vendredi 11 août 2006

Education anglaise ?

Max Weber, notamment dans La profession et la vocation de politique, a écrit quelques pages célèbres, mélancoliques, justes et un rien sentencieuses, sur l'activité de "l'homme politique authentique dans le contexte de la modernité". Voici le résumé qu'en dresse Pierre Bouretz (Les promesses du monde. Philosophie de Max Weber, Gallimard, 1996, p. 278) :

"Ayant à affronter le besoin d'un appareil humain au service de ses propres aspirations, il devra mobiliser tous les moyens disponibles en vue d'une fin unique : "Procurer, de façon durable, toutes ces récompenses aux partisans dont il ne peut se passer, qu'il s'agisse de la garde rouge, des mouchards ou des agitateurs." En ce sens, il devra se souvenir que ses convictions personnelles ne servent en réalité qu'à "justifier moralement les désirs de vengeance, de pouvoir, de butin et de prébendes". En élève de Machiavel, il lui faudra savoir manipuler la reconnaissance et la menace, créer le besoin et inspirer le respect, tenir ses disciples par le charisme et par la crainte. Puis se faisant nietzschéen, il prendra la mesure des puissances du ressentiment, de la haine sociale et du désir de gloire, afin de forger un instrument pour lequel la conquête du pouvoir est une affaire vitale. S'agissant des motifs plus intimes de son engagement, c'est avec Nietzsche encore qu'il vivra la politique en vertu de ce qu'elle procure : "d'abord le sentiment de la puissance". Puis un moyen de s'arracher à la banalité de la vie quotidienne, en s'élevant au rang de ceux qui participent à l'histoire. Une manière enfin de "maintenir à distance les hommes et les choses", pour préserver une liberté que le monde moderne a enfermée dans des structures vides de sens. A la condition toutefois de se remémorer une dernière fois le précepte machiavélien qui veut que la politique toujours retienne ceux "qui ont préféré la grandeur de leur cité au salut de leur âme" [Machiavel]."

Entre autres choses, on peut reprocher à cette conception, sous prétexte que les "convictions personnelles" de l'homme politique soient à coup sûr bassement utilisées par ses sous-fifres, de disjoindre complètement lesdites convictions du "sentiment de la puissance" éprouvé lorsque l'on "participe à l'histoire". On pourrait au contraire répondre que l'homme politique vraiment authentique est celui qui parvient, malgré toutes les déceptions et effets inattendus de ses actions que Weber décrit à juste titre ailleurs, à concilier ce plaisir personnel à l'accomplissement partiel de ses convictions profondes. De Gaulle en reste un bon exemple. L'auteur d'Economie et société (ouvrage toujours introuvable en français, sinon dans une traduction lacunaire et paraît-il jonchée d'erreurs) afficherait ici à bon compte une lucidité pessimiste surtout gratifiante pour son ego.

Mais là n'est pas mon propos du jour. En lisant ce tableau, certes perfectible mais tout de même assez réaliste, je me disais que ce devait être assez amusant d'être homme politique israélien en ce moment : on a le "sentiment de la puissance", la possibilité de "maintenir à distance les hommes et les choses", tout ceci sans ou presque sans les contraintes bassement matérielles de la gestion politicienne des "mouchards", "agitateurs", de la "vengeance", des "prébendes", etc. - on comprend que ces hommes-là prennent leur pied à faire la guerre, quand personne ne leur tape sur les doigts, quand ils peuvent se permettre de dire à l'ONU (ah, le "machin" !) ce qu'elle doit faire, et ceci en étant un aussi petit pays (car il faut retourner l'argument de Lanzmann et consorts sur le petit Israël : c'est d'autant plus jouissif de casser la gueule aux autres lorsqu'on est plus petit qu'eux). Si l'on ajoute le sentiment de revanche qui doit habiter plus ou moins sincèrement ces gars-là par rapport à l'histoire des juifs et des répressions et vexations dont ils ont été l'objet, on se dit qu'en ce moment ce doit être amusant et gratifiant pour l'ego d'être dirigeant israélien : au moins on prend son pied ! Autre chose qu'un vulgaire politicien...

Evidemment, tout cela, pour faire cette fois-ci appel à l'Antiquité païenne, n'est rien d'autre que de l'ubris, que ces gens-là peut-être (j'espère), et leur peuple certainement, finiront par payer un jour. Et bien qu'Israël soit une démocratie, et que dans ce contexte, dois-je me répéter, ce serait bien fait pour la gueule dudit peuple, on ne peut s'empêcher de voir là, par anticipation peut-être fautive, un beau gâchis impulsé par de grands enfants irresponsables. - Et c'est encore la poule et l'oeuf : personne ne remet ces sales garnements autosatisfaits et entièrement gouvernés par le principe de plaisir, à leur place - le piquet. (Le poteau ?)




P.S. : Je lis dans La croix en date du 9 août, sous la plume d'Alfred Grosser, que Pierre Vidal-Naquet, juste avant de passer, avait, en compagnie de Stéphane Hessel, "condamné avec fermeté l'action présente d'Israël au Liban et son attitude permanente à l'égard des Palestiniens, notamment à Gaza". Vidal-Naquet a pu m'énerver par sa façon de jouer les preux chevaliers anti-négationnistes (ça ne mange pas de pain), mais dans le contexte actuel ne chipotons pas trop, et ajoutons-le, avec Stéphane Hessel, au nombre des juifs qui ont pris la peine de s'opposer à la politique israélienne actuelle. Un par un, petit à petit...

Libellés : , , , , , , , ,