jeudi 24 avril 2008

Alternance unique.

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Les deux mâchoires du piège libéral... A la première lecture, le dernier livre de Jean-Claude Michéa, L'empire du moindre mal, malgré une certaine confusion dans l'exposition, m'a beaucoup séduit. En le re-parcourant pour vous le présenter, j'ai été nettement plus sensible aux approximations et raccourcis qui grèvent ce livre trop court par rapport à l'importance de son sujet (l'essence du libéralisme). Faute de savoir encore à quel point j'entrerai dans ces détails, je vous en conseille cependant la lecture, et vous en livre aujourd'hui un nouvel extrait :

"La logique libérale définit un tableau à double entrée. Dans ce tableau, la droite moderne (celle qui a définitivement renoncé, depuis la Libération, à rétablir l'alliance du trône et de l'autel) représente le mode d'entrée privilégié par le Marché et son expansion perpétuelle. La gauche moderne (celle qui a définitivement renoncé, depuis le Mai 68 étudiant, au compromis historique passé avec le mouvement ouvrier socialiste lors de l'affaire Dreyfus) représente le mode d'entrée privilégié par le Droit et sa culture transgressive. L'une procède plutôt de Turgot et d'Adam Smith, l'autre plutôt de Benjamin Constant et de John Stuart Mill (parfois revêtus, il est vrai, du manteau de cuir de Trotsky, pour de vagues raisons historiques encore partiellement agissantes). C'est pourquoi le clivage droite/gauche, tel qu'il en est venu à fonctionner de nos jours, est la clé politique ultime des progrès constants de l'ordre capitaliste. Il permet, en effet, de placer en permanence les classes populaires devant une alternative impossible. Soit elles aspirent avant tout à être protégées contre les effets économiques et sociaux immédiats du libéralisme (licenciements, délocalisations, réformes des retraites, démantèlement du service public, etc.), et il leur faut alors se résigner, en recherchant un abri provisoire derrière la gauche et l'extrême gauche, à valider toutes les conditions culturelles du système qui engendre ces effets. Soit, au contraire, elles se révoltent contre cette apologie perpétuelle de la transgression, mais en se réfugiant derrière la droite et l'extrême droite, elles s'exposent à valider le démantèlement systématique de leurs conditions d'existence matérielles, que cette culture de la transgression illimitée rend précisément possible. Quel que soit le choix politique (ou électoral) des classes populaires, il ne peut donc leur offrir aucun moyen réel de s'opposer au système qui détruit méthodiquement leur vie." (pp. 118-119)

En note, J.-C. Michéa ajoute deux compléments :

- "En raison de la complémentarité constitutive des deux moments philosophiques du libéralisme [celui du Marché et celui du Droit, AMG], leur opposition dialectique tend toujours à s'atténuer dans les politiques gouvernementales concrètes. La gauche moderne, une fois au pouvoir, finit donc généralement par se rallier à l'économie de marché, tandis que la droite, quand elle revient aux affaires, se résigne, le plus souvent, à inscrire dans le marbre de la loi les différentes étapes, jugées inéluctables, de l'« évolution des moeurs ». On trouvera dans l'Idéologie allemande une description prophétique de cette division contemporaine du travail entre les fractions de gauche de la classe dominante (celles qui contrôlent les sphères « culturelles » du Capital) et ses fractions de droite (celles qui en contrôlent les sphères économiques). « Les uns - écrit Marx - seront les penseurs de cette classe (les intellectuels actifs, qui réfléchissent et tirent leur subsistance principale de l'élaboration de l'illusion que cette classe se fait sur elle-même) tandis que les autres auront une attitude plus passive et plus réceptive en face de ces pensées ou de ces illusions, parce qu'ils sont, dans la réalité, les membres actifs de cette classe et qu'ils ont moins de temps pour se faire des illusions et des idées sur leurs propres personnes. A l'intérieur de cette classe, cette scission peut même aboutir à une certaine opposition et une certaine hostilité des deux parties en présence. Mais dès que survient un conflit pratique où la classe entière est menacée, cette opposition tombe d'elle-même, tandis que l'on voit s'envoler l'illusion que les idées dominantes ne seraient pas les idées de la classe dominante. » (pp. 124-25, c'est très probablement J.-C. Michéa qui souligne.)

- "Comme chacun peut le constater, là où les sociétés totalitaires s'en tenaient au principe simpliste, et coûteux en vies humaines, du parti unique, le capitalisme contemporain lui a substitué, avec infiniment plus d'élégance (et d'efficacité), celui de l'alternance unique." (p. 125)


On remarquera pour la petite histoire qu'un Alain Soral tient des raisonnements tout à fait comparables, Soral que J.-C. Michéa se garde bien de citer ne serait-ce qu'une fois. Est-ce pour éviter un voisinage avec le FN, ou parce que dans le créneau du « mâle blanc sévèrement burné, qui n'a peur ni des mots ni des cailleras ni des féministes », il n'y aurait de place que pour un seul exemplaire ?


Michea_article


soral1


Ach, dans le genre, nos deux braves gars ont encore des progrès à faire...

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(Une féministe est-elle plus ou moins dangereuse qu'une hyène, ceci dit, on peut se poser la question...)

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