mercredi 20 février 2008

Jawohl, mein General.

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Un petit mot en passant (s'enrichir est agréable, mais prend du temps) pour signaler la parution du dernier numéro de la revue Eléments, consacré à l'Europe, numéro riche et intéressant (où la mégalomanie d'Alain de Benoist n'a d'ailleurs pas l'air de se calmer, mais faisons comme si nous n'avions rien vu), où vous serez en terrain quelque peu connu, puisque l'on y trouve des articles de M. Cinéma - qui n'aime pas Douglas Sirk, c'est un scandale sans nom -, une interview du Stalker par le même M. Cinéma, Stalker chez qui l'on trouve aujourd'hui une recension quelque peu confuse mais non sans aperçus (notamment vers Emmanuel Berl, qu'il faudra bien explorer un jour) de ce numéro...

J'y ai découvert aussi un sociologue italien (catholique, ça change un peu dans cet univers « païen ») qui semble valoir la peine d'être lu, Carlo Gambescia (mais qui aurait pu s'épargner en fin d'interview son gros coup de lèche à Alain de Benoist : "penseur exceptionnel", "géant sur les épaules duquel les générations futures d'intellectuels non conformistes pourront monter pour regarder très loin", désolé d'insister là-dessus, ce genre de moeurs m'exaspère).


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Viva Italia...


Je me contente de deux citations de Charles de Gaulle trouvées par A. de Benoist, la première de 1964, la seconde de 1961 :

"Mais quelle Europe ? C'est là le débat (...) Suivant nous, Français, il s'agit que l'Europe se fasse pour être européenne. Une Europe européenne signifie qu'elle existe par elle-même et pour elle-même, autrement dit qu'au milieu du monde elle ait sa propre politique. Or, justement, c'est cela que rejettent, consciemment ou inconsciemment, certains qui prétendent cependant vouloir qu'elle se réalise. Au fond, le fait que l'Europe, n'ayant pas de politique, resterait soumise à celle qui lui viendrait de l'autre bord de l'Atlantique leur paraît, aujourd'hui encore, normal et satisfaisant." - salopes !

"L'Europe intégrée où il n'y aurait pas de politique se mettrait alors à dépendre de quelqu'un du dehors qui, lui, en aurait une."


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mercredi 13 février 2008

De Charles Baudelaire à Nicolas Sarkozy, VI.

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Un épisode de plus, finalement... Jacques Bouveresse est très doué pour vous montrer que ce que vous écrivez a déjà été écrit depuis longtemps, que ce que vous pensez être, au mieux une découverte personnelle, au pis un lieu commun de l'époque, est, au mieux une découverte déjà faite par quelqu'un d'autre il y a longtemps, au pis un lieu commun de toute notre modernité, si ce n'est plus. De telles démonstrations vous obligent, d'une part à relativiser la portée de vos propos, d'autre part et surtout, à se demander si ces propos ont quelque chose d'une solution, ou ne sont qu'une autre version de la Complainte du progrès ("Autrefois pour faire sa cour / On parlait d'amour..."), une participation à l'oeuvre collective de catharsis que nous menons tous en permanence pour nous venger du vertige que nous donne, encore et toujours, ce foutu « progrès », oeuvre de catharsis qui peut-être, ne soyons pas trop fonctionnalistes, ne nourrit pas le système, mais à coup sûr n'y change rien.

Le texte que je retranscris aujourd'hui est extrait d'une conférence donnée à l'école HEC, intitulée « Les managers peuvent-ils avoir un idéal ? » ; elle date de 1997 (époque "J'ai décidé de dissoudre l'Assemblée nationale", campagne Juppé-Jospin, J. Bouveresse y fera allusion). Les coupures dans les citations sont de moi et non de J. Bouveresse.


"Il y a sans doute eu une époque où le divorce entre le monde des idées et celui des réalités, entre les exigences de l'esprit et celles de la vie réelle n'était pas aussi radical. C'est peut-être avec l'événement de ce qu'on appelle le grand capitalisme, la grande industrie et le grand commerce qu'il a été consommé. Novalis remarquait déjà, en 1798, que l'esprit commercial, dans ce qu'il peut avoir de noble et peut-être même de romantique, avait disparu dès la fin du Moyen-Age pour laisser la place, même chez les marchands les plus exemplaires, à une mentalité et un comportement d'épiciers : « L'esprit commerçant noble, le grand commerce authentique n'a fleuri qu'au Moyen-Age et particulièrement à l'époque de la Hanse allemande. Les Medicis, les Fugger étaient des marchands comme ils devaient être. Nos marchands au total, sans excepter les Hope et les Tepper, ne sont rien que des épiciers. » Il y a sans doute encore des gens qui seraient prêts à parler d'une chose comme la poésie du grand capitalisme ou celle des affaires. Mais la vérité semble être plutôt que, tout comme on parle d'un désenchantement de la réalité extérieure sous l'effet des progrès de la connaissance scientifique, on pourrait aussi parler d'un désenchantement du monde de l'industrie et du commerce, qui a été la conséquence de leur progrès lui-même et le prix à payer pour la puissance qu'ils ont conquise et l'hégémonie qu'ils exercent aujourd'hui.

Novalis constatait aussi déjà, en prenant comme exemple celui de la Prusse, que l'industrie et le commerce ont fini par imposer leur paradigme et leurs normes à la vie entière et en particulier au type d'organisation politique qu'ont choisi les sociétés modernes : « Aucun Etat, écrit-il, n'a été administré davantage comme une fabrique que la Prusse, depuis la mort de Frédéric Guillaume Ier. Aussi nécessaire que puisse être peut-être une telle administration machinique pour la santé physique, le renforcement et l'habileté de l'Etat, il n'en est pas moins vrai que l'Etat, lorsqu'il est traité uniquement de cette façon, périt pour l'essentiel de cela. Le principe de l'ancien système (...) est de lier chacun à l'Etat par l'intérêt personnel. Les politiciens avisés avaient à l'esprit l'idéal d'un Etat dans lequel l'intérêt de l'Etat, égoïste comme l'intérêt des sujets, n'en serait pas moins lié à lui artificiellement d'une manière telle qu'ils se favoriseraient réciproquement l'un l'autre.

- un « marché » expressément proposé par S. Berlusconi, qui se prend volontiers pour l'Etat à lui tout seul, aux Italiens lorsqu'il accéda pour la première fois au pouvoir.

On a dépensé énormément de peine pour résoudre cette quadrature du cercle ; mais l'égoïsme brut semble être incommensurable, antisystématique. Il ne s'est laissé en aucune façon limiter, ce qu'exige pourtant nécessairement la nature de toute organisation politique.

- Castoriadis passe par là...

Entre-temps, du fait de l'acceptation formelle de l'égoïsme commun comme principe, un mal énorme a été causé et le germe de la révolution, de nos jours, ne réside nulle part ailleurs que là. Avec l'accroissement de la culture, les besoins ne pouvaient pas ne pas devenir plus divers

- ils deviennent surtout la base du système.

et la valeur des moyens qui permettent de les satisfaire s'élever d'autant plus que le mode de pensée moral était resté en arrière par rapport à tous ces raffinements de la jouissance et du confort. (...) »

Ce que nous dit ici Novalis est que l'égoïsme, dont on pouvait penser qu'il était la seule grandeur qui se prête à la mesure, au calcul, à la prévision et à la gestion rationnelle, est en réalité par essence sans mesure, sans limites et sans règles. Un système politique construit uniquement sur lui ne peut procurer à ses adhérents que les avantages éphémères du joueur qui profite momentanément de la faiblesse ou de l'ignorance des autres ; aucun bonheur durable ne peut résulter de la confrontation entre des joueurs qui, pour avoir été trompés, ont appris eux-mêmes à tromper ou entre des joueurs malhonnêtes et un Etat également malhonnête (...). Je ne crois pas qu'il y ait grand-chose à changer à ces phrases pour obtenir une description exacte de la situation actuelle et une formulation adéquate de ce qui constitue aujourd'hui le problème principal. Tout le monde se rend compte plus ou moins aujourd'hui, y compris, bien entendu, les entrepreneurs et leurs marchands,

- et notre bien-aimé et schizophrène président,

qu'on ne peut pas construire uniquement sur l'égoïsme, le calcul et la ruse et qu'il faudrait un correctif altruiste, qui ne peut pas être laissé, comme il l'est aujourd'hui pour l'essentiel, exclusivement à la bonne volonté, à la générosité et à la moralité individuelles. Mais personne n'est en mesure de dire pour l'instant quel est le type d'organisation sociale et politique qui pourrait lui permettre de se concrétiser et de s'exprimer un peu plus efficacement.

- citons de nouveau Chateaubriand : « C'est précisément le devoir qui est un fait, et l'intérêt une fiction. », et continuons :

C'est le problème que Musil a évoqué à la fin de sa vie, lorsqu'il s'est demandé si ce qu'il appelle le « désordre de la démocratie », considéré d'après l'exemple américain, était réellement capable d'engendrer un ordre et, qui plus est, un ordre humain. La réponse qu'il suggère est que l'égoïsme individuel qui a engendré les systèmes qui reposent sur la démocratie en politique et la loi du marché en économie, peut produire le mouvement et le progrès, mais non l'ordre lui-même, qui doit faire appel à des dispositions d'un autre type dans l'individu. Ce qu'engendrent l'égoïsme et les pulsions égoïstes en général n'est pas l'ordre, mais la combinaison du progrès et du chaos social. Il y a dans cette constatation quelque chose que l'on pourrait considérer comme tout à fait prémonitoire. Car la combinaison du progrès avec le chaos social semble être, de plus en plus, celle dans laquelle nous sommes condamnés à vivre aujourd'hui. « Si le progrès est fondé égoïstement, écrit Musil, le petit peu [!] d'ordre l'est par la puissance relativement non égoïste, désintéressée, inappétitive (avec organes appétitifs). » Mais la difficulté provient justement du fait que cette puissance non égoïste n'a jamais réussi à se doter d'organes qui aient une efficience comparable de près ou de loin celle des dispositifs qui ont assuré le succès si remarquable de sa rivale égoïste.

- c'est vrai et c'est faux : l'exemple des Trobriand montre qu'il est possible de faire jouer des composantes égoïstes dans le sens de la collectivité (et du cérémonial) : plus je donne, plus je suis grandi aux yeux des autres, et ainsi de suite. Mais nous ne sommes pas alors dans le monde des besoins ni des individus, et il se peut que la notion même d'égoïsme ne soit pas tout à fait pertinente, ceci dit sans idéaliser quiconque.

Ce pourquoi la notion de « correctif altruiste » est ambiguë : il se peut qu'à partir du moment où l'égoïsme individuel a été séparé d'autres composantes, il ne soit plus possible du tout de le « corriger ». C'est le schéma de la boîte de Pandore, de la digue abattue, ou, pourquoi pas, ce que l'on peut appeler le mécanisme de l'activation d'un gène : tel gène (du suicide, de la pédophilie, pour rester dans le contexte sarkozyste) est présent dans une grande majorité des individus et inactif, à la suite de certaines circonstances il est activé chez untel, il devient alors très difficile audit untel, voire impossible, d'échapper à son action. Adam Smith le moraliste a activé celui de l'égoïsme.

Cela expliquerait l'impuissance que Jacques Bouveresse analyse dans les paragraphes suivants.


Et comme il s'agit avant tout et pour tout le monde d'être efficace, c'est essentiellement sur celle-ci [la rivale égoïste] qu'on est réduit à compter à nouveau pour assurer non seulement le progrès et le mouvement, mais également le minimum d'ordre et de cohésion sociale dont il est impossible de se passer.

- c'est ça, le minimum... Notre civilisation ne peut-elle être, au mieux, qu'une civilisation du minimum ? Peut-elle faire autre chose que de viser un minimum de stabilité, en laissant aller le reste, sur lequel elle n'a aucun contrôle ? D'où que (s'il a des papiers et un compte en banque pas trop vide, s'il ne fume pas, etc.), l'individu moyen s'y retrouve toujours plus ou moins - mais avec quel ennui.

Tout le monde est prêt aujourd'hui à concéder, au moins implicitement, y compris probablement ses représentants les plus typiques et ses défenseurs les plus convaincus, que le capitalisme a construit sur une vision de l'homme qui est beaucoup trop unilatérale pour ne pas laisser subsister un déficit insupportable. Mais personne ne sait réellement comment il faudrait s'y prendre pour essayer de combler celui-ci.

Une chose qui devrait donner à réfléchir, dans la compétition électorale à laquelle nous assistons en ce moment, est l'obstination presque émouvante avec laquelle chacun des deux camps prétend incarner la modernité réelle et accuse l'autre d'archaïsme. On pourrait croire que, dans une époque que certains philosophes ont qualifiée de « postmoderne », l'homme ordinaire est suffisamment instruit par l'expérience pour être devenu passablement sceptique à l'égard des bienfaits supposés de la modernité. La modernisation devrait, bien entendu, être un moyen en vue d'autre chose, même si l'on ne sait plus très bien quoi, et non une fin en soi. Car rien n'autorise à l'identifier automatiquement à l'amélioration et au progrès, même si le mot « progrès » est utilisé généralement comme si la modernisation, le développement et la croissance signifiaient aussi nécessairement le progrès. Il est probable, malheureusement, que ce qu'on appelle aujourd'hui le « progrès » et qui, à l'époque des Lumières, avait encore un sens bien différent, n'en a plus aujourd'hui d'autre que celui-là. Mais, en même temps, on ne peut guère être surpris que nos sociétés continuent à concentrer l'essentiel de leurs efforts sur la seule chose qu'elles sachent réellement faire et dans laquelle elles excellent, à savoir, justement, avancer, même si personne ne sait plus très bien où. Il se pourrait, effectivement, que l'on ait cessé depuis longtemps de savoir où l'on va. Mais ce qui importe, de toute façon, est de se remuer et d'avancer. Pour ceux qui confondent le mouvement avec le progrès, la situation semble se résumer à ceci que, même si on ne sait plus très bien on l'on va, il est important, en tout cas, d'y aller le plus vite et le plus énergiquement possible. Comme le suggère une comparaison que nos hommes politiques utilisent volontiers pour stimuler l'ardeur d'un pays que l'on dit gagné par la morosité, il s'agit avant tout de faire la course en tête ou en tout cas dans les premiers et de ne pas se laisser lâcher par d'autres concurrents.

Le problème qui subsiste est que beaucoup de gens sentent plus ou moins confusément qu'arriver le premier dans une course qui ne mène peut-être nulle part n'est pas nécessairement un objectif capable de susciter un enthousiasme réel. Il pourrait sembler qu'il s'agit là essentiellement d'une réflexion d'intellectuel. Mais les quelques contacts qu'il m'arrive d'avoir, de temps à autre, avec des gens qui exercent des responsabilités importantes dans le domaine de l'économie et de la finance me donnent l'impression que cette question est loin de leur être aussi étrangère qu'on pourrait le croire à première vue. Certains d'entre eux se demandent réellement où nous allons et semblent même beaucoup plus pessimistes que je ne le suis moi-même sur la possibilité que les choses continuent encore longtemps de cette façon.

- il n'y a que la journaille pour croire au conte de fées libéral, ou pour faire semblant d'y croire... Ceux qui connaissent le système de l'intérieur sont les premiers à savoir qu'il fonctionne sur deux piliers pour le moins instables : « Chacun pour soi » et « Après moi le déluge », il s'agit surtout de gagner assez de fric assez vite, pour être à l'abri, croit-on, le jour où tout s'écroulera... Et il y a ici encore un cercle vicieux, puisqu'on encourage les gens à se comporter ainsi, par peur qu'ils découvrent la vérité et pour justifier sa propre activité, faire croire que l'on contribue au bien public...

Le pessimisme, en l'occurrence, n'a rien de moral ou de philosophique. Il peut y avoir des raisons plus techniques et plus sérieuses que celles des moralistes et des philosophes de considérer que nous marchons en permanence sur le fil d'équilibres précaires et que la rupture et la catastrophe peuvent très bien se produire un jour ou l'autre. Le système de l'économie planétaire et du marché mondial dans lequel nous sommes entrés désormais pour le meilleur et pour le pire est peut-être suffisamment instable pour posséder la flexibilité et l'adaptabilité qui sont aujourd'hui plus que jamais indispensables ; mais il l'est peut-être aussi beaucoup trop pour être véritablement rassurant. De toute façon, en attendant, le sentiment général est que nous n'avons pas d'autre choix que celui qui consiste à continuer, c'est-à-dire malheureusement, pour une part essentielle, à laisser aller les choses comme elles vont et à faire simplement comme si nous réussissions véritablement à les orienter et à les contrôler." (Essais, t. 2, Agone, 2001, pp. 170-75)

Et c'est ainsi que Sarkozy est grand (mais qu'il en a une toute petite).


The+Night+of+the+Iguana

(La belle et la bête, Carla et Nicolas, Eve et le serpent, la fée et le crapaud, la beauté découvrant l'égoïsme... On peut presque tout faire dire à certaines images.)

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samedi 9 février 2008

Le procès.

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Voici un nouvel extrait du livre de J. Bouveresse sur Musil, et un nouveau thème, celui de la probabilité. Entre la statistique, la philosophie de l'histoire, et la morale. Je présente aujourd'hui une distinction logique, dont j'essaierai de montrer les conséquences éventuelles sur d'autres plans. La parole à Maître Jacques.

"Lorsqu'on s'interroge sur ce qu'ont pu être les causes d'un événement comme [la Première Guerre mondiale], il peut être utile de faire une distinction du genre de celle que l'on trouve chez Bolzano entre la cause complète et la cause partielle ou incomplète. « Nous ne devons, écrit Bolzano, jamais entendre par cause que l'ensemble de tous les objets dans l'existence desquels réside la raison et cela signifie la raison complète de l'existence d'un autre objet, qui est appelé l'effet. Nous ne devons donc jamais nous permettre d'appeler un objet la cause d'un autre, s'il n'est pas à lui seul, mais seulement en liaison avec d'autres choses, en mesure de conférer l'existence à l'objet. Car dans ce cas-là il n'est qu'une partie de la cause et ne peut donc mériter tout au plus que le nom d'une cause partielle.» Bolzano soutient que seules les causes partielles existent dans le temps avant le fait ; la cause complète, en revanche, ne peut pas exister autrement qu'en même temps que son effet. Elle doit commencer et également cesser avec lui. « Car, nous dit Bolzano, dire que la cause - et non la cause partielle - mais la cause complète d'un certain effet a commencé à exister à un certain moment, ce n'est tout de même bien rien dire d'autre que : elle a commencé à agir à ce moment-là ; et dire qu'elle a commencé à agir, ce n'est à nouveau manifestement rien dire d'autre que : son effet a commencé. » Et, de la même façon, dire que la cause a cessé d'exister, c'est dire qu'elle a cessé d'agir et donc que son effet a, lui aussi, pris fin. Bolzano conclut de tout cela que Dieu n'a pas pu exister dans le temps avant la création des substances finies, s'il constitue, comme il est supposé le faire, la raison complète de leur existence, car sans cela d'autres raisons auraient dû encore être ajoutées dans le temps pour que cette création ait lieu.

- passons sur ce dernier point.

Si l'on croit généralement qu'un certain laps de temps peut s'écouler entre le commencement de l'existence de la cause et celui de l'apparition de l'effet, c'est parce qu'on pense que des circonstances déterminées doivent encore être réalisées pour que la cause soit amener à « manifester son action ». Mais à partir du moment où le mot « cause » est utilisé dans son sens le plus strict, qui est évidemment aussi le plus rare, il est clair que les circonstances qui déterminent l'entrée en action de la cause doivent être considérées elles-mêmes comme des parties de la cause.

Si nous appliquons cette distinction des deux sens du mot « cause » à l'explication d'un événement comme le déclenchement de la Première Guerre mondiale, nous devons dire que le moment où la cause complète a été réalisée et celui auquel l'effet produit a commencé ont dû être rigoureusement identiques. C'est en fait une seule et même chose de dire que l'événement a commencé à un certain moment et de dire que sa cause complète a été réalisée à ce moment précis. Aussi longtemps que l'on peut se représenter la cause comme donnée sans que pour autant l'effet le soit nécessairement, cela signifie que la cause a encore besoin d'être complétée avant l'événement pour que celui-ci se produise. Ce que Bolzano appelle la cause complète ne peut être qu'une condition suffisante, c'est-à-dire nécessitante, de l'événement : si la cause est donnée, l'événement ne peut pas ne pas l'être également. Mais si les causes qui sont constituées par des événements antérieurs ne constituent jamais qu'une partie des conditions nécessitantes, il n'y a pas de raison de supposer que l'effet était nécessaire à l'avance. Pour pouvoir affirmer qu'il l'était, il faut être prêt à soutenir que l'ensemble complet des conditions nécessitantes peut exister et existe généralement avant l'effet qui en résulte.

Une conséquence importante de tout cela est que, si, lorsque nous nous efforçons de prédire ou, en tout cas, d'anticiper un événement historique qui ne s'est pas encore produit, nous ne pouvons utiliser pour cela que des causes qui le précèdent dans le temps, ces causes sont intrinsèquement condamnées à rester partielles. C'est seulement au moment où l'effet commence que nous pouvons être certains que la cause complète est réalisée. Aussi près que nous soyons de l'événement, le système dont nous nous efforçons de déterminer le futur immédiat reste ouvert, parce qu'il manque encore à la cause les déterminations ultimes qui sont nécessaires pour individuer complètement l'événement dans sa singularité historique et le rendre en même temps inévitable. C'est bien l'impression que l'on a, lorsqu'on raisonne après coup sur le déclenchement d'une catastrophe comme celle qui s'est produite en 1914. On pense généralement, dans les cas de ce genre, et on a certainement raison de le faire, que les événements ont tenu à très peu de chose et que des changements minimes dans les circonstances et dans les péripéties qui ont précédé immédiatement l'explosion finale auraient suffi pour que tout soit changé. C'est ce qui nous incite à considérer qu'aucune des causes que nous pourrions songer à invoquer et aucune combinaison de causes de cette sorte n'étaient suffisantes pour faire de l'événement un événement qui devait nécessairement se produire. Mais, dirait Bolzano, c'est parce que les causes auxquelles nous songeons sont toujours encore des causes qui ont précédé l'événement et qui sont, par conséquent, partielles. Il n'y a rien de contradictoire dans le fait de dire que l'événement pouvait jusqu'au bout être évité et d'affirmer en même temps qu'il ne pouvait pas ne pas se produire, à partir du moment où sa cause complète était réalisée. Si, comme il y a de bonnes raisons de le supposer dans le cas des événements historiques, la cause complète de l'événement ne peut être réalisée que par la rencontre qui n'a lieu qu'une seule fois sous cette forme précise d'une multitude de série causales partielles et si cette rencontre coïncide précisément avec le début de l'événement lui-même, il n'est pas surprenant que, comme le dit Musil, l'événement semble ne tolérer la nécessité qu'après coup, parce qu'il n'est devenu nécessaire qu'au moment où il a commencé effectivement à se produire, mais en même temps exige après coup cette nécessité, parce que savoir qu'un événement s'est produit consiste ipso facto à savoir que sa cause complète a été réalisée, même si nous n'avons généralement qu'une connaissance très imparfaite et très incomplète des éléments multiples et complexes dont elle était constituée et de la façon dont ils se sont agencés dans cette occurrence pour produire l'événement." (La voix de l'âme..., pp. 259-262 ; 1995)


D'un point de vue que l'on appellera faute de mieux politique, cette distinction nourrit le (relatif) optimisme d'un Musil sur les (très relatives) possibilités d'intervention des individus par rapport au cours de l'histoire : aussi longtemps que les choses ne sont pas jouées, aussi longtemps qu'il n'y a que des causes partielles et pas une cause complète, on peut encore espérer intervenir de façon à produire un effet - quitte à (Weber, Boudon, effets pervers, sagesse antique, etc.) être contre-productif et à encourager sans le vouloir une évolution que l'on voudrait contrecarrer, tout cela est vieux comme le monde.

D'un point de vue que l'on appellera faute de mieux déontologique, cette distinction tombe pour nous à pic, puisqu'elle justifie aussi bien les attaques ad hominem (Bernard-Henri Lévy, Nicolas Sarkozy sont (de petits enculés et) des causes du désordre du monde et doivent être combattus, moqués, critiqués, si possible humiliés), qu'une certaine modération sur le fond (Bernard-Henri Lévy et Nicolas Sarkozy ne sont que (de petits trous du cul et) des causes bien partielles de ce désordre, et ne doivent donc pas être « bouc-émissarisés » de ce fait). Au passage, cela nous permet d'éviter la thématique et le champ lexical (ou, si l'on veut, la « grammaire », voire le « jeu de langage ») de la « théorie du complot » comme des adversaires de cette (parfois imaginaire) théorie : prouver que X est une cause partielle d'un événement n'implique pas que Y n'est pas (ou est) une autre cause partielle du même événement. Accuser, preuves à l'appui, X, ne veut pas dire le « diaboliser ». Mais considérer X comme une cause complète d'un événement est extrêmement délicat (et revient le plus souvent, dans les faits, à le « diaboliser ») : songeons aux difficultés de la justice (ce qui nous ramène à Musil et au cas du tueur Moosbrugger dans L'homme sans qualités) à établir les responsabilités dans la moindre affaire de meurtre. Lorsqu'il s'agit d'un événement d'ordre politique, avec l'enchevêtrement ininterrompu de causes partielles en interaction plus ou moins forte entre elles (honni soit...), c'est encore plus difficile. (Maistre, qui n'a aucune sympathie, c'est peu de le dire, pour les révolutionnaires, et qui parle souvent d'eux en termes de faction et de complot, est le premier à admettre : "La Révolution française a pour cause principale la dégradation morale de la Noblesse." (Considérations sur la France, éd. « Bouquins », p. 272). Il faudrait d'ailleurs un jour essayer de montrer qu'en matière politique la « cause principale » est toujours à chercher en premier lieu chez les détenteurs du pouvoir. Ce qui pose tout de suite la question gênante : qui a le pouvoir ? - Une autre fois.)

Dans un autre ordre d'idées, ce texte n'est pas sans rappeler la conférence de Bergson Le possible et le réel (1930), où l'on trouve les passages suivants :

"Qu'on puisse insérer du réel dans le passé et travailler ainsi à reculons dans le temps, je ne l'ai jamais prétendu. Mais qu'on y puisse loger du possible, ou plutôt que le possible aille s'y loger lui-même à tout moment, cela n'est pas douteux. Au fur et à mesure que la réalité se crée, imprévisible et neuve, son image se réfléchit derrière elle dans le passé indéfini ; elle se trouve ainsi avoir été, de tout temps, possible ; mais c'est à ce moment précis qu'elle commence à l'avoir toujours été, et voilà pourquoi je disais que sa possibilité, qui ne précède pas sa réalité, l'aura précédée une fois la réalité apparue. Le possible est donc le mirage du présent dans le passé : et comme nous savons que l'avenir finira par être du présent, comme l'effet de mirage continue sans relâche à se produire, nous nous disons que dans notre présent actuel, qui sera le passé de demain, l'image de demain est déjà contenue quoique nous n'arrivions pas à la saisir. Là est précisément l'illusion. C'est comme si l'on se figurait, en apercevant son image dans le miroir devant lequel on est venu se placer, qu'on aurait pu la toucher si l'on était resté derrière. En jugeant d'ailleurs ainsi que le possible ne présuppose pas le réel, on admet que la réalisation ajoute quelque chose à la simple possibilité : le possible aurait été là de tout temps, fantôme qui attend son heure ; il serait donc devenu réalité par l'addition de quelque chose, par je ne sais quelle transfusion de sang ou de vie. On ne voit pas que c'est tout le contraire, que le possible implique la réalité correspondante avec, en outre, quelque chose qui s'y joint, puisque le possible est l'effet combiné de la réalité une fois apparue et d'un dispositif qui la rejette en arrière. L'idée, immanente à la plupart des philosophies et naturelle à l'esprit humain, de possibles qui se réaliseraient par une acquisition d'existence, est donc illusion pure."

"Hamlet était sans doute possible avant d'être réalisé, si l'on entend par là qu'il n'y avait pas d'obstacle insurmontable à sa réalisation. Dans ce sens particulier, on appelle possible ce qui n'est pas impossible : et il va de soi que cette non-impossibilité d'une chose est la condition de sa réalisation. Mais le possible ainsi entendu n'est à aucun degré du virtuel, de l'idéalement préexistant. Fermez la barrière, vous savez que personne ne traversera la voie : il ne suit pas de là que vous puissiez prédire qui la traversera quand vous ouvrirez. Pourtant du sens tout négatif du terme « possible » vous passez subrepticement, inconsciemment, au sens positif. Possibilité signifiait tout à l'heure « absence d'empêchement » ; vous en faites maintenant une « préexistence sous forme d'idée », ce qui est tout autre chose. Au premier sens du mot, c'était un truisme de dire que la possibilité d'une chose précède sa réalité : vous entendiez simplement par là que les obstacles, ayant été surmontés, étaient surmontables. Mais, au second sens, c'est une absurdité, car il est clair qu'un esprit chez lequel le Hamlet de Shakespeare se fût dessiné sous forme de possible en eût par là créé la réalité : c'eût donc été, par définition, Shakespeare lui-même. En vain vous vous imaginez d'abord que cet esprit aurait pu surgir avant Shakespeare : c'est que vous ne pensez pas alors à tous les détails du drame. Au fur et à mesure que vous les complétez, le prédécesseur de Shakespeare se trouve penser tout ce que Shakespeare pensera, sentir tout ce qu'il sentira, savoir tout ce qu'il saura, percevoir donc tout ce qu'il percevra, occuper par conséquent le même point de l'espace et du temps, avoir le même corps et la même âme : c'est Shakespeare lui-même."

J'ai cité ce qui est le plus proche de Bolzano, dont j'ignore totalement la connaissance qu'en avait Bergson. Dans d'autres passages de sa conférence, celui-ci, emporté par sa passion pour la « création continue d'imprévisible nouveauté » (formule qui bien sûr rappelle les expressions baudelairiennes de « vitalité universelle » ou de « variété, condition sine qua non de la vie ») me semble par trop estimer que « les portes de l'avenir s'ouvrent toutes grandes » et qu'« un champ illimité s'offre à la liberté. » Restons baudelairo-musilo-wittgensteiniens sur ce point : le pire n'est jamais sûr, mais il est tout de même souvent ce qu'il y a de plus probable. (Ce sera sans doute l'objet d'un prochain texte.)



Et c'est ainsi que Sarkozy est grand (et enculé).

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mercredi 6 février 2008

Un bon socialiste est un socialiste mort (simplifié).

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(Petit ajout en fin de message, le lendemain matin.)



Relisant quelques notes prises dans les livres de Jacques Bouveresse, je vous en fais profiter. Certaines phrases ont pu être déjà citées ici, il y a longtemps. Je n'ai pas vérifié. Leur actualité, notamment en ces temps funestes de « Traité simplifié » et de journalistes aux ordres, se montre d'elle-même et peut justifier que l'on enfonce le clou. (Je ne sais pas si je reviendrai sur ce sujet. D'une certaine façon, à part prendre le maquis, il n'y a rien à dire, rien à faire. Contentons-nous de souscrire à la sentence du maître : "Un président qui estime qu’une réponse négative à un référendum avec 55 % des suffrages est illégitime et qu’on peut donc la remettre en jeu, estime par ce fait même qu’un président élu au suffrage universel avec 55 % des suffrages est aussi peu légitime." Nicolas Sarkozy a proclamé son illégitimité, il en est de même de ceux qui ont laisser le oui passer. Enculeurs, enculés.)


Commençons par quelques commentaires sur et citations de Karl Kraus :

"Quelques exceptions héroïques ne suffisent sûrement pas à faire une institution respectable. Comme toutes les autres institutions, la presse a l'habitude de répondre à la critique en expliquant qu'on ne peut pas généraliser à partir des fautes et des vices d'un petit nombre. Kraus pense qu'il faut prendre les choses exactement en sens inverse : on ne peut pas excuser et encore moins absoudre la presse en généralisant à partir de l'honnêteté et du courage de quelques-uns."

"Ce qu'il y a derrière ses [Kraus] attaques répétées contre ce que les journalistes appellent la « liberté de la presse » n'est évidemment pas une préférence particulière pour la censure, mais la perception aiguë du fait que ce concept de la liberté de la presse ne peut être rattaché de près ou de loin à aucun droit fondamental et ne correspond à rien de ce que les époques antérieures ont pu connaître, imaginer ou revendiquer sous le nom de « liberté ». Il s'agit en réalité d'un artefact, dont l'apparition est liée de façon essentielle au processus de la mécanisation qui a révolutionné les techniques et les méthodes de communication elles-mêmes. Une fois de plus, le moyen a fini par prendre définitivement le pas sur la fin."

"Comme le dit Kraus, les dieux ont échangé leurs rôles : Mars est devenu le dieu du Commerce et Mercure celui de la Guerre."

Kraus : "L'absolutisme de la presse sera bientôt établi dans toutes les formes, la seule à pouvoir le contester est elle-même, qui a intérêt à détourner la rancœur contre la bureaucratie, l'armée et le clergé comme étant les seuls pouvoirs oppressifs."

Kraus : "Il est remarquable de voir à quel point les journalistes se font une idée modeste de leur métier quand on l'attaque, et avec quelle effronterie ils se pavanent comme la sagesse du monde quand ils se recommandent aux lecteurs et croient être seuls avec eux."

"Ce qu'il est permis d'écrire noir sur blanc dans une société et sous un régime politique qui étaient incontestablement beaucoup moins libéraux que les nôtres peut sembler étonnant, mais cela confirme simplement une chose qu'il [Kraus] avait déjà très bien comprise, à savoir qu'il n'y a pas forcément une relation directe entre la liberté d'expression et la liberté de pensée ou, si l'on préfère, entre la liberté de pensée, considérée comme un droit, et la liberté de pensée, considérée comme une réalité. Une liberté d'expression totale est de peu d'intérêt quand la pensée est, pour des raisons d'un autre ordre, totalement convenue et ne s'exprime plus que dans un langage dégradé, qui, justement, n'est pas fait pour penser, mais uniquement pour faire des phrases - autrement dit, pour l'euphémisation, l'ornementation et le décor. Kraus ne recule pas devant le paradoxe qui consiste à soutenir que la censure aurait aujourd'hui plus de chances de produire des esprits libres que ce qu'on appelle (en tout cas, ce que les journaux appellent) la « liberté de pensée et d'expression »."

"Dans le cas de la lutte contre la corruption, les choses se passent à peu près comme dans celui de la lutte pour l'égalité. « La journaille, écrit Kraus, a le sentiment démocratique. Mais seulement en général. » Elle combat la monarchie comme « institution », déteste la noblesse comme caste et célèbre avec enthousiasme les jours de fête les idéaux de l'égalité bafouée. Mais la répugnance que l'on éprouve pour la classe n'empêche évidemment pas d'avoir les relations les plus aimables avec ses représentants. (...) La même chose est vraie, évidemment, de la corruption : officiellement, la presse la déteste, mais son antipathie ne s'applique jamais aux individus, et elle accepterait volontiers de voir disparaître la corruption à la condition que tous les corrompus puissent en même temps être conservés."

Kraus : "Nous sommes responsables d'avoir supporté de respirer dans un monde qui fait des guerres pour lesquelles il ne peut tenir personne pour responsable."

"Ce qu'il considère comme particulièrement lamentable est la bonne volonté remarquable dont est capable de faire preuve l'intellectuel lui-même, quand il est confronté au mensonge énorme de la propagande, et la façon dont il parvient, apparemment sans difficulté réelle, « à se montrer aussi bête que le pouvoir veut le faire bête » et à justifier ainsi au-delà de toutes les espérances des détenteurs de la force le mépris avec lequel il est perçu a priori par eux."

"Ce serait cependant (...) une erreur complète de supposer que le problème principal, aux yeux de Kraus, est la défense de la culture menacée par l'espèce de retour à la préhistoire qui est en train de s'effectuer. Ce qui devrait susciter en premier lieu la protestation des représentants de l'esprit n'est pas ce qui est sacrifié dans l'ordre de la culture, mais les souffrances physiques et morales provoquées et les pertes en vies humaines. Kraus n'a pas de mots assez durs pour les intellectuels, incapables une fois de plus de se sentir concernés par autre chose que leurs propres affaires, et les journalistes qui se mobilisent pour la défense de biens culturels qu'ils ont contribué plus que n'importe qui d'autre à dévaloriser. « (...) L'industrie intellectuelle bourgeoise se berce d'ivresse jusque dans l'effondrement lorsqu'elle accorde plus de place dans les journaux à ses pertes spécifiques qu'aux martyres des anonymes, aux souffrances du monde ouvrier, dont la valeur d'existence se prouve de façon indestructible dans la lutte et l'entraide, à côté d'une industrie qui remplace la solidarité par la sensation (...) Le journalisme, qui juge mal de la place à accorder aux phénomènes de la vie, ne se doute pas que l'existence privée, comme victime de la violence, est plus près de l'esprit que toutes les déboires des affaires intellectuelles » ."

"La valeur qui passe avant toutes les autres et dont un intellectuel ne peut en aucun cas s'arroger le droit de disposer est la vie humaine, y compris et même, d'une certaine façon, surtout celle des plus humbles. (...)
Kraus soutient, par conséquent, que le nazisme porte une atteinte encore plus graves aux valeurs de l'esprit en s'attaquant aux petits et aux anonymes qu'en s'en prenant aux intellectuels."


Intellectuels, journalistes, philosophes... C'est maintenant plus Bouveresse que Kraus qui s'exprime.

"On a le droit de se tromper, me direz-vous. C'est évident. Mais quand donc nos maîtres à penser comprendront-ils que ce que le public est en droit d'attendre d'un philosophe n'est pas seulement qu'il soit disposé à reconnaître ses erreurs, mais également qu'il en commette, si possible, un peu moins que les autres ? Car à quoi sert, par exemple, d'être un professionnel de la pensée politique si c'est pour ne pas voir des choses qui ont sauté dès le début aux yeux de tant de gens qui n'avaient pas la chance d'être payés pour réfléchir ? Peut-on reconnaître à quelqu'un le droit de déterminer à la fois qui a raison et à quel moment on a raison d'avoir raison ? L'auto-critique est évidemment aussi une auto-justification ; et il y en a qui sont de véritables chefs-d'œuvre de jésuitisme et de tartufferie sur le thème : je me suis constamment trompé, mais j'ai toujours eu d'excellentes raisons, et donc finalement raison. J'ai, personnellement, horreur de l'argument : vous voyez bien que l'erreur était inévitable et excusable, puisque je l'ai commise.

Il est d'ailleurs surprenant que l'aptitude à dénoncer après coup ses propres erreurs soit reconnue généralement comme une preuve suffisante de libéralisme et d'ouverture d'esprit (voir le cas Althusser). Comme si le dogmatisme inhérent à une doctrine ne se manifestait pas d'abord, ainsi que l'a souligné Popper, dans sa théorie de l'erreur. Y a-t-il une forme de dogmatisme pire que celle qui consiste à revendiquer le monopole du droit à l'erreur (les autres ne pouvant commettre d'erreurs puisqu'ils ont toujours été dans l'erreur, même quand ils avaient raison) ?"

"Mais peut-être en sommes-nous arrivés au point où même le dogmatisme d'Althusser et de ses amis, qui a tout de même été en un certain sens productif, va devoir être défendu, étant donné ce qui nous menace. La meilleure raison de prendre le parti de Marx est peut-être désormais la manière dont il est attaqué."

"Le même genre de futilité se retrouve également dans des questions comme celle de savoir si le goulag était ou non dans Marx. Les uns se tirent d'affaire en interprétant tous les effets négatifs de la théorie comme des déviations qui ne prouvent rien contre la théorie elle-même ; les autres les traitent comme des conséquences nécessaires de la théorie, en vertu d'une logique déterministe ou fataliste, qui équivaut tout simplement à la négation de l'histoire. Comme si les applications historiques d'une théorie politique étaient réellement comparables à des objets qui sont ou ne sont pas dans une boîte. Si l'histoire des sociétés socialistes avait été différente (et qui oserait prétendre qu'elle ne pouvait l'être ?), c'est cette histoire-là que l'on serait tenté de trouver écrite dans les textes doctrinaux. Certains contempteurs de la logique devraient s'interroger à l'occasion sur celle qu'ils utilisent pour « déduire » le goulag de la pensée des maîtres à peu près comme si les événements historiques étaient des théorèmes que l'on peut tirer d'un ensemble d'axiomes. La logique de l'idéologie préventive est finalement assez claire : puisque toute pensée comporte le risque d'être prise au sérieux, l'idéal serait de penser le moins possible ; puisque tout maître peut avoir et aura probablement des disciples crédules et fanatiques, il est déjà coupable ; et puisque toute théorie, quelle que soit l'intention qui l'a inspirée, peut conduire tôt ou tard à des abus, elle est déjà un abus, ou en tout cas, par le simple fait qu'elle peut dispenser les autres de penser par eux-mêmes, une violence antidémocratique dans la république égalitaire des esprits."

"On ne trouve certainement rien chez Wittgenstein qui ressemble à une apologie de la résignation ou aux considérations philosophiques aussi scandaleuses que rituelles sur la valeur morale de la souffrance et la positivité du malheur. La dernière chose qui puisse lui venir à l'esprit était bien de vouloir transformer son stoïcisme personnel en une « doctrine » morale à l'usage d'autrui."

"Les philosophes entretiennent toujours avec le pouvoir une relation ambiguë, qui repose, pour une part, sur l'utopie d'une sorte de dissidence absolue et en soi (qui devrait être une sorte de devoir d'état sous tous les régimes, y compris les plus tolérants et les plus démocratiques) et, pour une autre, sur la nostalgie inavouée d'un ordre avec lequel les représentants de l'esprit pourraient enfin coopérer sans aucune espèce de réticence ni d'arrière-pensée."


(Au passage, de Hitler à Rauschning : "Je remercie mon destin de ce qu'il m'a épargné les œillères d'une éducation scientifique. J'ai pu me tenir libre de nombreux préjugés simplistes." Du même au même : "Naturellement, je sais aussi bien que tous vos intellectuels, vos puits de science, qu'il n'y a pas de races, au sens scientifique du mot. Mais vous, qui êtes un agriculteur et un éleveur, vous êtes bien obligé de vous en tenir à la notion de race, sans laquelle tout élevage serait impossible. Eh bien, moi, qui suis un homme politique, j'ai besoin aussi d'une notion qui me permette de dissoudre l'ordre établi dans le monde et de lui substituer un nouvel ordre, de construire une anti-histoire.")


Deux commentaires capitaux sur Wittgenstein (on y reviendra) :

"Wittgenstein cherche avant tout à remettre en question l'idée qu'on se fait habituellement de l'opposition entre le « naturel » et le « conventionnel », en soulignant avec insistance l'importance de ce qu'il peut (et doit) y avoir de naturel dans la convention elle-même. Pour Wittgenstein, il n'y a que très peu de conventions qui soient vraiment arbitraires. La plupart des conventions ont un caractère extrêmement naturel, qui leur confère une sorte de nécessité assez comparable à une nécessité naturelle. Leibniz dit que certaines conventions peuvent être tellement appropriées qu'elles deviennent en quelque sorte vraies."

"Quand on dit : « Ça aurait pu être différent », il ne faut surtout pas s'empresser de penser que « Ça aurait pu facilement être différent ». Or c'est ce qu'on pense généralement ; on se dit : il aurait suffi que les hommes prennent une décision différente, soient victimes d'une sorte de caprice ou d'une fantaisie quelconque, pour que l'arithmétique, par exemple, soit très différente. Ce n'est absolument pas ce que veut dire Wittgenstein. Il insiste au contraire sur l'idée qu'une masse énorme de faits auraient dû être différents pour que nous soyons amenés (naturellement) à adopter un jeu de langage différent."


Et pour finir, un petit bouquet :

Musil : "Rendre l'homme capable de grandes choses, bien qu'il soit un porc, tel est le problème."

Bouveresse : "Le problème réel est : à qui incombe la responsabilité du fait qu'on a laissé se construire un monde dans lequel plus personne ne peut être tenu pour responsable ?"

Nagel : "Les problèmes sans solution ne sont pas pour autant sans réalité."

- Et avouons-le, nous croyons de moins en moins en Ben Laden.






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(Ajout le lendemain matin.)
Oui, à propos du mariage de M. Sarkozy et Mlle Bruni, on ne peut qu'être frappé par le caractère « XIXe siècle » de cette union, qui confirme que notre Président se meut en permanence dans différentes sphères spatio-temporelles (il faudrait que je revoie le film, mais n'a-t-il pas des ressemblances, dans ses côtés primate-chef de bande-braquemart au poing-imbu de sa supériorité, avec l'Alex de Clockwork Orange ?) : épouser une courtisane de luxe pour qui on a eu un coup de foudre peut-être temporaire, ceci afin de ne pas déplaire à la famille (les électeurs « traditionnalistes ») est un schéma paradoxal et ironique très daté, un peu ringard même pour quelqu'un d'aussi « décomplexé ».

Quant à Mlle Bruni devenue Sarkozy, son mariage évoque l'admirable passage romanesque qu'est la conversation entre le narrateur et sa mère dans Albertine disparue (ancienne édition Pléiade, t. III, p. 658), à propos du mariage, soutenu pour de très obscures et inavouables raisons par M. de Charlus, de la nièce du gardien d'immeuble entremetteur, affairiste (et futur maquereau) Jupien, avec le fils de l'aristocrate Mme de Cambremer, admirable passage, donc, où s'opposent deux visions, qui sont elles-mêmes deux modèles romanesques, du même événement :

"« - La nièce de Jupien ! Ce n'est pas possible ! - C'est la récompense de la vertu. C'est un mariage à la fin d'un roman de Mme Sand », dit ma mère. « C'est le prix du vice, c'est un mariage à la fin d'un roman de Balzac », pensai-je."

« Prix du vice » qui, comme le signale V. Descombes dans son analyse de cette scène (p. 165 sq de son Proust) est l'Envers obligé de l'histoire contemporaine, la face (de moins en moins cachée) du people. On peut aussi penser à des scenarii plus XVIIIe, tels que La vie de Marianne. Chacun ses (p)références.


Attention aux scènes de ménages, en tout cas !


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vendredi 1 février 2008

De Charles Baudelaire à Nicolas Sarkozy, V.

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Surnommé "l'homme et demi"... Il faut bien ça, de nos jours !



Et dernier épisode de la série. Non que j'en aie fini avec La voix de l'âme..., mais les autres aspects de ce livre que je pense aborder ultérieurement ne se situent pas, ou se situent moins dans la même optique. Il s'agissait, non pas vraiment d'expliquer, mais de mieux comprendre comment une époque, aussi pleine qu'une autre de « vitalité universelle », et le plus souvent partie, parfois « au fond de l'Inconnu », (y) « trouver du nouveau », en a récemment ramené cette créature à la fois nouvelle et très ancienne, voire archaïque, qu'est notre président. Il semblerait qu'elle le regrette déjà, mais là n'est pas notre problème pour l'heure.

"Le désarroi de l'époque actuelle n'est pas dû aux excès de l'intelligence et du savoir, mais à une situation de fait, devant laquelle nous sommes tous pour l'instant également désarmés (...). Musil décrit cette situation comme celle du chaos qui résulte de la dissolution inévitable des liens organiques traditionnels dans des sociétés aussi démesurées et compliquées que les nôtres : « La relation habituelle de l'individu à une organisation aussi grande que celle qui est représentée par l'Etat est le laisser-faire [das Gewährenlassen] ; en fait, ce mot représente une des formules de l'époque. L'existence collective de l'homme est devenue si étendue en largeur et en épaisseur et les relations constituent un entrelacs si immense qu'aucun oeil et aucune volonté ne peuvent plus pénétrer à des distances suffisamment grandes et que chaque homme, en dehors du cercle restreint de sa fonction, reste, comme un mineur, placé sous la responsabilité d'autres hommes ;

- comme Baudelaire lui-même, soit dit en passant, très tôt placé sous tutelle

jamais encore l'intelligence des subordonnées n'a été aussi restreinte qu'aujourd'hui, où [pourtant] elle crée tout. Que cela lui plaise ou non, l'individu doit laisser aller et ne fait rien. » (...)

- nuançons tout de même en rappelant cette phrase de Proudhon : « L'homme le plus libre est celui qui a le plus de relations avec ses semblables. » Mais il y a bien sûr relations et relations.

La difficulté est ici que, comme le fait remarquer Musil, « on ne peut pas croire [seulement] parce que l'on a décidé [mit Absicht glauben] ». Et l'on ne peut pas non espérer « venir en aide à une race de constructeurs et de vendeurs de machines avec du mythe, de l'intuition et du classicisme ». Les objets que l'on propose aujourd'hui à la croyance reposent essentiellement sur une méconnaissance délibérée de la situation actuelle et de la réalité qui s'impose pour le moment et probablement pour longtemps à tout le monde : ce ne sont pas des choses auxquelles on peut réellement croire, mais de simples « succédanés idéologiques », dont la crédibilité apparente provient de la tendance à considérer comme résolus des problèmes qui justement ne le sont pas et dont la solution ne peut même pas être pressentie. C'est un fait que personne n'est en mesure de dire à quoi devraient ressembler aujourd'hui une culture, une religion ou une communauté, si elles devaient intégrer certaines des données les plus fondamentales de la civilisation actuelle, sur lesquelles il est impossible de revenir, et non pas simplement faire comme si elles étaient déjà dépassées. Les critiques radicaux de la civilisation ne connaissent, bien entendu, pas plus que les autres la solution et se rendent simplement la partie beaucoup plus facile qu'elle ne l'est en réalité. (...)

L'Europe a tendance à s[']installer dans la passivité et l'attentisme et croit trouver la solution de ses problèmes dans la restauration des idéologies anciennes ou l'avènement proclamé d'une idéologie nouvelle. Mais, en réalité, « jamais plus une idéologie unitaire, une “culture” ne viendront d'elles-mêmes dans notre société blanche ; même si elles ont existé dans les temps anciens (encore que, probablement, on embellisse trop les choses sur ce point), il reste que l'eau descend de la montagne, et ne la remonte pas. »

- bien catégorique, Robert,d'un coup : je remplacerais volontiers son « jamais plus » par un « il est très peu probable ». Continuons (je supprime une intervention de J. Bouveresse et reprend au milieu d'une autre citation de Musil) :

« Il semble (...) faux que l'on puisse améliorer la situation par une restauration, une restituo in integrum, par l'exigence de plus de responsabilité, de bonté, de christianisme, d'humanité, bref, par un plus de ce qui était auparavant en quantité insuffisante, car ce qui manquait n'était pas l'idéalité, mais déjà les conditions préalables qu'elle requiert. C'est là, à mon avis, la connaissance dont notre époque devrait se marquer au fer rouge ! La solution ne réside ni dans l'attente d'une nouvelle idéologie ni dans l'affrontement de celles qui luttent aujourd'hui entre elles, mais dans la création de conditions sociales dans lesquelles les efforts idéologiques en général ont de la stabilité et de la pénétration en profondeur. Il nous manque la fonction, et non les contenus ! »

- autrement dit : la maladie, ou tout simplement une caractéristique de base de la modernité, n'est pas de trouver des solutions à ses problèmes, solutions sur lesquelles à peu près tout le monde de sensé, et même parfois notre président, peut s'accorder, mais de se donner les moyens de mettre en pratique ces solutions, ce qui, à partir des prémisses individualistes qui la fondent, n'est pas une mince affaire.

(Un danger actuel, évidemment, est de partir de prémisses vraiment très individualistes, tendance
néo-cons, et pour compenser en rajouter sur ce qu'il y a de plus grégaire, de plus archaïque, éventuellement de plus bêtement sacrificiel, dans l'idée de communauté. Bouc-émissarisation débile, Bush, Hortefeux, etc., pas besoin de développer.)

A vue de nez et pour en rester au cas français, deux époques semblent avoir réussi à faire une synthèse à peu près cohérente entre « l'individualisme et son contraire » : la IIIe République jusqu'en 1914, lorsque l'épicentre de l'individualisme qu'était le parti radical a réussi son OPA sur l'épicentre du holisme qu'était le monde paysan, les deux tendances se nourrissant l'une l'autre, et ce qu'on appelle communément les « Trente Glorieuses », où l'on crut pouvoir trouver un équilibre entre l'expansion économique et l'organisation de la solidarité.

Dans les deux cas, on connaît la suite : cette forme paradoxale et bâtarde du holisme que fut le nationalisme, qui aboutit
in fine à ce suicide de l'Europe que fut la Grande Guerre (ceci sans même rappeler à quel point la période 1870-1914 fut troublée et violente) ; et l'abandon des principes holistes au moment même où ils s'avèrent le plus nécessaires, le sacrifice de « l'organisation de la solidarité » au profit de « l'expansion économique » (je simplifie évidemment, mais sur une trentaine d'années depuis un « choc pétrolier » lui-même issu de « l'expansion économique », telle semble être la tendance générale, non certes sans hésitations, soubresauts, velléités diverses...).

Autrement dit encore : je n'aurai aucun mal à trouver, à partir de 1789 pour faire simple, des diagnostics pertinents et en nombre sur la modernité et ce qui lui manque, car sur ce point tout le monde (de sensé) est à peu près d'accord, des bonnes âmes aux esprits les plus pénétrants, de la Diotime de
L'homme sans qualités à Edgar Morin (ou ce que N. Sarkozy en tire) pour les premières, de Joseph de Maistre à Vincent Descombes pour les seconds. Une des difficultés bien sûr, est de ne pas tomber dans le syndrome de Constant, et ceci que l'on parte ou non de prémisses individualistes : que l'époque soit individualiste, qu'elle donne semble-t-il de plus en plus naissance à des types anthropologiques de plus en plus individualistes est à prendre en compte dans la façon dont on peut, sinon résoudre les problèmes, les atténuer autant que faire se peut, mais n'est pas non plus à soi seul une définition de l'époque ("hanté par son contraire"...), ni un paramètre qui jamais n'évoluera. C'est ce qui me chatouille toujours chez des gens comme C. Castoriadis, M. Gauchet et même Musil - celui-ci étant néanmoins fort important par sa capacité à ne pas se laisser tromper par de fausses solutions holistes.

Je reviens à Musil et J. Bouveresse pour finir, reprenant le texte où je l'ai laissé. Ce dernier extrait démarre par une appréciation qui justement me dérange un peu, pour s'achever sur des avertissements bien difficiles à contredire :


Quels que soient les reproches que l'on adresser à l'intellect, il n'en reste pas moins « la force de liaison la plus puissante dans les relations humaines. » Ce qui est exact est que la vérité, la rationalité, l'objectivité ne peuvent fonder, à elles seules, un ordre proprement humain. Mais le sentiment, l'intuition et l'amour ne peuvent créer par eux-mêmes aucun ordre et aucune organisation d'aucune sorte." (pp. 167-69 ; 1981)

Deux remarques d'inégale importance pour finir :

- de cette série de textes, et des critiques que je viens d'adresser sotto voce à Musil, il ne faudrait pas en venir à classer celui-ci dans le rayon « social-démocrate rationaliste ». On ne doit pas oublier que "l'auteur de L'homme sans qualités a passé une bonne partie de son temps pour ainsi dire à contre-emploi" (p. 398-99) : sa grande affaire, j'ai eu l'occasion de le rappeler, est d'explorer un domaine "surrationel", de voir comment l'intellect et le sentiment peuvent se mélanger, se nourrir l'un l'autre, comment on peut analyser et systématiser, pour mieux les utiliser, ces interactions. Mais pour ce faire, il fallait, et cela prit beaucoup de temps et d'énergie à Musil (pour rien, d'une certaine manière, puisque son travail est contemporain des triomphes hitlériens), distinguer le bon grain de l'ivraie, effectuer le tri entre ce qui peut être "surrationnel" et ce qui n'est qu'anti-intellectualisme régressif (pas loin des occultismes pourchassés par Muray). Inutile d'insister sur l'actualité de ces distinctions ;

- avec tout ça, je n'ai pas eu le temps de me documenter sur Jérôme Kerviel et ses palpitantes aventures. J'ai néanmoins pu constater que M. Defensa connaît son Girard, auteur largement présent dans mes commentaires du jour. Peut-être d'ailleurs a-t-il (Defensa) une conception un peu trop sacrificielle du religieux. A suivre...

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