samedi 21 octobre 2006

Le bordel du samedi soir.

Viva la guerra : le chiffre date de 2002, j'ignore s'il est toujours exact, mais un rapport de l'OMS, fondé sur des observations faites dans quatre-vingt pays, montrerait que la moitié des morts violentes y sont causées par le suicide, et que la majorité des homicides sont commis au sein de la famille (apparemment Kraus n'était pas le seul à le penser, s'il fut celui qui l'écrivit avec netteté : "La vie familiale est une intrusion dans la vie privée."). D'après ce même rapport, seulement un cinquième des morts violentes chaque année proviennent de la guerre.

Il faut certes nuancer ce qui est guerre et ce qui ne l'est pas : une famine provoquée, et un même un gigantesque raid boursier sont des actes de guerre, que peut-être l'OMS n'a pas comptabilisés en tant que tels. Reste que la faiblesse de cette proportion surprend.

La sortie de la religion est pour l'heure une impasse : "La société de consommation, à son extrême, devient une mystique, en ceci qu'elle nous procure des objets dont nous savons d'avance qu'ils ne peuvent pas satisfaire nos désirs." (René Girard, Les origines de la culture, Desclée de Brouwer, 2004, pp. 101-102). En note, Girard ajoute : "Jean-Pierre Dupuy parle aussi du capitalisme comme le plus "spirituel" des univers, car sa préoccupation n'est pas strictement matérielle (...) ; il n'est pas la pure et simple acquisition d'objets, mais il est fondé sur l'envie, et les objets sont des signes d'envie dans lesquels le rôle du médiateur, ou de l'autre, est toujours présent."

On a mal au cul et on en redemande : toujours selon Girard, d'après un certain Thomas Frank (The Conquest of Cool : Business Culture, Counterculture, and the Rise of Hip Consumerism, University of Chicago Press, 1997), il existerait depuis les années 60 une tendance importante du marketing, que Frank appelle la commodification of discontent, qui repose sur le principe de vendre aux gens des signes de leur désaffection à l'égard du système même qui le vend.

[Ajout le dimanche matin.] Je ne vous transmets pas cette idée en croyant vous proposer un scoop, on connaît ce mécanisme depuis Baudelaire au moins : ce qui est piquant (et tout à fait logique, never ending story) est que le marketing l'a compris bien avant les "rebelles". Je signale à ce propos l'existence, que je viens d'apprendre, de ce livre (il y a dans le compte-rendu qu'en fait Assouline pas mal de confusion intellectuelle me semble-t-il, mais je n'ai pas les éléments pour discerner à quel point cette confusion vient du sujet, du livre, ou de P. Assouline.) [Fin de l'ajout.]

Girard encore... : "Niez-vous qu'il y ait une quelconque détermination matérielle dans l'évolution culturelle de l'humanité ? - Tout dépend de ce que vous entendez par là. Bien sûr les hommes doivent d'abord se nourrir, comme les animaux ; mais ce qui fait d'eux des hommes, c'est le religieux." (p. 183)

Tribute to Nisbet ; Balzac durkheimien : "En coupant la tête à Louis XVI, la Révolution a coupé à la tête à tous les pères de famille. Il n'y a plus de famille aujourd'hui, il n'y a plus que des individus. En voulant devenir une nation, les Français ont renoncé à être un empire. En proclamant l'égalité des droits à la succession paternelle, ils ont tué l'esprit de famille, ils ont créé le fisc ! Mais ils ont préparé la faiblesse des supériorités et la force aveugle de la masse, l'extinction des arts, le règne de l'intérêt personnel. (...) Tout pays qui ne prend pas sa base dans le pouvoir paternel est sans existence assurée. Là commence l'échelle des responsabilités, et la subordination, qui monte jusqu'au roi. Le roi, c'est nous tous ! Mourir pour le roi, c'est mourir pour soi-même, pour sa famille, qui ne meurt pas plus que ne meurt le royaume. Chaque animal a son instinct, celui de l'homme est l'esprit de famille. Un pays est fort quand il se compose de familles riches, dont tous les membres sont intéressés à la défense du trésor commun : trésor d'argent, de gloire, de privilèges, de jouissances ; il est faible quand il se compose d'individus non solidaires, auxquels il importe peu d'obéir à sept hommes ou à un seul, à un Russe ou à un Corse, pourvu que chaque individu garde son champ ; et ce malheureux égoïste ne voit pas qu'un jour on le lui ôtera. Nous allons à un état de choses horrible, en cas d'insuccès. Il n'y aura plus que des lois pénales ou fiscales, la bourse ou la vie. Le pays le plus généreux de la terre ne sera plus conduit par des sentiments. On y aura développé, soigné des plaies incurables. D'abord une jalousie universelle : les classes supérieures seront confondues, on prendra l'égalité des désirs pour l'égalité des forces ; les vraies supériorités reconnues, constatées, seront envahies par les flots de la bourgeoisie. On pouvait choisir un homme entre mille, on ne peut rien trouver entre trois millions d'ambitions pareilles, vêtues de la même livrée, celle de la médiocrité." (Mémoires de deux jeunes mariées, 1841, "Pléiade", 1976, t. 1, p. 243)

On peut (ou non) dissocier l'intérêt de ces aperçus sociologiques de l'éloge du patriarcat.

Balzac, Wittgenstein, la règle : l'une des deux héroïnes rêve à son homme idéal, lequel sera notamment fort croyant : "Je méprise profondément ceux qui voudraient nous ôter la source des idées religieuses, si fertiles en consolations. Aussi, ses croyances devront-elles avoir la simplicité de celles d'un enfant unie à la conviction inébranlable d'un homme d'esprit qui a approfondi ses raisons de croire." (p. 248)

- ceci noté aujourd'hui pour mémoire. Depuis la troisième partie du texte "Pas de liberté...", j'ai soigneusement évité d'aborder le thème fort complexe : qu'est-ce qu'obéir à une règle ? J'y suis ramené ces derniers temps par... Richard Wagner. Mais ceci est une autre histoire, que j'espère vous raconter d'ici quelques semaines.


Dieu et Mesrine nous protègent !

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