jeudi 17 août 2006

Sociologies. (Ajouts le 18 et le 21.08.)

(Ajouts.)



Deux textes en un aujourd'hui... J'avais mis le premier en ligne ce matin, mais il aborde les mêmes thèmes que le second, dont la taille aurait pu le faire passer inaperçu. Je les juxtapose donc, la séparation entre eux est assez claire. Je prie l'auteur du commentaire laissé dans la journée de me pardonner mon incivilité.



SOCIOLOGIE CONTRE-REVOLUTIONNAIRE.


Je trouve dans le livre de R. Nisbet, La tradition sociologique, cette phrase de Tönnies, le fondateur (1887) de la cardinale division sociologique entre Gemeinschaft (communauté, sous-entendu communauté organique traditionnelle) et Gesellschaft (société, sous-entendu société traditionnelle fondée sur des contrats entre individus) :

"La théorie de la Gesellschaft porte sur la constitution artificielle d'un groupe d'êtres humains qui ressemble à la Gemeinschaft dans la mesure où les individus qui la composent cohabitent en paix. Cependant, par essence, la Gemeinschaft les unit malgré tout ce qui peut les séparer, tandis que la Gesellschaft les sépare malgré tout ce qui peut les unir." (PUF, "Quadrige", p. 102).

Chiasme que Nisbet s'empresse de rapprocher de celui de Bonald (1818) :

"L'agriculture qui disperse les hommes dans les campagnes, les unit sans les rapprocher" , tandis que "le commerce qui les entasse dans les villes, les rapproche sans les unir."

(Ce qui montre bien, au passage, pourquoi le retour de citadins à la campagne, dans le contexte actuel, n'a d'autre intérêt que de repeupler un peu certains paysages et de désengorger d'autant certaines viles. Pour le reste, ce n'est pas un "retour" à quoi que ce soit.)


Et tant que nous y sommes, toujours trouvé chez Nisbet, citons le conservateur britannique Robert Southey, lequel écrivait en 1816 :

"Pour mauvaise qu'ait été l'époque féodale, elle portait pourtant moins préjudice à ce qu'il y a de bienveillant et de généreux dans la nature humaine que l'époque présente, toute dominée par le commerce." (p. 42)

Phrase que l'on peut évidemment rapprocher de certains "chocs de civilisations" contemporains - à condition de garder en tête la distinction opérée ici. Et cela prouve bien une fois de plus que cela fait deux siècles que nous nous débattons dans les mêmes problèmes - sont-ils donc insolubles ?





SOCIOLOGIE DE LA MODERNITE.


Annexe.



Il y a plusieurs manières de rendre compte du livre de Pierre Bouretz, Les promesses du monde. Philosophie de Max Weber (Gallimard, 1996).

9782070742509


On peut décrire par le menu ses analyses, ce que, étant donnée la richesse de son contenu, je ne ferai pas. On peut résumer et critiquer sa thèse principale, ce que j'ai déjà fait en grande partie, mais que je clarifierai ici. On peut enfin varier les points de vue et les angles d'approche, ce qui sera ma manière de faire, d'autant plus justifiée que, d'une part, j'ai rencontré dans ce livre nombre de mes préoccupations habituelles, d'autre part l'on se trouve ici devant deux livres pour le prix d'un : une synthèse de la pensée de Max Weber (les deux premières parties), et une discussion critique de cette pensée (troisième partie).

(Une précision. Weber est un auteur difficile à lire, dont l'oeuvre qui plus est n'est que très partiellement (et parfois, paraît-il, mal) traduite. C'est pourquoi il n'est pas illogique de s'en remettre, au moins dans un premier temps, à des auteurs crédibles et qui l'ont beaucoup pratiqué. Quoi que l'on pense de son approche, Pierre Bouretz fait de plus, de toute évidence, un réel effort d'objectivité. Mais il va de soi que certains des jugements exprimés dans ce qui suit pourront être révisés lorsque j'aurai accès à plus de textes en français... dans quelques années donc ! Mais ici comme ailleurs il s'agit moins de ne pas trahir du tout un auteur mort, que de voir ce que l'on peut encore en faire aujourd'hui.)


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Retraçons le mouvement d'ensemble du livre comme de la pensée de Weber. Dans la plupart des domaines qu'il a abordés - la religion, le droit, l'esprit du capitalisme et son expansion, la politique, la ville, et même la musique -, Weber est parvenu à un schéma d'ensemble à peu près analogue : une évolution de l'Occident (et en premier lieu de l'Europe) vers la rationalité, qui dans le même temps aboutit à un désenchantement, désenchantement pourrait-on dire à double détente :

- par définition : la rationalité, des grandes religions universelles, puis de la science moderne, supprime les puissances magiques qui autrefois habitaient le monde et le rendaient enchanté. Je résume plusieurs siècles en une phrase, mais l'évolution d'ensemble est celle-ci. Précisons en passant que selon Jean-Pierre Grossein, traducteur actuel de Weber, il vaudrait mieux parler de "démagification" que de "désenchantement" ;

- par contrecoup : les puissances rationnelles modernes d'une part ne viennent pas remplir le vide qu'elles ont installé, d'autre part ne tiennent pas toutes leurs promesses : l'esprit du capitalisme, profondément religieux et tourné vers le salut à l'origine, laisse la place à la "cage d'acier" du capitalisme actuel (N.B. : d'après Grossein : "carapace d'acier") ; la rationalisation du droit vers un plus grand formalisme donne (ou devrait donner, cf. infra) une justice automatique et sans âme ; les grandes religions de salut laissent la place à une absence de sens...

Il y a une troisième étape, sur laquelle les commentateurs de Weber (Raymond Aron d'un côté, Leo Strauss de l'autre, pour schématiser) se disputent pour savoir s'il l'a vraiment ou non franchie : le désenchantement de Weber lui-même dirais-je, à savoir :

- l'idée que la boucle est bouclée, et que finalement le monde moderne aboutit à "la guerre des dieux", c'est-à-dire que l'absence de sens au monde ramène au temps du polythéisme, à un affrontement des valeurs, entre ce que je pense et ce qu'un autre pense, sans que ni lui ni moi ne puissions appuyer notre choix sur une base rationnelle, sur autre chose que lui-même. C'est une sorte d'état de nature à la Hobbes, mais civilisé, pour l'instant, par les structures de pacification des conflits mises en place par la modernité.

Grosso modo, ce qui partage les spécialistes de Weber à ce sujet n'est pas ce qu'il a réellement pensé et écrit, qui est assez clair, mais de savoir à quel point l'on peut dissocier ces méditations, souvent (mais pas seulement) tardives, et le reste de son oeuvre. Aron fait plus cette dissociation que Strauss (et Bouretz).

Mais avant d'aborder ce problème, une limitation d'importance : je laisserai complètement de côté dans ce texte la première étape du diagnostic de Weber. Il s'en faut qu'il me convainque complètement, mais une discussion de ce point prendrait trop de place, chaque chose en son temps. Et puisque nous en sommes à ces précisions, ajoutons que ne seront pas non plus étudiées pour elle-mêmes les questions de la rationalisation de la politique, trop liée sans doute à ce que l'on pense de la première étape, ni de l'individualisme méthodologique, déjà brièvement abordée en mai dernier, et qui n'est pas du tout le thème central du livre de P. Bouretz.

Revenons donc aux deuxième et troisième étapes. Si cette dernière pose problème aux spécialistes c'est précisément parce qu'elle est liée à la précédente dans une mesure difficile à déterminer. Attardons-nous donc quelques instants sur cette deuxième étape. L'habitué de ce café n'aura pas manqué de retrouver dans le diagnostic wébérien une tournure d'esprit dont il me semble désormais comprendre, Dumont et Nisbet à l'appui, qu'elle n'est pas seulement fondatrice de la sociologie, mais tout simplement de la modernité. Autrement dit, il est inutile de reprocher à la modernité d'être hésitante, bancale, mal en point : elle l'est par définition. On peut le formuler de plusieurs façons :

- "anthropologique", avec l'aide de Dumont : une société (Tönnies parlerait ici de Gemeinschaft) est par définition un tout qui lie ses éléments entre eux. La meilleure façon, ou en tout cas la plus simple et la plus cohérente, de les lier, est de les hiérarchiser. La modernité est précisément ce refus de les hiérarchiser. Depuis, il s'agit de retrouver l'unité du tout. Personne ne peut dire que c'est impossible, mais ce n'a encore jamais été vraiment fait ;

- "économique", en prenant pour symbole l'affrontement, durant l'un des épisodes les plus fameux de l'avènement de la modernité, la Révolution française, entre Girondins et Montagnards. Il fut vite clair que le mouvement d'ensemble amplifié par la Révolution laissait libre cours à cet aspect ("collatéral ?") de la modernité qui a nom capitalisme, ce qui, sans préjudice d'exceptions, ne troublait pas beaucoup les Girondins, quand des gens comme Robespierre cherchèrent immédiatement à mettre en place des digues, des limites contre l'expansion du capitalisme qu'ils avaient eux-mêmes, via la suppression des corporations et l'abolition de l'esclavage, encouragée ;

- "philosophique" : la plupart des philosophes de l'individualisme, Durkheim puis Dumont l'ont remarqué, ont fini par réintroduire la notion de collectivité, plus ou moins subrepticement : ils en avaient besoin. Un "anti-philosophe" "individualiste méthodologique" auto-proclamé comme Weber y est aussi ramené.

Mais ne revenons pas tout de suite à Weber, restons sur notre idée de modernité par définition bancale, pour donner quelques exemples de tentatives de "réunification" : l'idée de Nation, le rôle de l'école républicaine ; et de mise en place de limites au capitalisme : l'Etat-providence, bien sûr. Ce qui signifie, faut-il le préciser, que cette fragilité constitutive de la modernité ne signifie pas qu'elle est à tous moments invivable et fragile : elle est plus ou moins, globalement, viable et stable selon les moments et les circonstances. Peut-être un jour ira-t-elle jusqu'au bout de sa "mission historique" et se consolidera-t-elle définitivement (ou presque...). Peut-être est-elle au contraire complètement à bout de souffle et va-t-elle laisser sous peu la place à une autre séquence. Mais il paraît prématuré de l'inférer à partir de son (indéniable) malaise actuel, lequel ne me semble donc, enfonçons le clou, en rien nouveau. (Je m'oppose donc sur ce point, et bien que je n'aie pas encore pris le temps de lire son manifeste le plus récent, aux idées de la Nouvelle droite sur le sujet.)

On trouve au moins deux thèses à l'appui de cette idée dans le Weber décrit par Bouretz. Par exemple dans le domaine du droit (je souligne) :

"Le fait que la standardisation de la vie juridique accompagne et renforce les phénomènes de réification des relations sociales déjà manifestes dans les sphères de l'économie ou de la politique est maintenant acquis [deuxième étape]. Reste à saisir la place de ce processus dans l'univers démocratique étant entendu qu'en ses grandes tendances la rationalisation du droit par le formalisme abstrait et la modernisation des sociétés occidentales marchent main dans la main. Apparaît alors l'ambivalence fondamentale de la démocratie face au couple que forment la bureaucratisation de la justice et la juridification des relations sociales. On pourrait imaginer en effet que deux logiques soient possibles : celle d'une attente d'uniformisation des liens juridiques conforme aux idéaux d'égalité ou celle d'une révolte contre la perte de sens induite par l'objectivation du droit dans la perspective de l'individualisme. Or Weber insiste surtout sur l'entrecroisement de ces deux attitudes en cherchant à montrer qu'elles procèdent d'une même aspiration, révélant ensemble la connivence qu'entretiennent la société démocratique et les passions irrationnelles dans le monde de l'action." (pp. 336-337)

Il me semble que les évolutions actuelles du droit, cette espèce de va-et-vient permanent d'une part entre une demande de loi ("l'envie du pénal" de Muray) et un désespoir devant la complexité juridique de la moindre action de la vie quotidienne, d'autre part entre les revendications catégorielles et l'exigence de justice globale, ces deux tensions interférant qui plus est l'une avec l'autre, va pleinement dans le sens du diagnostic wébérien - et, au passage, de ma description de la modernité.

La seconde thèse que je voudrais évoquer est nettement plus délicate, et je ne vais pas vraiment la discuter en elle-même. Je vais néanmoins la citer longuement, parce qu'elle pose d'importants problèmes, qu'elle est tout à fait caractéristique de la démarche de Weber, et qu'elle nous fournit une parfaite transition vers la discussion du lien entre les deuxième et troisième étape évoquées plus haut :

"Ainsi décrite [par Weber], la forme calviniste de la doctrine puritaine représente sans aucun doute l'expression la plus achevée d'une religiosité désenchantée. Au sens technique du terme bien sûr, pour autant qu'il désigne cette trajectoire de l'histoire des religions qui éloigne de la magie ["démagification"], qui pousse à l'intériorisation de la croyance et à la rationalisation des sacrements ou des techniques de salut [première étape]. Rejetant avec mépris toutes les institutions et toutes les pratiques "magico-sacramentelles", éliminant la plupart des rites, traquant les superstitions, elle affirme magistralement la transcendance de Dieu et poursuit ainsi à son terme le procès ouvert par la révélation des prophètes [dont Weber fait le point de départ du processus de rationalisation]. Mais cette forme du puritanisme porte aussi le désenchantement selon cet autre sens [deuxième étape] qui explore chez Max Weber les composantes d'une modernité paradoxale dès l'instant de sa naissance. Soulignant le contraste entre la redoutable austérité de cette conception qui va "éliminer toute possibilité d'une culture des sens" et celle qui sera portée par la philosophie des Lumières, il y trouve la racine d'une "individualisme pessimiste, sans illusion" qui caractériserait cette part de l'humanité contemporaine passée par l'expérience puritaine. Comme s'il identifiait ici les deux sources de la modernité. L'une, riante et joyeuse, confiante en l'homme, portée par l'idéal de la liberté et le projet de l'émancipation. L'autre, sévère et grave, nourrie d'un pessimisme foncier sur l'homme et d'un sentiment puissant de la finitude. Mais comme s'il indiquait aussitôt que leurs destins sont communs, scellés dans une double connivence. Celle qui fait de l'une et de l'autre des expressions de ce qui s'apparente à une religion de la fin du religieux, faisant signe soit vers le recyclage laïc des attentes de salut dans les idéaux de progrès et d'humanité, soit vers une pure intellectualisation du principe divin. Mais celle encore qui reconduirait au dernier sens du désenchantement [deuxième étape], lorsqu'il doit apparaître que l'esprit enthousiaste des Lumières tout comme l'austère inquiétude du puritanisme sont vouées à se perdre, pour céder la place à ce qu'ils ont contribué à créer : un monde où triomphe une technique rationnelle mais dénuée de toute spiritualité." (p. 225)

Lecteur de Dumont, on serait fondé à penser que Weber a raison et que l'individualisme moderne relie ces deux conceptions. Cela n'empêche pas de se poser la question de savoir jusqu'à quel point on peut les relier et les séparer. De fait, le raisonnement résumé ici n'est pas totalement clair ni argumenté, sans que l'on sache bien s'il faut attribuer cette carence à Weber lui-même, ou à Pierre Bouretz, qui justement n'est pas convaincu, à tort ou à raison, par cet amalgame.

De fait, l'important pour nous n'est pas tant de résoudre cette question que de montrer qu'on la retrouve d'un point de vue plus général, dans le diagnostic de Weber sur la modernité. Résumons les termes du problème : dans quelle mesure peut-on considérer que la perte de sens du monde moderne (deuxième étape) conduit à une position de type nietzschéen, dans lequel chacun n'est responsable de ses choix que devant lui-même, un accord global étant impossible à trouver (troisième étape) ?

Pierre Bouretz décrit ici plusieurs réponses :

- celle de Raymond Aron, pour qui ces deux étapes ne sont pas vraiment liées : on peut très bien adopter la méthodologie et une bonne part des conclusions de Weber sans le suivre sur le terrain de la "guerre des dieux", position selon Aron intenable logiquement puisqu'il faut bien que l'on estime avoir raison pour affirmer quelque chose.

Aron n'a pas tort, mais il déplace le problème, car ce qui l'intéresse le plus est la méthodologie, et non le diagnostic désenchanté de Weber en tant que tel.

- à l'opposé Leo Strauss condamnera et la méthodologie et la philosophie, en estimant qu'elles sont indissolublement liées : elles suppriment toute possibilité de sens à la base, elles éliminent préalablement, par la distinction fait-valeur, le sens qu'elles s'étonnent ensuite de ne pas trouver dans le monde.

Je n'ai pas lu les textes de Strauss auxquels P. Bouretz fait ici allusion, il me semble que sa position, si je l'ai bien comprise, a tout de même tendance à faire l'impasse sur ce qui reste une perte de sens, dont la philosophie et la sociologie ne peuvent être tenues pour entièrement responsables. Ceci posé, on retrouve son argument principal, ou un argument d'un esprit comparable, dans :

- la troisième direction, celle de Jürgen Habermas - et de Pierre Bouretz lui-même, sur laquelle je m'attarderai le plus longtemps.

Weber distingue plusieurs types de rationalité, dont les deux plus importants pour notre propos sont la rationalité en valeur (wertrationalität) et la rationalité instrumentale (zweckrationalität) (cf. annexe). Ce que lui reproche Habermas est de ne pas tenir vraiment compte de cette distinction théorique dans ses écrits historiques, et de toujours privilégier la rationalité instrumentale, celle donc qui n'a que faire du sens des actes - le diagnostic de la perte de sens est alors trop facile à avancer. Je ne sais pas à quel point Habermas a raison pour le détail des analyses de Weber, je pourrai lui faire la même objection qu'à Strauss (le monde n'a pas attendu Weber pour perdre de son sens et privilégier la rationalité instrumentale) : l'important reste que Habermas indique une direction pour sortir du "piège nietzschéen" que nous tend, et que peut-être s'est tendu à lui-même, Weber : ne pas se cantonner à une conception trop restreinte de la rationalité.

Il s'agit ici de rien moins que de la fondation d'une "raison pratique" (nous sommes dans un sillon kantien). Pour être bref : Habermas fournit à P. Bouretz une théorie de la discussion dans laquelle les choses ne se passent pas du tout comme dans la "guerre des dieux" wébérienne ; dans un second temps, John Rawls lui permet d'élargir cette perspective à une fondation philosophique de la démocratie, qui fasse de l'affrontement des points de vue non une faiblesse rédhibitoire du point de vue du sens global, mais au contraire la condition même du fonctionnement et du développement d'une société démocratique.

Il y a me semble-t-il des choses à prendre, sinon dans ces théories mêmes, du moins dans l'esprit qui les anime : effectivement, quoi que puisse en dire Weber, dans les discussions, au moins dans les discussions que l'on a tous les jours, des règles du jeu fondées sur le désir commun de parvenir à un accord sont activées. Cela ne signifie pas à tout coup qu'elles seront respectées par chacun à tout instant, mais elles n'en sont pas moins présentes et effectives. De même peut-on tout à fait accorder, avec Rawls et Bouretz, que discordance ou pagaille des points de vue ne signifie pas nécessairement, ni aujourd'hui ni pour toujours, "guerre des dieux". En noircissant le tableau, le Weber de Bouretz, surtout dans la dernière partie de son livre (p. 520 par exemple), fait un peu penser aux travers d'un Deleuze, d'un Foucault (nietzschéens eux aussi) ou d'un Badiou décrits par Jacques Bouveresse, Weber transposant le "puisque tout ne va pas au mieux, rien ne va" des gauchistes des années 60 à un "puisque tout ne va pas au mieux, rien n'ira jamais bien" complété d'un "puisque les choses ne sont pas totalement rationnelles, c'est qu'au fond elles sont totalement irrationnelles".

De ce point de vue, on ne peut je crois que suivre Pierre Bouretz et ceux qu'il suit lui-même (auxquels il faut ajouter son préfacier Paul Ricoeur) - mais pas pour très longtemps, car eux-mêmes semblent succomber à certaines confusions entre l'être et le devoir-être. C'est le point que j'ai déjà abordé dans ma première approche des Promesses du monde, en m'inspirant notamment d'une critique de Vincent Descombes à l'égard de Habermas. Et à lire Pierre Bouretz, qui fait une présentation favorable des thèses de Habermas (et de Rawls), on ne trouve rien qui ne confirme les critiques de Descombes, on se sent même autorisé, à tort ou à raison, à les élargir à Rawls. Pour me répéter, donc : que l'on constate des phénomènes que l'on peut qualifier de démocratiques dans les comportements de discussion des gens et dans la façon dont ils confrontent leur points de vue n'autorise pas à fonder une théorie de la démocratie sur ces comportements - d'autant que l'on ne voit pas comment ils peuvent se généraliser au point d'imprégner tous ou la majorité des habitus des "citoyens". C'est peut-être d'ailleurs ce qui fait dire à Ricoeur dans sa préface (pp. 14-15) que "Habermas et Rawls se distancient de Max Weber plus en amont que [P. Bouretz] ne paraît le concéder" : que Weber généralise abusivement de la perte d'un sens commun, pour son époque, à la guerre des dieux, n'autorise pas Habermas et Rawls à conclure de l'indéniable persistance de processus démocratiques au sein de la vie quotidienne à la possibilité de retrouver un sens commun via la fondation d'une société démocratique à partir de ces processus.


Autrement dit, et pour conclure : le problème capital reste celui de l'unité - et il n'est pas près d'être résolu, quand bien même on ne s'y résignerait pas avec le même entrain fataliste snob que Weber. Celui-ci a par ailleurs justement critiqué les tendances (déjà, encore une fois...) de certains intellectuels à vouloir réenchanter le monde à coups de religions artificielles [cf. Ajout du 21.08.]. N'en déduisons pas pour autant la vacuité de toute forme de volontarisme, l'exemple de la Nation et de l'école républicaine montrant leur efficacité potentielle - certes pour des périodes de temps limitées. Mais sachons quand et comment rester spectateurs ou continuer à être acteurs.

Car ce problème "capital" se pose en réalité pour nous moins en termes de solutions, si j'ose dire et même s'il est important de critiquer les fausses solutions, qu'en termes de possibilités, et pour le coup c'est sur une note, peut-être pas nietzschéenne, mais militaire, que je serais tenté d'achever sur ce survol : il faut se battre avec ses armes, on ne peut pas faire autrement. Les nôtres, les miennes en tout cas, sont celles de la rationalité. "Elargie" sans doute, "élargie" si l'on veut, mais alors vraiment élargie, probablement pas seulement dans le cadre de la "raison pratique" - de ce point de vue sans doute peut-on mettre d'ailleurs dans le même sac néo-néo-kantiens et altermondialistes, que ceux-ci soient au demeurant athées militants ou "sympathisants" de mouvements islamiques. Mais se pose alors d'emblée la si difficile question des rapports entre religion et rationalité - jusqu'où peut-on "élargir" la rationalité ? En quoi précisément la religion n'est-elle pas rationnelle ?

Où l'on retrouve de vieux amis d'une part (Durkheim, l'ethnologie, Voyer, Descombes...), la "première étape" mise ici de côté d'autre part, et toutes les interrogations qu'elle charrie (autour de Marcel Gauchet notamment). Où l'on prendra garde à ne pas se débarrasser trop vite des catégories wébériennes de rationalité. Où l'on se retiendra, même si on croit pouvoir suivre certaines directions, de considérer pour totalement établis les diagnostics énoncés dans le paragraphe précédent.

Bref, ce texte, malgré toutes ses hypothèses et ses précautions, doit encore trouver sa place dans un ensemble plus large, qui non seulement critique, directement ou indirectement, les angles de vue et les méthodologie individualistes, et retrouve à partir d'eux la position holiste, mais prendra pour base de départ ce holisme, pour y hiérarchiser les différents individualismes. Rien que ça ! On comprend que ceux qui ont les armes du Hezbollah les utilisent : ils n'ont pas plus le choix que moi, mais dégomment leurs cibles plus vite... (Mars, et ça repart !)

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Le monde quant à lui continue, qui fournira ou non de nouvelles solutions.







Il y aurait beaucoup d'autres choses à dire sur Les promesses du monde, mais j'ai choisi de me cantonner à une vision d'ensemble. Que l'on ne s'étonne pas néanmoins si, vue l'ampleur du matériau, j'y reviens de temps à autre sur des points plus secondaires dans les prochaines semaines.



Annexe.

- Dans Les étapes de la pensée sociologique (Gallimard, 1967, "Tel", pp. 500-501), R. Aron décrit ainsi les actions rationnelles par rapport à un but (ce que, suivant ici Castoriadis, j'ai appelé la rationalité instrumentale) et les actions rationnelles par rapport à une valeur :

"L'action rationnelle par rapport à un but (...) est celle de l'ingénieur qui construit un pont, du spéculateur qui s'efforce de gagner de l'argent, du général qui veut remporter la victoire. Dans tous ces cas l'action zweckrational est définie par le fait que l'acteur conçoit clairement le but et combine les moyens en vue d'atteindre ceux-ci. (...)

L'action rationnelle par rapport à une valeur est celle du socialiste allemand Lassalle se faisant tuer dans un duel, ou celle du capitaine qui se laisse couler avec son vaisseau. L'action est rationnelle non parce qu'elle tend à atteindre un but défini et extérieur, mais parce que ne pas relever le défi ou abandonner un navire qui sombre serait considéré comme déshonorant. L'acteur agit rationnellement en acceptant tous les risques, non pour obtenir un résultat extrinsèque, mais pour rester fidèle à l'idée qu'il se fait de l'honneur." Ces exemples sont-ils empruntés à Weber ? Ils tombent en tout cas sous la critique de Habermas, puisqu'ils ne présentent de la rationalité en valeur que des cas extrêmes - pourquoi ne pas évoquer un acte de galanterie ou de politesse ? Certes ce sont aussi des actions traditionnelles (autre catégorie wébérienne), mais pas plus que celle du capitaine qui coule avec son vaisseau.

- P. 603, Pierre Bouretz évoque une "distinction précieuse", effectivement intéressante, pratiquée par Paul Ricoeur (Soi-même comme un autre, Seuil, 1990, pp. 329-331) "qui sépare deux trajets propres à l'idée de justice. Sur la trajet de la "justification", s'opère la "subsomption de la maxime sous une règle". Il s'agit alors de remonter vers la fondation en raison des principes de justice, selon une problématique qui est celle de l'épreuve de l'universalisation de la règle. Mais ce trajet se double de celui de "l'effectuation", qui concerne cette fois l'application à des situations concrètes où se découvrent des zones conflictuelles entre personnes."

Une façon comme une autre de ne pas confondre a priori les problèmes d'universalisation et les problèmes de mise en pratique.

- Je crois me rappeler, sans doute dans un numéro spécial de Critique consacré à Foucault, un texte de Paul Veyne où il compare l'auteur de Surveiller et punir à un "homme de la deuxième fonction", un guerrier donc, déniant à ses adversaires le droit de lui démontrer qu'ils avaient plus raison que lui. Cela a un côté "guerre des dieux". Cela peut être une forme saine d'action, de scepticisme et de respect de l'autre. Mais, d'un point de vue logique, on retombe dans l'objection d'Aron : il faut bien croire à une forme de vérité, même minimale, pour affimer quelque chose.



Bibliographie indicative :

Je note ici les ouvrages où il semble le plus aisé de retrouver les prises de position décrites plus haut. Cette liste n'a rien d'exhaustif.

- L. Strauss : Droit naturel et histoire.

- Raymond Aron : Les étapes de la pensée sociologique ; introduction à Le savant et le politique (de M. Weber).

- Louis Dumont : Homo Aequalis I ; Essais sur l'individualisme.

- Jürgen Habermas : Connaissance et intérêt ; Théorie de l'agir communicationnel.

- John Rawls : Théorie de la justice.

- Maximilien Robespierre : Pour le bonheur et pour la liberté. Discours.

- Jean-Pierre Voyer : Hécatombe.

- Vincent Descombes : La denrée mentale ; Les institutions du sens ; et très certainement Le complément de sujet, que je n'ai pas encore lu...

- Max Weber. Sans entrer dans trop de détails, il me semble que l'on ne peut vraiment se fier qu'à des traductions récentes, c'est-à-dire non antérieures aux années 1990. Ce qui laisse déjà pas mal de choses à lire.

- enfin, je me permets de renvoyer à un précédent texte de ce site, Pas de liberté pour les amis de la liberté, où des questions analogues sont abordées dans un esprit quelque peu différent.






Ajout le 18.08.

Oui, quelques remarques :

- j'espère que l'on ne me prête pas l'intention d'en avoir fini avec Weber, sous prétexte que j'ai pu sur certains points épouser le point de vue critique de Pierre Bouretz. Je suis au contraire très loin d'en avoir fini avec lui - hélas, serais-je tenté de dire, car il m'éloigne de mes premières amours durkheimiennes et maussiennes ;

- en passant : P. Bouretz présente au fil de la dernière partie de son livre les thèses de F. Hayek, j'ai découvert à cette occasion qu'elles ne se résumaient pas à une pure et simple défense de cette créature de science-fiction qui s'appelle le marché (j'en profite pour citer le Statler : l'économiste est "un penseur de cette religion appelant au sacrifice humain en fonction des prophéties qui sont les siennes"), mais qu'elles posaient aussi, et plutôt bien, d'intéressants problèmes moraux. Plus rien ne devrait m'étonner, et pourtant...

- surtout, je n'ai pas fait le rapport entre les deux textes qui composent cette livraison. Ainsi que le montre d'ailleurs Nisbet, la sociologie est donc à la fois une manifestation de la modernité (la science comme moyen de l'émancipation de l'humanité) et la mauvaise conscience de cette modernité, puisque dès sa fondation chez Auguste Comte (inventeur du mot) elle met l'individualisme moderne en face de ses limites - ce que fait aussi Weber via son détour supposé individualiste. Si l'on réalise bien que cette mauvaise conscience est elle aussi moderne, on peut la qualifier d'anti-moderne au sens donné à ce terme par Antoine Compagnon dans son livre Les antimodernes (Gallimard, 2005, je l'ai cité dans la bibliographie de Pas de liberté...), de "moderne en liberté" (A. Compagnon parle des Français, mais Weber est un pur prototype d'anti-moderne). Autrement dit : la sociologie reflète l'ambivalence de la modernité, elle peut en être plus (cf. Dumont dans ses Essais) ou moins (ne serait-ce pas la source de certaines contradiction de Durkheim, comme sa très optimiste foi dans le volontarisme républicain ?) consciente. Elle fournit des outils de réflexion plus, encore une fois, que des "solutions". (A noter, le monde est petit, que le vicomte de Defensa a chroniqué le livre d'Antoine Compagnon et qu'il se définit comme antimoderne. Parés au combat !)



Ajout le 21.08.

D'abord, la citation de Weber sur les intellectuels et la religion (1915) :

"S'il n'importe nullement au développement religieux actuel que nos intellectuels modernes éprouvent le besoin d'ajouter à toutes sortes d'autres sensations celle de "vivre une expérience religieuse", comme pour meubler leur intérieur d'objets anciens garantis authentiques - on n'a encore jamais vu un renouveau religieux naître de ce type de source -, dans le passé, en revanche, la nature des couches intellectuelles a été de la plus grande importance pour les religions."

Ensuite, une illustration du Weber antimoderne, dans une lettre à Tönnies (1909) :

"Certes, je suis absolument "insensible à la musique" de la religion et je n'ai ni le besoin ni la capacité d'ériger en moi des "constructions" psychiques de caractère religieux, quelles qu'elles soient ; ça ne marche pas ou bien je m'y refuse. Mais, tout bien examiné, je ne suis ni antireligieux ni areligieux. Sur ce plan aussi, je me sens comme un infirme, comme un être mutilé, dont le destin intime est de devoir se l'avouer sincèrement et de s'en accommoder - pour ne pas tomber dans les mystifications romantiques."

(Ces deux citations sont extraites du recueil Sociologie des religions, Gallimard, 1996, respectivement pp. 349 et 72. Ajoutons que les pp. 72-73 contiennent un florilège de citations plus ou moins contradictoires du même Weber qui vont dans le même sens de son anti-modernité.)

Le moderne est instable, l'antimoderne est contradictoire, l'antimoderne est moderne, l'antimoderne n'est pas le moderne : il en est une excroissance, plus attentive à son instabilité fondatrice, qui la ressent plus douloureusement (et parfois, agréablement), en lui, et sait l'exprimer.


Je tombe, dans un ouvrage classique, qu'il me semble lire à son heure, Mensonge romantique et vérité romanesque, René Girard, Grasset, 1961, éd. "Pluriel", pp. 112-113, sur une citation de Dostoïevski (in L'idiot) qui pourrait être empruntée à quelqu'un comme Louis Dumont :

"Les gens des époques lointaines (je vous jure que cela m'a toujours frappé) étaient très différents de ceux de la nôtre : c'était comme une autre espèce humaine... En ce temps-là on était en quelque sorte l'homme d'une seule idée ; nos contemporains sont plus nerveux [Festivus !], plus développés, plus sensibles, capables de suivre deux ou trois idées à la fois. L'homme moderne est plus large, cela l'empêche, je vous en réponds d'être tout d'une pièce comme dans les siècles passés."

J'écrirai sans doute un jour sur Girard - quelqu'un qui est recommandé à la fois par Muray et Descombes, qui donc se trouve comme à l'intersection du catholicisme et de Wittgenstein, ne peut que nous stimuler...

Mais puisqu'il est question de Descombes, "finissons" en nuançant les divers degrés qui peuvent être ceux de la modernité. J'ai déjà cité une partie de ce texte dans l'ajout à ma colère contre le putois subventionné Marseille, je m'excuse pour la répétition :

"Il y a... toutes sortes d'humanités qui nous sont proches. Partant de là, est-ce au philosophe de nous dire si la modernité est une innovation, et une exception ? Nous autres philosophes serions plutôt tentés de penser (comme tout le monde) que l'homme ancien, quand il était raisonnable, pensait comme nous. L'idée que la modernité est une exception ne va pas de soi. Ce sont les anthropologues, comme Karl Polanyi ou Louis Dumont, qui nous apprennent qu'il y a cette rupture de la modernité. En philosophie cela ne nous coupe pas forcément de nos sources grecques, de nos sources médiévales, avec ce que ces dernières ont puisé en Israël, ou dans l'Orient orthodoxe, ou dans l'Islam... Mais si l'on accepte cette notion de modernité, c'est-à-dire 1) qu'il ne s'agit pas simplement du développement plus accompli de quelque chose qui était déjà là, comme le pensait la conception progressiste de l'histoire, et 2) que notre culture fait exception quand nous la comparons à toutes les autres, alors se pose un problème philosophique. Cette exception existe, et nous la voulons, mais il nous faut la vouloir dans les conditions qui sont celles de l'humanité. Comment penser l'exorbitant de l'exception moderne sans sortir des conditions de l'humanité commune ?

Une chose est de dire que la démocratie et le principe de l'égalité humaine sont des idées très importantes parce qu'ils incarnent ce que l'humanité avait toujours voulu sans le savoir, ce qui est conforme à l'ordre naturel des choses, ce qui va dans le sens de l'histoire ; autre chose est de dire qu'ils sont très importants, mais n'expriment nullement de façon harmonieuse le tout de ce que tous les hommes avaient toujours voulu, le bien universel. Quand la philosophie accepte de se laisser éclairer par l'anthropologie, elle doit même aller plus loin et reconnaître que les valeurs modernes sont parfaitement incompatibles avec d'autres choses importantes et précieuses de la vie humaine, du moins au premier abord et tant qu'on n'a pas introduit toutes sortes de complexités nécessaires. La démocratie, c'est très bien, la famille c'est très bien, mais la famille démocratique, cela n'existe pas. Ce qui peut exister, peut-être, et doit certainement être recherché, c'est la famille dont les membres sortent sur l'agora avec les vertus de caractère d'un citoyen démocratique. Cette famille sera donc démocratique par sa finalité, par son adéquation aux conditions d'une société démocratique, mais pas littéralement par son fonctionnement, car aucune famille ne saurait être conçue sur le modèle d'une société contractuelle, d'un instrument au service d'individus qui ont accepté de coopérer. Même chose pour l'école : elle est l'exemple même d'une condition non démocratique, du moins immédiatement, de la démocratie. De l'école devraient sortir des citoyens prêts à se tenir les uns les autres pour des égaux, mais à l'école elle-même, il est exclu que toutes les opinions aient le même droit à se faire entendre, ou qu'elles soient toutes respectables, ce serait même absurde de le demander. Qui plus est, sans ce passage par une école où tout n'est pas à égalité, les citoyens ne seront pas capables de pratiquer l'autolimitation qui permet de rendre viable l'égalité, que ce soit dans l'exercice de la souveraineté et dans les rapports sociaux. (...)

Il y a donc une composition à trouver entre différentes exigences, une composition qu'on ne concevra pas de la même façon selon qu'on accepte ou pas de reconnaître la coupure de la modernité avec l'humanité traditionnelle. Si l'on voit dans la modernité une coupure, la seule composition concevable est hiérarchique : nos valeurs modernes doivent avoir le premier rang, les valeurs de l'homme traditionnel ne sont pas indignes, elles doivent aussi avoir une place, mais à titre subordonné. La compréhension de ce point passe forcément par un dialogue de la philosophie avec l'anthropologie. L'anthropologue apporte quelque chose que nous n'aurions pas pu trouver nous-mêmes par un travail réflexif, mais c'est ensuite à nous d'affronter les leçons qu'il est loisible d'en tirer." (Esprit, juillet 2005.)

Ce dernier paragraphe est tout un programme. Précisons sans le commenter aujourd'hui plus avant que les termes "hiérarchique" et "subordonné" n'ont ici aucune connotation péjorative.

Ce que suggère Descombes (qui n'est pas ici sans lorgner du côté de quelqu'un comme Finkielkraut) c'est que si les valeurs de la modernité sont bonnes, on ne peut néanmoins les appliquer à tous les domaines de l'existence, et qu'il faut pour qu'elles restent bonnes être bornées - faute de quoi elles sont auto-destructrices - et destructrices de "l'humanité commune" (l'expression n'a pas tout à fait le même sens que chez l'inspiratrice de Finkielkraut Annah Arendt, mais il y a une parenté d'esprit évidente). Le raisonnement est analogue à celui utilisé à maintes reprises dans ses dernières oeuvres par un ami de Descombes, Castoriadis (qui emploie souvent le terme d'"autolimitation"), à propos du caractère autodestructeur du capitalisme actuel. De ce point de vue, il est plausible effectivement que la modernité soit entrée en phase d'auto-dissolution, mais ce n'est encore qu'une possiblité parmi d'autres me semble-t-il, que l'on doit garder en tête mais à laquelle il serait imprudent de conclure. Wait and see !

Nous reparlerons de tout cela, à n'en pas douter...

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