mercredi 30 août 2006

Explosante-fixe.

Décidément, ça tombe comme à Gravelotte dans le milieu de l'art lyrique. Après Elisabeth "Crème pour la peau" Schwarzkopf, voilà que l'on apprend le décès de Léopold Simoneau

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(un peu une gueule de conseiller de la Maison Blanche, quand même), quelques années après que son grand rival (pour qui je confesse ma préférence, mais c'est à un tel niveau) Anton Dermota

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(un peu une gueule qui vous veut du bien, quand même) eut rendu les armes.


Simoneau a, quant à ses enregistrements, préféré la qualité à la quantité. On cite souvent son Ferrando du Cosi fan tutte de Karajan en exemple, je recommanderais, plutôt et de surcroît, son extraordinaire Ottavio dans le Don Giovanni de Mitropoulos, Allah le bénisse, à Salzbourg en 1956, dont la seule distribution donne le vertige à l'amateur d'opéra :

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Après tout, autant que les derniers représentants du sacerdoce et de la beauté artistiques laissent la place. Ils sont de toutes façons sans descendance. Ou, pour le dire dans l'autre sens : quand la "civilisation occidentale" produisait (en même temps que Auschwitz et Hiroshima, CERTES) des Grümmer, Siepi, Frick, Della Casa..., elle avait de quoi susciter le respect, de soi-même et des autres.

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J'aime bien cette photo, on voit qu'il faisait beau ce jour-là.

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Jusqu'ici tout va bien !

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vendredi 25 août 2006

Compléments et rapprochements.

L'analyse du livre de Pierre Bouretz consacré à Max Weber, Les promesses du monde, s'est faite en laissant de côté nombre d'aperçus intéressants, que l'on va maintenant brièvement exposer.

On notera d'abord, sans critique mais avec curiosité, qu'un livre qui cherche le salut conceptuel dans des théories rationalistes néo-kantiennes (Habermas et Rawls), s'achève sur une référence au Benjamin religieux, celui de "l'ange de l'histoire" (via Paul Klee), autrement dit sur une espérance, désabusée mais vivace, au miracle. Est-ce vraiment compatible ? N'est-ce pas admettre que pour contrer les amères conséquences du désenchantement du monde il faut un "ré-enchantement" religieux ? Signalons sur ce sujet que Pierre Bouretz s'est ensuite intéressé aux prophètes juifs du XXè siècle, et entamons notre petite valse de citations :

"La tension [entre l'éthique religieuse et la politique] est ici poussée jusqu'au tragique, dans la mesure où elle s'attache à ce qui est tout à la fois le critère ultime du politique dans le système des catégories wébériennes et l'enjeu essentiel du salut dans ce même système : la signification accordée à la mort. Au sens fort du terme, il s'agit bien ici d'un conflit de principe entre le caractère sacré de la question de la mort comme objet par excellence de la religion et l'usage nécessaire de la violence en politique. D'un côté, la vision du monde des religions de salut n'a de sens et de fonction qu'aussi longtemps qu'elle prend en charge l'interprétation de la mort et détient le monopole de son traitement. De l'autre, le politique ne s'affirme dans sa légitimité que s'il peut à son tour donner sens au devoir de mourir. D'où la structure d'un conflit qui se présente sous la forme suivante : "Cette capacité à ranger la mort dans la série des événements significatifs et sacrés est finalement à la base de toutes les tentatives faites pour soutenir la dignité spécifique du lien politique né de la violence. Mais la manière dont la mort peut être ici conçue comme significative se situe tout à fait à l'opposé d'une théodicée de la mort telle qu'elle s'exprime dans une religion de fraternité".

Cette concurrence entre le religieux et le politique, qui réinvestit puis cherche à capter à son profit l'interprétation du sens de la mort, se déploie alors en se radicalisant sur la trajectoire historique. A titre d'illustration, la guerre crée des formes de liens interpersonnels qui se situent au plan de ceux que fait naître le sentiment religieux. Au point de venir les menacer directement en tant qu'ils donnent le fondement dernier du sentiment d'appartenance à une communauté [le fait d'être capable de mourir pour elle]. Ainsi Max Weber peut-il relever que "la guerre, comme menace réalisée de recours à la force, crée, précisément, un pathos et un sentiment communautaire ; par là, elle libère chez les combattants un esprit commun de sacrifice inconditionnel ; elle éveille, de surcroît, massivement des sentiments de dévouement, de pitié et d'amour à l'égard des malheureux, sentiments qui vont bien au-delà des liens naturels. Or les religions n'ont en général rien de semblable à mettre à la place, si ce n'est dans les communautés héroïques de l'éthique fraternelle. En outre la guerre apporte au guerrier lui-même quelque chose d'extraordinaire au sens précis du terme : la sensation, qu'il est seul à éprouver, que la mort a un sens et un caractère sacré". Le point limite d'un tel mouvement est alors occupé par la notion de guerre "juste" ou "sainte", au moment où la mort militaire et la mort religieuse se confondent en un sacrifice paré de deux significations cumulées." (pp. 148-149)

Il est très tentant, mais prématuré, de rapprocher de telles conceptions "théologico-politiques" des thèses d'un René Girard sur les rapports intimes entre violence et religion - la conception wébérienne de l'état moderne comme détenteur du "monopole de la violence légitime" est en tout cas fort proche de certaines idées de Girard - contentons-nous d'enchaîner avec un passage explicitement consacré à l'Islam. C'est ici le lieu de se lamenter que Weber soit mort avant que d'écrire le livre qu'il avait en projet sur ce thème - et de signaler par la même occasion la perplexité que Dumont avait quant à la compatibilité de l'Islam avec ses catégories d'analyse, quel dommage qu'il n'ait jamais creusé la question. Bref, cela n'a pas empêché Weber de livrer quelques aperçus sur ce sujet :

"Les compromis de l'éthique religieuse avec le monde du politique sont facilités dans deux occurrences. Celle tout d'abord où l'éthique plaide en faveur d'une "adaptation intelligente de l'homme cultivé au monde". Il en est ainsi dans l'univers du confucianisme. (... - puis vient l'évocation du puritanisme). C'est pourtant le cas de l'Islam antique qui fournit l'occurrence la plus claire d'une suppression du conflit entre éthique et politique, au travers d'une sorte de sacralisation de la guerre comme moyen du salut. Ici, la religion "a pour devoir de propager la vraie prophétie par la violence, renonce consciemment à la conversion universelle et reconnaît comme but non le salut de ceux qu'elle soumet, mais la subjugation et la soumission des incroyants sous la domination d'un ordre dominateur consacré, par devoir fondamental, à la guerre sainte". Avec toutefois deux conséquences contradictoires. En premier lieu le fait que "la violence ne fait pas problème", ce qui permet un investissement immédiatement religieux du politique. Mais aussi en retour une sorte d'atténuation du principe d'universalité propre aux religions de salut, puisque "la solution voulue par Dieu c'est, précisément, la domination violente des croyants sur les incroyants, qui ne sont que tolérés"." (p. 175)

Avant de surinterpréter ce passage, insistons sur le fait qu'il concerne, en admettant par ailleurs qu'il soit pertinent, l'Islam antique. Ces résonances contemporaines me semblent par ailleurs moins intéressantes que la conclusion que Weber en tire : sous cette forme, l'Islam "n'est, en aucune façon, une religion universelle de salut." Pour qui déteste la vulgaire mélasse des "trois monothéismes", des "trois religions du livre", cet aperçu suscite à tout le moins la curiosité. A suivre...

Mais revenons au premier passage cité, dont certains accents ont pu paraître hégéliens, ou à tout le moins kojéviens. Weber fait de la faculté à mourir pour la patrie le critère décisif d'appartenance à cette patrie, critère qui sera repris par le controversé (à tort ou à raison) Carl Schmitt. Or les réflexions qui se situent dans une telle optique sont vite portées à jeter un regard critique sur les processus de pacification des rapports sociaux que la modernité a pu petit à petit mettre au point - et voici le thème de la fin de l'histoire, qui depuis Hegel fait tour à tour, parfois en même temps, figure de paradis sur terre ou d'effrayant cauchemar. Weber, Schmitt suivent bien sûr cette deuxième solution, dans un état d'esprit récemment repris par Philippe Muray - lequel a beaucoup cité Kojève -, ce qui fait qu'à la lecture des pp. 408-411 du livre de P. Bouretz, consacrées à Schmitt, on découvre que celui-ci est un ancêtre direct de Muray. L'intéressé en avait-il conscience, je l'ignore, et ce n'est pas très important en soi, mais il est piquant de constater de tels points communs entre un juriste proche pendant quelque temps du nazisme et l'auteur du XIXè siècle à travers les âges, ouvrage nourri de questionnements, stimulants mais parfois abusifs (genre pré-Taguieff) sur les origines et les prolongements cachés de l'antisémitisme.

Pierre Bouretz suggère de même (j'imagine inconsciemment) un rapprochement entre Muray et Marx. Pas tant du point de vue de la philosophie de l'histoire comme suite de conflits - l'anticommuniste Muray a de ce point de vue, dans ses derniers ouvrages, nettement marqué sa dette à l'auteur du Manifeste - que dans le cadre, plus inattendu, des rapports entre protestantisme et liberté. Si le lecteur se rapporte à certains passages de Muray (here and there) sur le sujet, il ne pourra qu'en conclure comme moi qu'il aurait pu, toutes choses égales par ailleurs quant au style, signer ces lignes de Marx (sauf le tout début...) :

"Luther a certes vaincu la servitude par dévotion, parce qu'il a mis à sa place la servitude par conviction. Il a brisé la foi en l'autorité, parce qu'il a restauré l'autorité de la foi. Il a transformé les clercs en laïcs, parce qu'il a transformé les laïcs en clercs. Il a libéré l'homme de la religiosité extérieure, parce qu'il a fait de la religiosité l'homme intérieur. Il a émancipé le corps de ses chaînes, parce qu'il a chargé de chaînes le coeur. (...) Il ne s'agissait désormais plus du combat du laïc avec le clerc extérieur à lui, mais du combat avec le clerc à l'intérieur de lui-même, avec sa nature de clerc." (pp. 284-285 ; P. Bouretz utilise la traduction de M. Rubel dans la "Pléiade", vol. III, p. 391.)


Ces rapprochements ne sont certes pas une fin en soi - quoique briser les catégories pré-établies devrait suggérer quelques préceptes de prudence et de tolérance à qui prend part à des disputatio. L'idéal serait, je l'ai déjà signalé, de parvenir à un tableau des différentes idées possibles, des concepts avec lesquels tel concept peut ou non logiquement coexister. Les auteurs ne seraient dans ce cadre que des points de repère. Nul doute que des parentés inattendues surgiraient. Mais le but serait évidemment de clairement établir quelles idées sont, malgré les apparences et malgré les appartenances de ceux qui les ont énoncées, formellement incompatibles entre elles. Ce serait toujours plus utile et plus utilisable qu'un "panorama des idées contemporaines" construit, si le terme n'est pas abusif, sur le principe : "X dit que..., Y dit que, Z, lui, pense que...", où l'on finit par préférer alternativement tous ceux qui ne s'opposent pas trop explicitement à ses propres a priori.


En guise d'au revoir, et bien que cela n'aie rien à faire ici : que Dieu bénisse les putes. Puisse le plus vieux métier du monde connaître l'éternité !

(C'était mon premier commentaire sur l'élection présidentielle à venir. Rendez-vous est pris.)

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jeudi 24 août 2006

Il n'y a pas de hasard.

(Précision le lendemain.)


Pages 83-84 de La violence et le sacré, René Girard, lorsqu'il évoque ce qu'il nomme la "crise sacrificielle" dans les sociétés primitives ou antiques - la désagrégation de la société, la défiance réciproque, la guerre de tous contre tous, la diffusion généralisée de la violence... -, prend comme illustration moderne de cet état proto-apocalyptique les guerres préventives.

CQFD ? En tout cas, la réalité actuelle confirme ce qu'écrivait Girard en 1972, et cela confirmerait en retour, si ce n'est précisément nos analyses (déjà publiées ou encore en projet...), du moins nos intuitions quant aux persistances religieuses dans le monde d'aujourd'hui - et pas seulement dans le cerveau de G. W. Bush.




(Le lendemain.)
J'ai employé hier l'expression volontairement vague de "persistances religieuses", faut-il ajouter que l'on ne se situe pas ici dans les lignées de gens comme Benny Lévy d'une part, Régis Debray de l'autre ? - Sur ce sujet comme sur d'autres, on passe bien vite du passionnant aux clichés genre Nouvel observateur. Ach, nous détaillerons tout ceci un autre jour. D'ici là, que l'Eternel foudroie tous les faux culs ! - Voilà un holocauste dont le fumet serait bien agréable (Nombres, 28.6), on s'en pourlèche d'avance les babines.

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mardi 22 août 2006

Girard versus Gauchet.

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Je serai bref, deux citations tirées de La violence et le sacré (Grasset, 1972, pp. 42-43 et 52) :

"Si nous ne comprenons toujours pas le religieux ce n'est... pas parce que nous sommes à l'extérieur, c'est parce que nous sommes encore à l'intérieur, au moins pour l'essentiel."

"Le sacré, c'est tout ce qui maîtrise l'homme d'autant plus sûrement que l'homme se croit plus capable de le maîtriser."

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Peut-être Muray a-t-il raison lorsqu'il dit que le christianisme n'est pas une religion, mais (là, j'interprète un peu) l'expression de la plus haute lucidité humaine. Bernanos disait d'ailleurs qu'il avait avant tout la religion de la vérité.

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jeudi 17 août 2006

Sociologies. (Ajouts le 18 et le 21.08.)

(Ajouts.)



Deux textes en un aujourd'hui... J'avais mis le premier en ligne ce matin, mais il aborde les mêmes thèmes que le second, dont la taille aurait pu le faire passer inaperçu. Je les juxtapose donc, la séparation entre eux est assez claire. Je prie l'auteur du commentaire laissé dans la journée de me pardonner mon incivilité.



SOCIOLOGIE CONTRE-REVOLUTIONNAIRE.


Je trouve dans le livre de R. Nisbet, La tradition sociologique, cette phrase de Tönnies, le fondateur (1887) de la cardinale division sociologique entre Gemeinschaft (communauté, sous-entendu communauté organique traditionnelle) et Gesellschaft (société, sous-entendu société traditionnelle fondée sur des contrats entre individus) :

"La théorie de la Gesellschaft porte sur la constitution artificielle d'un groupe d'êtres humains qui ressemble à la Gemeinschaft dans la mesure où les individus qui la composent cohabitent en paix. Cependant, par essence, la Gemeinschaft les unit malgré tout ce qui peut les séparer, tandis que la Gesellschaft les sépare malgré tout ce qui peut les unir." (PUF, "Quadrige", p. 102).

Chiasme que Nisbet s'empresse de rapprocher de celui de Bonald (1818) :

"L'agriculture qui disperse les hommes dans les campagnes, les unit sans les rapprocher" , tandis que "le commerce qui les entasse dans les villes, les rapproche sans les unir."

(Ce qui montre bien, au passage, pourquoi le retour de citadins à la campagne, dans le contexte actuel, n'a d'autre intérêt que de repeupler un peu certains paysages et de désengorger d'autant certaines viles. Pour le reste, ce n'est pas un "retour" à quoi que ce soit.)


Et tant que nous y sommes, toujours trouvé chez Nisbet, citons le conservateur britannique Robert Southey, lequel écrivait en 1816 :

"Pour mauvaise qu'ait été l'époque féodale, elle portait pourtant moins préjudice à ce qu'il y a de bienveillant et de généreux dans la nature humaine que l'époque présente, toute dominée par le commerce." (p. 42)

Phrase que l'on peut évidemment rapprocher de certains "chocs de civilisations" contemporains - à condition de garder en tête la distinction opérée ici. Et cela prouve bien une fois de plus que cela fait deux siècles que nous nous débattons dans les mêmes problèmes - sont-ils donc insolubles ?





SOCIOLOGIE DE LA MODERNITE.


Annexe.



Il y a plusieurs manières de rendre compte du livre de Pierre Bouretz, Les promesses du monde. Philosophie de Max Weber (Gallimard, 1996).

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On peut décrire par le menu ses analyses, ce que, étant donnée la richesse de son contenu, je ne ferai pas. On peut résumer et critiquer sa thèse principale, ce que j'ai déjà fait en grande partie, mais que je clarifierai ici. On peut enfin varier les points de vue et les angles d'approche, ce qui sera ma manière de faire, d'autant plus justifiée que, d'une part, j'ai rencontré dans ce livre nombre de mes préoccupations habituelles, d'autre part l'on se trouve ici devant deux livres pour le prix d'un : une synthèse de la pensée de Max Weber (les deux premières parties), et une discussion critique de cette pensée (troisième partie).

(Une précision. Weber est un auteur difficile à lire, dont l'oeuvre qui plus est n'est que très partiellement (et parfois, paraît-il, mal) traduite. C'est pourquoi il n'est pas illogique de s'en remettre, au moins dans un premier temps, à des auteurs crédibles et qui l'ont beaucoup pratiqué. Quoi que l'on pense de son approche, Pierre Bouretz fait de plus, de toute évidence, un réel effort d'objectivité. Mais il va de soi que certains des jugements exprimés dans ce qui suit pourront être révisés lorsque j'aurai accès à plus de textes en français... dans quelques années donc ! Mais ici comme ailleurs il s'agit moins de ne pas trahir du tout un auteur mort, que de voir ce que l'on peut encore en faire aujourd'hui.)


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Retraçons le mouvement d'ensemble du livre comme de la pensée de Weber. Dans la plupart des domaines qu'il a abordés - la religion, le droit, l'esprit du capitalisme et son expansion, la politique, la ville, et même la musique -, Weber est parvenu à un schéma d'ensemble à peu près analogue : une évolution de l'Occident (et en premier lieu de l'Europe) vers la rationalité, qui dans le même temps aboutit à un désenchantement, désenchantement pourrait-on dire à double détente :

- par définition : la rationalité, des grandes religions universelles, puis de la science moderne, supprime les puissances magiques qui autrefois habitaient le monde et le rendaient enchanté. Je résume plusieurs siècles en une phrase, mais l'évolution d'ensemble est celle-ci. Précisons en passant que selon Jean-Pierre Grossein, traducteur actuel de Weber, il vaudrait mieux parler de "démagification" que de "désenchantement" ;

- par contrecoup : les puissances rationnelles modernes d'une part ne viennent pas remplir le vide qu'elles ont installé, d'autre part ne tiennent pas toutes leurs promesses : l'esprit du capitalisme, profondément religieux et tourné vers le salut à l'origine, laisse la place à la "cage d'acier" du capitalisme actuel (N.B. : d'après Grossein : "carapace d'acier") ; la rationalisation du droit vers un plus grand formalisme donne (ou devrait donner, cf. infra) une justice automatique et sans âme ; les grandes religions de salut laissent la place à une absence de sens...

Il y a une troisième étape, sur laquelle les commentateurs de Weber (Raymond Aron d'un côté, Leo Strauss de l'autre, pour schématiser) se disputent pour savoir s'il l'a vraiment ou non franchie : le désenchantement de Weber lui-même dirais-je, à savoir :

- l'idée que la boucle est bouclée, et que finalement le monde moderne aboutit à "la guerre des dieux", c'est-à-dire que l'absence de sens au monde ramène au temps du polythéisme, à un affrontement des valeurs, entre ce que je pense et ce qu'un autre pense, sans que ni lui ni moi ne puissions appuyer notre choix sur une base rationnelle, sur autre chose que lui-même. C'est une sorte d'état de nature à la Hobbes, mais civilisé, pour l'instant, par les structures de pacification des conflits mises en place par la modernité.

Grosso modo, ce qui partage les spécialistes de Weber à ce sujet n'est pas ce qu'il a réellement pensé et écrit, qui est assez clair, mais de savoir à quel point l'on peut dissocier ces méditations, souvent (mais pas seulement) tardives, et le reste de son oeuvre. Aron fait plus cette dissociation que Strauss (et Bouretz).

Mais avant d'aborder ce problème, une limitation d'importance : je laisserai complètement de côté dans ce texte la première étape du diagnostic de Weber. Il s'en faut qu'il me convainque complètement, mais une discussion de ce point prendrait trop de place, chaque chose en son temps. Et puisque nous en sommes à ces précisions, ajoutons que ne seront pas non plus étudiées pour elle-mêmes les questions de la rationalisation de la politique, trop liée sans doute à ce que l'on pense de la première étape, ni de l'individualisme méthodologique, déjà brièvement abordée en mai dernier, et qui n'est pas du tout le thème central du livre de P. Bouretz.

Revenons donc aux deuxième et troisième étapes. Si cette dernière pose problème aux spécialistes c'est précisément parce qu'elle est liée à la précédente dans une mesure difficile à déterminer. Attardons-nous donc quelques instants sur cette deuxième étape. L'habitué de ce café n'aura pas manqué de retrouver dans le diagnostic wébérien une tournure d'esprit dont il me semble désormais comprendre, Dumont et Nisbet à l'appui, qu'elle n'est pas seulement fondatrice de la sociologie, mais tout simplement de la modernité. Autrement dit, il est inutile de reprocher à la modernité d'être hésitante, bancale, mal en point : elle l'est par définition. On peut le formuler de plusieurs façons :

- "anthropologique", avec l'aide de Dumont : une société (Tönnies parlerait ici de Gemeinschaft) est par définition un tout qui lie ses éléments entre eux. La meilleure façon, ou en tout cas la plus simple et la plus cohérente, de les lier, est de les hiérarchiser. La modernité est précisément ce refus de les hiérarchiser. Depuis, il s'agit de retrouver l'unité du tout. Personne ne peut dire que c'est impossible, mais ce n'a encore jamais été vraiment fait ;

- "économique", en prenant pour symbole l'affrontement, durant l'un des épisodes les plus fameux de l'avènement de la modernité, la Révolution française, entre Girondins et Montagnards. Il fut vite clair que le mouvement d'ensemble amplifié par la Révolution laissait libre cours à cet aspect ("collatéral ?") de la modernité qui a nom capitalisme, ce qui, sans préjudice d'exceptions, ne troublait pas beaucoup les Girondins, quand des gens comme Robespierre cherchèrent immédiatement à mettre en place des digues, des limites contre l'expansion du capitalisme qu'ils avaient eux-mêmes, via la suppression des corporations et l'abolition de l'esclavage, encouragée ;

- "philosophique" : la plupart des philosophes de l'individualisme, Durkheim puis Dumont l'ont remarqué, ont fini par réintroduire la notion de collectivité, plus ou moins subrepticement : ils en avaient besoin. Un "anti-philosophe" "individualiste méthodologique" auto-proclamé comme Weber y est aussi ramené.

Mais ne revenons pas tout de suite à Weber, restons sur notre idée de modernité par définition bancale, pour donner quelques exemples de tentatives de "réunification" : l'idée de Nation, le rôle de l'école républicaine ; et de mise en place de limites au capitalisme : l'Etat-providence, bien sûr. Ce qui signifie, faut-il le préciser, que cette fragilité constitutive de la modernité ne signifie pas qu'elle est à tous moments invivable et fragile : elle est plus ou moins, globalement, viable et stable selon les moments et les circonstances. Peut-être un jour ira-t-elle jusqu'au bout de sa "mission historique" et se consolidera-t-elle définitivement (ou presque...). Peut-être est-elle au contraire complètement à bout de souffle et va-t-elle laisser sous peu la place à une autre séquence. Mais il paraît prématuré de l'inférer à partir de son (indéniable) malaise actuel, lequel ne me semble donc, enfonçons le clou, en rien nouveau. (Je m'oppose donc sur ce point, et bien que je n'aie pas encore pris le temps de lire son manifeste le plus récent, aux idées de la Nouvelle droite sur le sujet.)

On trouve au moins deux thèses à l'appui de cette idée dans le Weber décrit par Bouretz. Par exemple dans le domaine du droit (je souligne) :

"Le fait que la standardisation de la vie juridique accompagne et renforce les phénomènes de réification des relations sociales déjà manifestes dans les sphères de l'économie ou de la politique est maintenant acquis [deuxième étape]. Reste à saisir la place de ce processus dans l'univers démocratique étant entendu qu'en ses grandes tendances la rationalisation du droit par le formalisme abstrait et la modernisation des sociétés occidentales marchent main dans la main. Apparaît alors l'ambivalence fondamentale de la démocratie face au couple que forment la bureaucratisation de la justice et la juridification des relations sociales. On pourrait imaginer en effet que deux logiques soient possibles : celle d'une attente d'uniformisation des liens juridiques conforme aux idéaux d'égalité ou celle d'une révolte contre la perte de sens induite par l'objectivation du droit dans la perspective de l'individualisme. Or Weber insiste surtout sur l'entrecroisement de ces deux attitudes en cherchant à montrer qu'elles procèdent d'une même aspiration, révélant ensemble la connivence qu'entretiennent la société démocratique et les passions irrationnelles dans le monde de l'action." (pp. 336-337)

Il me semble que les évolutions actuelles du droit, cette espèce de va-et-vient permanent d'une part entre une demande de loi ("l'envie du pénal" de Muray) et un désespoir devant la complexité juridique de la moindre action de la vie quotidienne, d'autre part entre les revendications catégorielles et l'exigence de justice globale, ces deux tensions interférant qui plus est l'une avec l'autre, va pleinement dans le sens du diagnostic wébérien - et, au passage, de ma description de la modernité.

La seconde thèse que je voudrais évoquer est nettement plus délicate, et je ne vais pas vraiment la discuter en elle-même. Je vais néanmoins la citer longuement, parce qu'elle pose d'importants problèmes, qu'elle est tout à fait caractéristique de la démarche de Weber, et qu'elle nous fournit une parfaite transition vers la discussion du lien entre les deuxième et troisième étape évoquées plus haut :

"Ainsi décrite [par Weber], la forme calviniste de la doctrine puritaine représente sans aucun doute l'expression la plus achevée d'une religiosité désenchantée. Au sens technique du terme bien sûr, pour autant qu'il désigne cette trajectoire de l'histoire des religions qui éloigne de la magie ["démagification"], qui pousse à l'intériorisation de la croyance et à la rationalisation des sacrements ou des techniques de salut [première étape]. Rejetant avec mépris toutes les institutions et toutes les pratiques "magico-sacramentelles", éliminant la plupart des rites, traquant les superstitions, elle affirme magistralement la transcendance de Dieu et poursuit ainsi à son terme le procès ouvert par la révélation des prophètes [dont Weber fait le point de départ du processus de rationalisation]. Mais cette forme du puritanisme porte aussi le désenchantement selon cet autre sens [deuxième étape] qui explore chez Max Weber les composantes d'une modernité paradoxale dès l'instant de sa naissance. Soulignant le contraste entre la redoutable austérité de cette conception qui va "éliminer toute possibilité d'une culture des sens" et celle qui sera portée par la philosophie des Lumières, il y trouve la racine d'une "individualisme pessimiste, sans illusion" qui caractériserait cette part de l'humanité contemporaine passée par l'expérience puritaine. Comme s'il identifiait ici les deux sources de la modernité. L'une, riante et joyeuse, confiante en l'homme, portée par l'idéal de la liberté et le projet de l'émancipation. L'autre, sévère et grave, nourrie d'un pessimisme foncier sur l'homme et d'un sentiment puissant de la finitude. Mais comme s'il indiquait aussitôt que leurs destins sont communs, scellés dans une double connivence. Celle qui fait de l'une et de l'autre des expressions de ce qui s'apparente à une religion de la fin du religieux, faisant signe soit vers le recyclage laïc des attentes de salut dans les idéaux de progrès et d'humanité, soit vers une pure intellectualisation du principe divin. Mais celle encore qui reconduirait au dernier sens du désenchantement [deuxième étape], lorsqu'il doit apparaître que l'esprit enthousiaste des Lumières tout comme l'austère inquiétude du puritanisme sont vouées à se perdre, pour céder la place à ce qu'ils ont contribué à créer : un monde où triomphe une technique rationnelle mais dénuée de toute spiritualité." (p. 225)

Lecteur de Dumont, on serait fondé à penser que Weber a raison et que l'individualisme moderne relie ces deux conceptions. Cela n'empêche pas de se poser la question de savoir jusqu'à quel point on peut les relier et les séparer. De fait, le raisonnement résumé ici n'est pas totalement clair ni argumenté, sans que l'on sache bien s'il faut attribuer cette carence à Weber lui-même, ou à Pierre Bouretz, qui justement n'est pas convaincu, à tort ou à raison, par cet amalgame.

De fait, l'important pour nous n'est pas tant de résoudre cette question que de montrer qu'on la retrouve d'un point de vue plus général, dans le diagnostic de Weber sur la modernité. Résumons les termes du problème : dans quelle mesure peut-on considérer que la perte de sens du monde moderne (deuxième étape) conduit à une position de type nietzschéen, dans lequel chacun n'est responsable de ses choix que devant lui-même, un accord global étant impossible à trouver (troisième étape) ?

Pierre Bouretz décrit ici plusieurs réponses :

- celle de Raymond Aron, pour qui ces deux étapes ne sont pas vraiment liées : on peut très bien adopter la méthodologie et une bonne part des conclusions de Weber sans le suivre sur le terrain de la "guerre des dieux", position selon Aron intenable logiquement puisqu'il faut bien que l'on estime avoir raison pour affirmer quelque chose.

Aron n'a pas tort, mais il déplace le problème, car ce qui l'intéresse le plus est la méthodologie, et non le diagnostic désenchanté de Weber en tant que tel.

- à l'opposé Leo Strauss condamnera et la méthodologie et la philosophie, en estimant qu'elles sont indissolublement liées : elles suppriment toute possibilité de sens à la base, elles éliminent préalablement, par la distinction fait-valeur, le sens qu'elles s'étonnent ensuite de ne pas trouver dans le monde.

Je n'ai pas lu les textes de Strauss auxquels P. Bouretz fait ici allusion, il me semble que sa position, si je l'ai bien comprise, a tout de même tendance à faire l'impasse sur ce qui reste une perte de sens, dont la philosophie et la sociologie ne peuvent être tenues pour entièrement responsables. Ceci posé, on retrouve son argument principal, ou un argument d'un esprit comparable, dans :

- la troisième direction, celle de Jürgen Habermas - et de Pierre Bouretz lui-même, sur laquelle je m'attarderai le plus longtemps.

Weber distingue plusieurs types de rationalité, dont les deux plus importants pour notre propos sont la rationalité en valeur (wertrationalität) et la rationalité instrumentale (zweckrationalität) (cf. annexe). Ce que lui reproche Habermas est de ne pas tenir vraiment compte de cette distinction théorique dans ses écrits historiques, et de toujours privilégier la rationalité instrumentale, celle donc qui n'a que faire du sens des actes - le diagnostic de la perte de sens est alors trop facile à avancer. Je ne sais pas à quel point Habermas a raison pour le détail des analyses de Weber, je pourrai lui faire la même objection qu'à Strauss (le monde n'a pas attendu Weber pour perdre de son sens et privilégier la rationalité instrumentale) : l'important reste que Habermas indique une direction pour sortir du "piège nietzschéen" que nous tend, et que peut-être s'est tendu à lui-même, Weber : ne pas se cantonner à une conception trop restreinte de la rationalité.

Il s'agit ici de rien moins que de la fondation d'une "raison pratique" (nous sommes dans un sillon kantien). Pour être bref : Habermas fournit à P. Bouretz une théorie de la discussion dans laquelle les choses ne se passent pas du tout comme dans la "guerre des dieux" wébérienne ; dans un second temps, John Rawls lui permet d'élargir cette perspective à une fondation philosophique de la démocratie, qui fasse de l'affrontement des points de vue non une faiblesse rédhibitoire du point de vue du sens global, mais au contraire la condition même du fonctionnement et du développement d'une société démocratique.

Il y a me semble-t-il des choses à prendre, sinon dans ces théories mêmes, du moins dans l'esprit qui les anime : effectivement, quoi que puisse en dire Weber, dans les discussions, au moins dans les discussions que l'on a tous les jours, des règles du jeu fondées sur le désir commun de parvenir à un accord sont activées. Cela ne signifie pas à tout coup qu'elles seront respectées par chacun à tout instant, mais elles n'en sont pas moins présentes et effectives. De même peut-on tout à fait accorder, avec Rawls et Bouretz, que discordance ou pagaille des points de vue ne signifie pas nécessairement, ni aujourd'hui ni pour toujours, "guerre des dieux". En noircissant le tableau, le Weber de Bouretz, surtout dans la dernière partie de son livre (p. 520 par exemple), fait un peu penser aux travers d'un Deleuze, d'un Foucault (nietzschéens eux aussi) ou d'un Badiou décrits par Jacques Bouveresse, Weber transposant le "puisque tout ne va pas au mieux, rien ne va" des gauchistes des années 60 à un "puisque tout ne va pas au mieux, rien n'ira jamais bien" complété d'un "puisque les choses ne sont pas totalement rationnelles, c'est qu'au fond elles sont totalement irrationnelles".

De ce point de vue, on ne peut je crois que suivre Pierre Bouretz et ceux qu'il suit lui-même (auxquels il faut ajouter son préfacier Paul Ricoeur) - mais pas pour très longtemps, car eux-mêmes semblent succomber à certaines confusions entre l'être et le devoir-être. C'est le point que j'ai déjà abordé dans ma première approche des Promesses du monde, en m'inspirant notamment d'une critique de Vincent Descombes à l'égard de Habermas. Et à lire Pierre Bouretz, qui fait une présentation favorable des thèses de Habermas (et de Rawls), on ne trouve rien qui ne confirme les critiques de Descombes, on se sent même autorisé, à tort ou à raison, à les élargir à Rawls. Pour me répéter, donc : que l'on constate des phénomènes que l'on peut qualifier de démocratiques dans les comportements de discussion des gens et dans la façon dont ils confrontent leur points de vue n'autorise pas à fonder une théorie de la démocratie sur ces comportements - d'autant que l'on ne voit pas comment ils peuvent se généraliser au point d'imprégner tous ou la majorité des habitus des "citoyens". C'est peut-être d'ailleurs ce qui fait dire à Ricoeur dans sa préface (pp. 14-15) que "Habermas et Rawls se distancient de Max Weber plus en amont que [P. Bouretz] ne paraît le concéder" : que Weber généralise abusivement de la perte d'un sens commun, pour son époque, à la guerre des dieux, n'autorise pas Habermas et Rawls à conclure de l'indéniable persistance de processus démocratiques au sein de la vie quotidienne à la possibilité de retrouver un sens commun via la fondation d'une société démocratique à partir de ces processus.


Autrement dit, et pour conclure : le problème capital reste celui de l'unité - et il n'est pas près d'être résolu, quand bien même on ne s'y résignerait pas avec le même entrain fataliste snob que Weber. Celui-ci a par ailleurs justement critiqué les tendances (déjà, encore une fois...) de certains intellectuels à vouloir réenchanter le monde à coups de religions artificielles [cf. Ajout du 21.08.]. N'en déduisons pas pour autant la vacuité de toute forme de volontarisme, l'exemple de la Nation et de l'école républicaine montrant leur efficacité potentielle - certes pour des périodes de temps limitées. Mais sachons quand et comment rester spectateurs ou continuer à être acteurs.

Car ce problème "capital" se pose en réalité pour nous moins en termes de solutions, si j'ose dire et même s'il est important de critiquer les fausses solutions, qu'en termes de possibilités, et pour le coup c'est sur une note, peut-être pas nietzschéenne, mais militaire, que je serais tenté d'achever sur ce survol : il faut se battre avec ses armes, on ne peut pas faire autrement. Les nôtres, les miennes en tout cas, sont celles de la rationalité. "Elargie" sans doute, "élargie" si l'on veut, mais alors vraiment élargie, probablement pas seulement dans le cadre de la "raison pratique" - de ce point de vue sans doute peut-on mettre d'ailleurs dans le même sac néo-néo-kantiens et altermondialistes, que ceux-ci soient au demeurant athées militants ou "sympathisants" de mouvements islamiques. Mais se pose alors d'emblée la si difficile question des rapports entre religion et rationalité - jusqu'où peut-on "élargir" la rationalité ? En quoi précisément la religion n'est-elle pas rationnelle ?

Où l'on retrouve de vieux amis d'une part (Durkheim, l'ethnologie, Voyer, Descombes...), la "première étape" mise ici de côté d'autre part, et toutes les interrogations qu'elle charrie (autour de Marcel Gauchet notamment). Où l'on prendra garde à ne pas se débarrasser trop vite des catégories wébériennes de rationalité. Où l'on se retiendra, même si on croit pouvoir suivre certaines directions, de considérer pour totalement établis les diagnostics énoncés dans le paragraphe précédent.

Bref, ce texte, malgré toutes ses hypothèses et ses précautions, doit encore trouver sa place dans un ensemble plus large, qui non seulement critique, directement ou indirectement, les angles de vue et les méthodologie individualistes, et retrouve à partir d'eux la position holiste, mais prendra pour base de départ ce holisme, pour y hiérarchiser les différents individualismes. Rien que ça ! On comprend que ceux qui ont les armes du Hezbollah les utilisent : ils n'ont pas plus le choix que moi, mais dégomment leurs cibles plus vite... (Mars, et ça repart !)

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Le monde quant à lui continue, qui fournira ou non de nouvelles solutions.







Il y aurait beaucoup d'autres choses à dire sur Les promesses du monde, mais j'ai choisi de me cantonner à une vision d'ensemble. Que l'on ne s'étonne pas néanmoins si, vue l'ampleur du matériau, j'y reviens de temps à autre sur des points plus secondaires dans les prochaines semaines.



Annexe.

- Dans Les étapes de la pensée sociologique (Gallimard, 1967, "Tel", pp. 500-501), R. Aron décrit ainsi les actions rationnelles par rapport à un but (ce que, suivant ici Castoriadis, j'ai appelé la rationalité instrumentale) et les actions rationnelles par rapport à une valeur :

"L'action rationnelle par rapport à un but (...) est celle de l'ingénieur qui construit un pont, du spéculateur qui s'efforce de gagner de l'argent, du général qui veut remporter la victoire. Dans tous ces cas l'action zweckrational est définie par le fait que l'acteur conçoit clairement le but et combine les moyens en vue d'atteindre ceux-ci. (...)

L'action rationnelle par rapport à une valeur est celle du socialiste allemand Lassalle se faisant tuer dans un duel, ou celle du capitaine qui se laisse couler avec son vaisseau. L'action est rationnelle non parce qu'elle tend à atteindre un but défini et extérieur, mais parce que ne pas relever le défi ou abandonner un navire qui sombre serait considéré comme déshonorant. L'acteur agit rationnellement en acceptant tous les risques, non pour obtenir un résultat extrinsèque, mais pour rester fidèle à l'idée qu'il se fait de l'honneur." Ces exemples sont-ils empruntés à Weber ? Ils tombent en tout cas sous la critique de Habermas, puisqu'ils ne présentent de la rationalité en valeur que des cas extrêmes - pourquoi ne pas évoquer un acte de galanterie ou de politesse ? Certes ce sont aussi des actions traditionnelles (autre catégorie wébérienne), mais pas plus que celle du capitaine qui coule avec son vaisseau.

- P. 603, Pierre Bouretz évoque une "distinction précieuse", effectivement intéressante, pratiquée par Paul Ricoeur (Soi-même comme un autre, Seuil, 1990, pp. 329-331) "qui sépare deux trajets propres à l'idée de justice. Sur la trajet de la "justification", s'opère la "subsomption de la maxime sous une règle". Il s'agit alors de remonter vers la fondation en raison des principes de justice, selon une problématique qui est celle de l'épreuve de l'universalisation de la règle. Mais ce trajet se double de celui de "l'effectuation", qui concerne cette fois l'application à des situations concrètes où se découvrent des zones conflictuelles entre personnes."

Une façon comme une autre de ne pas confondre a priori les problèmes d'universalisation et les problèmes de mise en pratique.

- Je crois me rappeler, sans doute dans un numéro spécial de Critique consacré à Foucault, un texte de Paul Veyne où il compare l'auteur de Surveiller et punir à un "homme de la deuxième fonction", un guerrier donc, déniant à ses adversaires le droit de lui démontrer qu'ils avaient plus raison que lui. Cela a un côté "guerre des dieux". Cela peut être une forme saine d'action, de scepticisme et de respect de l'autre. Mais, d'un point de vue logique, on retombe dans l'objection d'Aron : il faut bien croire à une forme de vérité, même minimale, pour affimer quelque chose.



Bibliographie indicative :

Je note ici les ouvrages où il semble le plus aisé de retrouver les prises de position décrites plus haut. Cette liste n'a rien d'exhaustif.

- L. Strauss : Droit naturel et histoire.

- Raymond Aron : Les étapes de la pensée sociologique ; introduction à Le savant et le politique (de M. Weber).

- Louis Dumont : Homo Aequalis I ; Essais sur l'individualisme.

- Jürgen Habermas : Connaissance et intérêt ; Théorie de l'agir communicationnel.

- John Rawls : Théorie de la justice.

- Maximilien Robespierre : Pour le bonheur et pour la liberté. Discours.

- Jean-Pierre Voyer : Hécatombe.

- Vincent Descombes : La denrée mentale ; Les institutions du sens ; et très certainement Le complément de sujet, que je n'ai pas encore lu...

- Max Weber. Sans entrer dans trop de détails, il me semble que l'on ne peut vraiment se fier qu'à des traductions récentes, c'est-à-dire non antérieures aux années 1990. Ce qui laisse déjà pas mal de choses à lire.

- enfin, je me permets de renvoyer à un précédent texte de ce site, Pas de liberté pour les amis de la liberté, où des questions analogues sont abordées dans un esprit quelque peu différent.






Ajout le 18.08.

Oui, quelques remarques :

- j'espère que l'on ne me prête pas l'intention d'en avoir fini avec Weber, sous prétexte que j'ai pu sur certains points épouser le point de vue critique de Pierre Bouretz. Je suis au contraire très loin d'en avoir fini avec lui - hélas, serais-je tenté de dire, car il m'éloigne de mes premières amours durkheimiennes et maussiennes ;

- en passant : P. Bouretz présente au fil de la dernière partie de son livre les thèses de F. Hayek, j'ai découvert à cette occasion qu'elles ne se résumaient pas à une pure et simple défense de cette créature de science-fiction qui s'appelle le marché (j'en profite pour citer le Statler : l'économiste est "un penseur de cette religion appelant au sacrifice humain en fonction des prophéties qui sont les siennes"), mais qu'elles posaient aussi, et plutôt bien, d'intéressants problèmes moraux. Plus rien ne devrait m'étonner, et pourtant...

- surtout, je n'ai pas fait le rapport entre les deux textes qui composent cette livraison. Ainsi que le montre d'ailleurs Nisbet, la sociologie est donc à la fois une manifestation de la modernité (la science comme moyen de l'émancipation de l'humanité) et la mauvaise conscience de cette modernité, puisque dès sa fondation chez Auguste Comte (inventeur du mot) elle met l'individualisme moderne en face de ses limites - ce que fait aussi Weber via son détour supposé individualiste. Si l'on réalise bien que cette mauvaise conscience est elle aussi moderne, on peut la qualifier d'anti-moderne au sens donné à ce terme par Antoine Compagnon dans son livre Les antimodernes (Gallimard, 2005, je l'ai cité dans la bibliographie de Pas de liberté...), de "moderne en liberté" (A. Compagnon parle des Français, mais Weber est un pur prototype d'anti-moderne). Autrement dit : la sociologie reflète l'ambivalence de la modernité, elle peut en être plus (cf. Dumont dans ses Essais) ou moins (ne serait-ce pas la source de certaines contradiction de Durkheim, comme sa très optimiste foi dans le volontarisme républicain ?) consciente. Elle fournit des outils de réflexion plus, encore une fois, que des "solutions". (A noter, le monde est petit, que le vicomte de Defensa a chroniqué le livre d'Antoine Compagnon et qu'il se définit comme antimoderne. Parés au combat !)



Ajout le 21.08.

D'abord, la citation de Weber sur les intellectuels et la religion (1915) :

"S'il n'importe nullement au développement religieux actuel que nos intellectuels modernes éprouvent le besoin d'ajouter à toutes sortes d'autres sensations celle de "vivre une expérience religieuse", comme pour meubler leur intérieur d'objets anciens garantis authentiques - on n'a encore jamais vu un renouveau religieux naître de ce type de source -, dans le passé, en revanche, la nature des couches intellectuelles a été de la plus grande importance pour les religions."

Ensuite, une illustration du Weber antimoderne, dans une lettre à Tönnies (1909) :

"Certes, je suis absolument "insensible à la musique" de la religion et je n'ai ni le besoin ni la capacité d'ériger en moi des "constructions" psychiques de caractère religieux, quelles qu'elles soient ; ça ne marche pas ou bien je m'y refuse. Mais, tout bien examiné, je ne suis ni antireligieux ni areligieux. Sur ce plan aussi, je me sens comme un infirme, comme un être mutilé, dont le destin intime est de devoir se l'avouer sincèrement et de s'en accommoder - pour ne pas tomber dans les mystifications romantiques."

(Ces deux citations sont extraites du recueil Sociologie des religions, Gallimard, 1996, respectivement pp. 349 et 72. Ajoutons que les pp. 72-73 contiennent un florilège de citations plus ou moins contradictoires du même Weber qui vont dans le même sens de son anti-modernité.)

Le moderne est instable, l'antimoderne est contradictoire, l'antimoderne est moderne, l'antimoderne n'est pas le moderne : il en est une excroissance, plus attentive à son instabilité fondatrice, qui la ressent plus douloureusement (et parfois, agréablement), en lui, et sait l'exprimer.


Je tombe, dans un ouvrage classique, qu'il me semble lire à son heure, Mensonge romantique et vérité romanesque, René Girard, Grasset, 1961, éd. "Pluriel", pp. 112-113, sur une citation de Dostoïevski (in L'idiot) qui pourrait être empruntée à quelqu'un comme Louis Dumont :

"Les gens des époques lointaines (je vous jure que cela m'a toujours frappé) étaient très différents de ceux de la nôtre : c'était comme une autre espèce humaine... En ce temps-là on était en quelque sorte l'homme d'une seule idée ; nos contemporains sont plus nerveux [Festivus !], plus développés, plus sensibles, capables de suivre deux ou trois idées à la fois. L'homme moderne est plus large, cela l'empêche, je vous en réponds d'être tout d'une pièce comme dans les siècles passés."

J'écrirai sans doute un jour sur Girard - quelqu'un qui est recommandé à la fois par Muray et Descombes, qui donc se trouve comme à l'intersection du catholicisme et de Wittgenstein, ne peut que nous stimuler...

Mais puisqu'il est question de Descombes, "finissons" en nuançant les divers degrés qui peuvent être ceux de la modernité. J'ai déjà cité une partie de ce texte dans l'ajout à ma colère contre le putois subventionné Marseille, je m'excuse pour la répétition :

"Il y a... toutes sortes d'humanités qui nous sont proches. Partant de là, est-ce au philosophe de nous dire si la modernité est une innovation, et une exception ? Nous autres philosophes serions plutôt tentés de penser (comme tout le monde) que l'homme ancien, quand il était raisonnable, pensait comme nous. L'idée que la modernité est une exception ne va pas de soi. Ce sont les anthropologues, comme Karl Polanyi ou Louis Dumont, qui nous apprennent qu'il y a cette rupture de la modernité. En philosophie cela ne nous coupe pas forcément de nos sources grecques, de nos sources médiévales, avec ce que ces dernières ont puisé en Israël, ou dans l'Orient orthodoxe, ou dans l'Islam... Mais si l'on accepte cette notion de modernité, c'est-à-dire 1) qu'il ne s'agit pas simplement du développement plus accompli de quelque chose qui était déjà là, comme le pensait la conception progressiste de l'histoire, et 2) que notre culture fait exception quand nous la comparons à toutes les autres, alors se pose un problème philosophique. Cette exception existe, et nous la voulons, mais il nous faut la vouloir dans les conditions qui sont celles de l'humanité. Comment penser l'exorbitant de l'exception moderne sans sortir des conditions de l'humanité commune ?

Une chose est de dire que la démocratie et le principe de l'égalité humaine sont des idées très importantes parce qu'ils incarnent ce que l'humanité avait toujours voulu sans le savoir, ce qui est conforme à l'ordre naturel des choses, ce qui va dans le sens de l'histoire ; autre chose est de dire qu'ils sont très importants, mais n'expriment nullement de façon harmonieuse le tout de ce que tous les hommes avaient toujours voulu, le bien universel. Quand la philosophie accepte de se laisser éclairer par l'anthropologie, elle doit même aller plus loin et reconnaître que les valeurs modernes sont parfaitement incompatibles avec d'autres choses importantes et précieuses de la vie humaine, du moins au premier abord et tant qu'on n'a pas introduit toutes sortes de complexités nécessaires. La démocratie, c'est très bien, la famille c'est très bien, mais la famille démocratique, cela n'existe pas. Ce qui peut exister, peut-être, et doit certainement être recherché, c'est la famille dont les membres sortent sur l'agora avec les vertus de caractère d'un citoyen démocratique. Cette famille sera donc démocratique par sa finalité, par son adéquation aux conditions d'une société démocratique, mais pas littéralement par son fonctionnement, car aucune famille ne saurait être conçue sur le modèle d'une société contractuelle, d'un instrument au service d'individus qui ont accepté de coopérer. Même chose pour l'école : elle est l'exemple même d'une condition non démocratique, du moins immédiatement, de la démocratie. De l'école devraient sortir des citoyens prêts à se tenir les uns les autres pour des égaux, mais à l'école elle-même, il est exclu que toutes les opinions aient le même droit à se faire entendre, ou qu'elles soient toutes respectables, ce serait même absurde de le demander. Qui plus est, sans ce passage par une école où tout n'est pas à égalité, les citoyens ne seront pas capables de pratiquer l'autolimitation qui permet de rendre viable l'égalité, que ce soit dans l'exercice de la souveraineté et dans les rapports sociaux. (...)

Il y a donc une composition à trouver entre différentes exigences, une composition qu'on ne concevra pas de la même façon selon qu'on accepte ou pas de reconnaître la coupure de la modernité avec l'humanité traditionnelle. Si l'on voit dans la modernité une coupure, la seule composition concevable est hiérarchique : nos valeurs modernes doivent avoir le premier rang, les valeurs de l'homme traditionnel ne sont pas indignes, elles doivent aussi avoir une place, mais à titre subordonné. La compréhension de ce point passe forcément par un dialogue de la philosophie avec l'anthropologie. L'anthropologue apporte quelque chose que nous n'aurions pas pu trouver nous-mêmes par un travail réflexif, mais c'est ensuite à nous d'affronter les leçons qu'il est loisible d'en tirer." (Esprit, juillet 2005.)

Ce dernier paragraphe est tout un programme. Précisons sans le commenter aujourd'hui plus avant que les termes "hiérarchique" et "subordonné" n'ont ici aucune connotation péjorative.

Ce que suggère Descombes (qui n'est pas ici sans lorgner du côté de quelqu'un comme Finkielkraut) c'est que si les valeurs de la modernité sont bonnes, on ne peut néanmoins les appliquer à tous les domaines de l'existence, et qu'il faut pour qu'elles restent bonnes être bornées - faute de quoi elles sont auto-destructrices - et destructrices de "l'humanité commune" (l'expression n'a pas tout à fait le même sens que chez l'inspiratrice de Finkielkraut Annah Arendt, mais il y a une parenté d'esprit évidente). Le raisonnement est analogue à celui utilisé à maintes reprises dans ses dernières oeuvres par un ami de Descombes, Castoriadis (qui emploie souvent le terme d'"autolimitation"), à propos du caractère autodestructeur du capitalisme actuel. De ce point de vue, il est plausible effectivement que la modernité soit entrée en phase d'auto-dissolution, mais ce n'est encore qu'une possiblité parmi d'autres me semble-t-il, que l'on doit garder en tête mais à laquelle il serait imprudent de conclure. Wait and see !

Nous reparlerons de tout cela, à n'en pas douter...

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lundi 14 août 2006

Toujours la même racaille.

(Complété le lendemain.)



J'espère pouvoir revenir dans les prochaines semaines sur l'intéressant livre de Pierre Bouretz, déjà évoqué dans le message précédent, Les promesses du monde, consacré à Max Weber. Je me contente pour l'heure de signaler comme un fait caractéristique de la pensée contemporaine que P. Bouretz, lorsqu'il cherche à retrouver ce que pourraient être les bases d'une communauté viable, écrit une phrase de ce genre (p. 478) :

"La question est alors de savoir si l'on peut disposer d'un concept restreint de communauté, limité par exemple à l'idée d'appartenance commune et choisie, qui tout à la fois résolve le problème des attentes de significations vécues du concept de justice et évite leur définition réifiée par l'identité communautaire."

Sur l'intention - une communauté qui se veuille juste sans être prisonnière de son passé, de ses traditions, du raisonnement "ceci est juste parce que nous avons toujours fait ainsi", qui trouverait à redire ? (A condition déjà de noter que cette recherche n'engage que ceux qui la mènent et ne les autorise pas à obliger d'autres pays à les suivre dans cette direction.) Mais c'est le "par exemple" qui en l'espèce est un peu faux cul, car tout ce que M. Bouretz cherche dans la dernière partie de son livre, c'est justement cette "idée d'appartenance commune et choisie", qui limite grandement son raisonnement. Mais le problème n'est pas de mettre sur pied une communauté de quelques-uns qui ont choisi de vivre ensemble, il est de savoir s'il peut encore y avoir quelque chose comme une communauté nationale, composée justement de gens qui n'ont pas du tout choisir de vivre ensemble, mais qui sont embarqués dans la même galère juridique, linguistique, culturelle, etc. Sinon, bien sûr, on peut créer tous les clubs privés que l'on veut, contrairement à ce que P. Bouretz croit peut-être, ce n'est en partant d'eux que l'on refondera quoi que ce soit, "intersubjectivité" ou pas "intersubjectivité" (car il y a du Husserl là-dessous).

On se souvient peut-être que c'est ce que je reprochais il y a peu à Alain Brossat : opérer avec un concept par trop restrictif de la communauté. Chez A. Brossat le modèle était Robin des Bois, ici c'est plutôt, pour reprendre un exemple que P. Bouretz emprunte à Dworkin, une assemblée d'écrivains anglais travaillant chacun de son côté à écrire un fragment de roman collectif pendant une après-midi pluvieuse, mais la configuration de base est analogue : un modèle qui peut être séduisant pour quelques-uns mais qui n'est d'aucune valeur pour la communauté telle qu'elle existe encore, qu'on en soit heureux ou pas, la communauté nationale. L'ancien marxiste-révolutionnaire et l'émule de Ricoeur et de Habermas opérant la même réduction tribale, cela ne manque pas de piquant.

Il est vrai aussi que c'est peut-être là un problème qui ne peut se résoudre en théorie, mais qui trouvera, ou non, une solution dans le monde. Il serait dans cette optique tout à fait indifférent que des philosophes fonctionnaires perdent leur temps à imaginer des hypothèses plus ou moins cohérentes. Il est possible qu'il vaille mieux en rester aux diagnostics critiques (dans ces deux cas instructifs), et laisser, pour l'heure, le Hezbollah faire le boulot - en attendant mieux.



(Le lendemain).
Ambiguïté involontaire : je n'ai pas voulu laisser entendre qu'il était inutile, pour soi, de suivre dans sa vie des modèles proches de ceux proposés par MM. Brossat et Bouretz. Chacun fait ce qu'il veut, et après tout, pour rester avec Pierre Bouretz, je ne vais pas m'offusquer de ce que des gens s'attachent à expliquer leurs raisons aux autres, dans le respect de la liberté de chacun, en articulant leur liberté propre à celle des autres, etc. Mais il s'agit là de conseils éthiques, de manuels de sagesse, il ne s'agit pas d'aperçus philosophiques fondateurs de quoi que ce soit, contrairement à ce que P. Bouretz affirme.

Ce pourquoi d'ailleurs j'ai exagéré en considérant que ces deux modèles avaient une configuration "analogue". Car ce que Alain Brossat suggère peut être institué par quatre, cinq, dix ou vingt personnes qui s'y reconnaissent et se reconnaissent entre elles, et mis en pratique sur-le-champ, vers une réussite temporaire mais supposée enrichissante, ou un échec à brève échéance. En revanche, comme souvent avec ce qui vient en ligne plus ou moins droite de Husserl, il y a chez Pierre Bouretz une confusion entre des expériences "primordiales" sur lesquelles il est toujours possible de raconter ce que l'on veut ou presque, des expériences de la vie quotidienne qui ne sont pas nécessairement partagées par tout le monde, et des prescriptions plus générales "pour l'ensemble de la société", dont on ne voit pas très clairement si elles doivent découler directement des deux prédécents types, pour peu sans doute que chacun veuille prendre le temps de se pencher sur son expérience-originelle-de-rapport-à-l'autre, ou s'il faut les imposer légalement, ce qui est toujours difficile, d'autant plus ici, dans le cas de la fondation d'une "appartenance commune et choisie". Pour le coup on revient ici un siècle et demi en arrière, avant que Marx n'enjoigne aux philosophes de considérer autant que faire se peut les rapports réels entre les gens (cf. plus bas).

Entrons un peu plus dans le détail : Pierre Bouretz critique avec pertinence semble-t-il Weber pour certaines confusions entre l'être et le devoir-être (thème auquel je suis sensible, puisque je l'ai utilisé dans ma critique de Benjamin Constant, et que je compte y revenir un jour plus largement), notamment entre la réalité d'un certain désenchantement des Européens vis-à-vis de leur civilisation, et la résignation fataliste, voire volontariste et par trop solennelle, à ce désenchantement. (Promis, je vous en parle bientôt). Il fait de son côté de prudentes et légitimes distinctions entre son propre modèle de lutte rationnelle contre ce désenchantement, inspiré de Rawls et Habermas, et ce qui est possible ici et maintenant : il évoque une visée, un espoir, un but à atteindre, etc. - l'important est autant le mouvement vers ce modèle que sa réalisation effective, qui peut-être ne viendra jamais. Très bien. Mais ces précautions, aussi louables que cohérentes, auraient je pense été aussi nécessaires dans l'établissement du modèle lui-même, et c'est sur ce niveau que portent les critiques exprimées dans le paragraphe précédent. Bref, on est un peu ici dans la situation d'un voyageur qui a bien étudié l'itinéraire entre Strasbourg et Le Havre, sait parfaitement quels autoroutes prendre, mais n'a pas de voiture, ni de moyen d'en acheter, a fortiori d'en fabriquer.




Une précision encore : on trouve dans Les promesses du monde de belles pages éparses sur Marx. Surtout, on vérifie une fois de plus à quel point - restons dans la métaphore de l'autoroute - l'Anti-Hegel de 1843 est un échangeur dans l'histoire de la pensée du XIXè siècle. Car bien évidemment, l'injonction à laquelle je faisais allusion plus haut, de se concentrer sur les rapports réels entre les gens, n'est pas sans poser de nombreux problèmes théoriques et pratiques toujours actuels, dont ce texte est le reflet. Je rappelle que J.-P. Voyer écrivait beaucoup sur ce sujet dans le temps, à l'époque de son Rapport sur l'état des illusions dans notre parti (1979). Pour ce qui est de Pierre Bouretz, cf. pp. 281-286.

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vendredi 11 août 2006

Education anglaise ?

Max Weber, notamment dans La profession et la vocation de politique, a écrit quelques pages célèbres, mélancoliques, justes et un rien sentencieuses, sur l'activité de "l'homme politique authentique dans le contexte de la modernité". Voici le résumé qu'en dresse Pierre Bouretz (Les promesses du monde. Philosophie de Max Weber, Gallimard, 1996, p. 278) :

"Ayant à affronter le besoin d'un appareil humain au service de ses propres aspirations, il devra mobiliser tous les moyens disponibles en vue d'une fin unique : "Procurer, de façon durable, toutes ces récompenses aux partisans dont il ne peut se passer, qu'il s'agisse de la garde rouge, des mouchards ou des agitateurs." En ce sens, il devra se souvenir que ses convictions personnelles ne servent en réalité qu'à "justifier moralement les désirs de vengeance, de pouvoir, de butin et de prébendes". En élève de Machiavel, il lui faudra savoir manipuler la reconnaissance et la menace, créer le besoin et inspirer le respect, tenir ses disciples par le charisme et par la crainte. Puis se faisant nietzschéen, il prendra la mesure des puissances du ressentiment, de la haine sociale et du désir de gloire, afin de forger un instrument pour lequel la conquête du pouvoir est une affaire vitale. S'agissant des motifs plus intimes de son engagement, c'est avec Nietzsche encore qu'il vivra la politique en vertu de ce qu'elle procure : "d'abord le sentiment de la puissance". Puis un moyen de s'arracher à la banalité de la vie quotidienne, en s'élevant au rang de ceux qui participent à l'histoire. Une manière enfin de "maintenir à distance les hommes et les choses", pour préserver une liberté que le monde moderne a enfermée dans des structures vides de sens. A la condition toutefois de se remémorer une dernière fois le précepte machiavélien qui veut que la politique toujours retienne ceux "qui ont préféré la grandeur de leur cité au salut de leur âme" [Machiavel]."

Entre autres choses, on peut reprocher à cette conception, sous prétexte que les "convictions personnelles" de l'homme politique soient à coup sûr bassement utilisées par ses sous-fifres, de disjoindre complètement lesdites convictions du "sentiment de la puissance" éprouvé lorsque l'on "participe à l'histoire". On pourrait au contraire répondre que l'homme politique vraiment authentique est celui qui parvient, malgré toutes les déceptions et effets inattendus de ses actions que Weber décrit à juste titre ailleurs, à concilier ce plaisir personnel à l'accomplissement partiel de ses convictions profondes. De Gaulle en reste un bon exemple. L'auteur d'Economie et société (ouvrage toujours introuvable en français, sinon dans une traduction lacunaire et paraît-il jonchée d'erreurs) afficherait ici à bon compte une lucidité pessimiste surtout gratifiante pour son ego.

Mais là n'est pas mon propos du jour. En lisant ce tableau, certes perfectible mais tout de même assez réaliste, je me disais que ce devait être assez amusant d'être homme politique israélien en ce moment : on a le "sentiment de la puissance", la possibilité de "maintenir à distance les hommes et les choses", tout ceci sans ou presque sans les contraintes bassement matérielles de la gestion politicienne des "mouchards", "agitateurs", de la "vengeance", des "prébendes", etc. - on comprend que ces hommes-là prennent leur pied à faire la guerre, quand personne ne leur tape sur les doigts, quand ils peuvent se permettre de dire à l'ONU (ah, le "machin" !) ce qu'elle doit faire, et ceci en étant un aussi petit pays (car il faut retourner l'argument de Lanzmann et consorts sur le petit Israël : c'est d'autant plus jouissif de casser la gueule aux autres lorsqu'on est plus petit qu'eux). Si l'on ajoute le sentiment de revanche qui doit habiter plus ou moins sincèrement ces gars-là par rapport à l'histoire des juifs et des répressions et vexations dont ils ont été l'objet, on se dit qu'en ce moment ce doit être amusant et gratifiant pour l'ego d'être dirigeant israélien : au moins on prend son pied ! Autre chose qu'un vulgaire politicien...

Evidemment, tout cela, pour faire cette fois-ci appel à l'Antiquité païenne, n'est rien d'autre que de l'ubris, que ces gens-là peut-être (j'espère), et leur peuple certainement, finiront par payer un jour. Et bien qu'Israël soit une démocratie, et que dans ce contexte, dois-je me répéter, ce serait bien fait pour la gueule dudit peuple, on ne peut s'empêcher de voir là, par anticipation peut-être fautive, un beau gâchis impulsé par de grands enfants irresponsables. - Et c'est encore la poule et l'oeuf : personne ne remet ces sales garnements autosatisfaits et entièrement gouvernés par le principe de plaisir, à leur place - le piquet. (Le poteau ?)




P.S. : Je lis dans La croix en date du 9 août, sous la plume d'Alfred Grosser, que Pierre Vidal-Naquet, juste avant de passer, avait, en compagnie de Stéphane Hessel, "condamné avec fermeté l'action présente d'Israël au Liban et son attitude permanente à l'égard des Palestiniens, notamment à Gaza". Vidal-Naquet a pu m'énerver par sa façon de jouer les preux chevaliers anti-négationnistes (ça ne mange pas de pain), mais dans le contexte actuel ne chipotons pas trop, et ajoutons-le, avec Stéphane Hessel, au nombre des juifs qui ont pris la peine de s'opposer à la politique israélienne actuelle. Un par un, petit à petit...

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mercredi 9 août 2006

Rien de nouveau sous le soleil (monothéiste).

En lisant Le mendiant ingrat, premier tome du Journal de Léon Bloy, on tombe sur d'intéressantes et actuelles remarques.

- en 1893, Bloy écrit Le salut par les Juifs (que je n'ai pas lu), dans lequel il semble dans un premier temps reprendre à son compte les arguments antisémites d'un Drumont dans son best-seller La France juive, avant de renverser la perspective pour conclure au rôle capital des Juifs dans l'histoire passée comme dans l'histoire à venir (distinction que Bloy d'ailleurs relativise) et dans la venue du Sauveur. En date du 24 novembre, on lit ces lignes :

"Visite au Grand Rabbin, à qui j'avais fait passer, quelques jours auparavant, Le salut par les Juifs. Vainement, j'essaie de lui faire sentir l'importance de ma conclusion. Plus vainement encore, j'explique la violence de certaines pages par le dessine d'épuiser l'objection, méthode fameuse, recommandée par saint Thomas d'Aquin. Il tient, absolument, à ne voir que la lettre de ces violences et se désintéresse de la conclusion dont il n'a pas même daigné s'enquérir. Enfin, il m'oppose les lieux communs les plus abjects : apaisement, conciliation, etc. Ce successeur d'Aaron m'affirme qu'IL Y A DU BON DANS TOUTES LES RELIGIONS !!

Décidément, on est aussi bête et aussi capon chez les Juifs que les Catholiques."

Les discours auto-proclamés tolérants pris sur le fait ! "Il y a du bon dans toutes les religions", mais tout le monde s'en fout ! Une religion ne se fabrique pas comme un plat cuisiné, avec un peu de ceci, un peu de cela, et surtout une religion est nécessairement convaincue de sa propre supériorité - si un croyant ne croit pas à la vérité de sa foi, à quoi peut-il croire ?

Cela ne doit pas mener nécessairement à des guerres de religion (je reviens là-dessus d'ici quelques jours j'espère à propos de l'Islam), il importe seulement de rappeler qu'une religion a nécessairement une composante agressive et expansionniste, qui lui est plus ou moins essentielle (et j'admets sans peine que jusqu'en 1948 l'histoire universelle amenait bien plus à conclure à l'importance de cette composante dans l'Islam que dans le judaïsme (ce pourquoi de mauvais esprits se demandent s'il y a vraiment un rapport entre Israël et le judaïsme)), mais qui est toujours présente (comme dans la sexualité masculine, serais-je tenté d'ajouter, mais quittons le sujet aussi vite que nous l'avons abordé). Et donc l'intérêt est que ces religions se combattent plus par l'émulation et l'équilibre de leurs puissances (comme on disait au XIXè siècle, avant la grande boucherie de 14-18) que par l'affrontement à mort.

- En janvier 1895 :

"On parlait des Juifs. - Il n'y a que deux peuples aimés de Dieu, ai-je dit, le peuple Juif et le peuple Gaulois, le Lion et le Coq."

- Revenons maintenant en décembre 1892. Bloy écrit sur les attentats anarchistes - le terrorisme de l'époque. Il utilise notamment des extraits de son roman autobiographique Le désespéré. Mais laissons-lui la parole :

"Etre dissipé en une seconde, comme par le tonnerre, en consternant les multitudes, et terminer (...) une existence ordinairement remplie de cochonneries et de troubles ; obtenir même, à l'instar des plus illustres citoyens, des funérailles aux frais de l'Etat et le panégyrique d'un Président du Conseil, déclarant que "vous avez trouvé la mort au moment où vous remplissiez votre devoir, comme le soldat tombe sur le champ de bataille, en défendant le drapeau ; recevoir le "suprême adieu" du Conseil municipal et de la Préfecture de police, et laisser au monde cette impression qu'on fut l'holocauste sacrifié pour quelque chose d'infiniment grand !... Ah la Bonne Mort et l'enviable destin !

Car il n'y a pas à dire, c'est pour de sacrées et nobles choses que nous sommes tous invités aux expressives contredanses de l'anarchie : la Propriété, l'Argent, le droit de jouir, celui d'être des poltrons ou des imbéciles, et surtout le privilège facultatif de n'avoir aucune pitié des pauvres..."

"Les jouisseurs, à peu près sans nombre, qui ne se croyaient pas des canailles, avaient rêvé de s'accommoder avec l'Absolu divin et d'instituer, pour toute la durée des siècles, une mitoyenne morale. Mais l'Absolu a refusé de souscrire, et l'échéance des blagues étant venue, c'est la Panique tout en sueur qu'on entend cogner à la porte..."

"Ah ! vous enseignez qu'on est sur la terre pour s'amuser. Eh bien ! nous allons nous amuser, nous autres, les crevant de faim et les porte-loques. Vous ne regardez jamais ceux qui pleurent et ne songez qu'à vous divertir. Mais ceux qui pleurent, en vous regardant, depuis des milliers d'années, vont enfin se divertir, à leur tour, et - puisque la Justice est décidément absente, - ils vont, du moins, en inaugurer le simulacre, en vous faisant servir à leurs divertissements.

Puisque nous sommes des criminels et des damnés, nous allons nous promouvoir nous-mêmes à la dignité de parfaits démons, pour vous exterminer ineffablement.

Désormais, il n'y aura plus de prières marmonnées, au coin des rues, par des grelotteux affamés, sur votre passage. Il n'y aura plus de revendications, ni de récriminations amères. Nous allons redevenir silencieux...

Vous garderez l'argent, le pain, le vin, les arbres et les fleurs. Vous garderez toutes les joies de la vie, et l'inaltérable sérénité de vos consciences. Nous ne réclamons plus rien, nous ne désirons plus rien de toutes ces choses que nous avons désirées et réclamées en vain, depuis tant de siècles. Notre désespoir complet promulgue, des maintenant, contre nous-mêmes, la définitive prescription qui vous les adjuge !

Seulement, défiez-vous !... Nous gardons le FEU, en vous suppliant de n'être pas trop surpris d'une fricassée prochaine. Vos palais et vos hôtels flamberont très bien, quand il nous plaira, car nous avons attentivement écouté les leçons de vos professeurs de chimie et nous avons inventé de petits engins qui vous émerveilleront ! (...)

Après cela, si l'existence de Dieu n'est pas la parfaite blague que l'exemple de vos vertus nous prédispose à conjecturer, qu'il nous extermine, à son tour, qu'il nous damne sans remède, et que tout finisse ! L'enfer ne sera pas, sans doute, plus atroce que la vie que vous nous avez faite.

Mais, dans ce cas, il sera forcé de confesser devant tous ses Anges que nous aurons été ses instruments pour vous consumer...

Tel est le cantique des modernes pauvres, à qui les heureux de la terre - non satisfaits de tout posséder - ont imprudemment arraché la croyance en Dieu. C'est le Stabat des désespérés !"


Difficile de ne pas penser que M.-E. Nabe au moins, dans sa Lueur d'espoir écrite juste après le 11 septembre, n'a pas eu ces quelques lignes en tête. On pense aussi bien sûr à Festivus, on note que Ben Laden comme les anarchistes répugne aux revendications précises mais sait utiliser le potentiel technique de son ennemi, etc. La différence se fait sur la pauvreté ou la richesse des terroristes, et sur leur désir ou non de vivre la vie de ceux qu'ils tuent, sachant bien qu'il y a aussi une ironie de Bloy sur les motivations des "crevant de faim".

La classe !



Un peu d'Isaïe pour le plaisir du contrepoint. Je sais bien que l'on peut utiliser les citations bibliques à tort et à travers et ne cherche pas à prouver ici quoi que ce soit, mais tout de même, on ne peut se défendre de certains frissons en lisant quelques versets :

"Qui a projeté cela contre Tyr,
la distributrice de couronnes,
dont les commerçants étaient des princes,
dont les négociants étaient des gens honorés sur terre ?
C'est Iavhé des armées qui l'a projeté
pour porter atteinte à l'orgueil de toute une magnificence
et pour rendre misérables tous ceux qui étaient des gens honorés sur terre. (...)
Plus de chantier maritime désormais !" (XXIII, 8-10)

"Et le Liban s'écroule sous l'action d'un dieu puissant." (X, 34)

"L'esprit de l'Egypte se décomposera en son sein
et j'embrouillerai son conseil.
On s'adressera aux idoles, aux revenants,
aux nécromants et aux devins.
Je livrerai les Egyptiens à la main d'un dur maître
et un roi violent régnera sur eux,
oracle du Seigneur Iavhé des armées." (XIX, 3-4)

Et à venir ?

"Oracle sur Damas.
Voici Damas ôtée du nombre des villes,
elle est devenue une ruine écroulée." (XVII, 1)

Il est vrai aussi qu'Isaïe prophétise :

"Voici que je suscite contre eux les Mèdes [=les Iraniens]
qui ne songent pas à l'argent
et ne veulent pas de l'or.
Les arcs précipiteront à terre les jeunes gens ;
on n'aura pas pitié du fruit du ventre
et on ne s'apitoiera pas sur des fils." (XIII, 17-18)

mais ce n'est pas contre Israël, c'est contre Babel - en Irak donc, ce qui semble a priori un peu dépassé. Arrêtons là donc les parallèles, pour cette fois.


L'année prochaine à Jérusalem !

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samedi 5 août 2006

"Vers l'Orient compliqué je partis avec des idées simples..." (Ajout le 7.08.)

(Ajout.)



"Nous avons beaucoup à dire, mais les explications sont difficiles parce que vous ne mettez plus d'entrain à comprendre."

(Hébreux, V, 11)




Chers compatriotes juifs,

m'adresser à vous ne me semble nécessiter aucun préambule, aucune justification, mais tout de même quelques précautions logiques et, si j'ose écrire, oratoires.

Je ne vous prête pas une seule et même opinion quant aux processus guerriers en cours au Moyen-Orient. Si jamais je donne cette impression dans ce qui suit, souvenez-vous de cette mise au point préliminaire. C'est bien plutôt vous, qui par votre mutisme d'ensemble, à peine transgressé par quelques-uns, toujours les mêmes, Rony Brauman, Esther Benbassa, Eyal Sivan..., et par une initiative plus collective à laquelle j'ai donné l'écho que je pouvais lui donner, paraissez réagir, ou plutôt ne pas réagir, en groupe. Ceci est d'autant plus vrai que ceux qui se targuent de vous représenter, les gens du CRIF, se sont, eux, alignés avec une impressionnante vélocité sur la politique israélienne, et que votre silence peut très logiquement passer pour un assentiment - qui ne dit mot consent. Il ne s'agira donc pas tant ici de vous dire quoi faire que de tenter de vous communiquer ma conviction, à savoir que d'autres que moi vous ont déjà placés dans l'alternative, inconfortable peut-être mais claire : vous taire et leur donner quitus, ou vous exprimer avec netteté.

Par ailleurs, il est un point qu'il faut clarifier avant toute possibilité de discussion. J'ai hélas maintes fois eu l'occasion de le constater, certains des plus fins et des plus rationalistes d'entre vous ont tendance à perdre beaucoup de leur finesse et de leur rationalisme dès que la discussion porte sur Israël. Je peux me faire une idée plus ou moins précise des ressorts psychologiques et affectifs de ces attitudes, je ne peux me permettre, ici, de les prendre en considération. La souffrance passée ne donne aucun droit sur le présent - pas plus à M. Dieudonné qu'à vous, dois-je le préciser. L'affectivité est un paramètre à prendre en compte par l'homme politique, elle n'est pas un argument politique, surtout lorsque l'on se fait gloire d'être démocrate. Et il serait désolant que la conscience d'être les héritiers d'une histoire difficile et parfois - pas toujours - tragique ne vienne paradoxalement nourrir les tendances religieuses, ou fétichistes, qui de plus en plus sous-tendent le sentiment occidental de supériorité par rapport au reste du monde (tendances religieuses d'autant plus grotesques que l'on fait dans le même temps l'éloge de la rationalité de l'Occident pour justifier ladite "supériorité").

Pour le dire autrement : ce qui suit se veut dialogue, ceux qui ne voient les problèmes actuels que sous un angle sentimental peuvent donc s'épargner la peine de me lire.

Chers compatriotes juifs, ceci étant mis au point, il est temps d'entrer, avec la détermination d'une roquette dans un habitant de Haiffa ou d'une bombe dans un enfant de Cana, il est permis d'entrer, disais-je, dans le vif du sujet.

Pour mettre les plus "radicaux" d'entre vous à l'aise, non seulement je ne m'embarrasserai guère de concepts géopolitiques, mais je leur accorderai tout ce qu'ils veulent et plus encore : j'accepterai que le Hezbollah, le Hamas, la Syrie, l'Iran, veulent avant tout la destruction d'Israël. J'accepterai que le Liban ne fait aucun effort pour entraver l'action du Hezbollah alors qu'il aurait tous moyens pour le faire. J'accepterai l'idée que ce dernier n'attendait qu'une occasion de ce genre pour lancer ses roquettes (ou ses missiles, comme M. Bernard-Henri Soljenitsyne-Malraux-Baudelaire-Sartre-Tocqueville-Delon-Dombasle-Lévy tient à le préciser, admettons, je n'y connais rien) sur le nord d'Israël. J'accepterai qu'Israël est une démocratie, ce qui est bien plus sympathique sans doute que des régimes islamiques fondamentalistes qui, une fois qu'ils auront réglé leur compte à l'état juif, continueront leur oeuvre de propagation de la charia et de destruction de l'Occident, utilisant alternativement pour ce faire les armes du misérabilisme et du terrorisme.

De plus, je ne crois pas idéaliser d'aucune façon les populations arabes ni les régimes qu'elles supportent de plus ou moins bon gré. Je suis pleinement conscient que tous les problèmes du monde, et notamment de la France, ne tournent pas autour du Moyen-Orient. J'accorde que le traitement des événements actuels par la télévision n'est pas d'une grande équité, ou tout au moins que précisément dans le registre de l'affectivité il ne penche pas en votre faveur, je conçois que cela puisse mettre mal à l'aise beaucoup d'entre vous (d'autant que l'ordre doit venir d'en haut). Enfin, je suis le premier à considérer que s'émouvoir des images de cadavres d'enfants, pour spontané et normal que cela puisse être, ne fait pas avancer d'un pouce la réflexion sur les problèmes politiques qui sont la cause de tels assassinats [1].

Tout cela donc, pour les besoins de ma démonstration ou par conviction réelle, je vous l'accorde. Votre silence actuel ne m'en apparaît pas moins désolant, décevant, déplorable.

J'imagine que la plupart d'entre vous sont juifs, français, occidentaux, de la même manière que je suis-moi-même français et occidental : vous avez hérité, nous avons hérité d'une histoire que nous n'avons pas faite, pleine de bruit et de fureur, mais aussi de beauté et de grandeur, que nous devons assumer - ce qui ne veut certes pas dire y penser à tout moment ou ne se déterminer qu'en fonction d'elle. A chacun de se débrouiller avec cela, en fonction de ses valeurs, de son humeur du moment, de l'état du pays, de l'état du monde, etc. Seulement, lorsque j'entends des dirigeants israéliens parler en mon nom et proclamer que ce que fait leur pays, à Gaza et au Liban, il le fait pour moi et pour les valeurs occidentales [2], il me semble normal de marquer nettement mon désaccord sur ce point précis. Ce pourquoi je reste confondu que lorsque Israël prétend agir en votre nom - en tant qu'occidentaux et en tant que juifs - vous soyez si peu nombreux à lui refuser ce droit, au moins en ce moment.

Car même en cédant à certains d'entre vous ce que je leur ai cédé, cela ne change rien à ce fait capital : quelque dangereux que soit le Hezbollah, quelque imprévisibles que puissent être les Palestiniens, quelque haineux que puissent être l'Iran et la Syrie, etc., Israël reste, à l'heure actuelle, nettement plus puissant que tous ces adversaires. En organisation, en armes (notamment atomique), en soutien (l'Iran ne vaut pas les Etat-Unis, que je sache), Israël dispose encore de bonnes longueurs d'avance sur ses rivaux régionaux.

Il y a alors trois possibilités :

- soit Israël va garder cette avance encore longtemps - et dans ce cas, comment justifier son attitude actuelle, sinon par la haine, la sauvagerie, l'inconscience, le racisme ? Et pourquoi laissez-vous alors accomplir de tels crimes en votre nom ? Que faudrait-il en conclure sur vous-mêmes ? -

"Vous qui, depuis le temps, devriez être des maîtres, vous avez encore besoin qu'on vous enseigne les premiers rudiments des oracles de Dieu. Vous en êtes à avoir besoin de lait et non de nourriture solide. / Or quiconque en est au lait n'entend rien à la parole de justice, il n'est qu'un enfant. / Mais la nourriture solide est pour les parfaits qui, à force d'exercer leurs facultés, savent discerner le bien et le mal." (Hébreux, V, 12-14.)

- soit Israël est destiné à perdre cette avance très rapidement. Son comportement actuel est alors irresponsable, immature, au mieux désespéré et crétin : pourquoi lutter de cette manière contre une évolution à court terme au moins irréversible, alors qu'Israël ne serait plus que pour quelque temps en position de force et aurait intérêt à négocier aussi vite que possible ? -

"Et, selon la loi, presque tout est purifié par le sang, il n'y a pas de rémission sans effusion de sang." (IX, 22.) ?

- soit, enfin, configuration la plus complexe, devant des adversaires supposés ici, je le rappelle, sanguinaires, machiavéliques, jusqu'au-boutistes, etc., Israël ne pouvait conserver sa supériorité qu'en agissant comme il le fait actuellement. Même avec la meilleure volonté du monde, je ne vois pas comment cet argument peut valoir pour les habitants de Gaza, qui n'ont pas été aussi faibles depuis longtemps. En ce qui concerne le Hezbollah, il me semble, à l'heure où j'écris, que les résultats sur le terrain non seulement ne sont pas à la hauteur de ce qui serait alors le but poursuivi, mais sont mêmes à certains égard contre-productifs. Peut-être pensez-vous dans votre écrasante majorité qu'Israël se trouve dans cette situation, peut-être attendez-vous de voir un peu la suite des événements pour juger de la véracité de cette idée. Bigre, entre le RER D, l'incendie de la rue Popincourt et même l'assassinat de M. Halimi [3], il me semble que ces dernières années vous ne vous êtes pas tous montrés aussi précautionneux et prudents. Sans doute faudrait-il voir là un progrès. Encore devrait-on m'expliquer en quoi cette prudence concerne ce qui se passe à Gaza. -

"Car nous savons qui a dit : A moi la vengeance, à moi les représailles, et encore : Le Seigneur jugera son peuple." (X, 30.)

Autant dire que, pour chacune des trois possibilités évoquées, votre silence vaut assentiment à des actes aussi moralement répréhensibles que politiquement contre-productifs. Et ceci dans un cadre conceptuel même où les Arabes sont extrémistes, fanatiques, sans pitié, etc., et Israël un régime enviable, mature et sain, tête de la pont de la démocratie libérale dans une région du monde arriérée. Que penser alors de ce mutisme si l'on adopte des postulats de départ moins favorables à Israël ? Je vous laisse conclure [4].

Ceci fait je vous rassure : dans la France d'aujourd'hui, l'indifférence envers les autres est un tort bien partagé. Qui plus est, en plein mois d'août, vous n'êtes certes pas les seuls porcs étalés sur les plages à ne se soucier de rien d'autre que leur bien-être - les vacances rendent con, ce n'est pas un scoop. Mais la situation est telle que l'on en vient à ne plus respecter que ceux d'entre vous qui sont partis en Israël se battre contre l'envahisseur, même si on ne partage rien ou pas grand-chose de leur analyse.



Chers compatriotes juifs,

si cette petite leçon de morale vous énerve, je concluerai en faisant appel à votre égoïsme. Il se peut, je ne suis pas sûr, mais il se peut que je ne vous aurais pas écrit ainsi sans la prise de position du CRIF évoquée plus haut. Je rappelle d'ailleurs que dans un texte récent j'adoptais sur ce problème du rapport des juifs français aux méfaits d'Israël une position modérée et indulgente - je ne m'attendais certes pas à une telle atonie de votre part. Bref, pour reprendre le fil de mon propos, si ceux d'entre vous qui ne partagent pas le point de vue du CRIF ne le font pas savoir, comment ne pas en déduire votre accord ? Comment alors ne pas craindre que des gens pour qui les problèmes du Moyen-Orient revêtent une signification forte - exagérée ou non, ce n'est pas le problème - ne croient de leur devoir de vous reprocher vertement, voire physiquement, cet accord présumé, dans une variation sur le thème de la punition collective que l'état d'Israël s'ingénie aujourd'hui à mettre en pratique ? Ceci peut paraître une menace, c'est surtout une inquiétude, pour vous comme pour mon pays. -

"Attention à ne pas refuser celui qui parle." (XII, 25.)

Le CRIF pourra alors pleurer, récriminer, radoter, glavioter, c'est son rôle, mais comme à l'accoutumée ce ne sont sans doute pas ses dignitaires qui paieront eux-mêmes les pots cassés de leur arrogance, de leur agressivité et de leur stupidité. Ceci bien sûr sans souhaiter que quelqu'un s'en prenne à Roger "Goebbels mon amour" Cukierman. Ou à Alain "La suffisance vaine" Finkielkraut. Ni même à Arno "Gay, Gay, Tsahal Gay" Klarsfeld (qui d'ailleurs, comme moi, est goy). Quoi qu'il en soit, est-ce que le contexte ne se prête pas à des actions un peu novatrices, qui changeraient opportunément de la répartition des rôles habituelle en France (le CRIF, l'Arche, Adler et Finkielkraut d'un côté, La fabrique, Brauman et Warschawski de l'autre, pour schématiser) en faisant entendre la parole d'anonymes ? Si le texte de l'UPJF signalé plus haut comporte des aspects qui vous gênent (moi aussi), pourquoi ne pas envisager une pétition circulant sur Internet, lapidaire et ferme : "Je suis juif et français, je récuse à Israël le droit d'exercer sa politique actuelle en mon nom". (La question n'est pas d'être pour ou contre Israël, mais d'être pour ou contre sa politique actuelle : le "tout ou rien" est ici, pas ailleurs.) Sans entrer dans le détail de la géopolitique, sans surtout prétendre représenter quelqu'un d'autre que soi-même. Clair, net et précis. Ce n'est quand même comme se faire rouler dessus par un bulldozer israélien !

"Souvenez-vous des prisonniers, comme si vous étiez en prison avec eux, et des maltraités, vous qui avez un corps aussi." (XIII, 3).

Peut-être n'est-il pas tout à fait inutile de préciser, pour finir, que je ne prétends pas, quant à moi, faire plus contre la politique israélienne, ou, dans d'autres cas, la politique française, que ce que j'aimerais que vous fassiez aujourd'hui.

De toutes les façons, si, comme j'ai souvent pu lire, et cela doit bien être au moins un peu vrai, le judaïsme fut "l'invention de la responsabilité", j'ai peine à imaginer que vous puissiez avoir le mauvais goût de fuir lesdites responsabilités en les rejetant sur celui qui a cru nécessaire de vous les rappeler.


"La grâce soit avec vous tous." (XIII, 25).











[1] En ce point il serait regrettable de ne pas exprimer l'étonnement que l'on ressent à entendre l'arriviste raté Goupil, toujours plus haut dans les cimes de sa propre bêtise, ou à lire Claude "Shoah ®" Lanzmann (Le monde, 4 août), jamais en reste de mauvaise foi arrogante, mettre sur le compte de stéréotypes antisémites (notamment le Juif tueur ou mangeur d'enfants pour Goupil) l'indignation ressentie en France (et ailleurs) devant les images du bombardement de Cana. Cela fait à n'en pas douter une belle jambe aux enfants libanais récemment tués ou mutilés d'apprendre que depuis des siècles de méchants Européens accusent les Juifs de tuer des enfants. A trop insister sur l'éternité du stéréotype, on pousse ceux qui constatent la véracité des assassinats actuels à en inférer la véracité d'assassinats passés - comment mieux nourrir les clichés antisémites ?

(Pour ce qui est du sobriquet que je viens d'accoler au démesuré directeur des Temps modernes, cf. E. Traverso, Le passé, modes d'emploi, La Fabrique, 2005, pp. 69-71).


[2] Cf. par exemple le socialo-hystérique E. Olmert, Le Monde, 4 août : "Une chose est sûre. Des mouvements terroristes, fondamentalistes, extrémistes, violents, cherchent à détruire les bases de la civilisation occidentale. Le monde civilisé est attaqué par des organisations terroristes qui sont manipulées par certains pays. / Israël est en train de créer un précédent, de fournir un exemple pour beaucoup d'autres sociétés. Israël a décidé de dire : "Assez, c'est assez !" Si le Hezbollah pense qu'il y a des endroits où nous n'irons pas, il a tort. Nous pouvons aller n'importe où."



[3] Dans ce dernier cas, rappelons que les arguments paraissant les plus probants quant au caractère antisémite de cet enlèvement et de ce meurtre ont été rendus publics après les manifestations auxquels ils ont donné lieu. Ajoutons, sans mauvais esprit mais par respect de la légalité républicaine, celle-là même qui importe tant à certains d'entre vous quand il s'agit de se mêler des coiffures des femmes des autres, mais que certains parmi vous ont tendance à oublier quand il s'agit de critiquer par anticipation le travail de la police - ou de poignarder un commissaire en plein Paris -, ajoutons, disais-je, que la justice n'a encore rendu aucun verdict sur cette affaire.


[4] Je n'ai pas discuté la notion de boucliers humains, argument fréquemment utilisé par Israël pour expliquer les morts de civils. Encore une fois, on ne peut invoquer Gaza, aujourd'hui, à ce niveau. Il faudrait par ailleurs expliquer pourquoi certains acceptent de jouer les boucliers humains, et pourquoi plus de 800 000 autres suivent les routes de l'exode. Mais ceci ne peut se faire sans une bonne connaissance de la situation politique du Liban, que je ne me targue pas de posséder. Le seul document que je puisse recommander sur le sujet fait apparaître des complexités bien au-delà de la problématique du bouclier humain et de la "prise en otage du Liban par le Hezbollah".

Parallèlement, il y a la question du respect de la vie de ses propres combattants dans les deux camps, plus grand chez les Israéliens peut-être - mais ne pourrait-on pas en conclure que leurs adversaires sont plus courageux ? Je lis en tout cas que les jeunes soldats israéliens n'en mènent pas large en se rendant au Liban, ce que je ne leur reprocherais bien sûr pas. Il importe en tout cas de rappeler qu'il faut que certains critères soient réunis pour pouvoir se permettre une stratégie économe en vies humaines (pour ses propres soldats). En d'autres termes : c'est toujours facile de donner des leçons quand on est le plus fort.




(Ajout le 7.08.)

Rezo renvoie à une prise de position de l'UJFP, nettement antérieure à ce texte, mais manifestement de peu de portée, d'autant que le projet, que j'ai précédemment relayé, d'un achat de pages dans les quotidiens, n'a guère l'air d'avancer - le CRIF, lui, n'a pas eu de mal à trouver de l'argent pour ce faire. Juifs, encore un effort pour être concernés...

Relisant avant de l'archiver le texte de Claude "La Shoah, c'est moi" Lanzmann dans Le Monde du 4 août, je me trouve bien indulgent face à un tel ramassis de contre-vérités, approximations, délires, affirmation cynique de privilèges aristocratiques. On peut avoir été résistant à vingt ans

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et écrire les pires conneries à quatre-vingts, "c'est immoral mais c'est comme ça". Malheureusement, le temps comme la vocation me manquent pour le démontrer, j'insiste sur le sujet à l'adresse de ceux qui ont lu ce texte, qu'ils y voient un beau spécimen de propagande stalinienne. Il doit y avoir des gens qui lisent encore Les temps modernes, puisque cette revue paraît encore, mais sur un tel échantillon de la prose de son directeur, on est pour le moins circonspect quant à ce qui peut y être publié. Ach, s'il fallait régler leurs comptes à tous les cons... "Vaste programme", comme disait l'autre.


(Vingt minutes après.) Je passe chez DeDefensa et j'y lis qu'un chercheur qui a enquêté sur les auteurs d'attentats-suicide y confirme ce que j'écrivais il y a dix jours des combattants du Hezbollah : la plupart ne sont pas des religieux. Attention non plus à ne pas verser dans l'athéisme militant, mais tout de même, l'image du fou furieux de Dieu en prend un sacré coup. C'est ce que j'écrivais sur les banlieues : ce n'est pas de la religion pure, c'est une présence de la religion qui permet de ne pas oublier la communauté.

(Encore un peu après). Ça n'a rien à voir et ça a beaucoup à voir... Ce n'est pas parce qu'un commentaire indique que l'on m'y lit que je ne vais pas faire le lien vers ce site, en insistant au passage sur ceci. Bonne continuation j'espère !

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