mercredi 11 avril 2007

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"Avez-vous éprouvé, vous tous que la curiosité du flâneur a souvent fourrés dans une émeute, la même joie que moi à voir un gardien du sommeil public, – sergent de ville ou municipal, la véritable armée, – crosser un républicain ? Et comme moi, vous avez dit dans votre cœur : « Crosse, crosse un peu plus fort, crosse encore, municipal de mon cœur ; car en ce crossement suprême, je t’adore, et je te juge semblable à Jupiter, le grand justicier. L’homme que tu crosses est un ennemi des roses et des parfums, un fanatique des ustensiles ; c’est un ennemi de Watteau, un ennemi de Raphaël, un ennemi acharné du luxe, des beaux-arts et des belles-lettres, iconoclaste juré, bourreau de Vénus et d’Apollon ! Il ne veut plus travailler, humble et anonyme ouvrier, aux roses et aux parfums publics ; il veut être libre, l’ignorant, et il est incapable de fonder un atelier de fleurs et de parfumeries nouvelles. Crosse religieusement les omoplates de l’anarchiste ! » "

[Ici, une note : "J'entends souvent les gens se plaindre du théâtre moderne ; il manque d'originalité, dit-on, parce qu'il n'y a plus de types. Et le républicain ! qu'en faites-vous donc ? N'est-ce pas une chose nécessaire à toute comédie qui veut être gaie, et n'est-ce pas là un personnage passé à l'état de marquis ?"]


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[Photographie tirée d'une manifestation d'intermittents du spectacle... Le problème c'est que les "Républicains" d'aujourd'hui sont devenus comédiens, et qu'ils n'ont pas l'air d'avoir assez de tempérament pour se moquer d'eux-mêmes...]


"Ainsi, les philosophes et les critiques doivent-ils impitoyablement crosser les singes artistiques, ouvriers émancipés qui haïssent la force et la souveraineté du génie."

"Le doute, ou l’absence de foi et de naïveté, est un vice particulier à ce siècle, car personne n’obéit ; et la naïveté, qui est la domination du tempérament dans la manière, est un privilège divin dont presque tous sont privés.

Peu d’hommes ont le droit de régner, car peu d’hommes ont une grande passion.

Et comme aujourd’hui chacun veut régner, personne ne sait se gouverner."

"Il est une vaste population de médiocrités, singes de races diverses et croisées, nation flottante de métis qui passent chaque jour d’un pays dans un autre, emportent de chacun les usages qui leur conviennent, et cherchent à se faire un caractère par un système d’emprunts contradictoires."

[Pas de photographie ici. Un miroir te suffira, "hypocrite lecteur..."]

"Tel qui rentre aujourd’hui dans la classe des singes, même des plus habiles, n’est et ne sera jamais qu’un peintre médiocre ; autrefois, il eût fait un excellent ouvrier. Il est donc perdu pour lui et pour tous.

C’est pourquoi il eût mieux valu dans l’intérêt de leur salut, et même de leur bonheur, que les tièdes eussent été soumis à la férule d’une foi vigoureuse ; car les forts sont rares, et il faut être aujourd’hui Delacroix ou Ingres pour surnager et paraître dans le chaos d’une liberté épuisante et stérile.

Les singes sont les républicains de l’art, et l’état actuel de la peinture est le résultat d’une liberté anarchique qui glorifie l’individu, quelque faible qu’il soit, au détriment des associations, c’est-à-dire des écoles.

Dans les écoles, qui ne sont autre chose que la force d’invention organisée, les individus vraiment dignes de ce nom absorbent les faibles ; et c’est justice, car une large production n’est qu’une pensée à mille bras.

Cette glorification de l’individu a nécessité la division infinie du territoire de l’art. La liberté absolue et divergente de chacun, la division des efforts et le fractionnement de la volonté humaine ont amené cette faiblesse, ce doute et cette pauvreté d’invention ; quelques excentriques, sublimes et souffrants, compensent mal ce désordre fourmillant de médiocrités.


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L’individualité, – cette petite propriété, – a mangé l’originalité collective ; et, comme il a été démontré dans un chapitre fameux d’un roman romantique, que le livre a tué le monument [allusion à Notre-Dame de Paris], on peut dire que pour le présent c’est le peintre qui a tué la peinture."

Baudelaire, Salon de 1846. Le texte complet de ce passage est disponible ici. Vive la France !

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