dimanche 30 juillet 2006

Qu'on respire !

Nous sommes trop nombreux. Les problèmes de l'espèce humaine deviennent inextricables faute d'espace pour les résoudre. Car tout plutôt que la solution de l'entassement universel - charniers de vivants amoncelés les uns sur les autres, placés sous perfusion ADSL et maternante. Survie sans autre but qu'elle-même.

Fort heureusement, la Nature, par le biais de Tsunamis, volcans sous-marins, sidas et grippes aviaires ; Dieu, par le biais de guerres de religions, s'ingénient, laborieusement peut-être, à faire un peu de place.

En Europe, les vieux sont de plus en plus nombreux. Poutine les laisse crever, continuons de notre côté à les immoler lors des canicules, d'autres fournées doivent venir. (Et disant cela je fais preuve d'abnégation, car il n'y a plus qu'avec les vieux que j'arrive à discuter. Les vieux vieux, je précise, pas ceux qui veulent rester jeunes. Ceux-là devraient y passer en premier, mais la vie est parfois mal foutue.)

Ce à quoi nous assistons, c'est une tentative de sauvetage de l'espèce humaine par le suicide d'une bonne partie de ses membres. Dans ce mouvement, finalement, les dirigeants du monde occidental, consciemment ou non, sont à l'avant-garde, qui font tout pour que des catastrophes, écologiques, économiques, militaires, se produisent - mais les inconnues sont nombreuses :

- quelle proportion d'êtres humains s'en tirera, quelle proportion succombera ?

- dans quel état sera la planète une fois cette vigoureuse saignée accomplie ?

- dans quel état spirituel seront les survivants lorsqu'il s'agira de rebâtir une nouvelle vie, de nouvelles relations ?

C'est sur le dernier point que l'on peut raisonnablement être le plus optimiste.

Ce sont là bien sûr jeux dangereux - et paradoxaux : il y a certes l'excitation du résultat global, mais pas celle du jeu lui-même, que tous nous subissons sans en pouvoir mais. A moins que d'appartenir au Hezbollah - à Tsahal, qui sait ? - aux mouvements altermondialistes ? là on peut être plus sceptique.



Finalement, le véritable bienfaiteur de l'humanité serait l'inventeur d'une sorte de bombe nucléaire écologique, qui détruirait hommes et habitations, mais ne créerait pas d'hiver atomique - on pourrait reconstruire tout de suite. Le Tsunami, sauveur de l'espèce ! Puisque l'on veut être materné, un bon retour au liquide amniotique, et on n'en parle plus.


O Freunde, nicht diese Töne !

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vendredi 28 juillet 2006

"La religion, dont la liberté est une forme."

Si, comme j'espère pouvoir un jour le démontrer précisément, clouant ainsi le bec à tous les Marcel Gauchet du monde (et Dieu sait qu'il y en a !), les religions sont phénomènes sociaux, c'est-à-dire collectifs (et ne peuvent donc pas devenir pur et simple "choix individuel et privé"), l'intégrisme, cela ne veut pas dire grand-chose : c'est une configuration sociale (et donc aussi "politique", "économique", etc., choisissez vos termes) différente dans sa composition, mais pas dans sa nature, d'autres configurations sociales religieuses "modérées", "tolérantes", "oecuméniques"...

Ce qui n'empêche pas des intégristes d'exister et de se croire en toute bonne foi inspirés uniquement par Dieu.


(Ceci en réponse à des articles que j'ai pu lire récemment, sur le thème : les racines du Hezbollah sont-elles religieuses ou politiques ? et donc en fond : peut-on ou non discuter avec ces gens-là ?)


Le lendemain.
D'éminents islamologues l'ont peut-être déjà expliqué depuis longtemps ; je ne serais pas étonné quoi qu'il en soit que parmi les islamistes, les intégristes, les fondamentalistes, etc., il y ait une proportion non négligeable de non islamistes, voire d'athées ou d'agnostiques. De même que qui voulait lutter contre le capitalisme durant le XXè siècle, notamment dans le Tiers-Monde, se résolvait, pour des raisons d'efficacité, au moins à court terme, à s'acoquiner avec le PC de l'endroit, de même il est fort tentant aujourd'hui pour les combattants anti-américains (prenons un terme large et point trop discutable) de rallier des mouvements tels que le Hamas ou le Hezbollah.

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mardi 25 juillet 2006

Victoire de la démocratie. -

" - Toutes les puissances politiques essaient maintenant d'exploiter la peur du socialisme pour consolider leur force. Mais à la longue, seule la démocratie en tirera avantage : car tous les partis sont aujourd'hui obligés de flatter le "peuple" et de lui donner des facilités et libertés de tous genres, grâce auxquelles il finit par devenir omnipotent. Le peuple est on ne peut plus éloigné du socialisme en tant que théorie visant à modifier l'acquisition de la propriété ; et quand un beau jour il aura en main la vis des impôts, grâce aux grandes majorités de ses parlements, il s'attaquera aux magnats du capitalisme, du négoce, de la bourse, et donnera lentement naissance, à une classe moyenne qui pourra oublier le socialisme comme une maladie heureusement passée. - Le résultat pratique de cette démocratisation envahissante sera tout d'abord une fédération des peuples européens, dans laquelle chaque peuple pris à part, entre ses frontières fixées selon des règles géographiques d'utilité, aura la position et les privilèges d'un canton ; on ne comptera plus guère en l'occurrence avec les souvenirs historiques des peuples tels qu'ils étaient jusqu'alors, parce que le sentiment de piété pour ces souvenirs sera petit à petit radicalement extirpé sous le règne du principe démocratique, avide de nouveautés et d'expériences. (...)"

(Nietzsche, Humain, trop humain, "Le voyageur et son ombre", §292)

La prophétie de Nietzsche n'est plus que partiellement vraie, car la lutte continue, tellement exaltante, entre la "classe moyenne" et les "magnats du capitalisme". On ne sait que choisir !

Je vous laisse apprécier l'intérêt du reste. Ach, c'est malheureux à dire, mais il faudrait que l'Allemagne nous menace de nouveau - et cela n'a rien d'impossible - pour que nous recommencions à nous préoccuper d'elle, idem pour l'Italie ou l'Angleterre... La menace islamiste semble venir de trop loin pour que nous (Popu, vous, moi) nous passionnions pour cette civilisation. Musulmans, encore un effort pour être tangibles !

"Il faut le système et il faut l'excès", comme dit je crois Bataille, il faut la dispute et il faut l'entente, il ne peut y avoir entente sans dispute préalable, mais il n'y a plus entente dès qu'il y a réconciliation. Durkheim connaissait tout de la pensée allemande, nous rien du tout, les Américains ont acheté le Coran en masse après le 11 septembre mais on cru que le bombardement de l'Afghanistan les dispensait de le lire. Allah, contrairement au diable de la Java éponyme (Trénet), a-t-il touché des droits d'auteurs ? Douce France...


"Concert des puissances", "Equilibre de la terreur" : mais les Etats-Unis et l'URSS avaient trop peur l'un de l'autre pour avoir envie de se connaître, au contraire de la France et l'Allemagne à la fin du XIXè siècle - affrontement dialectique extrêmement fécond, hélas la technique était en avance sur les conceptions de la guerre, il s'ensuivit quatre années de suicide réciproque. Que faire quand la réconciliation est poisseuse, morveuse, dégoulinante, et quand l'affrontement est trop effrayant pour engendrer de vivifiantes contradictions ? Fin de l'histoire et successions de massacres ?




P.-S. Je n'ai jamais parlé de l'immigration, cela viendra. Je constate que d'une certaine manière, sur le sujet, le FN est moins facho que les théoriciens du choc des civilisations, car moins "essentialiste". Cela vaut approbation pour la méthode, pas pour le diagnostic.

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dimanche 23 juillet 2006

Sociologie théorique et pratique. (Ajout le 3.08).

Pour ceux que la "situation au Proche-Orient" ou l'hommage à un libraire inconnu ne passionnent pas, voici deux lectures, d'intérêt certes inégal :

- un texte capital de Mauss, "Divisions et proportions des divisions de la sociologie" (Oeuvres, III, pp. 178-245), complément indispensable à l'"Essai sur le don" dont il est à peu près contemporain. Mauss y anticipe Wittgenstein, Austin, Castoriadis, Dumont bien sûr, délire superbement, se trompe génialement, lyrise gaiement et tristement. Un seul extrait pour se mettre en appétit (il faudrait quasiment tout commenter) :

"Ce qui explique un fait social, c'est non tel ou tel ordre de faits, c'est l'ensemble des faits sociaux. (...) Tout, dans une société, même les choses les plus spéciales, tout est, et est avant tout, fonction et fonctionnement ; rien ne se comprend si ce n'est par rapport au tout, à la collectivité tout entière et non par rapport à des parties séparées."

- un échantillon de sociologie de la domination, fourni par les lecteurs de G. Birenbaum (qui utilise lui-même ailleurs le terme de sociologie à propos des commentaires qu'il reçoit), dont les réactions au dernier message en date de leur idole, rappellent l'actualité de cette question : pourquoi les gens ont-ils besoin d'avoir un maître ? Pourquoi aiment-ils autant s'abaisser ? Est-ce une nécessité vitale ? Une preuve d'immaturité ? Ou, au contraire - mais il faut mieux choisir ses maîtres... - une preuve de sagesse et de maturité ? Ce qu'on lit sur ce site suggère fortement que les gens aiment la soumission. A moins que A. Brossat n'ait raison : c'est surtout une caractéristique française actuelle. Pauvres de nous...

Quoi qu'il en soit, bonne lecture !



(Ajout le 3.08).
Mea culpa ! L'anticipation de Wittgenstein que je prêtais à Mauss existe bien, mais pas dans le texte que j'ai évoqué : dans l'article "Sociologie", écrit dès 1901 - et plus précisément pp. 157-158 de l'édition citée plus haut, sur la notion de causalité en histoire. Autant pour moi. Ceci posé, il faudrait creuser les rapports entre les totalités de Mauss et les "formes de vie" de Wittgenstein.

Pour Dumont : par exemple, p. 199. Pour Austin : p. 217. Pour Castoriadis : p. 234.

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Personnel, impersonnel.

J'apprends le décès de Pierre Scias, qui tenait la librairie Actualités, rue Dauphine - pour laquelle j'avais d'ailleurs, très exceptionnellement, fait une fois de la publicité.

Il n'aura pas survécu longtemps à A.M. Al-Zarkaoui, dont une photographie ornait son bureau. Dans une odeur d'encens et de vieux livres, France-Musique souvent en fond, il (Pierre Scias, pas Al-Zarkaoui) vous accueillait avec un mélange de froideur polie et de chaleur humaine qui donnait une idée de ce que pouvait être, et de ce qui pouvait susciter, le respect. La qualité de son stock faisait le reste - quand bien même il devait j'imagine surtout vivre grâce à ses ventes de comics, ce que l'une des rares références que j'aie pu trouver sur Internet le concernant aurait tendance à confirmer.

La librairie qu'il tenait, une des seules à vendre les livres de Jean-Pierre Voyer, sera sans doute, comme le vieux bar qui lui était adjacent et où paraît-il Guy Debord s'est souvent mis mal (print the legend), bientôt transformée en agence immobilière ou en magasin de fringues.

Je ne vous ennuie plus avec cet hommage post-mortem. Je souhaitais adresser un dernier salut à quelqu'un dont je m'étais pris à me dire que j'apprendrais bientôt à le connaître. Trop tard.



Et pendant ce temps, Israël continue... (texte précédent). C'est une des interprétations possibles de la phrase de K. Kraus :

"L'état dans lequel nous vivons signifie vraiment que le monde sombre : il est stable."

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jeudi 20 juillet 2006

Que la joie nous emporte.

(A César : ce texte est fortement influencé par l'importante Flèche du Parthe mise en ligne par J.-P. Voyer après les attentats de Madrid. Dont acte. J'y découvre d'ailleurs la présence de l'expression "le beurre et l'argent du beurre", au sujet des pédés mariés, que j'ai souvent employée dans le même contexte. Je ne m'en souvenais plus.)


P.-S. 1.

P.-S. 2.



Ce qui se passe du côté de Gaza, du Liban, et d'un pays qui ne mérite jamais autant d'être appelé "entité sioniste" que lorsqu'il se comporte tel qu'il le fait actuellement (et pourtant, il paraît qu'il y a des gens comme vous et moi qui y vivent, aiment, travaillent et meurent de leur belle mort), rappelle quelques-uns des problèmes aigus du monde d'aujourd'hui.

Pour évacuer tout de suite la géopolitique, je redis très brièvement ce que j'ai déjà écrit sur ce sujet : les Israéliens n'avaient rien à faire en Palestine ; maintenant, ils y sont, en nombre ; le mieux serait donc qu'eux et leurs voisins parviennent à vivre ensemble ; je ne sais pas si ces voisins (et ça dépend des cas) le souhaitent ; je suis sûr que les Israéliens ne le souhaitent pas, toute l'histoire de leur pays allant dans ce sens (je reviens longuement dans ce qui suit sur ce que veut dire ici : "les Israéliens"). Comme ce sont pour l'heure eux qui ont les clés en main, peu de chose incite à penser que tous ces gens parviendront bientôt à s'entendre. Et encore fais-je ici abstraction du rôle des Etats-Unis ("l'entité protestante" ?).

D'abord, on se retrouve de nouveau dans une situation de divorce entre les opinions publiques des démocraties occidentales et leurs gouvernants. La grande majorité des gens sentent bien que les actions perpétrées ces jours-ci par Israël sont condamnables, cela ne change rien à rien. De même que l'opinion publique mondiale (je rigole) était contre l'agression américaine en Irak. De même que l'on persiste à vouloir nous imposer le TCE. De même que l'état français continue de démanteler en douce les services publics auxquels il sait pourtant les Français attachés. Ce n'est vraiment pas la peine de frimer devant le monde entier avec nos belles démocraties pour en arriver là.

Une parenthèse : il est tout à fait possible de flétrir l'accord actuel des populations sur les crimes israéliens par le vocable de "concensus", de s'amuser de la bien-pensance de ceux qui condamnent Israël, sous prétexte que les membres du Hezbollah ne sont pas des anges, de se moquer des gentils altermondialistes toujours séduits par les victimes, etc. Mais même des cons ou des enculés peuvent avoir raison, et s'il est de saine attitude de vérifier ce que d'autres, y compris ceux que l'on n'estime pas, pensent, il est enfantin et pour le moins paradoxal de ne se déterminer que par rapport à eux. Fin de parenthèse.

La démocratie, donc, puisque c'est de cela qu'il s'agit. Tout occupés à éviter l'amalgame Israélien = Juif, certains (jawhol, il s'agit notamment de mon grand ami, l'excellent Birenbaum) s'empressent de dédouaner le peuple israélien de toute forme de responsabilité dans les assassinats actuels. Oublions pour l'instant les spéficités israéliennes de ce point de vue, et attaquons tout de suite cette idée : en démocratie, tous les citoyens, sans exception, sont responsables des actes de leurs gouvernants. Un paysan languedocien du XVIIIè siècle n'était pas responsable d'une guerre menée par Louis XV, un agriculteur languedocien de 2006 est responsable du soutien de la France aux régimes d'Omar Bongo et d'Idriss Déby, quand bien même, comme moi il y a cinq ans, il en ignorerait tout (je prends toujours ces exemples autant pour les vulgariser que parce qu'ils sont indiscutables). Si l'on veut la démocratie, que d'ailleurs on s'en glorifie ou non, il faut assumer ce qui va avec : à partir de l'âge de 18 ans, on est responsable de tout ce que fait le pays dont on est citoyen, que l'on vote ou non, que l'on soit d'accord ou non avec ce qu'il fait, et même si l'on se bat contre ce qu'il fait. Que Yahvé bénisse Tanya Reinhart, mais même elle est responsable des crimes actuels. Et c'est pourquoi, pour rejoindre l'argumentation de J.-P. Voyer, quand les Arabes frappent, comme à New York, Madrid ou Londres, les populations civiles, ils ne font que prendre au mot les constitutions et principes démocratiques des Etats-Unis ("We the people..."), Espagne ou Royaume-Uni.

En revanche, personne n'est responsable de ce qui a été fait avant lui. Si je suis né après la guerre d'Algérie, je ne suis pas responsable de ce qui y a été fait au nom de la France. Passons momentanément sur le cas où j'ai dix-huit ans pendant la guerre d'Algérie et souffle mes bougies en plein milieu d'une séance de torture.

On répondra qu'il s'agit là d'un juridisme grossier sans rapport avec la réalité des faits. Mais la démocratie est justement du juridisme, c'est l'égalité de tous devant la loi. Ce n'est pas moi qui rend homogènes les unes par rapport aux autres des situations entre elles incommensurables, c'est le principe démocratique qui rend homogènes en droit tous les citoyens d'un pays. Mais il faut peut-être maintenant clarifier ce que "responsable" veut dire. Suivons dans un premier temps le Robert :

.Sens général : Qui doit accepter et subir les conséquences de ses actes, en répondre.
1. Qui doit (de par la loi) réparer les dommages qu'il a causés par sa faute. - Qui doit subir le châtiment prévu par la loi.
2. Qui doit, en vertu de la morale admise, rendre compte de ses actes ou de ceux d'autrui.
3. Qui est l'auteur, la cause volontaire et consciente (de qqch.), en porte la responsabilité morale. (le Robert renvoie ici au mot "coupable").
4. Chargé de, en tant que chef qui prend les décisions. (renvoi au mot "dirigeant").
5. Qui est la cause, la raison suffisante de.
6. Raisonnable, sérieux, réfléchi : qui mesure les conséquences de ses actes.

Laissons complètement de côté le sens 6. Le sens 4 ne nous serait utile que si justement nous n'étions pas en démocratie. Les autres sens montrent bien la difficulté du problème, puisque la langue française y mêle le langage de la science (sens 5 : la "cause", la "raison suffisante", ce qui n'est déjà pas la même chose), de la morale (sens 2 et 3), et de la loi (sens 1 et 3). Comme le lecteur de plus de vingt ans s'est sans doute déjà remémoré la fameuse formule de Georgina Dufoix au moment du scandale du sang contaminé, "responsable mais pas coupable", profitons du tour de passe-passe que l'ancien ministre essayait alors de faire, mettant en avant le sens 4, pour éviter la condamnation liée au sens 3, et dans le même mouvement, échapper au blâme moral inclus dans le sens 2, profitons de cette manoeuvre rhétorique ratée, ou plutôt profitons de ce que cette manoeuvre ait été ratée pour cerner les limites des distinctions du dictionnaire. Dieu sait qu'il y a parfois des décalages entre la loi et "la" morale, mais le citoyen d'une démocratie a tendance à estimer - parfois trop, mais ce n'est pas notre problème d'aujourd'hui - qu'elles doivent coïncider autant que faire se peut. Ce qui n'a pas fonctionné avec Mme Dufoix, c'est qu'elle acceptait une part de responsabilité juridique pour, en dernière analyse, éviter une responsabilité morale. Il est tout à fait sain que l'opinion n'ait pas accepté un tel stratagème, ceci dit sans le moins du monde vouloir accabler quelqu'un dont le rôle précis dans l'enchaînement des causes et des effets du scandale du sang contaminé m'est inconnu - et que justement je n'ai pas besoin de vérifier.

Car là est le noeud de l'affaire. Il est évident que l'agriculteur languedocien pas plus que moi-même n'avons demandé à Jacques Chirac (et aux présidents qui l'ont précédé) de soutenir des dictateurs en Afrique. Il est évident aussi, j'imagine, que si l'on nous demandait si nous accepterions une légère baisse de niveau de vie, pour que la France paye plus cher, et donc mieux, les matières premières qu'elle rackette actuellement au Gabon ou au Tchad, nous dirions oui. Je veux dire par là que l'argument selon lequel c'est la pression des cochons consommateurs d'Occident qui pousse leurs dirigeants à faire feu de tout bois pour maintenir le niveau de confort de leurs électeurs, s'il n'est pas, Dieu sait, sans fondement, ne résout pas tout. Néanmoins, il est clair que mon agriculteur et moi-même pouvons à un certain niveau être considérés comme des "causes" de certains aspects de la politique étrangère de notre pays, que nous ne pouvons totalement en exonérer notre responsabilité à ce sens.

Ce qui pourrait vouloir signifier d'ailleurs que ce que je disais du paysan languedocien du XVIIIè siècle n'était pas si vrai que cela, puisque son bien-être à lui, même dans ces canons hors de proportion avec les nôtres, pesait sur la politique de son roi. Je veux bien l'admettre, mais si même ce gars-là pouvait être en partie jugé responsable de ce qu'un seigneur censément de droit divin faisait, combien plus le sommes-nous des actes d'un président élu !

Bref : le peuple est souverain, il est donc juridiquement responsable. Il l'est donc aussi moralement - nous venons de voir qu'il était bien délicat de séparer les deux domaines. Et il joue un rôle causal dans les décisions de ses représentants. S'il ne tient pas l'épée, il arme le bras. CQFD.


Oui, mais... Il y a des causes directes et indirectes, distinction bien connue des juristes et des juges. Ce n'est par ailleurs pas un secret que le contrôle des citoyens sur les hommes politiques et surtout d'ailleurs sur les décisions qu'ils prennent est de plus en plus lâche, que le personnel politique a su au fil des années se mettre à l'abri de bien des déconvenues de ce point de vue (encore une fois d'ailleurs, plus d'un point de vue général que du point de vue de tel ou tel politicien). Et on ne fera croire à personne qu'un OS et un inspecteur des finances ont la même influence sur la politique économique française.

Tout cela est fort vrai, mais ne change strictement rien à mon raisonnement. Pour rester dans le domaine du droit : le point de vue du juré n'est pas celui du juge, celui qui décrète la culpabilité de l'accusé n'est pas celui qui décide de la lourdeur de la peine, en fonctions de circonstances atténuantes ou aggravantes. Dans le cas présent, que tous ne soient pas également coupables n'empêchent pas qu'ils soient tous coupables. Et si l'on prend le jugement par excellence, c'est-à-dire le Jugement Dernier, Dieu, à la fois juré et juge, sait que tous ne sont pas également pécheurs, mais que tous le sont.

Dans le cas des Israéliens donc, il est certain que si un Tribunal universel ou un Dieu omniscient devait juger les responsables des actes que Tsahal commet ces jours-ci, Tanya Reinhart n'écoperait pas de la même peine que Ehud Olmert. Mais elle aussi devrait être condamnée, fût-ce symboliquement.


Tirons-en quelques conséquences, même paradoxales.

D'une certaine manière, le sujet démocratique est dans cette optique toujours piégé, car toujours responsable en droit même s'il l'est en fait fort peu ou presque pas. Si chaque citoyen s'investissait dans la vie publique avec ardeur et sincérité, donc, au moins après un certain temps d'apprentissage, avec compétence, il serait d'autant plus responsable (aux sens 2, 3 et 5, car pour le sens 1 cela ne change rien, le peuple est souverain) des éventuelles erreurs commises par ses représentants, erreurs qui peuvent être tragiques. A chacun alors de voir s'il vaut mieux être jugé (par qui, demandera-t-on ? Au minimum et tout simplement : par soi-même, avant de mourir) pour ce que l'on a effectivement et consciemment fait ou pour ce que l'on a laissé faire à d'autres en son propre nom. Si l'on veut en tout cas que le mot démocratie ait un vague sens, le choix me semble simple. (On peut d'ailleurs espérer, quitte à passer pour un naïf zélateur des Lumières, que ces erreurs ne seront pas si nombreuses dans un tel contexte de participation constante et raisonnée de la population. On voit en tout cas a contrario ce qui se passe lorsque l'on ne contrôle plus ses dirigeants.)

Ce sujet démocratique est aussi piégé par le passé de son pays, puisqu'après tout il n'a pas choisi de vivre en démocratie, et que ce n'est pas parce qu'il trouve le système du suffrage universel stupide qu'il va chercher à établir un autre régime ou s'exiler dans un autre pays, quittant ses proches. C'est un cas limite - ou, si l'on veut, un dommage collatéral -, tant que la majorité des gens continue à vouloir vivre en démocratie, même sans avoir rédigée elle-même la déclaration des droits de l'homme.

Par ailleurs, et en contrepoint de tout ce qui précède, il ne faut pas non plus dramatiser à l'excès ces considérations. D'abord, que la démocratie pose des problèmes inédits n'est pas une découverte, qu'il n'y ait pas de régime parfait encore moins. Condorcet a montré il y a déjà un certain temps, par exemple, que pour que l'utilisation du suffrage universel soit vraiment cohérente, il faudrait un référendum préalable dans lequel, à l'unanimité, les citoyens accepteraient d'obéir à la majorité même en étant en désaccord avec elle (cf. aussi Nietzsche, Humain, trop humain, "Le voyageur et son ombre", §276). C'est évidemment, dans la pratique, impossible, mais cela n'empêche pas le suffrage universel de fonctionner et les vaincus de s'incliner, pas seulement parce qu'ils n'ont pas le choix (la loi républicaine se fait obéir de façon peu différente que la loi du Roi ou de l'Empereur, Fouché-Sarkozy même combat), mais aussi parce qu'ils savent qu'ils auront d'autres occasions de faire valoir leur point de vue (ce qui prouve qu'ils acceptent de facto la responsabilité des décisions prises contre leur accord, à charge de revanche). Une démocratie est peut-être un peu plus rationnelle que d'autres formes de régime, mais elle n'a pas besoin d'être totalement rationnelle pour fonctionner (je pourrais mettre de nombreux guillemets à cette phrase, mais passons). Que l'on arrive à des situations un peu ubuesques, comme quoi un Français de 20 ans et 364 jours (la majorité était alors à 21 ans, sauf erreur) n'était pour rien dans les tortures perpétrées par l'armée française en Algérie (tortures que l'on peut ou non approuver d'ailleurs, là n'est pas le problème), mais qu'il en devenait responsable le lendemain, après une bonne nuit de sommeil, est un fait - mais quel régime n'a pas connu de situations limites et ridicules ?

Ensuite, loin de moi l'idée de chercher à culpabiliser mes concitoyens, à base de moralisme existentialiste ou de quoi que ce soit de ce genre (le Robert cite, au sens 3, une sentence de saint-Exupéry : "Chacun est responsable de tous." Désolé, je ne suis pas responsable de Tony Blair). Que la Françafrique persiste dans son être, par exemple, ne me fait certes pas plaisir, je ne peux pas dire non plus que cela m'empêche beaucoup de dormir, surtout quand j'ai bien mangé. Quant aux crimes commis par mes ancêtres, j'ai pris soin au début de ce texte de m'en exonérer totalement. Je ne suis strictement pour rien (sens 5, déjà) dans Pétain (ni dans de Gaulle non plus, évidemment). Il s'agit ici d'éviter que certains s'exonèrent de leurs responsabilités, pas de jouer les prêcheurs ni, encore moins, de se placer soi-même au-dessus de la mêlée.


Surtout en temps de crise, comme c'est le cas en Israël aujourd'hui, le problème de la responsabilité étant ici encore complexifié, d'un côté, par le fait qu'il s'agisse d'un "Etat juif", donc d'un objet démocratique pour le moins étrange, de l'autre par la façon qu'a ce pays de parler au nom des Juifs du monde entier. Je n'évoquerai ici que cette deuxième caractéristique, ne connaissant pas assez, par exemple, la situation juridique des Arabes israéliens pour m'aventurer dans l'évaluation de leur responsabilité actuelle. Quoi qu'il soit, et pour être aussi bref que possible, dans la mesure où un juif français, par exemple, n'est pas, que je sache, un citoyen israélien, quand bien même il puisse le devenir facilement, je crois tout à fait déraisonnable de le rendre responsable (sens 1, 2, 3) du comportement souvent dégueulasse de ce pays. En revanche, il est hautement souhaitable, pour éviter, si j'ose dire, que le sens 5 ne contamine les autres, que les juifs français - je continue à m'adresser en premier lieu à mes compatriotes, et tant pis si certains esprits chagrins trouvent que les gens ont toujours quelque chose à dire aux juifs, c'est la rançon de la gloire -, que ceux qui ne sont pas d'accord avec la politique du pays qui s'arroge le droit de parler en leur nom, ne se privent pas de le faire savoir, à titre privé - comme c'est d'ailleurs, heureusement, parfois le cas.



P.-S. 1.
Je signale, chez La Fabrique, la réédition des deux articles de Marx "Sur la question juive", avec une présentation et un commentaire de Daniel Bensaïd. Outre l'intérêt des textes de Marx, ce recueil propose une utile mise en perspective historique des questions liées à l'identité juive - notamment au sujet des attitudes des mouvements révolutionnaires juifs par rapport au sionisme, ainsi qu'une pertinente réfutation (p. 183, note 31) de certains fantasmes de Michel Onfray.

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Ceci posé, et sans même s'attarder sur le fait que M. Bensaïd semble considérer comme vérités d'évangile certaines thèses de Marx, on regrettera d'une part que ces commentaires semblent avoir été écrits à la va-vite, de façon quelque peu décousue, d'autre part qu'ils évoquent le judaïsme sans un mot pour la théologie. Je veux bien que la thèse soit justement que des gens comme Benny Lévy (quel dommage qu'il soit mort, je l'aurais insulté avec plaisir), Alain Finkielkraut (quel dommage qu'il soit si con, cela ôte du plaisir à l'insulter) ou Jean-Claude Mao-Milner (quel dommage que dans le texte qui précède je lui aie emprunté le passage sur Condorcet, cela m'oblige à reconnaître ma dette envers cette saleté

milner

de canaille stalinienne) s'échappent de questions politiques en les traitant sur le versant théologique de l'élection du peuple juif, mais tout de même le danger de la platitude et de l'inexactitude est grand qui coupe les Juifs, même marxistes-révolutionnaires, du judaïsme. Le beau petit ouvrage de Michael Löwy, Rédemption et utopie. Le judaïsme libertaire en Europe centrale, PUF, 1988, hélas épuisé (sur le même sujet, on peut lire aussi le pavé de Pierre Bouretz, Témoins du futur, chroniqué ici, certainement plus complet mais pas nécessairement meilleur), ne s'échouait pas sur cet écueil, montrant bien les liens entre le messianisme religieux et le messianisme politique de gens comme Gustav Landauer ou Walter Benjamin. Il est d'ailleurs caractéristique que M. Bensaïd reprenne à son compte la sainte trinité des penseurs juifs Spinoza-Marx-Freund, qu'Alain Badiou (que le même D. Bensaïd avait assez platement défendu dans Le Monde contre les accusations lamentables d'antisémitisme que Frédéric Nef avait proférées à l'égard de l'auteur du Siècle dans le même journal) répète à satiété dans son livre Circonstances 3, Portées du mot "Juif", ce qui ne dénote chez l'un ni chez l'autre une grande curiosité pour des figures plus complexes comme Landauer, encore, ou Scholem.

Pourquoi cela me gêne-t-il ? Pour deux raisons, liées : d'abord, je trouve conceptuellement faux et politiquement improductif de laisser la théologie aux sionistes contemporains. Ensuite parce qu'il y a dans le livre de D. Bensaïd un côté militant et manichéen assez agaçant et qui nuit à l'intérêt que l'on porte à tous les renseignements que l'on peut y trouver. Il est dommage de répondre à des simplifications par d'autres simplifications.


P.-S. 2. - "Salomon, vous êtes juif ?"
L'occasion faisant le larron, une remarque lue dans le livre de D. Bensaïd m'amène à clarifier mon coming out philosémite de l'autre jour (texte précédent). Page 77, l'auteur cite Robert Aron, qui, dans son ouvrage Karl Marx, antisémite et criminel ?, Bruxelles, Didier Devillez, 2005, écrit : "Etre antisémite, c'est d'abord faire des juifs des êtres à part." Hors contexte, je ne sais pas exactement ce que M. Aron veut dire par-là, je ne cherche donc pas vraiment à le contredire, mais ce pluriel "des juifs" est ambigu. S'il s'agit de chercher des caractéristiques communes à tous les juifs du monde, effectivement, l'antisémitisme n'est pas loin - et bon courage, d'ailleurs. S'il s'agit de chercher à comprendre les singularités de l'histoire du judaïsme, de l'invention du monothéisme aux paradoxes d'Israël en passant par le prosélytisme inavoué dont Marc Ferro (Les tabous de l'histoire, NIL, 2002, rééd. Pocket 2004, pp. 105-124) fait l'un des pivots de la persistance dans l'histoire du peuple juif (cf. plus bas), la problématique de l'assimilation, la Shoah, etc., alors on se trouve quand même devant une histoire à part. Et s'il s'agit de partir de cette histoire pour essayer de comprendre comment ceux qui en sont bon gré mal gré les dépositaires la vivent, consciemment ou inconsciemment, de Spinoza à Gérard Oury, en passant par Schoenberg, Alexandre Adler et certains de mes amis, alors, oui, il y a de quoi faire des juifs des êtres à part, ceci étant donc dit, j'espère être clair, sans réductionnisme. Avec ce qui est intéressant on n'en a jamais fini.



Sur M. Ferro : vérification faite, il s'agit de l'exposition de la thèse développée par Arthur Koestler dans La treizième tribu (Calmann-Lévy, 1976), selon laquelle une bonne partie des juifs d'Europe centrale du XXè siècle, ceux-là même qui seront exterminés par les nazis, ne sont pas des descendants en droite ligne des Juifs de Palestine s'essaimant après la destruction du second Temple, mais les descendants de Khazars convertis en nombre après la conversion de leur roi, Bulan, autour de 861. (Le royaume Khazar, "issu des migrations turques s'est situé entre la mer Noire, la mer Caspienne et les Carpates. Il a correspondu quelque peu à ce qu'ont pu être, ultérieurement, des territoires correspondant à la Pologne, à l'Ukraine, à la Crimée.", p. 117). Si l'on adopte cette thèse, que M. Ferro présente comme non absolument prouvée mais fort plausible, on ne peut que noter la noire ironie qui vit les racistes antisémites hitlériens massacrer des populations qui n'avaient rien de sémite. Je précise à toutes fins utiles que je ne me fais pas l'écho de ces recherches pour battre en brèche la "légitimité" de l'état d'Israël, qui n'a à mes yeux rien à voir avec ce qui s'est passé entre la Pologne et l'Ukraine il y a plus de mille ans (je mets des guillemets au mot légitimité parce que je ne crois pas que la question se pose en ces termes). Simplement, voilà des paradoxes et des méandres supplémentaires dans une histoire - du peuple juif, ou des peuples juifs si l'on veut - qui n'en manquait déjà pas.

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lundi 17 juillet 2006

Sans moi le déluge.

Eh bien, eh bien, il suffit donc que je prenne quelques jours de repos pour que le monde roule encore plus de travers que d'habitude. Et ce n'est pas la première fois ! Le meilleur footballeur du monde s'oublie, le meilleur peuple du monde (je ne serais pas loin de le penser... Je vais finir vieux philosémite. Et ni par culpabilité ni pour l'argent ! par pure admiration) a une drôle de manière d'appliquer la loi du talion... Il était temps que je revienne aux affaires. Malgré l'abus de bonnes choses, j'ai perdu du poids, me voilà donc d'attaque.


En attendant, et puisque rien ne m'est plus cher que l'union franco-italienne, qu'Ezio Pinza et Ernest Blanc vous bénissent tous !







(Le sort fait à Ernest Blanc sur le Web prouve qu'Internet est encore plein de lacunes. Courez dépenser vos euros pour acheter la Carmen de Beecham ou le Faust de Cluytens. Encore une fois Céline : "Effroyablement patriote !" Pour Pinza n'importe quel enregistrement ou anthologie fait l'affaire. Il y a des voix comme des miracles et du travail).

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dimanche 2 juillet 2006

Fermeture temporaire pour cause de grippe aviaire.

Eh oui, il semblerait bien que ce charmant virus mute, que la Nature aille plus vite que les humains, qui sait, bientôt peut-être le monde sera nettoyé d'une bonne partie de ses emmerdeurs... Devant cette perspective aussi terrifiante qu'amusante, le café du commerce, n'écoutant que son courage, a décidé de prendre quelques jours de vacances dans le sud-ouest, pour se gaver de confit et de foie gras tant qu'il en reste. Que ses habitués ne s'inquiètent pas trop, nous reviendrons d'ici une petite quinzaine de jours, plus gros, plus forts, plus confiants...

Je n'ai pas réussi à remplir mon objectif, à savoir établir un index thématique avant mon départ pour faciliter le repérage des lieux aux nouveaux venus. J'espère que ce n'est que partie remise - je réfléchis aussi, suite à certaines remarques récurrentes, à améliorer la décoration de l'endroit - que je trouve quant à moi sobre et presque parfaite, mais le client est roi !

Ça ne remplacera pas l'index, mais en guise d'au revoir (expression que je ne peux écrire sans penser à Giscard, comme c'est le cas de Le Pen pour "détail", ou Sarkozy pour "enculé"), voici un petit récapitulatif de certains des livres qui sont toujours plus ou moins présents en arrière-plan de ce qui s'écrit ici. Je les classe par ordre alphabétique d'auteurs :

- André Bazin : Qu'est-ce que le cinéma ?

- Louis-Ferdinand Céline : l'ensemble

- François René de Chateaubriand : Mémoires d'outre-tombe

- Vincent Descombes : La denrée mentale et Les institutions du sens

- Louis Dumont : Essais sur l'individualisme

- Emile Durkheim : Les formes élémentaires de la vie religieuse

- Georg Wilhelm Friedrich Hegel : Principes de la philosophie du droit

- Philippe Muray : Le XIXè siècle à travers les âges

- Jean-Pierre Voyer : l'ensemble - en ce moment, surtout Hécatombe

- Ludwig Wittgenstein : Recherches philosophiques


Que Dieu soit avec vous - et avec votre esprit.

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samedi 1 juillet 2006

Gauchistes, encore un effort pour découvrir le monde.

Le dernier ouvrage d'Alain Brossat, La résistance infinie,

Brossat

présente le double avantage de s'attaquer à certaines des idées actuellement en cours à l'extrême-gauche, ce qui nous permettra de poursuivre le dialogue entamé - si cette formulation n'est pas excessive - avec des gens comme Etienne Chouard ou Jacques Rancière, comme de situer la tendance de l'"extrême-gauche" que peut représenter A. Brossat par rapport à l'ensemble des positions politiques intéressantes d'aujourd'hui.

L'idéal serait d'établir une typologie des idées politiques contemporaines, ou plutôt vivantes, un tableau d'ensemble clair, dans lequel chacun pourrait retrouver les points où ses propres idées correspondent ou non à celles de tel ou tel. Nous n'en sommes pas là !

Ce livre assez bref (180 pp. environ) est constitué de plusieurs chapitres, à la fois indépendants et reliés les uns aux autres. Il me semble que le fil directeur est le suivant :

- une première partie polémique consacrée aux mouvements théoriques de "ré-enchantement" de la démocratie, partie qui nous retiendra le plus longtemps ;

- trois chapitres d'actualité, consacrés au 11 septembre, au 21 avril (j'ai résumé son propos ici), et à l'agression américaine en Irak, lesquelles contiennent autant des thèses sur ces événements - thèses qui nous occuperont peu - que des illustrations des limites des idées de ce que j'appellerai désormais, par commodité, la mouvance Chouard-Rancière, lorsqu'on les applique à des pareilles secousses ;

- un chapitre au statut plus vague, à mi-chemin entre la philosophie politique, la sociologie et l'étude de moeurs à la Philippe Muray, sur les peurs contemporaines, chapitre que l'on peut lire comme une attaque contre l'individualisme contemporain ;

- une dernière partie consacrée à l'idée de communauté, celle où M. Brossat propose le plus de "solutions" - nous verrons sous quelle forme -, celle aussi que je critiquerai le plus.


Le début, qui est aussi la thèse centrale du livre, prend la forme d'une attaque contre :

- les développements de Jacques Rancière sur l'égalité ;

- plus généralement, les volontés de retour aux sources de la démocratie grecque, lesques tentent de donner un nouveau sens et une nouvelle vitalité à "notre" démocratie.

L'offensive porte d'abord contre l'idée, développée notamment dans La haine de la démocratie (La fabrique, 2005), que l'égalité "de n'importe qui avec n'importe qui" n'a pas à être philosophiquement démontrée ou infirmée : elle se prouve chaque jour dans notre comportement. On peut, prenons tout de suite un exemple extrême, insulter un inférieur hiérarchique, l'humilier, reste que si l'on veut qu'il obéisse il faut bien lui donner des ordres, donc lui parler, donc le considérer comme capable de comprendre ce que nous disons (y compris lorsqu'on l'humilie...), donc finalement, malgré qu'on en ait, le considérer dans la pratique comme égal. J'ai déjà dit le bien que je pense de cette idée - qui a d'ailleurs un petit côté Wittgenstein : voyons, dans la vie quotidienne, comment les choses se passent -, j'ai déjà aussi exprimé ce qui me semble être le revers de sa médaille : si les gens sont si égaux que ça de toutes façons, pourquoi alors s'occuper de politique, d'institutions, d'injustice, etc. ? M. Brossat enfonce le clou de la même façon : cette idée-là ne débouche sur rien de concret politiquement. On pourrait même en faire un alibi ou un motif d'un conservatisme de l'ordre juste, pour parler comme Benoît XVI et Ségolène Royal, idée que j'ai exprimée sous forme de paradoxe il y a peu. Mais restons-en là pour l'instant sur ce sujet.

A. Brossat attaque J. Rancière sous un autre angle. N'ayant pas lu La mésentente (Galilée, 1995), à laquelle il est fait allusion ici, il se peut que je reproduise des attaques injustes contre ce livre. Mais si l'on suit M. Brossat, cette thèse de l'égalité de tous avec tous est particulièrement illustrée par M. Rancière dans le domaine de la prise de parole, quand le dominé fait irruption dans le débat et par son récit comme par ses arguments se met à exister dans le champ politique, montrant qui plus est de facto qu'il est l'égal de tous. Le mouvement ouvrier, les sans-papiers plus récemment, proposent de belles démonstrations par l'exemple de cette thèse, dont A. Brossat ne nie pas qu'elle puisse être féconde dans certains cas, mais dont il estime, que, globalement, étant donnée l'évolution du monde, et notamment des "démocraties libérales", sa portée effective est de plus en plus réduite, puisque justement ces régimes se révèlent de plus en plus doués pour supprimer tout espace où cette prise de parole soit possible.

Le chapitre sur le 11 septembre - la destruction des tours comme une sorte de cri de rage muet, presque aphasique - illustre cette idée à partir d'une comparaison avec un roman de Melville, Billy Budd, dans lequel le dominé, injustement accusé et privé de parole par le dominant, ne peut se rebeller qu'en poussant un cri et en tuant net le maître. Quoi qu'il en soit de ce parallèle et de cette interprétation du 11 septembre (sur laquelle je reviendrai), il me semble qu'Alain Brossat n'a pas tort de rappeler que les thèses comme celles de Jacques Rancière sur la prise de parole présupposent qu'il soit possible de prendre la parole et d'être entendu, et que cela est, dans les cas vraiment importants, de plus en plus difficile.

Ce thème de la parole n'est pas propre à J. Rancière, et encore moins son retour aux Grecs pour tenter de capter l'essence de la démocratie. De Castoriadis à Badiou en passant par E. Chouard et nombre d'auteurs vers lesquels le site de ce dernier nous renvoie, le mouvement ne date pas d'aujourd'hui qui cherche dans l'Athènes de l'Antiquité les clés qui nous permettraient de retrouver une "vraie démocratie". Alain Brossat ne nie pas l'intérêt potentiel de ces travaux - il a raison -, il estime qu'ils tombent à côté de la plaque, pour le simple motif qu'en réalité nous vivons dans un monde bien plus romain - inégalitaire, impérialiste, cynique... - que grec, à l'intérieur duquel ce genre de parlotes n'est d'aucune signification effective quant à la réalité et à la dureté des processus en cours (parlez-en aux Palestiniens). Il ne s'agit pas alors de jouer aux philosophes grecs, ce qui ne fait ni chaud ni froid aux généraux romains, mais de "se faire" gaulois ou plébéien, de moins chercher à bouger le régime de l'intérieur, "démocratiquement", que de l'extérieur - et si besoin est, et besoin il y a, violemment. D'où par exemple, je ne dirais pas le soutien au Hezbollah, car les membres de celui-ci s'en moquent comme de leur premier attentat, mais la qualification de celui-ci comme organisation politique, et non terroriste.

Je crois qu'Alain Brossat a en grande partie raison, mais que sa métaphore de notre "romanité" actuelle l'emmène trop loin. Il a raison de rappeler que la violence n'est pas à exclure a priori du domaine de l'action politique (p. 37), et que les dominants actuels (je n'aime pas trop cette terminologie, mais acceptons-là ici) jouent justement sur ce thème pour battre en brèche toute action un peu efficace. Il a raison aussi de stigmatiser l'inefficacité politique actuelle de ces thèmes de "ré-enchantement" de la démocratie - si ce n'est, tout de même, lors du 29 mai. Mais il se laisse emporter trop loin quand il en vient à considérer que tout ce qui se veut "grec" est soit insignifiant soit "allié objectif" du système impérial. D'abord parce que, tout sceptique que l'on puisse être, l'on ne sait pas de quoi ces mouvements vont accoucher dans le futur, ensuite parce qu'il faut bien tenir compte du fait que beaucoup de gens désapprouvent a priori toute forme de violence, enfin et surtout parce qu'il est important d'avoir plusieurs fers au feu. Je rappelais il y a quelques mois qu'une bonne partie des conquêtes ouvrières du XXè siècle, obtenues généralement dans la légalité, avaient eu lieu parce que l'URSS proposait un modèle concurrent et qu'il fallait attacher (affectivement, financièrement) les gens au système capitaliste parlementaire. Cela s'est fait aux dépens de toute la population d'Europe orientale. Je ne sais pas si une telle configuration peut se mettre en place de nos jours, et aux dépens éventuels de qui cela se ferait. Mais il me semble, pour utiliser des métaphores militaires comme le fait Alain Brossat, que dans une guerre il est important de varier les fronts, les objectifs, les angles d'attaque, les alliés. Il est difficile de plus de nier, sans préjudice des évolutions à venir, qu'Internet a ouvert de nouveaux espaces de prise de parole - pour combien de temps ?


Passons maintenant au dernier chapitre de cette Résistance infinie, dans lequel Alain Brossat présente, je ne dirai pas ses solutions, mais une sorte de modèle d'action, autour de l'idée de communauté. Ce chapitre est le moins bon du livre. L'on ne peut d'ailleurs qu'être surpris par le décalage entre l'acuité du début et la platitude romantique de la fin. On peut certes y voir le simple reflet de la plus grande difficulté qu'il y a toujours à construire qu'à détruire. Je crois - ce sera ma troisième partie - que le problème est plus profond. Mais tâchons d'abord d'argumenter notre propos.

Alain Brossat, après avoir illustré ses thèses du premier chapitre dans une série de variations sur le 11 septembre et l'agression américaine en Irak d'une part - lesquels montrent combien une approche comme celle de J. Rancière a peu à dire sur de tels événements, l'après 21 avril et l'apathie politique des Français d'autre part - qui montrent que le retour à une action politique "traditionnelle" n'est pas pour demain, propose une sorte de modèle de communauté d'action politique, bâtie sur l'engagement personnel, la liberté à l'égard du groupe, le respect des différences des autres mais la réunion autour d'un objectif commun. Ajoutons que ces communautés se forment un peu par hasard, parfois à la suite d'un événement fondateur (tout ce chapitre subit l'influence d'Alain Badiou), ce qui explique d'ailleurs pourquoi elles réunissent des gens différents les uns des autres. Les exemples pris - les "hommes -bibliothèques" de la fin de Farenheit 451, la "brigade internationale" de Land and freedom, la bande de Robin des bois - sont peut-être sympathiques, voire charmants,

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ils ne sont pas non plus enthousiasmants. Et puis que faire de tout ça, si ces communautés ne se forment que par hasard, à la suite de choix individuels synchronisés (plus ou moins) mais indépendants les uns des autres et imprévisibles pour les individus eux-mêmes...

Le premier problème, en fait, ce sont les présupposés théoriques d'Alain Brossat dans ce chapitre. Il commence par vouloir nettoyer le concept de communauté, en critiquant la vision passéiste d'un côté, sociologisante de l'autre (Julien Freund nous a rappelé récemment que ces deux visions étaient étroitement liées), des communautés d'avant 1789, mais il confond allègrement la vision holiste des choses, c'est-à-dire la conscience que la société vient avant l'individu, et l'éloge, plus ou moins caricatural selon les auteurs, de la société féodale communautaire et hiérarchisée - d'où (p. 164) la réunion de ces deux visions sous la catégorie d'une "conception essentiellement sociologique", ce qui ne veut rigoureusement rien dire.

Qui plus est, Alain Brossat schématise à l'excès ce que l'on peut penser d'une communauté. Seuls les plus cons des plus cons des conservateurs peuvent estimer qu'il y eut une époque de havre de paix communautaire où chacun était à sa place, heureux de l'être, et où la société n'était jamais traversée d'aucun conflit ni aucun sentiment d'injustice. Prendre appui sur une nostalgie aussi débile pour discréditer une approche holiste de la société, avec toutes les stimulantes difficultés qu'elle pose, est bien léger. Ce qui est intéressant, au contraire, c'est que la hiérarchie communautaire pose à la fois un ordre, dans lequel la majorité se reconnaît, et des germes de désordre (soit que le système dérape, soit, plus généralement, que l'on veuille jouer avec pour s'élever, ou pour en tirer le meilleur profit possible). "Il faut le système, et il faut l'excès", cette formule qui est je crois de Georges Bataille, décrit assez bien ce que l'on peut trouver de fécond dans l'idée de communauté.

Je spécule un peu maintenant, mais l'occasion est bonne pour pointer une confusion qu'ici Alain Brossat me semble faire, et Dieu sait qu'il n'est pas le seul, la confusion, dénoncée par Louis Dumont dans Homo Hierarchicus (Gallimard, 1966, rééd. "Tel", avec une très importante postface, 1979), entre statut et pouvoir. Aussi brièvement que possible : ce n'est pas parce que vous êtes situé plus haut dans la hiérarchie de la société que quelqu'un que vous avez pouvoir sur lui. Dans le cas de la société indienne, étudiée par Dumont, où les hiérarchies sont beaucoup plus entremêlées et soumises à bien plus de critères, parfois presque antithétiques, que les cas extrêmes des brahmanes et des Intouchables ne le laissent supposer (et encore, même pour eux les choses ne sont pas si simples), il arrive que des groupes situés "en bas" dominent d'autres groupes situés "en haut". Dans sa critique de la conception "sociologique" de la communauté, A. Brossat me semble passer à côté de ce point important. D'où s'ensuit une conception bien myope et trop négative de la hiérarchie.

On peut toujours penser que je sors mes références préférées à tout bout de champ, que je m'éloigne du livre de M. Brossat, mais il me semble au contraire que si ce qu'il propose en termes de communauté, si le contrepoint positif qu'il a tenu à faire figurer à la fin d'un livre surtout critique, est si plat, c'est à cause de l'abstraction trop grande avec laquelle il manie ce concept de communauté, et que cette abstraction est hélas bien trop répandue. Ce qui fait que l'on se fout un peu de ce qu'il "propose" en la matière, ce qui est tout de même peut-être dommage. Ceci sans trop insister sur le fait que notre professeur d'université n'a pas encore, à notre connaissance, pris le maquis... (Je signale à ce propos une initiative politique qui me plaît (il y en a) : cacher et protéger les enfants de sans-papiers poursuivis par la police.)


Elargir le propos peut contribuer à argumenter ces derniers points de vue. Il y a chez Alain Brossat, malgré l'intérêt de ses critiques contre la mouvance Chouard-Rancière, malgré un sens des réalités sur lequel je vais bientôt revenir, une façon de s'arrêter au milieu du gué théorique qui me semble symptomatique de certaines difficultés de "l'extrême-gauche" actuelle - ou, plus précisément, des gens issus de l'extrême -gauche passée et qui n'ont pas complètement renoncé à réfléchir à ce qui se passe autour d'eux.

Car Alain Brossat, comme d'autres (je pense notamment à Alain de Benoist) rejette désormais le clivage gauche-droite (pp. 39-40), a, comme Philippe Muray (que ce clivage n'intéressait pas beaucoup non plus, sauf quand il piquait une colère parce la gauche avait gagné une élection), une vraie sensibilité pour le quotidien (notamment p. 61 et, avec d'ailleurs une belle intuition "sociologique", p. 146) et la façon dont les gens ont tendance à se réfugier du monde dans leur petit moi surévalué (Ad Muray per Foucault, somme toute) : il dispose donc d'une bonne longueur d'avance sur ceux qui persistent à ne voir les réalités sociales que le sous le seul angle de l'oppression "économique". Il y a d'ailleurs plus d'un point commun entre la vision - inspirée de Walter Benjamin, souvent cité ici - du train-train politique, ou politicien, actuel, comme désastre permanent, et la vision judéo-chrétienne pessimiste d'un Muray sur la société, même si les "solutions" trouvées sont antithétiques : le repli sur soi (expression non péjorative) d'un côté, un certain idéal de communauté de l'autre (une nouvelle référence sociologique, d'ailleurs : ce que M. Brossat appelle communauté est en fait une secte, au sens (non péjoratif, bis) donné par ce terme par Max Weber dans L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme).

Mais là n'est pas la question - et je n'ai quant à moi pas de "solution", j'essaie surtout de comprendre les données des problèmes en cours. La question, donc, n'est pas non plus la persistance chez M. Brossat de valeurs dites "de gauche", qui n'ont faut-il le souligner rien de nuisible en elles-mêmes (justice, morale...) - on peut d'ailleurs s'étonner que la notion de morale ne soit explicitement introduite que tardivement, au détour d'une ligne, qu'elle soit absente du numéro "plébéien" du premier chapitre que pourtant elle fonde. Coup de frime ou gêne par rapport à la façon dont la notion de morale est quotidiennement galvaudée par ceux qui se disent de gauche ? Quoi qu'il en soit, la question - ou le problème - n'est pas non plus dans le romantisme indécrottable des gens comme Alain Brossat, quelque agaçant que puisse être de son point de vue son dernier chapitre, romantisme certes mâtiné désormais de Benjamin et de Badiou, donc "fragile", "éphémère", "minoritaire", "imprévisible", etc., comme les communautés vantées ici, mais romantisme tout de même - et l'utopie n'est alors jamais bien loin.

Le problème est, me semble-t-il, dans la difficulté qu'éprouve au bout du compte Alain Brossat à se mettre vraiment à la place des autres - difficultés où l'on peut voir peut-être le symétrique à l'attitude de "professeur maquisard" que j'ai raillée ci-dessus. Sa thèse sur le 11 septembre comme cri de rage muet n'est pas inintéressante, l'explication qui la sous-tend reste bien banale : explication par la misère, ce qui est certainement insuffisant - il y a la haine de nous aussi pour ce que nous sommes - et pose des problèmes factuels - le 11 septembre comme à Londres, ce sont des gens pas du tout miséreux qui sont allés jusqu'à la mort pour nous tuer. Et dans le cas du 21 avril, on ne peut manquer de relever la tendance de l'auteur à critiquer les gens qui ont voté Le Pen pour rallumer une certaine flamme politique, une certaine idée du conflit (pp. 109-110) - comme si, finalement, et même si on ne partage pas leur point de vue, il y avait tant de solutions que cela pour remettre un peu de conflit dans le jeu politique actuel, et comme si, finalement, Alain Brossat avait partagé la "petite frayeur brune" des bons citoyens qu'il épingle à juste titre dans le même chapitre (p. 112), et voulait pour cela faire payer ceux qui ont voté Le Pen en ce jour historique du 21 avril.


En résumé et pour conclure, ce qui est intéressant dans cette Résistance infinie (drôle de titre, d'ailleurs), c'est cet effort méritoire mais incomplet pour ramener la politique du ciel des idées vers la réalité des comportements et des pratiques, effort qui bute, d'une part sur un reste de conception gauchisante - essentialiste et diabolisante en l'occurrence - du pouvoir en général et de l'Etat en particulier, d'autre part sur une compréhension lacunaire des motivations des gens. Ce qui on s'en doute va ensemble : si l'on donne à l'Etat une part trop importante, on dessaisit les hommes d'une partie de leurs responsabilités, pour le meilleur et pour le pire, et de leurs enthousiasmes, bien ou mal investis.

Bien entendu, il peut être légitime de critiquer ces motivations et d'espérer qu'elles évolueront. Je suis le premier à râler que l'ensemble de la population pense trop à l'argent. Encore faut-il considérer patiemment la nature et le poids de ces motivations avant que de les critiquer. C'est certes plus "sociologique" et moins exaltant que de se rêver en Robin des bois et d'espérer se taper Olivia de Havilland,

olivia

mais si l'on veut vraiment dépasser le clivage gauche-droite, dont il est effectivement vrai pour une large mesure qu'il n'est entretenu par la classe politique actuelle que pour lui permettre de rester au pouvoir (à tour de rôle), eh bien c'est je crois un préalable indispensable.

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