dimanche 31 décembre 2006

En guise de voeux.

"Il était mort. Mort à jamais ? Qui peut le dire ? Certes, les expériences spirites, pas plus que les dogmes religieux, n’apportent la preuve que l’âme subsiste. Ce qu’on peut dire, c’est que tout se passe dans notre vie comme si nous y entrions avec le faix d’obligations contractées dans une vie antérieure ; il n’y a aucune raison, dans nos conditions de vie sur cette terre, pour que nous nous croyions obligés à faire le bien, à être délicats, même à être polis, ni pour l’artiste cultivé à ce qu’il se croie obligé de recommencer vingt fois un morceau dont l’admiration qu’il excitera importera peu à son corps mangé par les vers, comme le pan de mur jaune que peignit avec tant de science et de raffinement un artiste à jamais inconnu, à peine identifié sous le nom de Ver Meer. Toutes ces obligations, qui n’ont pas leur sanction dans la vie présente, semblent appartenir à un monde différent, fondé sur la bonté, le scrupule, le sacrifice, un monde entièrement différent de celui-ci, et dont nous sortons pour naître à cette terre, avant peut-être d’y retourner revivre sous l’empire de ces lois inconnues auxquelles nous avons obéi parce que nous en portions l’enseignement en nous, sans savoir qui les y avait tracées, ces lois dont tout travail profond de l’intelligence nous rapproche et qui sont invisibles seulement – et encore ! – pour les sots."

(M. Proust, La prisonnière, Pléiade t.III (1988), p. 693.)

Ici ou ailleurs... bonne année !

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jeudi 28 décembre 2006

Descombes forever (Fragments sur le holisme III : Justice et individualisme méthodologique.)

Fragments I.

Fragments II.



Je pourrais réécrire ici le préambule de la note précédente : en lisant divers articles de V. Descombes, je découvre d'autres façons d'approcher certaines des questions que je souhaite traiter au cours de ces "fragments". Dans "Le contrat social de Jürgen Habermas", une descente en flammes publiée par "Le débat" en mars-avril 1999 (n°104), on trouve la mise au point suivante :

"Habermas se réfère à Rawls : le propos d'une "théorie de la justice" est de montrer qu'une société peut trouver un état de stabilité en dépit du "pluralisme des visions du monde". Il concède ceci : "[Rawls] a montré qu'une théorie normative de la justice, telle qu'il la propose, peut se rattacher à une culture dans laquelle les convictions fondamentales du libéralisme sont déjà, grâce à la tradition et grâce à l'habitude, ancrées dans les pratiques quotidiennes et dans les intuitions de chaque citoyen." Autrement dit, quand Rawls et Habermas parlent de la société contemporaine pluraliste, ils n'ont pas en tête des exemples de sociétés manifestement pluralistes comme la Chine ou l'Union indienne. En réalité, le paradigme est fourni par les Etats-Unis. Le pluralisme social qui intéresse les penseurs libéraux est donc celui de sociétés dans lesquelles chaque citoyen a intériorisé les idéaux et les valeurs du libéralisme. On ne saurait mieux dire que, si une société est pluraliste dans le sens ici visé, c'est à la condition d'être en même temps fortement intégrée par des valeurs communes, donc par une culture globale qui est commune à tous.

Ici prend place une note que je retranscris intégralement :

Les auteurs qui participent aux controverses contemporaines sur le "multiculturalisme" tiennent en général pour acquis que la société américaine serait effectivement une société porteuse de plusieurs cultures (les uns pour s'en féliciter au nom de la liberté des minorités, les autres pour le déplorer au nom d'un idéal de civisme républicain). Mais où trouvent-ils une pluralité culturelle aux Etats-Unis ? Le fait est que ce n'est jamais là où un anthropologue aurait l'occasion d'appliquer le terme (qui appartient à son vocabulaire savant) de différence culturelle, par exemple dans la persistance d'une aire de culture amish en Pennsylvanie ou d'une culture cajun en Louisiane. Les différences culturelles qu'on mentionnera seront toujours comprises comme des "options" offertes à l'individu : elles témoignent donc, à leur corps défendant, de la puissance des valeurs individualistes dans la culture commune à la quasi-totalité des citoyens américains.

Fin de la note. Suivent des distinctions quant à la notion de pluralisme, puis vient la conclusion :

Le prix que nos contemporains attachent à la possibilité d'une expression plurielle des opinions (individuelles) suffirait à montrer que la société libérale moderne est, comme toute société, intégrée par ses valeurs. Telle est, du moins, la thèse de la sociologie durkheimienne. En revanche, la "théorie critique" - pour reprendre l'opposition que faisait Herbert Marcuse entre sociologie et théorie critique du social - estime que les sociétés ont été "durkheimiennes" dans le passé, mais qu'elles le sont de moins en moins. Pour les héritiers de cette théorie critique, d'accord sur ce point avec les philosophes qui croient que le pluralisme libéral suppose la vérité de l'individualisme méthodologique en sociologie, nous devons aujourd'hui concevoir un droit et une politique à l'usage d'une société qui serait "pluraliste" quant à ses valeurs ultimes.

Il se trouve que le signalement offert de la société libérale - signalement sur lequel Habermas s'accordait avec Rawls - donne raison à la conception sociologique plutôt qu'à la théorie critique : la différence entre les sociétés traditionnelles et la société libérale, c'est que cette dernière est puissamment intégrée par les valeurs de l'individualisme, ce qui lui permet de différencier la religion du politique et du droit. Elle peut donc distinguer religion et citoyenneté (nationale). L'équivoque de la thèse sur le pluralisme des "visions du monde" est donc la suivante : puisque notre société accepte que les valeurs ultimes des individus ne soient pas les mêmes (les uns pouvant être athées, les autres fidèles de telle ou telle Eglise), on se figure que cela veut dire qu'il n'y a pas de valeurs sociales ultimes, les mêmes pour tous. Il saute aux yeux que cette inférence est invalide."

On comprend l'enjeu : accepter la notion de pluralisme sans examen, sous prétexte que nous ne nous entretuons pas ou ne nous faisons pas jeter en prison à l'expression du moindre désaccord entre nous ou avec l'Etat, peut revenir à accréditer l'idée que la société libérale n'est pas justiciable, autant que les sociétés traditionnelles, d'une analyse holiste (ou, ici, "durkheimienne"). C'est en fait prendre ses désirs, en tout cas ceux de Habermas et ceux des promoteurs de la société libérale, pour des réalités, et donner trop de crédit au discours que cette société tient sur elle-même - ou ne pas tirer toutes les conséquences du fait qu'elle tient ce discours (Durkheim, lui, ne s'y était pas laissé prendre. Mauss... ça dépendait des jours).

La suite de ce raisonnement, tel que je le reformule, est connue des moralistes depuis Balzac au moins : le transfert de croyance entre la noblesse réelle de l'individualisme comme valeur (noblesse au moins au niveau de la notion d'égalité des droits) et la réalité supposée effective, ici et maintenant, des principes qui sous-tendent cet individualisme. D'où, sans même aborder les questions de gouvernement et de politique, les moutons de Panurge de la consommation, puis les mutins de Panurge, comme disait Muray, de la "révolte", tous se croyant "personnels", "indépendants", etc. N'y revenons pas. Finissons juste en signalant qu'il n'y a rien d'illogique à ce que Habermas, qui vient du marxisme via l'Ecole de Francfort, fasse le lien dans son oeuvre entre les erreurs symétriques, quant à l'individualisme, du dit marxisme, et du libéralisme moderne. Rien de nouveau sous le soleil...




Sur les mêmes sujets :

- Descombes et Habermas ;

- j'ai évoqué Habermas et Rawls dans ma note sur Max Weber et la modernité. Finalement, à lire l'article de V. Descombes, on en vient, contrairement à ce que disait P. Ricoeur, à conjoindre ces trois auteurs, dans la surestimation du conflit en société, sous l'angle tragique pour Weber, sous l'angle du libéralisme rationnel comme seule issue à ce conflit pour les Habermas et Rawls. Une autre fois peut-être...

- un exemple de consommation de mutin de Panurge est donné ici, section "On a mal au c...".

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mardi 26 décembre 2006

Mesrine forever.

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La classe !

(Pour plus de détails et un peu de musique, confere M. Anthologie. Pendant ce temps, croyant qu'il suffit de battre des femmes et d'insulter des journalistes pour être quelqu'un, Joey Starr vit encore, hélas. Enfin, non, contrairement à J.B. et E. Schwarzopf, il n'a jamais été vivant. Eternité fragile de la vie et du souvenir, par rapport à la permanence périodiquement et superficiellement renouvelée du cliché et du chromo.)

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lundi 25 décembre 2006

Noël vécu.

Je suis de bonne humeur ce matin, il y a des matins comme ça... Il faut dire qu'en finissant une bouteille de fort goûteux haut-médoc hier soir (dicton de Noël : Qui s'endort avec du bon haut-médoc / Ne se réveille pas la tête en toc), sans une seule pensée pour ces salauds de SDF qui selon certaine devraient nous empêcher de réveillonner tranquillement, j'ai pu assister de ma fenêtre au délassement d'un jeune de passage dans le quartier, ouvrant la voiture d'un voisin à l'aide d'un instrument contondant, fouillant pour voir s'il n'y avait rien à piquer (apparemment, rien), puis, voyant que les deux amis avec lesquels il se promenait s'étaient prudemment éloignés de lui, revenir vers eux avant que je n'aie fini de délibérer en moi-même sur l'intérêt de me coltiner pendant de longues minutes le standard de la police en ces temps de sous-effectifs sarkozyens, les apostrophant d'une voix sonore, largement audible depuis mon dernier étage hyper-sécurisé : "Sur le Coran, vous êtes vraiment des baltringues !"

Bref, nous n'avons pas fini de nous amuser. Pays merveilleux, monde enchanté. On critique Noël, mais tout le monde y trouve de quoi s'amuser. Sauf peut-être mon voisin, mais bon, sa voiture est toujours là à l'heure où j'écris (et, puis, comme le dit la sagesse populaire : Qui s'endort avec une caisse de chiotte / Se réveille la tête en compote).

Et comme d'habitude dans les histoires vraies, la morale, si morale il y a, ne vient pas de la seule réalité.

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vendredi 22 décembre 2006

Fragments sur le holisme (II) : Eclaircissements sur Dumont.

Fragments I.


Je n'avais pas planifié cette note, je n'ai pas l'intention de constituer uniquement ces "fragments" de citations de Vincent Descombes, mais je tombe sur ce passage qui me semble répondre clairement à certaines interrogations suscitées par la note précédente et dissiper utilement des ambiguïtés dont il serait souhaitable d'être débarrassés pour pouvoir continuer nos raisonnements :

"Deux questions ont été plusieurs fois posées à propos de la place du holisme dans la pensée de Dumont. Selon sa définition du terme, une société est holiste si elle attache la valeur à l'existence du tout social plutôt que de l'individu (en développant une idéologie du bien commun et de la justice sociale plutôt que des droits de l'homme). Par extension, une sociologie est holiste si elle refuse de réduire le lien social à une association d'ordre contractuel entre des individus par eux-mêmes indépendants les uns des autres, mais part de la société globale pour comprendre les phénomènes sociaux particuliers. D'où les interrogations suivantes. Tout d'abord, Dumont lui-même nous explique que la société holiste est celle d'avant la révolution moderne des valeurs, tandis que nos sociétés modernes sont individualistes. Comment peut-il soutenir qu'il n'est de bonne sociologie que holiste ? N'est-ce pas renoncer à l'esprit moderne (qui est aussi celui de la science) ? N'est-ce pas substituer à l'idée d'une science sociale celle d'un retour à la philosophie de la société "fermée" [allusion à K. Popper, par ailleurs individualiste méthodologique notoire], à la République de Platon ? Ensuite, Dumont plaide pour que nous reconnaissions la rationalité du concept de hiérarchie. Mais n'a-t-il pas expliqué lui-même qu'un citoyen du monde moderne fondait sa conscience de soi sur le rejet de toute hiérarchie ?

Ces questions reviennent à se demander si Dumont ne propose pas une synthèse entre l'individualisme et le holisme. En nous invitant à développer une discipline holiste dans un monde qui a cessé de se représenter la valeur comme attachée au tout, il paraît croire à la possibilité de combiner les deux. Or, il a lui-même souligné maintes fois que les deux idéologies étaient incompatibles. Il a également expliqué que la combinaison des deux donnait la formule du totalitarisme [formulation un peu abrupte : pour plus de détails, cf. ici]. S'il en est ainsi, que peut-on attendre d'un retour à des conceptions holistes dans quelque ordre que ce soit ?

Le principe de la réponse est qu'il ne s'agit pas d'un retour à des principes holistes (comme s'ils avaient véritablement disparu), mais plutôt d'un retour à une conscience plus lucide de la part de principes holistes dans toute vie humaine en tant qu'elle reste une vie sociale.

Il convient tout d'abord de distinguer entre les idéologies [1] et la réalité. Entre une idéologie holiste et une idéologie individualiste, l'incompatibilité est totale. Toute tentative de synthèse doit donc être récusée sur le plan des idées. Maintenant, les choses se présentent autrement si nous considérons les réalités et les pratiques. En effet, aucune société ne peut fonctionner selon les seuls principes individualistes, pas même la société moderne. Le sociologue constate donc que ces principes ne sont pas appliqués intégralement et qu'ils ne pourraient pas l'être. Comme l'écrit Dumont, nous devons nous demander quelle a été la portée réelle de l'individualisme. Il répond :

"La thèse sera non seulement que l'individualisme est incapable de remplacer complètement le holisme et de régner sur toute la société, mais que, de plus, il n'a jamais été capable de fonctionner sans que le holisme contribue à sa vie de façon inaperçue et en quelque sorte clandestine." (L'idéologie allemande, Gallimard, 1991, p. 21)

Aussi longtemps qu'on méconnaît cet écart inévitable entre la représentation que notre idéologie nous donne de nous-mêmes (nous serions indépendants) et la réalité (dans laquelle nous continuons à dépendre les uns des autres), on n'est pas bien préparé à comprendre ce que Dumont appelle les "malheurs de la démocratie", par quoi il entend principalement les guerres mondiales et les phénomènes totalitaires. Ce sont en effet des malheurs de la démocratie, des maladies du monde moderne et non pas, comme on le dit trop souvent, des résurgences incompréhensibles d'un passé archaïque."


[1]
Chez Dumont, le mot "idéologie" ne doit pas s'entendre dans un sens marxiste (les représentations propres à la classe dominante), mais dans un sens structuraliste, celui qu'on trouve aussi chez Dumézil : le système des représentations collectives d'une société globale.



V. Descombes, "Louis Dumont ou les outils de la tolérance", Esprit, juin 1999.


La suite est passionnante, mais elle nous éloignerait quelque peu de notre sujet. Une autre fois !

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mardi 19 décembre 2006

Nouvelles du front.

Commençons par le National. On peut trouver sur le site de l'intéressé une interview d'Alain Soral au Choc du mois et une autre (d'une dizaine de minutes) à videodrom.org, dans lesquelles il explique son ralliement au parti de M. Le Pen. Bien que ce marxiste revendiqué fasse un usage un peu léger sans doute du terme "dialectique", ces interventions me semblent dignes d'intérêt. On peut les compléter par les commentaires de M. Dieudonné sur le même sujet, ainsi que par le diagnostic de Emmanuel Todd (cité par M. Soral comme un frontiste potentiel) sur l'Europe et le protectionnisme (diagnostic en l'espèce assez proche de celui d'un Cornelius Castoriadis).

Je ne connais pas assez le Front National actuel pour porter un jugement très motivé sur le choix d'Alain Soral. En tout état de cause, il me semble que son calcul revient à encourager l'évolution de ce parti, évolution que je crois réelle chez ses électeurs, vers un parti de contestation démocratique d'une part, de remise à plat, d'esprit disons gaulliste, de notre univers politique et social. A quel point ce calcul est fondé, par rapport à, d'un côté, les projets des dirigeants du FN, de l'autre, ce que les Français et les politiciens anti-FN peuvent accepter de bonne foi chez ces dirigeants, l'avenir le dira peut-être.


Passons au front social. Drame de l'esclavage salarié ! Dans ce fait divers récent (et authentique), un cadre d'une grande entreprise de sodas, efficace et apprécié par ses chefs comme par ses proches, quitte un jour l'étage où il travaille, pour monter au dernier de l'immeuble, et de là s'y jeter par la fenêtre, comme on le fait d'ordinaire un jeudi noir de krach boursier ou un 11 septembre de brusque montée de la température.

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Malheureusement, le pauvre ne retombe pas aussi nettement qu'il l'aurait sans doute souhaité et agonise pendant une bonne demi-heure. Aux pompiers venus, mais un peu tard, le secourir, il glisse : "Vous savez, en ce moment, je n'ai pas trop le moral." Certes.

Le mot devrait figurer comme épitaphe pour nous tous esclaves salariés. Que Ben Laden nous sauve de nous-mêmes !


Un peu d'espoir et un coup de publicité pour finir. Ce n'est pas tous les jours que l'on découvre le site d'un belge musulman se réclamant de Léon Bloy et quelque peu versé dans le voyerisme. Je serais donc bien mesquin de ne pas le faire savoir. Un extrait pour vous mettre en appétit et me servir de conclusion :

"Contrairement à une idée reçue, ce n'est pas par haine de l'Occident qu'on cherche à humilier l'Occident. Voilà bien une idée moderne ! comme si c'était prouver son amour à quelqu'un que de le laisser s'entêter dans son erreur. Comme l'a montré René Guénon, c'est l'aveuglement, c'est l'orgueil occidental, qui est le pire ennemi de l'Occident. C'est le meilleur service qu'on puisse lui rendre, de rabattre cet orgueil qui menace d'entraîner sa ruine, et avec elle celle de l'univers entier. Comment ne pas voir que la conduite actuelle de l'Occident appelle la colère de Dieu, appelle le Jugement Dernier, comme un paratonnerre appelle la foudre. Rabattons l'orgueil de ce pécheur avant qu'il ne soit trop tard. Comme disait Léon Bloy - et avant lui tous les prophètes, sans exception - le signe de la Colère de Dieu, la marque distinctive de Son Châtiment, c'est que les innocents sont frappés avec les coupables. En ce sens, que des "travailleurs innocents" aient été broyés avec les "coupables spéculateurs", dans l'écroulement des deux sales tours, prouve que c'est bien Dieu qui a frappé, contrairement à ce que pensent les imbéciles modernes. L'Occident a besoin d'être humilié, humilié comme un pénitent, il a besoin de faire pénitence, s'il veut sauver son âme. Le monde entier, d'ailleurs, a besoin de faire pénitence, pas seulement l'Occident."

Que Ben Laden...

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dimanche 17 décembre 2006

Fragments sur le holisme (I) : Castoriadis I.

Fragments sur le holisme, II.

Fragments sur le holisme, III.

Fragments sur le holisme, IV.

Fragments sur le holisme, V.



"Le dieu grec est une invention, mais le grand magasin est, lui aussi, une invention. En fait, toute institution humaine est inventée sans le moindre modèle naturel. Une institution humaine n'a d'autre soutien ontologique que l'activité instituante du groupe. Le mot imaginaire fait penser à une doctrine psychologique des facultés : mais je crois qu'il faut voir dans la théorie de Castoriadis une thèse sur la nature des institutions. Il veut dire que nous ne pourrons jamais comprendre les institutions si nous persistons à concentrer notre attention sur le contraste aveuglant : un dieu grec n'existe pas, alors qu'une voiture existe. Castoriadis nous invite à prendre les choses par l'autre bout. A titre d'exercice dialectique, pour se former la tête, il est utile d'essayer l'autre hypothèse, et de se dire que la voiture est tout aussi imaginaire. Admis que le dieu grec n'existe pas : il ne s'agit pas ici de chercher de fausses portes de sortie (en lui attribuant une "existence imaginaire"). Pourtant la cité grecque a existé. Or qui a dit que le dieu pouvait exister sans la cité ? Certainement pas les poètes. L'idée [creusée notamment par Heidegger] que les dieux sont "loin de nous" est tardive, c'est une idée "impie" et "apolitique". C'était donc peut-être une erreur de poser la question de l'existence à propos d'"entités" qu'on croit pouvoir isoler. Mais laissons de côté les dieux, et considérons plutôt la voiture. Il est hâtif de dire que la voiture existe, qu'elle satisfait tous les critères d'existence d'un robuste réalisme. En réalité, ce qui existe isolément est une ferraille, laquelle est tout ce qui reste de la voiture si on prive cette dernière de l'Umwelt [environnement, milieu] qu'elle requiert. La voiture n'existe comme voiture que s'il y a autour d'elle un réseau routier, des pompes à essence, etc., mais aussi toutes les institutions humaines sans lesquelles les pompes ne seraient pas approvisionnées, ni les routes en état d'être utilisées. Or ce système institutionnel ne requiert sans doute pas comme sol nourricier une religion polythéiste, mais il suppose à tout instant le respect d'entités "fictives" telle que ma voiture (qui est plus que : ce véhicule que je viens d'"abandonner" le long du trottoir) ou ma priorité de passage au carrefour (à distinguer, par exemple, de la plus grande puissance de mon véhicule utilisé comme un bulldozer). [1].

La conclusion à tirer de cet exercice n'est pas que les dieux grecs sont "en dernière analyse", les personnifications de notions morales et juridiques, donc de simples figures de style. Le but n'est pas de réduire la religion à autre chose, par exemple au droit, mais plutôt de souligner que la question portant sur la "réalité" des dieux grecs : Y a-t-il des dieux grecs et où sont-ils ? ressemble plus à la question : Y a-t-il des lois grecques et où sont-elles ? qu'à la question : Y a-t-il des olives grecques et où sont-elles ? Derrière le temple comme derrière le grand magasin, Castoriadis trouve l'invention par l'"imagination" d'un système d'institutions. Si "idéalisme" il y a, il consiste à faire ressortir le rôle d'une puissance d'imaginer (ou d'inventer) plutôt que d'une puissance de concevoir (de représenter). Dire que les institutions reposent sur l'imaginaire veut dire qu'elles fournissent à chaque fois un ordre au sein duquel certaines activités sont pleines de sens, et que ce sens ne peut pas être rapporté aux circonstances extérieures. Pour un observateur inhumain situé sur la planète Mars et qui n'aurait pas le moyen d'anthropomorphiser son regard, le spectacle d'une foule se pressant un samedi après-midi chez Bloomingdale serait aussi peu intelligible que celui d'une foule célébrant la fête des Panathénées. Dans les deux cas, la source de toute l'activité, y compris celle des constructions matérielles à chaque fois requises, reste invisible au regard positiviste.

La première condition anthropologique d'une autonomie humaine est donc que la racine des institutions humaines soit l'imaginaire, la puissance d'invention radicale, plutôt que les besoins. A cette première condition, négative, il faut en joindre une seconde, positive. Tous les types d'humanité sont inventés. Aucun ne s'explique par le climat [Montesquieu], pas plus que par le niveau des forces productives [Marx, entre autres]. Il se trouve que parmi les types d'humanité inventés au cours de l'histoire, il est un qui tranche sur les autres par la priorité qu'il donne à l'épanouissement des capacités personnelles plutôt qu'à l'excellence dans la conformité aux archétypes fixés par le groupe en fait de vertus et de réussite. Notre culture se distingue par la place qu'elle donne à l'idéal du self-government, de l'autonomie (et du même coup, le moindre cas qu'elle fait d'autres principes de moralité, tels que l'honneur, la piété, le respect des anciens, la connaissances des Bonnes Choses en ce monde, etc.). En somme, notre culture n'exalte pas seulement, comme toute culture, sa puissance de constituer un univers habitable par les humains, mais aussi la puissance personnelle des individus. Puissance de s'y faire une place, d'y laisser sa marque : c'est l'impératif d'une réalisation de soi, d'où résulte l'aspect conquérant et "prométhéen" de l'Occident. Puissance d'y faire respecter son autonomie personnelle avec celle des autres : c'est l'exigence démocratique. Notre temps a dû finir par reconnaître que le projet "prométhéen" n'était pas forcément compatible avec le projet démocratique, contrairement à ce qu'avait cru l'humanisme progressiste issu des Lumières. Pourtant, les deux projets sont culturellement indiscernables l'un de l'autre. Du point de vue de la culture, le droit à une existence autonome ne se distingue pas aisément d'une sorte de "droit au bonheur" (dont chacun détaillera à son gré les articles : droit à la voiture, aux diplômes, à la transplantation d'organes, etc.). Il appartient au philosophe de dissocier ce que la culture confond, de faire la preuve que deux "idées" sont logiquement indépendantes l'une de l'autre même si elles sont historiquement associées. Il va de soi que la contribution du philosophe à la solution du problème politique majeur est plus critique que constructive. Je souscris pleinement à la thèse la plus constante du propos de Castoriadis : la théorie d'une paratique ne peut jamais dépasser l'intelligence des praticiens eux-mêmes. Toujours la praxis précédera la théorie. Ce n'est donc pas dans les séminaires de philosophie que les sociétés modernes résoudront leurs problèmes politiques. Il serait stupide d'en conclure que ces séminaires sont vains, ne servent à rien : ils servent à éclaircir, à discuter, sous une forme évidemment très conceptuelle, des problèmes qui ont déjà été posés par les gens qui les ont rencontrés dans leurs pratiques, ainsi que les solutions diverses, inchoatives, peut-être incompatibles entre elles, qu'ils sont déjà en train d'inventer pour y faire face."


[1]
On trouve ici une inspiration "pragmatiste" commune à Castoriadis, au Heidegger de Sein und Zeit et aux socioloques de l'Ecole de Durkheim. Plus généralement, le renversement qui nous est ici demandé peut être replacé dans la grande opposition d'une approche atomiste ("newtonienne") et d'une approche holiste ("hégélienne") des choses.


Vincent Descombes, "Un renouveau philosophique", Revue européenne des sciences sociales, n°86 (spécialement consacré à Castoriadis), 1989, pp. 73-75.


(Les soulignures et les indications en italique et entre crochets sont de moi.)

Les importants principes qui concluent le dernier paragraphe n'empêchent pas de noter que :

- il est plus aisé au philosophe de séparer logiquement des concepts qu'aux collectivités de dissocier des "droits" historiquement liés ;

- je ne suis pas si sûr que V. Descombes de ce que Castoriadis ait toujours nettement opéré cette dissociation ;

- l'évocation des racines de l'esprit "prométhéen" de l'Occident est bien rapide. D'où vient alors l'expansion (géographique et religieuse, mais aussi technique, artistique) de l'Islam en son âge d'or ? Il faudrait au moins l'expliquer.

Les deux premières notations seront à reprendre dans la suite de nos aventures dans le monde merveilleux du holisme : à suivre !






Evocations antérieures de ces questions :

- V. Descombes et la conscience que les individus ont de leurs pratiques ;

- le holisme ou rien

- Castoriadis - avec qui j'entretiens un rapport conflictuel qui sera en principe détaillé dans les semaines à venir - est notamment cité ici.

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lundi 11 décembre 2006

Rien de nouveau sous le soleil (stalinien).

La grande fréquence des récupérations publicitaires de mythes révolutionnaires des XIXè et XXè siècles ("Luttons pour notre pouvoir d'achat avec Leclerc", ce genre d'âneries) choque et désole dans un premier temps, mais, c'est triste à dire peut-être, répond tout de même à une certaine logique. Il n'y a pas loin de l'homme nouveau - appelons-le homo emancipatus - de certaines utopies de gauche à l'homme nouveau - appelons-le homo consommatus - des utopies néo-libérales actuelles. On ne fera néanmoins pas l'injure aux premières de confondre la noblesse de certains des rêves dont elles étaient porteuses (comme les mères du même nom : c'est au moment de l'accouchement que les problèmes se posent vraiment) avec l'ignoble et cauchemardesque "dimanche de la vie" dont nous sommes censés nous lécher les babines, où la seule trace de vie en commun librement assumée (car pour ce qui est des rivalités mimétiques autour de la consommation...) serait le dépôt d'un bulletin dans une enveloppe de temps à autre, pour choisir qui nous permettra de dépenser notre argent avec le plus de bonne conscience.

Ach, je moralise... J'allais apporter un soutien platonique à Pascal Sevran, mais j'apprends ce matin chez l'une de nos inénarrables bonnes consciences qu'après avoir dignement renâclé il a fini par présenter ses "excuses". Je me contenterai donc d'un message d'estime, à Georges Frêche et aux "ultras" du PSG, non pas pour ce qu'ils ont dit (quoique G. Frêche n'ait pas tort : "Les blancs sont nuls", et il y a de quoi avoir honte) ou fait, que pour, à ma connaissance, ne pas s'être mis à genoux devant tous les pauvres types qui ont assez de temps et croient avoir assez de neurones à perdre pour leur demander en hurlant de s'aligner sans protester sur ce que pensent les honnêtes gens, pour exiger d'eux qu'ils se soumettent préalablement à toute discussion. Ne pas céder à de telles injonctions, et surtout ne pas s'agenouiller devant de telles canailles, vaut bien, toutes choses égales par ailleurs, un petit coup de chapeau.

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mercredi 6 décembre 2006

Jean Mineur (bis).

M.-E. Nabe, qui doit bien toucher des droits d'auteur de temps à autre, devrait me payer pour la pub que je lui fais : son dernier tract (http://marc.edouard.nabe.free.fr/etlittellniquaangot.pdf) est de nouveau une réussite. Pas besoin d'avoir lu ou non Les bienveillantes pour profiter de ce texte - un seul extrait :

"«Qui peut savoir comment nous nous serions comportés à l’époque ?» répètent en chœur les pseudo-intellos qui adorent se donner du frisson rétrospectif... Eh bien, moi je sais : très mal ! Je connais beaucoup d’antinazis d’aujourd’hui qui auraient fait d’excellents SS d’hier... Quand on assiste à tous ces débats stériles où quinze sociologues, écrivains, psychanalystes, historiens, témoins, politiques s’interrogent sur la raison qui a fait que le nazisme a pu être possible, on a envie de leur dire en faisant un tour de table : «Mais c’est à cause de vous !» Pour l’instant, on ne peut pas aller plus loin. Tout le monde sait, mais personne ne peut le dire. C’est encore trop tôt pour répondre clairement à la vraie question : «pourquoi cela s’est-il produit». Soixante ans après, on en est toujours au «comment cela a-t-il pu être possible». Le «comment» a bon dos ! Il permet à tous ceux qui bandent en secret pour le nazisme, tous les voyeurs d’Auschwitz, les refoulés de l’extermination, les amoureux de la mort, de se planquer derrière la «volonté de comprendre».

Comment les nazis s’y sont pris, c’est une discussion de chef de gare. Se fasciner pour la bureaucratie qui a permis le génocide, c’est encore rester au degré zéro de l’Histoire et de la Vérité. Travail de gratte-papiers et d’archivistes ! En ce sens, révisionnistes bornés et mémorialistes hystériques sont dans le même panier de crabes. Le «pourquoi les Allemands en sont arrivés là ?» impliquerait trop de descentes dans l’enfer des sociétés occidentales du XXe siècle (et du début du XXIe), et pourtant il faudra bien qu’on y voie clair une bonne fois pour toutes. Sans l’éclaircissement définitif de ce problème, le monde ne pourra plus avancer, car c’est de ça, et de rien d’autre, que souffrent les âmes culpabilisées ; c’est ça qui bouche l’accès au bonheur depuis 1945 : la non-réponse à cette question : «pourquoi les nazis voulaient détruire les Juifs ?» Et ça, ni Poliakoff, ni Hilberg, ni Littell aujourd’hui n’y répondent. Leur silence est si fort qu’on pourrait même rajouter un second «pourquoi ?» au premier, mais, comme chacun sait, ici il n’y a pas deux pourquoi..."


Bon, en ce qui me concerne, j'ai plutôt tendance, quand je lis ou entends le mot "bonheur", à sortir mon revolver, mais sinon...




P.S. : Je pensais avoir pu pour une fois partir en vacances sans que cela ne provoque de catastrophe. Mais R. Redeker va écrire un livre, paraît-il... Pauvre monde, pauvre monde - et quand on pense que c'est le meilleur possible... Ach, faisons contre mauvaise fortune bon coeur, et puisque, ainsi que nous le sous-entendions en introduction, nous ne sommes pas plus en fonds aujourd'hui qu'hier, appliquons la "jurisprudence Redeker" :

- je déclare donc que les intégristes musulmans sont des assassins (sans foi ni loi ?), des crapules, des lâches, des sadiques, des pédophiles, des zoophiles - des machistes, aussi, j'allais oublier -, qu'ils ne me font pas peur, que leurs tentatives pour étouffer la liberté d'expression de Robert Redeker, Clara Morgane, Ségolène Royal, tant qu'on y est, ou moi-même, est condamnée d'avance à l'échec, et qu'en plus ça ne m'étonnerait pas qu'ils soient un peu pédés sur les bords ;

- si l'un d'eux veut bien m'envoyer un mail de menaces, je transmettrai à la police, qui fera le nécessaire pour me trouver un éditeur ;

- il sera alors temps que je trouve un sujet de livre. Mais à ce moment-là j'aurais sans doute rencontré BHL, il aura bien une idée.

- en cas de best-seller, je peux reverser un pourcentage (à débattre).

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mardi 5 décembre 2006

"Vaste programme", suite.

La connerie est sensiblement plus généralisée, plus diffuse, plus polymorphe, et plus contagieuse que le racisme. C'est donc déjà un signe de connerie que de "combattre" celui-ci avant que d'analyser, ridiculiser, ou plutôt que d'éviter (autant que faire se peut), celle-là.

"Il ne faut pas se tromper d'ennemi."

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