehors, car la personne à persuader, loin de contenir sous son épiderme la chaîne causale qu'il s'agit d'activer, est lui-même imaginé comme une pièce appartenant à la machine. On agit sur quelqu'un, on le manipule en tenant pour acquis que cette personne fait partie d'un tout plus large, et qu'on peut amener cette personne à décider d'une certaine façon ou à adopter notre cause en agissant sur ce tout. (...) L'avocat qui agit sur l'esprit des jurés en leur présentant des témoignages ou des documents obtient ses effets en modifiant le monde dans lesquels se situent ces jurés. Par exemple, il parvient à faire entrer dans la classe des faits de notoriété publique certains détails favorables à son client, de telle sorte que les jurés vont avoir une autre perception de toute l'affaire, non pas parce qu'ils auront été modifiés de l'intérieur (comme ils l'auraient été par l'ingestion d'une drogue), mais parce qu'ils auront été placés devant des pièces et des documents nouveaux." (Je souligne)

Dans un deuxième volume, que je n'ai pas encore lu, Les institutions du sens, Descombes développe les causes et conséquences anthropologiques de la thèse de l'extériorité de l'esprit. Nous retrouverons alors sans doute nos plaisirs politiques habituels, que pour l'heure l'"affaire Clearstream" (que Dieu efface Sodome, Gomorrhe et Luxembourg de la surface de la terre !) ne me semble pas valoir.

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