lundi 7 avril 2008

Ecriture et cochonnerie - ou quand, et comment, les particules élémentaires se remuent ce qui leur sert de tige.

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Irak (région kurde), 1950. Qui regarde qui, qui juge qui...


Peut-être trouvera-t-on que ce qui suit ne découvre pas la lune, mais :

- c'est très joliment dit (par Musil, peut-être l'aviez-vous deviné) ;

- le fait même que les diagnostics que vous allez lire sont toujours aussi exacts, 90 ans après leur formulation, n'est pas sans signification ;

- les diagnostics en question sont énoncés par un auteur aussi peu « militant » ou « engagé » que possible, quelqu'un qui a toujours été fidèle à lui-même, et cela aussi me semble-t-il leur confère un certain poids.

(Les coupures dans le texte sont de moi. Jacques Bouveresse, qui nous le présente, en pratique une, que je n'ai pas signalée. Je me suis permis de modifier légèrement la traduction.)

"Dans une formule lapidaire et énigmatique, [Musil] note : « Le manque de systématique fait que les hommes font de la littérature et vivent comme les porcs. Il fait le romantisme, l'expressionnisme, les excentricités. Le fait que les discours passent l'un à côté de l'autre ». L'absence du minimum d'ordre dont on continue à avoir besoin dans n'importe quel domaine, y compris le plus inexact, a pour conséquence une tendance caractéristique à utiliser la littérature comme exutoire. Faute de pouvoir vivre avec l'ordre auquel on aspire, on écrit. « Si l'on exprimait, nous dit Musil, en kilomètres de longueur de lignes ou en kilogrammes de papier ce qui est publié chaque année dans la seule Allemagne, on verrait immédiatement que l'on a affaire à une formation sociale des plus étranges. Car il faut que quelque chose n'aille pas dans la façon de vivre sa vie, lorsque le débordement sur le papier est aussi grand. Si le mot imprimé n'était qu'un moyen de communication, comme l'est le mot parlé, simplement avec une portée allongée, on ne pourrait pas dire cela ; il servirait à l'échange d'expériences (...). Mais en vérité il est devenu aujourd'hui non pas précisément un moyen de solitude, mais bien d'enfermement dans des groupes humains. »


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Qui oserait confondre solitude et enfermement, solitude et séparation ?


Après avoir indiqué que même la littérature scientifique n'échappe pas tout à fait à cette évolution, Musil explique ce qu'il veut dire de la façon suivante : « C'est surtout dans la belle philosophie et la création littéraire, les deux domaines pour lesquels on n'a prétendument besoin que d'être homme, que ce qui est venu trop vite et trop petitement à la vie s'étend sans résistance. Il n'y a pas lieu de supposer que les hommes ont autant à dire et à raconter qu'ils le font dans la littérature et, lorsqu'on examine le contenu de celle-ci, on voit qu'il n'est, la plupart du temps, aucunement d'une nouveauté suffisante pour rendre compréhensible la contrainte qui oblige à s'exprimer. (...) L'écriture ressemble à ce qui se passe lorsqu'un petit journalier revient chez lui et se comporte en chef de famille : pouvoir, ordre arbitraire, soumission du monde en effigie. My book is my castle ; l'écrivant a toujours raison. Il n'y a par conséquent à proprement parler pour cette littérature plus de public, mais seulement des auteurs qui se rapprochent ou s'éloignent les uns des autres. (...) La conséquence de cela est l'extraordinaire absence d'influence de cette littérature sur le tout et son abaissement au rang d'auto-confirmation vide des auteurs. Si on la voit effectuée quotidiennement par d'innombrables Européens pour le reste bien comme il faut, comme une habitude innocente, sans souffrance et au milieu des devoirs quotidiens, alors la représentation que l'on peut se faire de cela est celle d'une manie laide, d'un vice d'enfant qui s'attarde chez des hommes à moustache »." (La voix de l'âme..., pp. 403-404)

Et bien sûr, en bonne logique, n'importe quel écrivain, lisant cela, pensera que tout cela est vrai, mais pour les collègues, justement pas pour lui - et cela fait partie du problème.

Ce qui vaut aussi pour le lecteur : j'ai supprimé un passage un peu lourd à son sujet, on peut le remplacer par ce qu'écrivait Borges en 1935, en prologue à son Histoire universelle de l'infâmie :

"Je pense parfois que les bons lecteurs sont des oiseaux rares, encore plus ténébreux et singuliers que les bons auteurs. Personne ne contestera que les morceaux attribués par Valéry à son plus que parfait Edmond Teste ont notoirement moins de valeur que ceux de son épouse et de ses amis... Lire est, pour le moment, un acte postérieur à celui d'écrire ; plus résigné, plus courtois, plus intellectuel." (Christian Bourgois, 1985, pp. 7-8)


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Heureux comme AMG en son royaume...






Au passage : dans les récentes remarques d'Emmanuel Todd au sujet de N. Sarkozy, qu'Allah le rédime, il n'est pas interdit d'apprécier, pour un peu facile qu'elle soit, la formule finale : « Au final, les Français préfèrent toujours décapiter les nobles que les étrangers. » Allah lui donne raison !

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