lundi 30 octobre 2006

Gouvernants et propagandistes.

Les professionnels du marketing savent bien que les gens consomment pour des raisons irrationnelles : pulsions, imitations serviles, volontés de se distinguer qui sont souvent elles-mêmes vaines imitations, etc.

Les prêcheurs de l'économie libérale soutiennent ou font semblant de soutenir que nous agissons rationnellement, comme de bons homo oeconomicus, égoïstes et ayant raison de l'être, puisque cet égoïsme est censé participer au bonheur collectif.

Finalement, nos grands prêtres, les économistes, font l'éloge d'une rationalité qu'ils savent illusoire, tandis que les gouvernants effectifs profitent de ce que nous nous croyons, au moins un peu, au moins au fond, rationnels, profitent de nos pulsions irrationnelles (terme peu péjoratif) pour faire leur beurre.

C'est l'inverse du Moyen Age : on prônait la foi, le mystère, la résignation, et l'on gouvernait, sinon toujours bien, évidemment, du moins avec mesure. On prône aujourd'hui la raison, et c'est en partie grâce à cela que l'on gouverne en enculant Popu. On nie la réalité de l'homme pour mieux le posséder.

"Vous serez comme des dieux..."

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samedi 28 octobre 2006

Un bon socialiste est un socialiste mort (suicidé).

En 2004 ou début 2005, je rencontre un ami dont la famille compte des membres hauts placés au PS : comme je lui demandais pourquoi, alors que l'illustre Raffarin connaissait de nombreuses difficultés, les socialistes n'étaient pas plus vindicatifs, il me répondit que c'était parce qu'ils ne voulaient pas revenir au pouvoir : ils jugent la France ingouvernable, surtout pour eux, me dit-il.

Sur le coup je n'y ai pas trop cru. Des politiciens qui ne veulent pas du pouvoir... Et puis, question fiabilité des sources, c'était un peu l'homme qui a vu l'homme qui a vu l'ours. La conjonction récente de la loi sur la pénalisation de la négation du génocide arménien, de la relecture de quelques textes de Marcel Gauchet et de la découverte de l'opinion, pas complètement nulle mais, pour le coup, très café du commerce, d'un célèbre imbécile sur le sujet, cette conjonction m'a amené à mieux comprendre ce que mon ami voulait dire.

Laissons M. Gauchet planter le décor, d'abord dans un texte de 2000 :

"La marche de l'histoire pose à la droite un problème de définition (...). La dynamique des grands intérêts économiques n'a plus rien à voir avec la conservation sociale ; elle va même directement contre. Au titre de l'ordre, de l'autorité, de la hiérarchie, de la défense antirévolutionnaire, le capitalisme, pour parler vite, avait fait au total bon ménage, jusqu'à une date récente, avec l'héritage des valeurs chrétiennes, l'esprit de tradition, le souci des communautés et des institutions, l'attachement à la lenteur des évolutions. C'est ce compromis historique qui se défait à l'heure de la troisième révolution industrielle et de l'évanouissement du péril communiste, en disloquant l'ancien parti de l'ordre. Sa composante économique et sa composante sociétale se dissocient. Il devient un parti du mouvement économique, et d'un mouvement qui menace la stabilité sociétale dont il était par ailleurs le chantre. La Nation n'est plus qu'un obstacle à contourner, à l'heure de la mondialisation financière et du grand marché européen. Il ne s'agit plus d'exalter l'autorité de l'Etat, mais de la faire reculer, comme il s'agit d'instiller partout la fluidité des contrats au lieu et place de la rigidité des institutions et des statuts. Cet esprit individualiste du droit libéral pénètre et emporte jusqu'au tabernacle de la famille traditionnelle.

Les partis conservateurs, en d'autres termes (...), se sont insensiblement transformés en partis de la "dissolution sociale". Ce qu'il s'agit prioritairement de conserver, le moteur privé du développement des richesses, détruit le reste, dont, éventuellement, une partie de leur électorat. Ils avaient pour eux de rassurer, en incarnant la continuité des temps en face des ruptures et des aventures. Ils sont devenus inquiétants, à l'instar des "rouges" et des "partageux" de jadis. Le libéralisme économique, qui constitue désormais leur seul discours possible, révèle ici ses limites. C'est un discours critique, très puissant en tant qu'instrument de dénonciation des dysfonctionnements de nos machineries administratives, mais qui ne dit rien de la direction globale du mouvement dont il se contente de proposer une formule opératoirement efficace, et qui dit moins encore des motifs substantiels de l'existence en société.

Le parti "organique", au sens d'Auguste Comte, est à gauche, dorénavant. C'est la gauche qui a désormais pour elle l'ordre établi de l'Etat-providence et des régulations du salariat menacé par les aventuriers libéraux. La détraditionnalisation qui a enfermé la droite dans l'économie confère par ailleurs à la gauche un monopole virtuel du discours sur la forme d'ensemble de la société et sur les finalités du collectif. De ce point de vue, elle bénéficie, sur le terrain idéologique, d'un avantage structurel encore plus net que sur le terrain politique. Elle justifie l'acquis, en même temps qu'elle donne sens au mouvement. Les partis sociaux-démocrates représentent aujourd'hui les vrais partis conservateurs. Eventuellement, dans le sens trivial et polémique de la défense d'avantages et de rentes d'un autre âge. Mais surtout dans le sens profond et légitime de la préoccupation de la stabilité sociale, préoccupation qui a sa place nécessaire dans le champ politique." (La démocratie contre elle-même, Gallimard, "Tel", 2002, pp. 299-301)

On comprend au passage pourquoi, alors que L. Jospin réussissait à faire croire que l'économie française était florissante, il ne restait plus à J. Chirac qu'à attaquer sur le front de l'insécurité, le seul où l'on ne trouve pas cette prééminence des valeurs de gauche ou apparentées. Nuançons quelque peu aussi le propos de M. Gauchet en rappelant qu'il y a une forme d'individualisme à droite qui s'est toujours trouvée faire bon ménage avec les attaques contre "la famille traditionnelle", et laissons-le tirer les conclusions de la citation précédente, ce qu'il avait fait dans un texte remontant cette fois à 1990 (je supprime un passage avec lequel je suis en désaccord et qui n'est pas essentiel au propos) :

"Si le libéralisme n'a à promettre aux personnes que davantage de latitude pour leurs initiatives, tout en les assurant implicitement d'une moindre prise sur leur destin collectif, ses chances politiques resteront limitées, a fortiori dans un pays dont toute l'originalité depuis 1789 est d'avoir poussé plus loin que partout ailleurs cette aspiration à l'autorité de tous comme légitime prolongement de la liberté de chacun. Ce pourquoi d'ailleurs aussi l'échec du socialisme y affecte moins la gauche qu'on aurait pu croire. Battue sur le terrain économique, qu'elle avait investi sur la base de son jacobinisme, elle redevient simplement une gauche politique, et elle retrouve avec sa tradition historique un ancrage puissant. Le dialogue de sourds peut continuer longtemps entre une droite libérale forte de ses certitudes sommaires, confortées par le cours des événements, autant qu'aveugle à leurs limites politiques et une gauche "républicaine" (...). L'histoire en un sens a tranché, mais le résultat risque cependant d'en être une confusion prolongée. Sûrement ce blocage aussi irréductible que stérile ne contribue-t-il pas peu, d'ores et déjà, à l'impression d'onirisme ossifié que procure ce qu'on ose à peine encore nommer le débat politique." (ibid., pp. 181-182)

Les amateurs de Muray apprécieront à sa juste valeur cet "onirisme ossifié". Ceux qui ont moins de certitudes que Marcel Gauchet (car il en a trop, mais j'y reviendrai une autre fois) s'autoriseront quelques doutes sur ce que signifie exactement l'expression "battue sur le terrain économique". Là n'est pas aujourd'hui l'important : les bonnes intuitions qui forment le coeur de ces textes montrent que mon ami avait raison, mais péchait par imprécision. Si les socialistes ne veulent pas le pouvoir autant que l'on pourrait s'y attendre de la part de politiciens, c'est simplement parce que, pour une bonne part, en tout cas sur le terrain "sociétal", là où ils sont le plus à l'aise, ce pouvoir, ils l'ont déjà. La loi sur la négation du génocide arménien l'a encore rappelé récemment, de même que, a contrario, la controverse quant au "rôle positif" de la France dans ses territoires occupés. Pourquoi alors se fatiguer, lorsque l'on peut exercer une influence certes pas à tout coup déterminante, mais souvent fort importante, sur le vote de lois qui vous tiennent particulièrement à coeur, ceci sans devoir assumer tous les emmerdements du pouvoir ? Ajoutons que sur le terrain de la politique étrangère, grosso modo le président actuel mène une politique qui convient au PS, ce qui évite aussi les états d'âme à ce propos.

On n'en concluera pas pour autant que "la France est gouvernée à gauche". D'une part j'ai laissé ici de côté les fausses évidences de M. Gauchet et A. Con-Pense-Vil en ce qui concerne l'économie, d'autre part l'insécurité, et tout ce qui autour d'elle a trait aux libertés publiques, appartient en ce moment à la droite. Et bien sûr la conjoncture décrite par M. Gauchet n'est pas éternelle. Il y a d'ailleurs de l'apprenti sorcier dans tout cela.

On n'en concluera pas non plus que, ces jours-ci, MM. Strauss-Kahn et Fabius, Mme Royal, n'ont pas le mors au dent. Mais les ambitions personnelles, pour réelles qu'elles puissent être, ne remplacent pas la situation structurelle qui pousse ou non un parti, léniniste ou mitterrandien, chiraquien ou sarkozyste, à prendre le pouvoir.




N.B. Ce texte fait suite à celui-ci, que j'annonçais il y a un an comme le début d'une série. Ce bilan d'activité étant fort peu brillant, je ne promets plus rien. Promis !

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mercredi 25 octobre 2006

Consensuel.

Finalement, Israël - qui porte en lui la guerre comme la nuée porte l'orage... - ne serait guère qu'un vague remous dans l'histoire du judaïsme. Un remous qui peut se prolonger encore longtemps, je n'en sais rien, n'en pense rien et n'y peux rien faire, mais dont la signification historique, du point de vue de cette histoire du judaïsme, risque fort, si les choses continuent comme elles continuent depuis 1948 - et plus encore depuis 1967 -, d'être négligeable, nulle, non avenue.

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dimanche 22 octobre 2006

Pont-aux-ânes.

Il y a la phrase : "La démocratie est le pire des régimes, à l'exception de tous les autres" ("Democracy is the worst form of government, except for all those other forms that have been tried from time to time.", novembre 1947 : à la lire en l'extrayant de son contexte, on est tout de même surpris : c'est plutôt la démocratie qui dans l'histoire a été essayée "from time to time", c'est elle l'exception, Churchill semble suggérer le contraire. Passons.), et il y a son usage.

On la cite tellement désormais qu'elle est censée tout excuser. Ce n'est pas grave si nous sommes des enfoirés, puisque nous sommes démocrates ! Un tel essentialisme frôle le racisme.

Imaginons un buveur régulier et un alcoolique. Le premier boit moins que le second : s'il regrette tout de même de boire, et l'avoue, il se juge néanmoins supérieur à l'autre, et ne se gêne pas non plus pour le faire savoir. Effectivement, lorsqu'il est sobre, il mène une vie tout à fait normale, bien plus que l'autre. Mais chaque fois qu'il boit, sous prétexte qu'il n'est pas alcoolique, et que donc il ne peut être vraiment dangereux, il prend sa voiture et provoque ou manque de provoquer un accident. L'alcoolique, plus prudent, rentre à pied ou en taxi quand il a un coup dans l'aile.

Nos bombes, nos accointances de plus en plus marquées avec l'arbitraire, notre arrogance même, où est le problème ? Nous sommes tellement modestes, et tellement démocrates, et modestes parce que démocrates, grâce à saint Churchill, et peut-être même démocrates parce que modestes (ce qui serait plus difficile à prouver). Nous cherchons à gagner sur tous les tableaux : lorsque nous faisons quelque chose de bien, c'est parce que nous sommes démocrates ; lorsque nous faisons quelque chose de mal, c'est malgré notre amour de la démocratie, et, voyez si nous ne sommes pas merveilleux : nous sommes parfois capables de l'admettre, ou certains d'entre nous, en l'admettant, dédouanent tous les autres, puisqu'ils ont le droit de l'admettre (on a eu de beaux exemples de cette manière de faire avec les critiques contre l'armée en Israël après les déboires subis au Liban : regardez cette merveilleuse démocratie, où l'on ose dire du mal du pouvoir. Que le pouvoir en question ne se soit pas du tout comporté de façon démocratique dans les semaines précédentes en devenait d'un coup moins gênant...) Et lorsque les autres font quelque chose de bien, c'est malgré leur régime. Et s'il leur arrive d'admettre qu'ils font quelque chose de mal, c'est toujours grâce à de "courageux opposants", qui ne dédouanent pas leurs compatriotes de leur ignominie, mais au contraire les accablent.

De fait, il est indéniablement plus aisé, pour l'instant, d'être avocat de sans-papiers en France, que militant des droits de l'homme en Arabie Saoudite ou en Syrie (je prends un pays fabriqué par les Américains et un rogue state comme exemples, pas de jaloux). Déjà si l'on prend comme élément de comparaison le sans-papier lui-même, l'écart des situations tend à diminuer. Surtout, il y a deux facteurs à ne pas perdre de vue :

- considérer sans arrêt nos faiblesses comme mineures, puisqu'après tout ce que les autres font est toujours pire, ne va pas dans le sens d'une grande rigueur vis-à-vis de nous-mêmes. Autant dire que nous ne semblons pas sur une très bonne pente, et que les écarts en question risquent de diminuer - surtout si les "non-démocraties" cherchent à nous prendre à notre propre jeu, ce qui serait certes une bonne nouvelle ;

- ce qui a fait acheter aux gens la démocratie, ce n'est pas tant le droit de vote, c'est la perspective d'en finir avec le degré d'arbitraire auquel était parvenu l'Ancien régime. Si la démocratie réintroduit cet arbtraire, il est à parier que les gens ne considéreront pas très longtemps que mettre une enveloppe dans un bulletin une fois de temps en temps, et somnoler leur digestion devant une télé plasma compenseront la crainte du retour du n'importe quoi juridique. Et il y a la situation : on préfère toujours vivre à la dure, avec des règles du jeu claires, que le contraire.

Il est vrai que, sur ces deux dernières phrases, avec les moeurs actuelles, on ne peut jurer de rien. Mais il n'y a tout de même pas que des bobos dans ce pays, il y a encore quelques agriculteurs, quelques vieux, pas mal d'alcooliques et un bon paquet d'Arabes, dont on espère tout de même qu'ils ne sont pas tous prêts à tous les sacrifices pour "s'intégrer".

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samedi 21 octobre 2006

Le bordel du samedi soir.

Viva la guerra : le chiffre date de 2002, j'ignore s'il est toujours exact, mais un rapport de l'OMS, fondé sur des observations faites dans quatre-vingt pays, montrerait que la moitié des morts violentes y sont causées par le suicide, et que la majorité des homicides sont commis au sein de la famille (apparemment Kraus n'était pas le seul à le penser, s'il fut celui qui l'écrivit avec netteté : "La vie familiale est une intrusion dans la vie privée."). D'après ce même rapport, seulement un cinquième des morts violentes chaque année proviennent de la guerre.

Il faut certes nuancer ce qui est guerre et ce qui ne l'est pas : une famine provoquée, et un même un gigantesque raid boursier sont des actes de guerre, que peut-être l'OMS n'a pas comptabilisés en tant que tels. Reste que la faiblesse de cette proportion surprend.

La sortie de la religion est pour l'heure une impasse : "La société de consommation, à son extrême, devient une mystique, en ceci qu'elle nous procure des objets dont nous savons d'avance qu'ils ne peuvent pas satisfaire nos désirs." (René Girard, Les origines de la culture, Desclée de Brouwer, 2004, pp. 101-102). En note, Girard ajoute : "Jean-Pierre Dupuy parle aussi du capitalisme comme le plus "spirituel" des univers, car sa préoccupation n'est pas strictement matérielle (...) ; il n'est pas la pure et simple acquisition d'objets, mais il est fondé sur l'envie, et les objets sont des signes d'envie dans lesquels le rôle du médiateur, ou de l'autre, est toujours présent."

On a mal au cul et on en redemande : toujours selon Girard, d'après un certain Thomas Frank (The Conquest of Cool : Business Culture, Counterculture, and the Rise of Hip Consumerism, University of Chicago Press, 1997), il existerait depuis les années 60 une tendance importante du marketing, que Frank appelle la commodification of discontent, qui repose sur le principe de vendre aux gens des signes de leur désaffection à l'égard du système même qui le vend.

[Ajout le dimanche matin.] Je ne vous transmets pas cette idée en croyant vous proposer un scoop, on connaît ce mécanisme depuis Baudelaire au moins : ce qui est piquant (et tout à fait logique, never ending story) est que le marketing l'a compris bien avant les "rebelles". Je signale à ce propos l'existence, que je viens d'apprendre, de ce livre (il y a dans le compte-rendu qu'en fait Assouline pas mal de confusion intellectuelle me semble-t-il, mais je n'ai pas les éléments pour discerner à quel point cette confusion vient du sujet, du livre, ou de P. Assouline.) [Fin de l'ajout.]

Girard encore... : "Niez-vous qu'il y ait une quelconque détermination matérielle dans l'évolution culturelle de l'humanité ? - Tout dépend de ce que vous entendez par là. Bien sûr les hommes doivent d'abord se nourrir, comme les animaux ; mais ce qui fait d'eux des hommes, c'est le religieux." (p. 183)

Tribute to Nisbet ; Balzac durkheimien : "En coupant la tête à Louis XVI, la Révolution a coupé à la tête à tous les pères de famille. Il n'y a plus de famille aujourd'hui, il n'y a plus que des individus. En voulant devenir une nation, les Français ont renoncé à être un empire. En proclamant l'égalité des droits à la succession paternelle, ils ont tué l'esprit de famille, ils ont créé le fisc ! Mais ils ont préparé la faiblesse des supériorités et la force aveugle de la masse, l'extinction des arts, le règne de l'intérêt personnel. (...) Tout pays qui ne prend pas sa base dans le pouvoir paternel est sans existence assurée. Là commence l'échelle des responsabilités, et la subordination, qui monte jusqu'au roi. Le roi, c'est nous tous ! Mourir pour le roi, c'est mourir pour soi-même, pour sa famille, qui ne meurt pas plus que ne meurt le royaume. Chaque animal a son instinct, celui de l'homme est l'esprit de famille. Un pays est fort quand il se compose de familles riches, dont tous les membres sont intéressés à la défense du trésor commun : trésor d'argent, de gloire, de privilèges, de jouissances ; il est faible quand il se compose d'individus non solidaires, auxquels il importe peu d'obéir à sept hommes ou à un seul, à un Russe ou à un Corse, pourvu que chaque individu garde son champ ; et ce malheureux égoïste ne voit pas qu'un jour on le lui ôtera. Nous allons à un état de choses horrible, en cas d'insuccès. Il n'y aura plus que des lois pénales ou fiscales, la bourse ou la vie. Le pays le plus généreux de la terre ne sera plus conduit par des sentiments. On y aura développé, soigné des plaies incurables. D'abord une jalousie universelle : les classes supérieures seront confondues, on prendra l'égalité des désirs pour l'égalité des forces ; les vraies supériorités reconnues, constatées, seront envahies par les flots de la bourgeoisie. On pouvait choisir un homme entre mille, on ne peut rien trouver entre trois millions d'ambitions pareilles, vêtues de la même livrée, celle de la médiocrité." (Mémoires de deux jeunes mariées, 1841, "Pléiade", 1976, t. 1, p. 243)

On peut (ou non) dissocier l'intérêt de ces aperçus sociologiques de l'éloge du patriarcat.

Balzac, Wittgenstein, la règle : l'une des deux héroïnes rêve à son homme idéal, lequel sera notamment fort croyant : "Je méprise profondément ceux qui voudraient nous ôter la source des idées religieuses, si fertiles en consolations. Aussi, ses croyances devront-elles avoir la simplicité de celles d'un enfant unie à la conviction inébranlable d'un homme d'esprit qui a approfondi ses raisons de croire." (p. 248)

- ceci noté aujourd'hui pour mémoire. Depuis la troisième partie du texte "Pas de liberté...", j'ai soigneusement évité d'aborder le thème fort complexe : qu'est-ce qu'obéir à une règle ? J'y suis ramené ces derniers temps par... Richard Wagner. Mais ceci est une autre histoire, que j'espère vous raconter d'ici quelques semaines.


Dieu et Mesrine nous protègent !

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mercredi 18 octobre 2006

Muray expliqué par Girard - ou comment les religions détruisent, entre autres, les libéraux-libertaires.

"Les modernes s'imaginent toujours que leurs malaises et leurs déboires proviennent des entraves qu'opposent au désir les tabous religieux, les interdits culturels, et même de nos jours les protections légales des systèmes judiciaires. Une fois ces barrières renversées, pensent-ils, le désir va s'épanouir ; sa merveilleuse innocence va enfin porter ses fruits.

Ce n'est jamais vrai. A mesure que le désir élimine les obstacles extérieurs, savamment disposés par la société traditionnelle pour prévenir les contagions du désir, l'obstacle structurel suscité par les interférences mimétiques, l'obstacle vivant du modèle immédiatement métamorphosé en rival se substitue fort avantageusement, ou plutôt désavantageusement, à l'interdit défaillant. Au lieu de cet obstacle inerte, passif, bénévole et identique pour tous, donc jamais vraiment humiliant ou traumatisant, que leur opposaient les interdits religieux, les hommes, de plus en plus, ont affaire à l'obstacle actif, mobile et féroce du modèle métamorphosé en rival, un obstacle activement intéressé à les contrarier personnellement et merveilleusement équipé pour y réussir.

[Car les hommes désirent ce que leurs modèles désirent et ont déjà obtenu avant eux... Il faudrait par ailleurs nuancer l'usage du terme "traumatisant", qui présuppose - à raison, mais c'est un point intéressant - que les gens sont, ou sont devenus, "traumatisables".]

Plus les hommes croirent réaliser leurs utopies du désir, en somme, plus ils embrassent leurs idéologies libératrices, plus ils travaillent, en réalité, au perfectionnement de l'univers concurrentiel au sein duquel ils étouffent. Mais loin de s'aviser de leur erreur, ils continuent de plus belle et confondent systématiquement l'obstacle exterrne de l'interdit avec l'obstacle interne du partenaire mimétique. Ils ressemblent aux grenouilles mécontentes de ce roi soliveau que leur a envoyé Jupiter [allusion à une fable de La Fontaine, à relire pour les élections à venir], et qui, à force d'importuner les dieux par leurs criailleries, sont de plus en plus exaucées par eux. La meilleure façon de châtier les hommes, c'est de leur donner toujours ce qu'ils réclament [excessif peut-être, mais plein d''à-propos].

Au moment même où les derniers interdits s'effacent, d'innombrables intellectuels continuent à parler d'eux comme s'ils étaient de plus en plus accablants. Ou alors ils remplacent le mythe de l'interdit par celui d'un "pouvoir" omniprésent et omniscient [référence à Foucault, sans doute], nouvelle traduction mythique des stratégies mimétiques."

Des choses cachées depuis la fondation du monde, Grasset, 1978, "Poche", pp. 404-405.

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lundi 16 octobre 2006

Mais qui sont ces délinquants immigrés qui viennent prendre le boulot de nos gangsters ?

Il fut un temps où une sirène de voiture de police était un bruit désagréable et inquiétant.

Il fut un temps où nous ne prenions pas la parole des policiers pour argent comptant.

Il fut un temps où de bons petits français

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(on se croirait dans Les choristes, pauvres de nous) savaient manifester avec virulence leur désaccord avec la société.

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Cela ne les empêchait certes pas de profiter de la vie,

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ni d'avoir de bons copains - de bons Français eux aussi.

Charlie-Bauer

besse


Mais bien sûr, malgré une dernière rencontre, malgré une dernière promesse,

sylvia-jeanjacquot-1978

le métier de truand n'est pas sans risque.

Exercé, sinon avec honnêteté, n'en demandons pas trop, du moins avec conscience professionnelle, il finit par venir à bout des plus enthousiastes :

mort





Nous sommes encore un pays riche, puisque désormais nous sous-traitons la délinquance. Ach, dès qu'il y a un risque à prendre, plus un Français nulle part !





(J'entends aller bon train les commentaires de ceux qui font des chateaux chez Voltaire... A ma gauche, "fascination pour la force brute, pour la violence...", "Mesrine était un tueur, il ne faut jamais l'oublier..." A ma droite (ou le contraire), "le nul, le démago, des crapules comme Renaud ou Vincent Cassel se sont amourachées de Mesrine, et il veut nous la jouer provocateur..." Ach, chacun voit midi à sa porte, il est tard, je vais me coucher. Bonne nuit les petits ! Bonne chance aux flics de banlieue !)

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samedi 14 octobre 2006

Le post-moderne à travers les âges.

(Il se peut que le point de départ de ce qui suit se trouve déjà, peu ou prou, quelque part chez Bouveresse ou Descombes, mon cerveau me titille désagréablement à cet égard. Ce ne serait certes pas bien grave.)



"C'est que Swann arrivait à un âge dont la philosophie - favorisée par celle de l'époque, par celle aussi du milieu où Swann avait beaucoup vécu, de cette coterie de la princesse de Laumes où il était convenu qu'on est intelligent dans la mesure où l'on doute de tout et où on ne trouvait de réel et d'incontestable que les goûts de chacun - n'est déjà plus celle de la jeunesse (...)" (A la recherche du temps perdu, Pléiade 1987, t. 1, p. 275.)


Chacun ses goûts, on ne discute de rien, on se méfie de tout, on ne croit plus à la vérité, on méprise ceux qui y croient encore, on est fier de son propre néant, de son propre renoncement, on les exhibe avec contentement... C'est déjà le monde intellectuel français des années 60-70, "la condition postmoderne", c'est déjà l'affirmation contemporaine de soi-même et de ses goûts sexuels et/ou de ses origines ethniques comme pride infligée à tous. Le décadentisme des aristocrates inutiles de la fin du XIXè siècle comme lointain ancêtre des "subversions" gauchiste ou transgenre (aïe ! ce genre de mot fait mal à écrire).

Généralisons : il ne faudrait pas parler de post-modernisme, mais de sur-modernisme, ou d'accès de fièvre moderne. Ce genre de dérive conceptuelle et psychologique apparaît comme une conséquence assez naturelle de l'individualisme moderne (au sens anthropologique d'un Dumont). A partir du moment où l'individu est la source de tout, la tentation d'en rester à lui, ou d'en revenir toujours à lui, comme étalon et "mesure de toutes choses", cette tentation ne peut que revenir régulièrement, il est fatal que certains, nobles sans avenir ou révoltés sans conscience du passé, y cèdent de temps à autre. Il est plus gênant qu'ils cherchent à y entraîner les autres et leur fassent honte de leur confiance persistante, fût-elle mesurée et prudente, en la vérité.

On notera que ces phénomènes peuvent apparaître aussi bien à gauche qu'à droite, ce qui tendrait à confirmer leur caractère anthropologique. Et amène à penser que le clivage gauche-droite n'est pas aussi constitutif de la modernité que l'on tend à le penser (notamment, justement, d'un point de vue post-moderne). D'une part les positions définies par ce clivage ont beaucoup varié dans leur contenu depuis la Révolution française, d'autre part et surtout il est, au même titre que le "post-moderne", une conséquence possible et naturelle de la modernité, pas sa fondation : à gauche comme à droite se mettent en place des processus de réinjection (nécessaire, mais toujours, fatalement, plus ou moins inaboutie) du holisme dans l'individualisme moderne, en se tournant (expression volontairement vague, je ne peux ici que schématiser) vers l'avenir (à gauche) ou vers le passé (à droite). Que ces processus aboutissent à des visions du monde cohérentes et opposées, et l'on a un clivage net (communistes/catholiques en Italie). Que d'un côté ou de l'autre on lâche du lest, que l'on soit moins volontariste dans la recomposition du holisme, et l'on aboutit très vite au post-modernisme (Berlusconi). Dans ces moments-là évidemment le clivage tend à disparaître, ce que le discours post-moderniste encourage encore. Mais on voit bien qu'il y a là un continuum de possibilités conceptuelles, qui parfois se cristallisent en positions tranchées, et non pas un processus temporel où les périodes seraient dans leur nature différentes les unes des autres.

On se hasardera à remarquer, sans chercher à donner trop de portée à ce qui n'est pas un fait statistique rigoureux, que, de Robert de Montesquiou à Louis-Georges Tin en passant par Michel Foucault, les pédés semblent comme des poissons dans l'eau au sein de ce sauna exhibitionniste et relativiste.

Et bien sûr on accordera à ceux qui voient dans le post-modernisme un âge historiquement postérieur à la modernité, que ce soit pour eux une bénédiction ou un problème, que l'accès de fièvre actuel commence à durer longtemps. C'est que beaucoup de composantes de la modernité non seulement y trouvent leur compte mais ont noué alliance sur ces thèmes - d'où les "libéraux-libertaires". Mais comme le point de vue purement individualiste (ici au sens idéologique) est toujours aussi incohérent d'un point de vue anthropologique aujourd'hui qu'il y a deux cents ans, il semble prématuré de conclure d'un accès de fièvre prolongé à une modification totale de l'organisme. Mais il est vrai qu'il y a des maladies bénignes au départ, de banales infections, des démangeaisons, irritantes mais apparemment inoffensives, qui à force de n'être pas soignées deviennent, sinon mortelles, du moins fort dangereuses et handicapantes.

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jeudi 12 octobre 2006

Outlaw.

Il n'y a pas eu de génocide arménien, il n'y a pas eu de génocide arménien, il n'y a pas eu de génocide arménien, il n'y a pas eu de génocide arménien, il n'y a pas eu de génocide arménien, il n'y a pas eu de génocide arménien, il n'y a pas eu de génocide arménien, il n'y a pas eu de génocide arménien, il n'y a pas eu de génocide arménien, il n'y a pas eu de génocide arménien, il n'y a pas eu de génocide arménien, il n'y a pas eu de génocide arménien, il n'y a pas eu de génocide arménien, il n'y a pas eu de génocide arménien, il n'y a pas eu de génocide arménien, il n'y a pas eu de génocide arménien...



Racailles, impuissants, gaucho-fachos, démons ("De la liberté absolue au despotisme absolu."), chiures... Pour tenter d'améliorer la situation du pays, il n'y a personne, pour donner des leçons aux autres à peu de frais, en supprimant au passage une liberté, même sans grand intérêt, là, tout le monde se retrouve ! Que Le Pen vous encule profond !

Je serais curieux de savoir combien des députés socialistes qui ont voté cette loi dérisoire, avaient voté la loi Gayssot, combien, surtout, avaient laissé Mitterrand contribuer au génocide rwandais. Fais ce que je dis...

Même dans l'opposition le PS devrait être génocidé.

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mercredi 11 octobre 2006

"Il n'y a pas la mort, il n'y a que moi qui meurt."

Ce mot que l'on attribue je crois à Malraux est saisissant, mais bien court. Danièle Huillet est décédée il y a quelques jours, je l'apprends à l'instant, et cela ne donne pas envie de se lancer dans de longs discours. Je vous renvoie au site, récemment découvert et apparemment fort intéressant, où je l'ai appris, ainsi qu'à l'excellent hommage de M. Citation. J'ajouterai juste à ce que je viens de lire que Danièle Huillet était la preuve vivante, eh oui, que la dureté et la rigueur se devaient de coïncider avec la faculté d'émotion au monde, avec la capacité d'attention aux autres. Une espèce de réincarnation de Karl Kraus en son genre.

Comme le dit un commentateur sur un des sites que je viens de parcourir : Non réconciliés !

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mardi 10 octobre 2006

Mon automne, monotone, mon atome.

"Hourra pour la Corée du Nord ! Depuis hier matin, la Corée du Nord est plus forte et plus fière."

Cela devient d'un commun, la bombe... Blague à part, si l'on en croit Dominique Lorentz,

Couverture

c'est suite à un échange de bons procédés entre la France et Israël, sous l'égide des Etats-Unis, que la France aurait développé son industrie nucléaire et mis au point sa bombe du même nom.

D'après D. Lorentz, les Etats-Unis, durant la guerre froide, avaient besoin d'une tête de pont en Europe continentale pour riposter rapidement à une éventuelle attaque atomique soviétique. L'Allemagne ne pouvant tout de même pas être décemment choisie, la France fut élue. Par ailleurs, beaucoup de scientifiques juifs exilés d'Allemagne, ou plus généralement d'Europe, durant les années 30-40, ayant participé à l'élaboration de la bombe américaine avant que de s'installer en Israël, il aurait été décidé l'accord suivant : Israël aidait, par des transferts d'information, la France à créer sa joyeuseté atomique, en échange de quoi la France mettait sa puissance industrielle au service d'Israël pour lui rendre dans un second temps la réciproque. Ce qui permettait aux Etats-Unis de ne pas se mêler trop ouvertement de cette histoire, à la France - et à de Gaulle, arrivé entretemps au pouvoir - de sauver la face et de faire croire à son peuple qu'elle était encore une puissance importante au moment même où sa dépendance vis-à-vis des Etats-Unis s'affirmait de la façon la plus décisive, et, accessoirement, au jeune Shimon Peres (vous connaissez la blague israélienne : "En Israël il y a deux choses éternelles : la guerre, et Shimon Peres.") de s'installer à Matignon, dans un bureau proche de celui du premier ministre, pour vérifier la bonne marche de ces affaires. On comprend mieux, dans ce contexte, la richesse des liens atlantistes et franco-israéliens.

Encore un peu de piquant : des fuites commençant à se produire, il fallut trouver un pays-relais pour certaines expériences. L'Afrique du Sud, si proche de nos chers droits de l'homme et par ailleurs notoire refuge d'anciens nazis, fut choisie, précisément pour son isolement diplomatique. La raison d'Etat a ses raisons que la morale préfère ne pas connaître.

A propos de morale, il n'y en a évidemment pas concernant la Corée du Nord. Je profitais de l'occasion pour faire de la publicité pour un livre qui n'a pas été démenti par l'Etat, simplement ignoré par la presse, malgré, notons-le, une préface d'Alexandre Adler. Je précise à l'attention des "anti-complotistes" que Dominique Lorentz n'a pas mené d'enquête spectaculaire, n'a pas contacté de "gorge profonde" plus ou moins crédible : elle s'est contentée de lire toutes les coupures de presse imaginables et d'ajouter 2 et 2.

A l'occasion, le sujet s'y prêtant, je vous raconterai ce qu'elle révèle sur les liens nucléaires franco-iraniens, un autre sujet d'actualité.

Apocalypse now !

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dimanche 8 octobre 2006

Nouveau plagiat.

Qu'y puis-je ? Certains ont un talent pour la synthèse :

"Les esclaves modernes [i.e. les salariés] participent à leur esclavage (...). Cela fait une nuance avec l'esclavage des démocraties antiques. Le chomeur, en tant qu'exclu de la participation au bonheur général de l'esclavagisme, a pour fonction sociale et symbolique de susciter la crainte du banissement hors du bonheur de l'esclavagisme."

Esclave ou paria ! - notre monde moderne sait retrouver certaines catégories antiques. Finalement, il y a des domaines où nous sommes encore capables d'établir des hiérarchies. D'ailleurs, les thématiques actuelles, selon lesquelles les chômeurs ne sont pas chômeurs par hasard (de nos jours, j'explique pourquoi plus bas, on préfère les qualifier de fainéants profiteurs du système que de purs et simples demeurés) sont un prolongement de la cosmogonie fantasmée par le père du libéralisme actuel, Friedrich von Hayek. C'est du thomisme à la sauce libérale : chacun à sa place, et le monde tournera rond.

J'emploie le futur, car ceci est un stade provisoire : la propagande établissant le chômeur comme pilleur du système (notre source donne un exemple éloquent, mais il suffit d'ouvrir Le Point ou L'Express chaque semaine) a pour fonction autant de discriminer les chômeurs que de critiquer le système de l'Etat-providence tel qu'il fonctionne encore. Une fois celui-ci abattu, la cosmogonie du "A chacun selon ses mérites" - traduisez : "A chacun selon sa rapacité" - retrouvera tous ses droits. Le chômeur sera alors un vrai paria, celui dont la place même en bas de l'échelle sociale prouve qu'il ne mérite pas d'être plus haut.

D'où que certains propagandistes écrivent sans rigoler que le libéralisme n'est pas une idéologie. Dans le même sens, le catholicisme médiéval voyait dans la hiérarchisation féodale une respect et un reflet de la "loi naturelle". Mais, sauf erreur de ma part, cela n'entraînait pas de stigmatisation morale, ou du moins de culpabilisation, des catégories les plus inférieures, envers lesquelles était établi un devoir de charité. Celui-ci n'a pas totalement disparu, il a même tendance à reprendre de l'importance, mais sur fond de darwinisme social généralisé.

C'est le même genre de paradoxe que dans la note précédente : on bâtit ou on essaie de bâtir de l'ordre à partir d'un indifférencié de base - ici, on transforme le quantitatif (le nombre de zéros sur le compte en banque) en qualitatif. Le degré zéro de la hiérarchie. Qui retrouve des thèmes du XIXè siècle - le darwinisme social, donc - mais seulement dans le domaine économique. Pour le reste - les "valeurs" -, tout sens de la hiérarchie disparaît. Bien sûr, s'il s'agit de ne pas verser dans le racisme ou le sexisme, on applaudira. Mais la conséquence globale est d'importance : les passions modernes, telles que vues par un Stendhal - "l'envie, la jalousie et la haine impuissante" - peuvent se donner libre cours, en une espèce de caricature généralisée des affrontements des nobles entre eux - l'honneur en moins d'une part, ce qui peut passer si on voit dans cet honneur une auto-mystification, le struggle for life en plus, ce qui passe plus difficilement : les gens se livrent à des luttes à la fois aigres, dérisoires et sérieuses, puisqu'ils ils y jouent leur façon de vivre (le désir d'être salarié, notamment) et leur peau (il faut bien gagner de quoi vivre).

Le degré zéro de la hiérarchie, mais, si l'on veut absolument des accents thomistes, un haut degré de discordance universelle.

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vendredi 6 octobre 2006

Homosexualité et décadence.

Lorsqu'un auteur vous donne des clés nouvelles pour formuler une idée qui vous trotte dans la tête depuis longtemps, il serait dommage de se priver. En empruntant des concepts à René Girard, on peut me semble-t-il comprendre pourquoi l'on voit souvent apparaître dans des périodes de décadence une généralisation relative et une visibilité accrue des comportements homosexuels. La fin de l'Empire Romain, le dernier Moyen Age, la période actuelle, en sont trois exemples.

Comme à l'accoutumée, quelques précisions s'imposent pour circonscrire la portée et le but de mon propos :

- René Girard a lui-même énoncé une très stimulante théorie de l'homosexualité, notamment dans les pp. 467-471 de l'édition "Poche" des Choses cachées depuis la fondation du monde (Grasset, 1978), mais je n'y ferai référence que par la bande. En règle générale, il est possible de considérer les analyses de Girard de façon soft ou hard : on peut, dans le premier cas, lui emprunter quelques intuitions d'ordre sociologique ou anthropologique, et les appliquer à d'autres domaines ; dans le deuxième cas, on adopte ou on affronte consciemment des hypothèses très fortes sur les Origines de la culture (Desclée de Brouwer, 2004). Je suivrai ici, on l'aura compris, la première manière de faire.

- Il y a par rapport à tout ce que je vais écrire au moins un contre-exemple d'école (mais ne faut-il pas se méfier de ce genre d'évidence ?), les Grecs. Je ne pense pas que ce soit gênant pour les phénomènes que je vais tenter de décrire, mais cela montre qu'il s'agit ici, prenons-nous pour Max Weber, d'une hypothèse de causalité, féconde dans certains cas, pas d'une théorie générale. Il m'intéresse en tous les cas moins d'avoir raison ou tort sur les Grecs ou la fin du Moyen Age que sur la période actuelle.

- Par exception, je ne suivrai pas totalement le dictionnaire (Robert), dont voici la définition de la décadence : "Acheminement vers la ruine ; état de ce qui dépérit, périclite." A proprement parler, j'aurais pu intituler cette note "Conséquences de la décadence et homosexualité", même si ce n'aurait pas été non plus parfaitement exact. Mais entrons dans le sujet.

Dans l'"état de ce qui dépérit, périclite", ce qui m'intéresse n'est pas la connotation péjorative, c'est le processus de dissolution des repères constitutifs de la société : les frontières traditionnelles se brouillent, les gens ne savent plus trop où ils (en) sont. L'intérêt des intuitions de Girard (dès Mensonge romantique et vérité romanesque, Grasset, 1961), est de ne pas formuler ce type d'évolution sur le mode traditionnel : "Les gens se croient tout permis" - et donc se jettent les uns sur les autres (vision "réactionnaire" qui a son symétrique dans des formes de propagande pro-homosexualité : si dès qu'il y a moins d'interdits l'homosexualité apparaît, c'est qu'elle était auparavant latente chez chacun). L'approche est plus large et moins moralisatrice : quand il y a des barrières strictes, morales et entre classes sociales, les gens savent ce qu'ils peuvent ou non désirer. Il y a bien sûr toujours des exceptions pour, depuis le fin fond de la société, parvenir à s'élever jusqu'au sommet ou à avoir une aventure avec une femme de la haute, il y a, en plus grand nombre, des percées moins fracassantes et des déclassements plus ou moins définitifs, mais ces dynamiques n'affectent pas la stabilité de l'ensemble et des références communes à tous.

A l'inverse, en période de "décadence", dans tous les domaines les repères se perdent, ce sont donc tous les désirs qui se retrouvent déboussolés : on peut espérer plus ou moins, selon les cas, que ce à quoi on était habitué, un poids d'indétermination se retrouve attaché à chaque désir, qu'il soit financier, lié à la consommation, ou sexuel. Dit autrement : ce qui est intéressant n'est pas que l'on se réjouisse ou se désole de l'effondrement des barrières sociales et culturelles qui assuraient la stabilité de l'ensemble, c'est que ces barrières constituaient des différences, sinon infranchissables, du moins très nettement marquées, et qu'avec la décadence ces différences s'effacent, rendant non seulement réalisables pratiquement, mais surtout intellectuellement envisageables, des désirs auparavant motivés par rien ou presque. Et c'est au sein de ce processus global d'indifférenciation que se produit l'effacement des différences sexuelles et des prescriptions sexuelles, que ce qui était inconcevable et criminel il y a peu se retrouve, sinon favorablement connoté, du moins toléré - indifférent.

Ce processus peut ne pas toucher, ou dans des proportion limitées (fin du XVIIIè siècle français) les moeurs sexuelles - même s'il y n'y a pas tant de domaines que cela où il peut se manifester. Il peut aussi ne pas avoir besoin de les toucher, si l'homosexualité, comme chez les Grecs, fait partie d'un art de vivre peut-être pas constitutif de la société, mais du moins fort lié à la façon dont ses participants les plus actifs et les plus représentatifs, les mâles libres, la conçoivent.

J'ai utilisé tout à l'heure le terme "latente". Dans le cadre de mon analyse, on peut l'accepter, à condition d'en relativiser la portée : l'homosexualité peut être latente chez tout un chacun (remarquons qu'à l'instar ce ce qui se passe chez Girard ces idées n'impliquent aucune prise de position sur les problématiques biologiques et génétiques de l'homosexualité), mais ni plus ni moins, fondamentalement, que le désir d'avoir une belle voiture (ou une plus belle voiture que le voisin), de devenir homme politique, star de cinéma ou de télé-réalité.

Le titre "Conséquences de la décadence et homosexualité" serait donc restrictif par rapport au processus, car bien sûr, si un phénomène de valorisation sociale de l'homosexualité se met en place - comme c'est le cas à notre époque -, ce qui conduit d'ailleurs à la mise en place d'un nouvel ordre, de nouvelles différences, cela suscitera des comportements subordonnés à cette valorisation, comportements qui, s'ils sont assez nombreux, contribueront à leur propre généralisation, dans des limites plus ou moins vastes. Ce qui était effet devient aussi cause. Ce pourquoi, si l'argument entendu périodiquement "C'est à la mode d'être pédé" est bien court pour désigner des choix de vie assez essentiels, il met néanmoins le doigt sur cette réalité qu'en matière de moeurs aussi l'esprit grégaire a droit de cité. (A fortiori lorsqu'il s'agit d'être "fier" des moeurs en question, mais là n'est pas notre sujet.)

Qu'une époque de forte valorisation et de forte visibilité de l'homosexualité puisse aussi croire être une époque de "retour de l'ordre moral" traditionnel est une spécificité qui ne manque pas de sel, mais sur laquelle on ne reviendra pas aujourd'hui. Muray l'a très bien expliqué, c'est connu. En revanche, il me semble qu'il n'a pas poussé son raisonnement jusqu'au bout, et que, dans son rapport compliqué à Girard, que maintenant je suis virtuellement capable d'expliquer, sans vraiment se contredire il a trop laissé de flou dans ses analyses, en attaquant la question de la visibilité homosexuelle actuelle sous les seuls angles de l'indifférenciation et du paradoxe de la naissance d'une sorte d'ordre moral de l'indifférenciation. Bien sûr, tout cela est capital, et quant à moi c'est à Muray que je dois de l'avoir compris, mais il faut aller plus loin dans l'articulation de ce paradoxe à cette indifférenciation.

Car si les associations communautaristes gay sont aussi policières d'esprit, ce n'est pas seulement du fait de l'arrivisme de leurs membres se cramponnant à leur petit pouvoir, ce n'est pas seulement à cause de l'impudeur contemporaine, ce n'est pas seulement parce que la où la Loi recule le plus souvent les flics s'installent, c'est parce qu'à partir du moment où l'homosexualité n'est pas seulement tolérée ou indifférente, mais valorisée, il y a hiérarchisation, il y a création d'un nouvel ordre. Et créer un nouvel ordre à partir de l'indifférenciation, ce n'est pas commode, c'est justement un des paradoxes de la modernité - d'autant plus aigus dans un domaine aussi différenciateur que la sexualité. Il suffit de penser aux volte-face de Mme Royal sur le sujet : on peut y voir de pures préoccupations électoralistes, on peut aussi y voir les difficultés d'une zélatrice d'un "ordre juste", formule empruntée à Benoît XVI, à aller jusqu'au bout de ses idées sur le sujet sans retomber, pour le coup, dans un ordre réactionnaire et inadapté au temps présent.

En deux mots : dans le contexte actuel les associations gay sont une plaie inévitable. Avouons qu'il y a de pires choses à supporter. Pour l'instant.

Prions !

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mardi 3 octobre 2006

La charrue, les boeufs, le Beyle.

Où l'on constate une fois de plus que les romanciers peuvent être nettement plus synthétiques que la très grande majorité des philosophes. J'avais complètement oublié ce codicille au Rouge et le Noir, judicieusement placé pleine page par les éditeurs (fans de Bourdieu, c'est amusant, on se croirait parfois sur Acrimed) de la nouvelle édition "Pléiade" (2005, p. 807) :

"L'inconvénient du règne de l'opinion, qui d'ailleurs procure la liberté, c'est qu'elle se mêle de ce dont elle n'a que faire ; par exemple, la vie privée. De là la tristesse de l'Amérique et de l'Angleterre. Pour éviter de toucher à la vie privée, l'auteur a inventé une petite ville, Verrières, et, quand il a eu besoin d'un évêque, d'un jury, d'une cour d'assises, il a placé tout cela à Besançon, où il n'est jamais allé."

Dans les deux premières phrases défilent, entremêlées, des réminiscences de Girard (ce qui est tout de même logique, puisque c'est à la suite de la découverte de Mensonge romantique et vérité romanesque que j'ai décidé de relire ce roman de Stendhal), Voyer (cette "liberté" en italiques...), Muray (qui y verrait une dimension anti-protestante) - et Tocqueville, mais en mieux.

Soit trois des cinq auteurs contemporains recommandés dans ma Présentation générale. La classe ! J'ai d'ailleurs réalisé, puisque l'on parle de l'Amérique, que quatre de ces cinq auteurs (Girard et Muray, Descombes et Dumont), y avaient vécu et/ou travaillé. Comme disait l'autre, si les Ricains n'étaient pas là... Voilà de l'échange culturel, voilà de l'internationalisme.

J'étais parti sur Stendhal... Oui : je retrouve aussi dans cette notation d'un auteur au sujet duquel les éditeurs nous disent avec apparence de raison que "toute sa vie, [il] s'est efforcé de démontrer, contre la tradition, que le caractère était un produit social" (p. 972), une délicieuse intuition sociologique, qui en toute logique, comme je l'ai rappelé récemment, débouche sur de la bonne psychologie, et non l'inverse. Ce que confirment de leur côté MM. Pléiade :

"Le lecteur de 1880 (Barbey d'Aurevilly, Paul Bourget, Hippolyte Taine, Zola, Nietzsche) a fait de Stendhal un pénétrant analyste du coeur humain. Nul ne songerait à nier que l'auteur de la Chartreuse ne soit un expert de l'intime et de l'âme, mais si Stendhal est un grand "psychologue", c'est, sinon par accident, du moins par ricochet. Car la psychologie n'est nullement l'objet premier d'un auteur, qui, toute sa vie, s'est efforcé de montrer, contre la tradition, etc."

Et comme il y a vraiment peu de hasard, en recherchant dans Reich, mode d'emploi (J.-P. Voyer, 1971), si la première partie, sur la notion de caractère, ne pouvait me fournir une conclusion appropriée, je tombe, en exergue, sur une citation, fort girardienne d'esprit, de Stendhal. Mon monde est petit ! Je vous y laisse donc, en compagnie du stendhalien Reich, et en me citant outrageusement moi-même pour finir :

Est-il possible, est-il sain, est-il recommandé, et est-il bon pour la santé, de psychanalyser un musulman ?


Bon ramadan à tous !

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dimanche 1 octobre 2006

Géopolitique des couilles. (Ajout le 05.10.)

Je lis dans Libération qu'il n'a fallu qu'un coup de fil menaçant pour entraîner l'annulation des représentations de Idoménée à Berlin. Dommage qu'il n'y ait pas plus de metteurs en scène pour nous fourrer du Mahomet partout, s'il suffit d'un coup de fil pour tuer dans l'oeuf n'importe quel spectacle à la con, je vous fais virer en quelques semaines tous les minables suffisants qui sévissent à l'Opéra de Paris et dans le théâtre subventionné...

Je me souviens d'un commentaire après le 11 septembre : quelqu'un expliquait que de tels attentats allaient créer un effet de seuil - il allait falloir, pour les successeurs de M. Ben Laden, trouver quelque chose d'encore plus fort à chaque fois. Ce raisonnement semblait convaincant, mais ne serait-ce pas plutôt le contraire qui se produit ? Qui peut le plus peut le moins, détruire les Twin Towers et donner un coup de téléphone.

J.-P. Voyer dans sa Diatribe a bien raison : au post-modernisme artistique et à son analogue politique, le virtualisme américaniste, correspond un "Islam de synthèse", aussi flou politiquement que son adversaire, de peu d'intérêt théologique sans doute, mais qui a l'inestimable avantage de proposer un minimum de sens, fût-il seulement négatif, et d'obliger ceux qui le pratiquent à assumer leurs responsabilités (quels plus beaux planqués que MM. Cheney ou Wolfowitz ?). De surcroît, le 11 septembre était "aussi une réussite esthétique" - autre chose qu'une mise en scène "provocatrice" ou un film de Lars von Trier. Bref, même s'il s'agit donc d'une initiative isolée, dont les résultats ont dû surprendre son auteur plus que tout autre, les menaces téléphoniques contre Idoménée apparaissent, d'un point de vue global, comme un agréable contrepoint au 11 septembre.

Bref - je n'avais pas du tout prévu de vous parler de ça, je pensais seulement vous citer un passage de La mort de L.-F. Céline de Dominique de Roux (Christian Bourgois, 1966, pp. 94-95). Après avoir développé l'idée que Céline n'était pas vraiment antisémite ("Sous le vocable [de Juif], il aurait pu grouper tous les hommes, lui y compris.", p. 92), ce qui part d'une intuition juste (dans les pamphlets, en tout cas dans Bagatelles..., le terme "Juifs" a parfois un sens métaphorique, on pourrait dans certains passages le remplacer avantageusement par "les cons", "les salauds", "les profiteurs", etc.), mais est néanmoins insoutenable (il ne s'agit que de quelques passages, l'emploi du terme "Juifs" est loin d'être majoritairement métaphorique), Dominique de Roux fait le parallèle entre l'homme solitaire qu'a toujours été Céline, et un homme de parti qui lui était contemporain :

"Comme tant d'autres sbires, il aurait pu choisir le bon camp, s'accrocher à toutes les nappes et finir en nain ridicule sur le trône de l'imposture. Prenons l'exemple d'Aragon : personne ne l'a vraiment jamais condamné. Cet étrange communiste, cette variété de hyène, enfermé dans les crimes de Staline, dans son zèle d'indicateur et ses dithyrambes d'Elsa, asservi au déshonneur permanent incarne à lui seul l'abjecte caricature d'Hugo et le bâtard de Galliffet.

Céline aurait pu aussi adopter l'idéal de la Gauche d'aujourd'hui (la Droite, mieux vaut ne pas en parler !) : ce goût de l'absolutisme libertin à la Louis XV, associé à la corruption la plus jobarde."

Pas mal vu (il est vrai que Mitterrand sortait de sa première campagne présidentielle), mais le meilleur, hélas serais-je tenté de dire, tient dans cette citation d'Aragon, en note (La commune, août 1936) :

"Dans l'immense trésor de la culture humaine, ne prend-elle pas (la nouvelle constitution stalinienne) la première place au-dessus des oeuvres royales de l'imagination, au-dessus de Shakespeare, de Rimbaud, de Goethe, de Pouchkine, lettre, page resplendissante écrite avec les souffrances, les travaux et les joies de cent soixante millions d'hommes, avec le génie bolchévik, la sagesse du parti et de son chef, le camarade Staline, un philosophe selon le voeu de Marx, qui ne s'est point contenté d'analyser le monde ?"

(Ça non, il ne s'en est point contenté...) On en mangerait ! Avec le recul tout le monde voit bien qu'il y a là complicité de crime, même si Aragon n'est pas directement responsable de la politique de Staline. Et avec le recul tel ou tel zélateur de la politique américaine, tel ou tel Kouchner ou Goupil, sera lui aussi convaincu de complicité de crime. Ach, à eux aussi, avoir un peu peur de la lance du bédouin ne pourrait pas leur faire de mal.

Ce qui, via l'inénarrable Redeker

- Charlot ! Bouse ! Et il se vante d'avoir "longuement réfléchi" et d'avoir fait "beaucoup de recherches" avant de mettre ses hallucinations sur papier. Mais il aggrave son cas ! Ce genre de gars voudrait mettre de l'huile sur le feu en permanence, cracher avec dédain sur les convictions profondes de plusieurs millions de gens, parmi lesquels nombre de compatriotes, et ne jamais rien risquer. Sérieusement, qu'il éprouve quelques frayeurs est bien le moins. Et le plus : c'est tellement adapté à son cas que liquider ce monsieur serait, toute considération morale mise à part, contre-productif. Et puis, franchement, on a beau savoir que les martyrs sont des hommes avant de devenir des mythes, si l'on veut vraiment trouver un symbole tragique à la liberté d'expression, on peut peut-être trouver mieux, comme occasion, qu'un ramassis de fantasmes, et comme modèle, qu'un fonctionnaire ventru et arrogant.

ce qui, disais-je !, me fait penser à une phrase de Nabe, dans laquelle il dit en substance que l'Islam aujourd'hui est sinon le vrai catholicisme, du moins le vrai héritier spirituel du catholicisme. On ne s'aventurera pas ici à analyser un aperçu aussi ambitieux, on en suggérera une interprétation terre-à-terre : de même que les catholiques avaient à une époque plus de courage que les autres, de même les Musulmans (en l'occurrence les "Arabo-Musulmans") auraient plus de courage - et de dignité - que les "citoyens" du "monde libre". Les considérations théologiques à la Redeker ne peuvent rien contre ça. Et si cela n'autorise pas tout et ne rend pas plus intelligent qu'un autre (mais, comme disait Proust, qui était, il est vrai, supérieurement intelligent et pouvait s'autoriser un tel luxe : "Chaque jour j'attache moins de prix à l'intelligence."), c'est déjà un point de départ dont beaucoup d'entre nous peuvent être jaloux.




P.S. Cabu, après avoir fait son beurre pendant des années en prônant la détestation snob de ses concitoyens (Mon beauf ou l'incitation à la haine raciale de classe) organise une exposition à Paris. Quelqu'un a son numéro de téléphone ?



(Ajout le 05.10.)
J'ai oublié l'autre jour : la consultation rapide du CV de l'outre Redeker révèle une typique surreprésentation d'articles consacrés au négationnisme et au révisionnisme. Ah, le preux chevalier exerçant son courage sur une minorité d'excités dont les écrits sont interdits par la loi, voilà le noble combattant de la liberté d'expression qu'il nous faudrait soutenir. Sans doute a-t-il cru, habitué à l'impunité de son statut de sbire de Lanzmann aux Temps modernes, que les musulmans, au moins les musulmans français, qui sont tout de même bien gentils, seraient aussi dociles que les négationnistes à qui il est défendu de s'exprimer. On n'épiloguera pas sur cette stratégie des Temps modernes - et de L'Arche, papier hygiénique communautaire qui a aussi accueilli la prose enchanteresse et chatoyante de R. Redeker (de même que le Monde diplomatique, soit dit en passant) - d'écrire en permanence sur le négationnisme, pour convaincre tout le monde - et les négationnistes en premier - que ce sujet est d'une grande importance, que le péril négationniste nous menace à chaque instant.

C'est très bien tout ça, le malfaiteur Lanzmann aura peut-être plus de mal à trouver des larbins pour l'aider dans ses basses besognes. Si ce genre de places se met à comporter des risques, ça freinera quelques ardeurs. Tout le monde n'est pas aussi fanatique que M. Shoah, Dieu merci.

(Je le note parce que c'est l'occasion : dans Les assassins de la mémoire, Vidal-Naquet rappelle, en 1987, que la plaque commémorative à l'entrée d'Auschwitz, qui déclare un total de quatre millions de morts, est fautive, et qu'il faut ramener ce chiffre à "un bon million" - ce qui, il me semble, est déjà pas mal. Vidal-Naquet regrette à cette occasion que quelqu'un comme C. Lanzmann puisse encore, à la même date, écrire avec aplomb - dans Le Monde déjà, qui en aura vu défiler des conneries lanzmanniennes - que "les estimations les plus sérieuses tournent autour de trois millions et demi." On voudrait donner du grain à moudre aux négationnistes, y compris arabes, pour mieux les dénoncer après, que l'on ne s'y prendrait pas autrement. S'il veut du "plus sérieux", qu'il aille tâter lui-même de la lance du Bédouin, et qu'on n'en parle plus. Comme le dit un ami que je cite souvent, explicitement ou non : "Tout ce genre de conneries, ça ne vise qu'à rendre la France aussi invivable qu'Israël. Tout ce qu'ils veulent, c'est que, s'il y a le merdier en Israël, il y ait le merdier aussi ici." Cela n'est pas sans accents xénophobes - mais cela n'est pas non plus, malheureusement peut-être, et en tout cas surtout, sans accent de vérité.)

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