lundi 6 novembre 2006

Don et contre-don.

En juillet 2004, quelque part en France, à l'heure de la collation, un détenu condamné à trente ans de prison pour "actes de torture et de barbarie" a soudainement agressé un autre prisonnier qui lui servait à manger, lui a fracassé le crâne et a commencé à lui dévorer le cerveau à pleines mains.

Cette mise en bouche, qui peut-être vous rappellera comme à moi d'autres souvenirs de cantine, lorsque la cervelle était au menu, me permet, outre sa saveur propre, d'introduire à une brève mise au point sur François Besse, évoqué l'autre jour dans une évocation de Jacques Mesrine et dans les commentaires qui ont suivi. Sur la foi d'un informateur habituellement digne de confiance, je faisais mention de la conversion de M. Besse à l'Islam. A la lecture d'un livre providentiellement sorti ces dernières semaines,

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il s'avère que cette conversion, annoncée suite à l'arrestation de F. Besse et de sa famille au Maroc en 1994, semble, bien que l'on ne puisse être péremptoire à ce sujet, avoir été une manoeuvre tactique (ratée) pour éviter l'extradition vers la France (p. 158). Ce qui semble avéré, c'est qu'en prison, François Besse a lu tout ou partie du Coran (dans la traduction de J. Berque, la meilleure selon certains spécialistes), et que, par la suite, dans les longues études de philosophie qu'il a entreprises en prison, il s'est bien plus intéressé à Spinoza, Nietzsche et Husserl, qu'à l'Islam (sauf erreur ou silence de l'auteur). L'hypothèse que l'on peut formuler est que le Coran ait compté parmi les facteurs qui ont déclenché l'évolution de François Besse vers une nouvelle vie - l'âge (il a cinquante ans quand il est arrêté, une vie de cavale et de prison derrière lui), l'amour, son propre caractère, ont joué un rôle certainement plus fondamental.

"Une nouvelle vie" - si je vous parle de tout cela, ce n'est pas seulement pour être exact et corriger ce qui m'apparaît avoir été une erreur de ma part, c'est que c'est le plus fascinant, à la lecture du livre de M. Delahousse (hélas sans photographies... un éditeur radin, ça) : François Besse a eu deux existences, celle du truand, qui apparaît simultanément comme libre et comme esclave (il fait ce qu'il veut parfois, grand seigneur ostentatoire parfois, mais est surveillé en permanence, par les flics et les matons, par lui-même, en prison lorsqu'il veut s'évader, en cavale pour ne pas être repéré ou deviner s'il l'a été), et celle du détenu qui, non pas trouve un échappatoire dans la philosophie, mais expérimente en quelque sorte la philosophie sur lui-même ("J'ai besoin de vivre. Cette philosophie, c'est une expérience sur le corps. Je dois savoir, poser des questions, et avoir une réponse dans le corps. Si je ne modifie pas mon comportement, la philosophie ne changera rien. Je réciterai et cela ne servira à rien." (p. 224). Si c'est un fonctionnaire deleuzien qui dit ça, mieux vaut en rire. Si c'est quelqu'un qui a passé vingt ans de sa vie dans des pièces de 11 mètres carrés, ça prend un autre poids). La question restant : cette deuxième vie, à laquelle on peut associer le terme de sagesse, est-elle possible sans passer, de près ou de loin (?), par la première ?

A la bonne vôtre !

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