jeudi 25 octobre 2007

"La détestable humanité..."

Serment_du_jeu_de_paume


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NOTES.

FIN DU TEXTE.





Je retranscris ici le début d'un texte de Philippe Muray, "Les aventuriers de l'âge d'or perdu" (1988, repris dans le premier volume des Exorcismes spirituels, pp. 341-353), qui est peut-être ce qu'il a écrit de plus clair sur la Révolution française. Les connaisseurs de René Girard y retrouveront son influence, avec tout de même des divergences notables. Dans mes commentaires je donnerai parfois l'impression de jongler allègrement avec les données de l'histoire universelle : ce ne sera que pour tirer les conséquences des propos de Muray. En revanche, je laisserai de côté la Révolution elle-même, ne la connaissant pas assez pour pouvoir discuter précisément de la validité des diagnostics ici énoncés. Négliger ainsi l'étude d'un épisode concret pour s'adonner aux généralités est une forme de paradoxe, sur laquelle je reviendrai en guise de conclusion.


"Religieuse, la Révolution ? Cette question ! Plutôt deux fois qu'une, malgré toutes les affirmations en sens contraire, les dénis, les camouflages de ses admirateurs. D'autant plus religieuse qu'elle s'en défend plus énergiquement. Religieuse au sens d'une tentative, peut-être la dernière de cette ampleur et de cette ardeur en Europe (si on met à part la bestialité nazie, à base, elle aussi, de redécouverte fascinée d'un certain « sacré »)

- on notera l'absence de la révolution communiste en Russie. Simple question de géographie ?

pour remonter aux sources imaginaires, à l'essence supposée de la religion en soi : folie ténébreuse, violence, fleuves de sang, rituels persécuteurs, mystères et délires. Tout ce dont les religions constituées, officielles, s'étaient écartées à travers les siècles. Tout ce qu'elles n'avaient cessé de défaire, de désorienter, de désorganiser. Au point d'apparaître elles-même, peu à peu, comme décevantes, démobilisatrices. Et, pour finir, obstacles, insupportables obstacles à l'aspiration humaine perpétuelle vers l'âge d'or.

Si l'Histoire est bien ce que nous sentons, un lent, un complexe processus de désacralisation, une entreprise de déconversion généralisée conduite par les institutions mêmes (judaïsme, christianisme, catholicisme) qui avaient la charge de le conserver intact (c'est-à-dire inconscient), ce sacré si précieux, la Révolution française, par bien des aspects, n'est qu'un épisode de plus dans la chronique des mouvements de révolte contre cette subversion, une tentative plus spectaculaire que les autres peut-être, plus incandescente, mais c'est tout, pour renflouer les autels et empêcher qu'on désespère la créature humaine plaintive, revendiquante, désenchantée souvent, mais jamais découragée de se raconter des chimères.

- voilà qui est stimulant, car cela signifierait, c'est une hypothèse à explorer, que le « désenchantement du monde » eut lieu, en Occident, durant l'ère chrétienne, et que depuis la Révolution il a repris de plus belle - sans s'avouer comme tel. Le désenchantement, ça eut payé, mais ça paie plus. Poussons le raisonnement un peu plus loin, et nous aurons un découpage de l'histoire occidentale avec du Girard au début et du Guénon sur la fin : une première période de sacré intense (de superstition, dirait l'apologétique chrétienne classique) et avoué, une deuxième période chrétienne, ou judéo-chrétienne, désacralisante (cf. les thèses de Girard sur la mise à jour du rôle de la victime émissaire dans les sociétés traditionnelles, c'est-à-dire ici pré-chrétiennes), une troisième qui comme chez Guénon démarrerait à peu près à la Renaissance et à la Réforme (le rôle de celle-ci sera bientôt évoqué par Muray), avec réapparition de l'Antiquité païenne, retour aux sources, à l'âge d'or, volonté, inavouée cette fois, de ré-enchantement, le rationalisme servant ici de masque, d'attrape-nigauds... (Ce qui soit dit en passant ferait de Max Weber, penseur de l'histoire universelle sous les catégories de la rationalisation et du désenchantement, la reine des dupes).

Il faudrait donc la minutie d'un Frazer pour avoir la moindre chance de dégager, à travers les folklores superposés des Jacobins, des Montagnards, de tous les autres, derrière les événements accumulés, les déclarations de principe, les discours empanachés, cette masse de faits spécifiquement religieux qui viennent, à partir de 89, basculer en vrac sur le devant de la scène. En vrac, avec le reste, tout le reste, c'est pour ça qu'on ne les voit pas bien en général. On s'en tient, pour l'anecdote, à la Déesse Raison, à l'Etre Suprême, on trouve ça suffisant, on passe à des sujets plus sérieux comme si celui-ci n'avait pas toutes les chances d'éclairer les autres, en fin de compte, les déchiffrer de biais, dans une lumière rasante d'autant plus troublante qu'elle semble, à l'aube des temps dits modernes, rejaillir du fin fond des âges et de l'espace.

Qu'est-ce que ça veut dire ? D'abord, que l'on ne comprend pas grand-chose à l'histoire du monde si on se croit en droit de sous-estimer son penchant religieux obstiné, perpétuellement insistant malgré les changements, les coups de théâtre, les effondrements de civilisation. Seulement voilà : il y a religion et religion, et c'est à partir de ce constat que les difficultés commencent. De deux choses l'une : ou bien on considère (version du bon sens commun) que Dieu est Dieu, que les choses sont ce qu'elles sont, que les Eglises n'ont jamais été que des entreprises mystificatrices, consolatrices, aliénantes, etc. ; ou bien on se penche plus attentivement sur la question, et celle-ci se complique aussitôt de façon spectaculaire.

Pour aller vite, répétons que ce sont les religions constituées, visibles, qui apparaissent alors comme rongeant et détruisant au cours des âges leurs propres fondements religieux, et que c'est tout ce qui ne s'avoue pas comme religieux (ou qui se présente au contraire en excès, en surenchère dans le religieux même : exemple des hérésies, des gnoses), tout ce qui veut anti, supra ou a-religieux, que l'on découvre en flagrant délit de demande éperdue de sacré, en état d'ébriété dévote, piétiste, bigotique, enfin en continuelle résistance pathétique contre cette négation dangereuse, irresponsable parce que désillusionnante pour le genre humain qu'est une religion conséquente, comme, par exemple, le catholicisme.

Tout cela est difficile à comprendre ? Oui, mais seulement pour des raisons de pauvreté de vocabulaire, en fin de compte. Je suis obligé de donner le même nom à la « religion » catholique et à ce que l'on soupçonne de « religieux » dans une séquence de l'Histoire comme la Révolution. Tant pis, il faut s'en contenter, on fera avec. Essayons quand même d'introduire une légère nuance terminologique : continuons à appeler religions les institutions ayant pignon sur rue, et parlons du « religieux » quand il s'agit de ces croisades plus ou moins spontanées de retour aux sources, comme il y en a eu tellement à travers les siècles.

- cette « pauvreté de vocabulaire » n'est tout de même pas l'effet du hasard, soit qu'elle désigne l'origine commune des religions instituées et du « religieux », soit qu'elle prouve que les religions constituées n'ont, n'avaient pas fini leur travail - si tant est qu'il leur ait jamais été possible de le finir. Et Muray sépare ici trop strictement les « hérésies » et « gnoses » des religions « ayant pignon sur rue », au développement duquel, surtout lors de leurs années - siècles - de formation, elles ont contribué : ce n'est pas parce que certains ont tendance à ne valoriser que les hérésies qu'il faut oublier leur rôle historique.

Par ailleurs et surtout, on voit ici, et cela se vérifiera dans le reste du texte, que si Muray, comme Girard, oppose l'univers judéo-chrétien aux religions des sociétés sauvages, il le fait avec plus de sévérité envers celles-ci que ne le faisait Girard. L'auteur de
La violence et le sacré et Des choses cachées depuis la fondation du monde réussissait à valoriser le christianisme tout en montrant bien la cohérence et la fécondité des modèles religieux des sociétés primitives.

(Guénon me semble-t-il se situait ici dans une autre optique, puisque s'il isole moins le christianisme des autres religions, il sépare celles-ci des pratiques des sociétés primitives, qui l'ont sauf erreur de ma part, moins intéressé. Ceci posé, si l'auteur des lignes qui suivent a raison dans son diagnostic, il y aurait tout de même chez Guénon une certaine mise à l'écart du christianisme, mise à l'écart étant à prendre ici dans un sens à la fois neutre et péjoratif, puisque Guénon

"n'évitait pas de donner l'impression qu'il y aurait malgré tout des sites privilégiés, quant à l'esprit traditionnel, manifestant une supériorité intrinsèque de l'Orient sur l'Occident, et de façon certaine une difficulté du christianisme, de ce point de vue, religion trop moralisante, trop sentimentale, en un mot trop offerte aux sécularisations. Au reste, la gnose contemporaine reprendra ces critiques sous l'accusation d'un historicisme généralisé, qui conduira à une identique survalorisation musulmane, par exemple dans la pensée d'Henry Corbin. Pour sa part, Rilke écartait du « ciel chrétien »
l'ange des Elégies en le rapprochant au contraire des « figures d'anges de l'Islam », principes liés à la manifestation qui le touchaient directement : « Il y a en moi une manière, une passion finalement tout à fait indéfinissable de vivre Dieu », plus proche aussi de l'Ancien Testament que de ce qu'il appelait « la Messiade », préférence pour une divinité qui ne réclame pas la foi mais engendre l'appartenance, « Un Dieu à qui l'on appartient de par son peuple, parce qu'il vous a fait et formé depuis toujours dans vos pères », tel celui adoré par les Juifs ou les Arabes, voire « Les Russes orthodoxes » ou encore « les peuples de l'Orient et de l'Ancien Mexique » (...). Alors que la foi nécessite de « tenir pour vrai ce qui partout où Dieu est origine, est vrai », un Dieu « éprouvé originellement ne sépare ni ne distingue le Bien du Mal par rapport aux humains mais pour lui-même... »"

Guénon, Corbin, Rilke... : M. Victor Nguyen (Cahiers de l'Herne Guénon, 1985, pp. 79-80) juxtapose ici beaucoup d'auteurs, je ne saurais dire s'il a raison de les mettre ainsi en rapport et s'il a raison dans la façon dont il les présente. Mais je vous cite ce passage d'une part parce qu'il évoque l'Islam dans le cadre de notre problématique de « désenchantement » (j'ai déjà maintes fois regretté que Weber, Dumont, Girard... n'aient jamais traité de l'Islam en tant que tel), d'autre part parce que ce que Rilke reproche ici au christianisme est à peu près - si l'on comprend bien que lorsque le poète autrichien parle de « foi » il évoque un choix fait par l'individu - ce qui enchante, si j'ose dire, Muray, et que cette coïncidence n'est sans doute pas insignifiante.)

Oublions Guénon et revenons à Muray-Girard. Il y a en fait deux interprétations aux sarcasmes de Muray à l'égard du « religieux ». Il y a la possibilité d'une antipathie de sa part à son égard, il y aurait aussi l'idée que ce qui était fécond à une époque ne peut plus l'être maintenant, et que c'est le retour, qui plus est inconscient, au « religieux », qui est désastreux. Il me semble que c'est la première interprétation qui est la bonne, alors que la deuxième serait plus intéressante. Je vous laisse juges. Ce point n'est pas négligeable, il n'est pas qu'un diagnostic sur des sociétés disparues : soit on suit Girard et voit dans le « religieux » une constante anthropologique fondamentale que le christianisme nous apprend à domestiquer, ceci non sans dangers faut-il le rappeler, soit on voit en lui quelque chose de néfaste, purement et simplement - qu'en bonne logique, même si Muray lui-même serait sans doute sceptique sur ce point, il faudrait éradiquer. Bon, reprenons.


Un rêve hante l'humain, c'est celui de son « origine ». Il la sent, il croit la sentir au fond de lui comme une végétation spontanée, fiévreusement naturelle. Furtive et sauvage. Censurée peut-être, mais il est persuadé que cette censure est levable. A la faveur, la plupart du temps, d'un mouvement tourbillonnaire d'apocalypse, c'est le prix à payer (les convulsionnaires de Saint-Médard, dans leur tremblement, vers 1732, sont de ce point de vue à placer sur le même rayon de revendication trépidante que les participants des rituels bucoliques et civiques des Fêtes révolutionnaires, ou que les visionnaires inspirés de Mme Guyon, qui, un siècle avant, erraient de ville en ville et professaient leur « théologie du coeur » tout en annonçant le retour du Christ en corps, en âme et en gloire). Un peu d'ouragan ne peut jamais faire de mal pour nettoyer l'atmosphère de ses miasmes désacralisants. Un bon coup de torchon. Déisme, piétisme, séisme... Nihilisme... Voilà la dévotion en soi : elle a quelque chose à faire avec le démoniaque, c'est normal (appelons « diable » l'ensemble des forces qui militent contre tout franchissement éventuel du sacré et pour le maintien à mort de barrières intraversables entre la Vertu et le Vice). Joseph de Maistre n'a pas attendu les « possédés » de Dostoïevski pour entrevoir la dimension somnambulique des automates de 89 ou de 93 : « instruments d'une force qui en savait plus qu'eux », dit-il, et qui ne pouvaient pas faire de « fautes dans leur carrière révolutionnaire, par la raison que le flûteur de Vaucanson ne fit jamais de notes fausses ».

- La définition du diable est trop rapide et pas assez claire. A la prendre à la lettre, les religions primitives seraient diaboliques. Et le sacré primitif sait justement faire ce qu'on appelle, avec à-propos, « la part du diable », c'est-à-dire ne pas chercher à « maintenir des barrières intraversables entre la Vertu et le Vice ».

Encore une fois ceci dit, ce qui est faux sur les primitifs peut être vrai sur le retour du « religieux » à notre époque. Sur certains aspects de la Révolution, sur le bolchevisme et le stalinisme : dans ces cas-là on a un sacré rigide, avec frontières strictes (bien qu'éventuellement fluctuantes en pratique...) entre « la Vertu et le Vice », qui correspond donc au « diable » de Muray.


Voilà le « religieux » à l'oeuvre dans son entreprise ancestrale de retour à l'Eden archaïque, maternel, naturel, tout ce qu'on voudra. Dans sa phobie de la séparation du ciel et de la terre (qui l'oblige à croire qu'il existe un « avant » par rapport à cette séparation). Qu'il n'y ait pas de lien entre ciel et terre ; ou qu'on soit perpétuellement obligé de le renégocier, ce lien ; ou encore que tout ce qu'on pourra dire sur l'infini ne revienne qu'à avouer qu'on ne le connaîtra jamais entièrement ; telle est, en revanche, l'oeuvre négative - et impardonnable - des églises. Disons la ruse des religions, spécialement la catholique, la plus déconviviale à mon avis, contrairement à ce que tout le monde croit, institution par excellence de la déconstruction du religieux en soi (ce n'est jamais l'athéisme qui mine la croyance, malgré le stéréotype naïf accepté par tous).

- Ceci est plus intéressant. On y retrouve, vous l'aurez remarqué, les commentaires de Rilke : le catholicisme [1], ce n'est pas marrant, il faut tout de suite réfléchir, ce n'est pas assez exaltant, ce n'est pas assez tribal - pour le formuler en termes murayens.

L'athéisme... Muray ne définit pas le terme, je crois que l'on peut accepter pleinement son jugement si on l'applique à l'athéisme militant, à celui qui croit que la « critique de la religion » est « achevée » et qui du coup teinte son rationalisme d'espérances millénaristes : il suffit, maintenant que l'on sait que Dieu n'existe pas, d'utiliser sa raison, et tout va mieux se passer, etc.

En revanche, si l'on prend au mot Muray lui-même, que l'on admet que « l'on ne comprend pas grand-chose à l'histoire du monde si on se croit en droit de sous-estimer son penchant religieux obstiné », en traitant ce penchant comme une constante anthropologique, si l'on admet que la religion n'a toujours pas été critiquée, ou pas assez (critiquée : examinée, comprise...), on trouve une attitude qui, de Hegel et Marx (sous certains aspects seulement, mais tout de même) à Durkheim, Mauss, Girard (et son critique Lucien Scubla) et Muray lui-même, contribue à « miner la croyance ». Certains de ses auteurs sont des athées revendiqués, d'autres des catholiques revendiqués, d'autres se taisent sur ce point : l'important est qu'ils travaillent au coeur de l'hypothèse du « religieux » comme étant lui-même au coeur de la nature humaine (même si Marx s'en écarte trop vite, vieille histoire...). Peut-être, je dis bien peut-être, faudrait-il alors parler ici de « laïcisme » plutôt que d'athéisme [2].


La Révolution française, mouvement de panique contre cette sortie du religieux, sursaut de révolte contre la mort des dieux, tentative de retrouver par la terreur (et d'abord par l'exécution d'un roi de « droit divin », reprise modernisée des rituels sacrificiels de rétablissement de l'ordre social dans les communautés primitives)

- ici, on est clairement en plein Girard. Et pour le rapport à la Révolution, cf. par exemple Le bouc émissaire, édition de poche, p. 172, où est il fait brièvement allusion aux textes de Saint-Just sur l'exécution de Louis XVI. Girard pourrait aussi évoquer l'extraordinaire discours de Robespierre du 3 décembre 1792 : « Je prononce à regret cette fatale vérité... mais Louis doit mourir, parce qu'il faut que la patrie vive. » (On trouvera une présentation positive de cette intervention dans son édition par La Fabrique, 2000.) On voit bien ici que Robespierre est trop conscient du mécanisme du bouc émissaire pour que celui-ci, qui a besoin de rester caché, fonctionne à plein : à la limite (je dis à la limite, car il s'agit surtout d'un contexte historique), le seul fait que Robespierre formule aussi bien ce mécanisme montre que celui-ci ne va pas fonctionner. Ajoutons, toujours dans une optique girardienne, que si le mécanisme de la victime émissaire aboutit à fonder un ordre social différenciateur, le paradoxe de la Révolution est de l'utiliser pour fonder un ordre égalitaire, donc a priori peu ou pas différenciateur. Nous retombons ici sur les rapports hiérarchie-individualisme, que vous connaissez bien. Je redonne la parole à Muray, qui va bientôt faire rentrer en scène son ennemi préféré.

la légitimité transcendante volée au peuple par le souverain et son clergé, bruits et clameurs contre la désertification de l'espace magique (restauration des fêtes de la Fertilité universelle), ne pouvait donc pas voir le jour dans un pays protestant par exemple, pour la bonne raison que la Réforme y avait déjà opéré le réancrage rationnel et social du religieux et que les liens de parenté y avaient été énergiquement renoués contre la Rome vaticane déréalisante, déterritorialisante, désubstantifiante. La Réforme, c'est la religion renversée au profit de l'homme religieux. La Révolution française est la première grande peur des fantômes des temps modernes. Sa première grande tentative de renflouement des phénomènes. Le cri de la créature angoissée vers un ciel vidé (ou problématisé, au moins, jusqu'à l'insupportable, dans ses rapports avec la terre) par ceux mêmes qui avaient reçu mission de le garder plein, ce ciel, comme un oeuf. (...)

L'intrigue religieuse qui transpire de partout dans l'épopée révolutionnaire prend les allures d'une vaste entreprise de dénégation : le désir est là, les traces en abondent, mais on n'arrêtera pas de s'en défendre tout en le formulant à l'envers. Le religieux révolutionnaire croît et embellit du refus de s'avouer par lequel il se fonde et se confirme. A l'inverse des religions proprement dites, le religieux est toujours plus ou moins une régression totémique, un retour de l'invincible armada des occultismes immémoriaux. C'est donc là où il avait été le plus spectaculairement désamorcé de l'intérieur qu'il était urgent d'essayer de la ressusciter. Acting out enflammé, la Révolution est la protestation de la société trahie par ses magiciens mêmes et qui décide, en relevant ses manches, de refaire toute seule de la magie, du sublime, de l'Idole, dans l'intérêt de l'humanité.

- emporté peut-être par sa plume, Muray oublie ici d'autres facteurs, au premier chef la décadence de la noblesse depuis sa mise au pas par le grand révolutionnaire Louis XIV, ce que de Maistre rappelait : « La Révolution française a pour cause principale la dégradation morale de la Noblesse. »

Petite digression. Dans
Le XIXè siècle à travers les âges (éd. "Tel", pp. 425-434 : "L'orgie"), Muray ironise non sans à-propos sur les vitupérations de Hugo contre les turpitudes de la Babylone qu'était devenue à ses yeux le Paris de Napoléon III. Grosso modo, selon Muray,il y a là chez Hugo une jalousie vaine et déplacée : ce n'est que de loin que l'atmosphère partouzarde peut sembler gaie et pleine de plaisir, alors que l'on sait bien que dans la plupart des cas l'acte sexuel foire et laisse ses initiateurs déçus - jusqu'à la prochaine tentative, et ainsi de suite. Au fond du fond, Muray a raison : ce n'est certainement pas dans de tels contextes que la chair a des chances de ne pas être triste. Il y a dans l'attitude d'un père-la-morale comme Hugo un côté ridicule - que l'on peut de nos jours retrouver dans les pages du Monde Diplomatique à l'égard des Pinault et consorts. Ceci posé, que ce soit pour le XVIIIè siècle tendance Laclos (relire les notes de Baudelaire sur Les liaisons dangereuses et les sentiments mêlés que ce livre lui inspire [3] (Baudelaire y cite d'ailleurs de Maistre : « Au moment où la Révolution française éclata, la noblesse française était une race physiquement diminuée. »)), le Second Empire ou, peut-être, pour la période actuelle, l'étalage public - exhibitionniste - de moeurs légères n'est pas ce qu'il y a de plus adapté pour la cohésion de la société (le poisson pourrit par la tête, la société pourrit par la partouze, par l'éloge hypocrite de la partouze [4]). S'il y a un mélange de pudibonderie, de myopie et d'envie dans le regard que ceux qui ne participent à la « fête » peuvent porter sur celle-ci, on ne saurait dire que l'éloge de la facilité par les « élites » soit si insignifiant ou si risible que ça à tous égards. Fin de la digression.

Evidemment, dès cette époque, ce n'était plus guère possible. D'où l'aspect carton-pâte, Viollet-le-Duc avant la lettre, des rituels révolutionnaires. Leur côté artefact. Posthume. Simulacre de cultes. Faisant-fonction de cultes. D'où aussi l'apparence hyperréaliste par anticipation de l'art de cette époque. Son allure bergeries prises dans les glaces, Petit Trianon surgelé, grottes et rocailles de Tivoli moulées plastifiées. Mannequins de cire de David. Maquillage post-mortem.


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On s'étonnerait moins de la pauvreté de l'art révolutionnaire si on se résignait à le considérer comme une étape parmi d'autres dans l'histoire du rationalisme protestant. La Réforme n'a pas été très riche, elle non plus, en réalisations esthétiques de grande envergure. Pourquoi ? Si nous étions des anges, disait saint Pierre Casinius (l'un des théologiens les plus brillants du concile de Trente), nous n'aurions pas besoin d'images. Mais voilà, nous ne sommes pas des anges... Et les conclusions coulent de source : primo toute iconoclastie est un angélisme (on a appelé « vandalisme » l'iconoclasme révolutionnaire, les statues détruites, les châteaux pillés et ravagés, etc., mais ça ne change rien à l'affaire) ; secundo l'art est avant tout la reconnaissance de l'imperfection de la créature (c'est pour ça qu'il a en horreur l'idéalisation) ; tertio toute oeuvre conséquente porte en elle la déclaration violente de sa dimension sexuelle (d'où l'aspect forcément peu bandant des réalisations artistiques - quand il y en a - dans les périodes d'iconoclasme)...

- que vient ici faire le sexe ? J'ai souligné quelques termes pour que l'on voie bien le fil conducteur. La difficulté ici est de saisir le lien réel entre « hyperréalisme » et « idéalisation », de comprendre que les deux vont ensemble, que l'« idéalisation » conduit à une représentation « pure et parfaite », comme on le dit de la concurrence dans certains modèles de théorie économique, à la fois dans ses sujets et dans ses moyens, de la réalité. D'où la prédilection pour les enfants, « purs et parfaits », les vierges et les jeunes mâles à la perfection immaculée, représentés bien sûr avec un souci hyperréaliste de rendre leur pureté, qui de fait nourrit l'idéalisation.


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D'où quelques conséquences, que l'on se contentera d'effleurer.

Muray met en rapport quelque part, et il n'est pas le premier, les ressemblances entre l'art révolutionnaire et l'art nazi, à travers cette froideur et cette recherche de la perfection. Et il signale à juste titre, dans les deux cas, la sur-représentation statistique de la nudité masculine par rapport à sa fréquence d'apparition moyenne dans l'histoire de l'art. De ce point de vue il n'y a pas à s'étonner que les grands films de l'esthétique nazie aient été réalisés par une femme, il y a là une forme de logique - comme ils l'auraient pu l'être par un homosexuel. Ce qui, à l'époque de Visconti, Pasolini ou Daney, qui avaient une petite idée de ce dont ils parlaient, était non seulement une évidence, mais presque un cliché [5]. Aujourd'hui on ressort le titre
Les dieux du stade dans le cadre d'une esthétique gay rappelant effectivement Leni Riefenstahl, c'est parfaitement logique, à défaut d'être très rassurant ni fécond. "La détestable humanité se fait un enfer préparatoire..."


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Mon antiquité païenne et mon troisième Reich dans ton cul, giton, modiste, persilleuse, catamite ! !


Ce qui fait, incidemment, pour relier ceci à ce que nous écrivions plus haut, que notre époque, dans son « érotisme », réussit à la fois à baigner dans une atmosphère partouzarde et dans un climat de perfection homo-nazie, c'est réjouissant. Je ne sais pas à quel point on peut tirer sur ce fil, s'il y a là une symbiose originale, ou simplement la juxtaposition de tendances différentes - tant la dite époque mange à tous les rateliers, fait feu de tout bois, utilise tout le passé à tort et à travers... Peut-être y reviendrons-nous.

Quoi qu'il en soit, on voit donc en quoi la « dimension sexuelle » de l'art, dans l'esprit de Muray, et à raison, forcément et par définition « hétérosexuelle », est liée au refus de l'« idéalisation » comme à la reconnaissance de l'« imperfection » de la créature. Et l'on se dit qu'il est difficile de ne pas voir un rapport entre l'effacement actuel des différences entre les sexes et la nullité artistique indéniable de notre temps. Mais revenons à la Révolution [6].



Reconquête de l'infiniment mystérieux divin. La Révolution essaie de sauter par-dessus plusieurs centaines d'années de décomposition voulue. En ce sens, son entreprise (comme celle de tous les grands mouvements hérétiques obsédés d'origine) est transhistorique. L'homo religiosus perce sous les fureurs du sans-culotte. Son but, pour commencer, est de faire honte aux représentants d'une religion qui a démérité, puis de leur reprendre le flambeau, et de remonter à travers les ténèbres vers le saint des saints collectif, la source vive, tribale, du culte célébré en commun.

La Réforme avait déjà opéré il y a longtemps, au nord de l'Europe, une semblable reprise en main de ses ouailles. La Révolution française, c'est donc le Sud essayant de se faire aussi protestant que le Nord. Aussi Nord. Encore plus Nord. (...) La Révolution française c'est la pulsion de Nord. D'où l'enthousiasme instantané d'un pays de têtes philosophes comme l'Allemagne. D'où les frissons de Hegel (le « superbe lever de soleil »...), les extases de Johannes von Müller qui déclare que le 14 juillet 89 est « le plus beau jour depuis la ruine de l'hégémonie romaine ». D'où la promenade perturbée de Kant. D'où (...) cette lettre de Goethe à sa mère pour lui demander d'acheter une petite guillotine, oui oui, une guillotine miniature, un jouet guillotine qu'il voudrait offrir pour Noël à son fils August (...). La plupart, cela va sans dire, commenceront à déchanter avec la Terreur. Il y aura les déçus de 93, on connaît la ritournelle, elle est de tous les âges. N'empêche qu'entre-temps une grande aventure aura eu lieu. Mal connue. Volontairement ou non refoulée derrière les tumultes, les massacres, les luttes pour le pouvoir. Mais orchestrant tout cela en sous-main, de son bruit religieux de fond."

- Fin de citation, je quitte les italiques.

« Il y aura les déçus de 93, on connaît la ritournelle, elle est de tous les âges. » : c'est contourner un peu vite une difficulté, mais évitons de tomber dans les débats abstraits sur la nécessité de la révolution (un exemple ici, à propos de Che Guevara ; un rappel ), et allons au plus stimulant.

Si je comprends bien, la thèse est la suivante : dans sa façon de faire appel à ce qui est supposé commun à tous les hommes, le bon sens près de chez vous, la raison, le protestantisme est un grégarisme caché, qui sinon vise du moins conduit à ce que chacun intériorise les mêmes règles et s'y plie d'autant plus volontiers qu'il croit ou veut croire d'une part qu'elles ne viennent que de lui, d'autre part et par définition, qu'elles ne peuvent être que les mêmes pour tous. C'est la ruse de la raison, protestante ou rationaliste, c'est donner aux hommes de bonnes raisons, c'est le cas de le dire, pour se comporter tous de la même manière et être heureux et fiers que ce soit le cas ; c'est, accessoirement, donner bonne conscience aux gens pour qu'ils se mêlent de votre vie, de gré ou de force.

(On répondra ici que l'Inquisition est une invention catholique, on évoquera les conversions forcées, et bien sûr on n'aura pas tort. La différence tout de même, et on retrouve là le schéma de l'extériorisation ou de l'intériorisation de la loi (que j'évoque, à propos de Muray, dans mon texte sur M. Dantec), est que dans un cas ceux qui vous forcent sont des personnes déterminées mandatées pendant une certaine durée pour le faire, alors que dans l'autre c'est tout un chacun, tout le temps, qui se fait sur vous l'écho de la pression collective. Si vous êtes en train de frire sur le bûcher, vous pouvez trouver cette distinction négligeable, elle ne l'est pas en tant que telle [7].)

Nous retrouvons ici Tocqueville, Baudelaire, l'originalité de masse, la société de consommation, la rébellion sur commande, etc. Autant dire que ce schéma est à n'en pas douter fécond. Mais quelle est la part réelle du protestantisme là-dedans ? Je ne dis pas que tout diagnostic historique doit être rigoureux au gramme près comme la balance de la Justice, mais Muray est ici bien rapide. Et puis il y a toujours dans ces assemblages de citations, pour impressionnants qu'ils puissent être, un côté "Taguieff", c'est-à-dire un danger de l'amalgame, de sortir des phrases de leur contexte, etc. C'était aussi le cas dans certains passages du XIXè siècle à travers les âges ou, pour un exemple précis et frappant, dans le Céline (éd. "Tel", pp. 131-132). Bon, Muray est plus honnête que ce qu'est devenu Taguieff, mais un peu de méfiance ne nous fera pas ici de mal. Reste par ailleurs la question des distinctions entre sectes protestantes (notamment entre luthériennes calvinistes [8]), de l'évolution de celles-ci, etc.

Plus généralement, et c'est sur cette considération décevante que je finirai ce commentaire, je suis de plus en plus frustré de ne pouvoir approfondir, par des lectures d'ouvrages d'histoire, les sujets traités ici. Il est amusant pour moi et j'espère pas tout à fait insignifiant pour vous de clarifier les enjeux et les rapports des grandes constructions sur l'histoire universelle et/ou occidentale de Weber, Dumont, Gauchet, Girard, Castoriadis, Muray, Guénon, etc., de touiller et re-touiller tout ça, mais on bute sans arrêt sur les mêmes limites, sur les mêmes incompétences par rapport à des sujets précis. En bonne logique, il faudrait suspendre ce site pendant quelques mois ou plus, pour revenir, certes pas Pic de la Mirandole, mais plus armé pour mettre à l'épreuve des faits tous ces magnifiques édifices. Ce n'est pas de la déprime, et rien, sauf la désagréable tendance du temps à ne jamais arrêter de vous filer entre les doigts, n'empêche de mener de front les réflexions théoriques et les investigations historiques. Mais c'est agaçant.

En même temps, tant qu'il y a de la vie... :


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...il y a de l'espoir !


(Champ - contre-champ piqué chez M. Cinéma, rendons à César...)

























NOTES.


[1]
Comme nous sommes ici à la fois dans la longue durée et dans l'étude d'un phénomène historique se déroulant après la Réforme, je suis obligé d'employer indifféremment « christianisme » et « catholicisme ». Il faudrait employer le premier pour tout ce qui va jusqu'à la Réforme, le second pour tout ce qui vient après. Dans le cas d'un diagnostic comme celui de Rilke, je préfère utiliser « catholicisme » pour rester dans l'optique de Muray et éviter de lui adjoindre le protestantisme. Notons au passage que Girard est beaucoup moins critique du protestantisme, le différencie beaucoup moins du catholicisme.


[2]
Je laisse tomber Guénon sur ces points : expliciter et discuter sa position prendrait du temps, peut-être pour rien, je ne connais pas (encore) assez son oeuvre.

Par ailleurs, le fait est que Muray lui-même sort parfois de cette hypothèse, et que, par répugnance pour toute forme de « collectivisme », il en vient à manquer de rigueur dans son approche des rapports entre « individu » et « société ». "Il n'y a pas d'autre collectivisme que magique", écrit-il au début du XIXè siècle à travers les âges ("Tel", p. 57) : l'hypothèse holiste, qui rappelons-le n'a rien d'un programme politique, vise précisément à rendre compte de l'existence de certains phénomènes et individus collectifs sans verser pour autant dans la magie. J'y reviendrai (un jour).


[3]
Dans l'ensemble, Baudelaire loue dans ce livre et son époque une certaine franchise, qu'il retourne contre son propre siècle :

"Comment on faisait l'amour sous l'ancien régime.

Plus gaîment il est vrai.

Ce n'était pas l'extase, comme aujourd'hui, c'était le délire.

C'était toujours le mensonge, mais on n'adorait pas son semblable. On le trompait, mais on se trompait moins soi-même."

"Caractère général sinistre.

La détestable humanité se fait un enfer préparatoire.
"


[4]
Ce n'est en effet pas la partouze qui pose problème - les gens font ce qu'ils veulent... - mais l'oubli du système de don - contre-don et de la part des rivalités mimétiques sur lesquels elle repose, bref, la croyance que dans ce domaine on peut échanger - les corps - sans se soumettre à et sans souffrir des lois de l'échange, sous prétexte qu'on échange volontairement « quelque chose » qui n'est pas d'ordinaire, dans nos sociétés, objet d'échange officiel. Sur cette question, on peut consulter la confrontation entre R. Girard et l'oeuvre de P. Klossowski, Violence et vérité, colloque de Cerisy sur R. Girard, Grasset, 1985, pp. 215-217.

Glissons cette remarque : l'ennui abyssal de nombreux films, notamment français, contemporains, ce que j'appelle justement les films-partouzes (in Télérama : les « chassés-croisés amoureux ») vient entre autres de ce qu'à chaque fois ils redécouvrent péniblement ces vérités de l'échange et du mimétisme, comme s'ils étaient les premiers à le faire, cette redécouverte s'effectuant souvent de surcroît par le biais du « sentiment » ! Fils de putes. (Je ne l'ai pas lu, mais j'imagine fort que le livre de Girard Shakespeare. Les feux de l'envie, Grasset, 1990, sans parler, tout simplement, de la lecture de Shakespeare, en apprend bien plus long sur ces sujets que ces films qui parfois ne se savent même pas décadents. Laclos, lui, bien que non sans quelque complaisance, décrit dès le début et en même temps la grandeur et la saleté de ses personnages.)


[5]
Evoqué avec humour par Patrick Besson dans le délectable Didier dénonce, (Poche, p. 55), consacré, comme son nom l'indique, à l'épouvantable Daeninckx. A lire pour l'édification des jeunes générations !


[6]
Deux précisions tout de même, l'une « homophobe », l'autre « homophile », pour éviter d'inutiles questions ou objections. Si j'ai mis des guillemets à « hétérosexuel », c'est que je suis pleinement d'accord avec le Dr Zwang sur ce point (Eléments, printemps 2007) : il y a d'un côté les relations sexuelles hommes-femmes, les relations que l'on n'a pas à hésiter à qualifier de normales, et de l'autres d'autres relations, que l'on peut nommer « hors normes » pour éviter, en ce qui concerne l'homosexualité, l'aspect péjoratif du terme « anormal ». Accepter sans réserves l'usage du vocable « hétérosexualité » revient à accepter de mettre dès le départ sur le même plan ce qui est la norme - que par ailleurs on peut détester, c'est une autre question - avec ce qui ne l'est pas.

Ça, c'est pour le côté homophobe. Pour le côté homophile, on rappellera d'une part que les rapports - réels - ici évoqués entre esthétique nazie et certaines esthétiques homosexuelles n'impliquent nullement une assimilation morale entre nazisme et homosexualité, d'autre part qu'il est bien évident que dans la vie quotidienne d'un homosexuel le rapport à l'autre - et ses imperfections, son imperfection - n'a rien de bien différent de ce que l'on trouve dans un couple homme-femme. Il s'agit ici de critiquer une certaine sur-représentation de l'homosexualité dans l'esthétique qui nous entoure, d'essayer de comprendre ses tenants et aboutissants, de la mettre en rapport avec d'autres phénomènes, pas d'assimiler tout ce qui est représentation à ce qui est quotidiennement vécu.

Que de précautions, que de précisions... Confirmant les remarques récurrentes de mes proches, un lecteur m'a écrit récemment, en substance : vous mettez de belles filles sur votre site, merci à vous, mais vous insistez sur des évidences, les pédés tout le monde s'en fout, surtout les militants, vous leur accordez trop d'importance. Et comme tout le monde est susceptible de nos jours, vous passez votre temps entre provocations et atténuation de ces provocations. Tout ce qui précède prouve que ce lecteur n'a pas tort. En même temps, si derrière cette valorisation de l'homosexualité ne se trouvait qu'une mode, et si cette valorisation n'était pas liée à un affadissement des relations entre les sexes lui-même lié à une volonté de valoriser leurs ressemblances plutôt que leurs différences, on n'aurait pas à entrer dans ces débats. (Et voilà une autre salve de précisions...)


[7]
Il fut un temps - une quinzaine d'années ? - où il y avait une vraie différence entre se promener dans la rue en France, en Italie d'une part, en Angleterre et en Allemagne d'autre part : un Français à Londres ou à Berlin était immédiatement frappé par le droit que les gens s'y donnaient de lui adresser la parole pour lui faire des reproches sur tel ou tel point. Je ne sais pas si cela a changé en Italie, mais il est de fait que dans l'Empire du Bien de M. Delanoë, les utilisateurs de Vélib ne sont pas les derniers à vous faire sentir, du haut de leur bonne conscience, s'ils estiment que vous n'êtes pas dans les clous. (Par le culte de l'excentricité et une certaine propension, malgré et contre les tabloïds, au respect de la vie privée, l'Angleterre s'est ménagée quelques soupapes de sécurité de ce point de vue.)

Par ailleurs, sur la question de l'intériorisation de la loi, je retombe sur cette brillante intuition de Marx : "Luther a certes vaincu la servitude par dévotion, parce qu'il a mis à sa place la servitude par conviction. Il a brisé la foi en l'autorité, parce qu'il a restauré l'autorité de la foi. Il a transformé les clercs en laïcs, parce qu'il a transformé les laïcs en clercs. Il a libéré l'homme de la religiosité extérieure, parce qu'il a fait de la religiosité l'homme intérieur. Il a émancipé le corps de ses chaînes, parce qu'il a chargé de chaînes le coeur. (...) Il ne s'agissait désormais plus du combat du laïc avec le clerc extérieur à lui, mais du combat avec le clerc à l'intérieur de lui-même, avec sa nature de clerc." (Pour une critique de la philosophie du droit de Hegel, "Pléiade", vol. III, p. 391)


[8]
C'est une remarque que j'ai déjà faite (ou en tout cas c'est ce qu'il me semble, car je n'arrive pas à la retrouver, tant pis, je dois de toute façon la répéter) : à lire L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme, c'est plus dans le calvinisme tel que le décrit Weber que dans le protestantisme en général que l'on retrouve les caractéristiques masochistes et pleines de bonne consciences décrites par Muray. Bon, depuis cette remarque je n'ai pas avancé d'un pouce sur cette question.





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Jusqu'au bout Leni l'ignoble chercha l'origine - "Un rêve hante l'humain, c'est celui de son « origine ». Il la sent, il croit la sentir au fond de lui comme une végétation spontanée, fiévreusement naturelle. Furtive et sauvage..."


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