samedi 19 juillet 2008

Le cloaque.

moreaula


D'ici demain ou après-demain et pour une dizaine de jours environ je mets la clé sous la porte, m'échappant dans une maison normande sans connexion internet : je vous laisse, à la manière de M. Cinéma, dont la dernière note sur le cinéma français est un modèle, quelques liens pour vous divertir.

L'optique sera gauchiste-conspirationniste, l'air du temps s'y prête. J'en profite pour souligner fortement, et cela vient de quelqu'un passionné par les traditions culturelles et fort peu marxiste-léniniste et pas franchement bourdieusien par ailleurs, que non seulement la lutte de classes existe toujours, mais que, lorsqu'il s'agit de s'entendre sur le dos des pauvres, les riches oublient tout ce qui est religion, culture, choc de civilisations, etc. : entre gens du même milieu, on se comprend aisément, et lorsque l'on peut continuer à faire de l'argent, n'est-ce pas... (Je ne sous-entends évidemment pas que traditions et histoires nationales sont des billevesées ou des fictions, je souligne juste qu'elles peuvent être instrumentalisées par certains, qui dans leur comportement professionnel quotidien s'en soucient comme de l'an 40.)

Cette remarque, que je cherchais à placer depuis quelques mois, étant énoncée, voici donc un petit florilège (je vous épargne les avertissements sur les défauts et lacunes de tel ou tel, vous êtes assez grand pour vous faire votre opinion) :

- le "sabre au clair" Olivier Bonnet, assez remonté contre N. Sarkozy et sa camarilla, on trouve chez lui des informations amusantes (bien que cet homme semble manquer d'humour : Rougemont pourrait lui reprocher de n'être pas un vrai démocrate) ;

- que l'on peut compléter par cette brève d'Agoravox sur une éventuelle censure actuelle du Réseau Voltaire (ajout le 20.07 : le réseau Voltaire a rouvert ce matin - on y trouve une version autorisée par T. Meyssan de l'article sur N. Sarkozy que je signalais la dernière fois) ;

- le gros morceau (tribute to M. Radical, qui me l'a fait découvrir), c'est l'étude de Mona Chollet sur l'imaginaire sarkozyste, étude précise, souvent agréable à lire, et qui n'est pas sans traits murayens (l'auteur ne parle pas du péché originel, mais on y pense assez souvent).

(Au passage, on en apprend de belles sur les origines de certaines fortunes, notamment celles du fondateur d'Ikea : non qu'elles soient nécessairement scandaleuses, mais la plupart de nos grands "capitaines d'entreprise" ont bénéficié de solides pistons et coups de pouce dans leur jeunesse, ce qui ne les empêche évidemment pas de donner des leçons de débrouillardise à ceux qui sont dans la merde. (De même, je me souviens avoir lu quelque part que les universitaires étaient de belles salopes lorsqu'ils tançaient Popu parce qu'il ne fournit pas assez d'énergie pour s'informer, se documenter, alors qu'il n'y a pas de milieu où l'on se transmet plus d'informations ("Tu as lu X ?", "Tu connais le dernier livre de Y ?"), et où donc les autres font une bonne partie du travail pour vous, que le milieu universitaire.))

Toute galanterie mise à part, Mona Chollet a sur certaines de ses consoeurs l'avantage de donner l'impression qu'elle a une vie à côté du militantisme, qu'elle pense aussi à elle - elle a bien raison, et cela fait d'ailleurs partie de son propos, - bref, soyons directs, on n'a pas l'impression de lire les propos du "mal baisée" qui pour cette raison même veut sauver le monde (suivez mon regard vers l'extrême gauche), c'est plutôt agréable.

(Au passage encore : dans une interview liée à ce texte, on aperçoit très nettement, derrière M. Chollet, le livre de Sigrid Hunke Le soleil d'Allah brille sur l'Occident, que je n'ai pas lu, à la réputation sulfureuse, écrit par une amie d'Himmler qui adhéra au NSDAP en 1937, ouvrage fort peu apprécié des juifs en général et des sionistes en particulier... (Une recension favorable ici.) Bref, que la belle ne s'étonne pas si un jour on lui fait un procès en antisémitisme !)

- toujours utile, Paul Jorion, à lire quotidiennement ;

- et pour se distraire, cet excellent site iconographique, auquel j'ai emprunté la photographie de Jeanne Moreau à Los Angeles ci-dessus, ainsi que celle d'Onassis et Cyd Charisse l'autre jour. Une mine ! La preuve :


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Eh oui, ce que c'est que le marketing : en anglais, un film de Max Pecas a presque l'air émoustillant !

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mercredi 16 juillet 2008

Tout est dans tout... - Aveu de défaite.

Ceux d'entre vous à qui il arrive, régulièrement ou occasionnellement, de lire Libération, ont sans doute remarqué hier certain article, et peut-être l'ont-ils comparé en pensée à mes récentes utilisations des Structures élémentaires de la parenté. J'ai en tout cas pris comme un coup de vieux... Mais voici tout de suite le corpus delicti :

"SELF MADE MAN.
Buck Angel. Californien, né femme, il est devenu homme tout en conservant son vagin. Performeur et acteur porno, il ne fait pas un drame de tout ça.



Sa performance, dit-il, ne va pas durer plus de dix minutes. Nous sommes à Londres, ça aura lieu au Torture Garden, club fétichiste itinérant, vers le milieu de la nuit. « Mes shows, maintenant, c’est vite fait, hein. Je baisse mon froc et puis voilà. » Franche esclaffade. Pour ceux qui ne le sauraient pas encore, Buck Angel est « l’homme qui avait une chatte » («the man with a pussy», en VO), marque déposée mais aussi volontairement humoristique. Il n’est évidemment pas le premier FTM (female to male, femme devenue homme) au monde, ni le seul à jouer dans des films de boules, mais il a réussi, en moins de quatre ans, à devenir « le premier trans FTM star du porno ». Il doit débarquer en France cet automne, dans le cadre du Porn Film Fest de Paris.

Rencontrer Buck Angel, la nuit du 2 au 3 mai, consiste aussi à rencontrer toute une bande de gens qui vous veulent du bien. Il y a Richard Kimmel, réalisateur de Schwarzwald, un film expérimental qui sera projeté dans l’église où a lieu la soirée, avant le strip-tease à surprise de Buck. On y voit Buck en robe couleur du temps, des garçons à masques de cochons, de la cire fondue, quelques scarifications et un bout de gant de chirurgien mais, comme le demande Hendrik à Kimmel : « Pourquoi t’as coupé ma scène de fist-fucking ? » Réponse : parce qu’il ne voulait pas tourner un porno mais documenter les Black parties new-yorkaises, grand raout sado-maso gay annuel.

Hendrik, on le verra plus tard, est le complice de Buck sur scène : il lui glisse discrétos un gode qui, une fois dans le slip du performeur, abuse une partie du dance-floor. Lorsque notre « super-macho » ôte ensuite la prothèse et découvre un vagin parfaitement épilé, une sorte de détresse intense voile le regard de quelques spectateurs. On rencontre aussi la petite amie du réalisateur, une prof de yoga qui vous masse gratis et essuiera, après le show, les fesses de Buck. Ou le producteur de Schwarzwald, qui cuisine des courgettes au gingembre confit et vous propose cinq fois du thé. C’est chez lui que se déroule l’entretien. Et vers trois heures du mat, dans l’étroit escalier qui sert de loges, une jeune performeuse spécialisée dans le scato hululera en repoudrant ses seins :« Oh mon Dieu, c’était Buck Angel ? Je le crois pas ! On vient de la même ville, je connaissais bien sa première femme ! »

Buck Angel a cassé la baraque début 2006 en apparaissant dans Cirque noir, un porno gay zarbi. Dans un trio final de gros ours baveux, il affichait son vagin. Horreur et consternation de la plupart des spectateurs gays, semblables à l’effet d’un pubis entier tombé dans la soupe. L’année suivante, le magazine homo Butt l’interviewait sur quatre pages. On y voyait Buck en fille, jeune mannequin dans les années quatre-vingts, et on y apprenait qu’il avait emménagé au Mexique avec son chihuahua en 2004, mais aussi que sa première femme, la célèbre Maîtresse Ilsa Strix, l’avait quitté de façon peu déontologique pour un de ses soumis : Larry Wachowski, le coréalisateur de Matrix. C’est désormais un épisode de sa biographie qu’il préfère oublier, ainsi que de dire qu’il s’appelait Jake Miller à cette époque, que son premier prénom fut Susan et aussi sa date de naissance : « Disons que j’ai 35 ans, rigole-t-il, et mon anniversaire est le 5 juin. »

A part ça, Buck Angel est un chic type. Remarié à une célèbre pierceuse, Elayne Angel. Et moins effrayant en vrai qu’au cinéma, avec une douceur étrange et une voix à la Marlon Brando. Mais peu importent ces jésuitismes, car ce qui le réjouit est justement d’être inclassable. Etant une femme devenue homme qui couche avec des femmes et des hommes (de naissance ou par opération), il peut sûrement être dit « bisexuel », mais quant à préciser si l’on assiste dans ses films à des coïts homo ou hétérosexuels, c’est une autre paire de manches (éventuellement dans le rectum, avec beaucoup de crème).

Il est ravi de causer à un quotidien généraliste car son ambition est de sortir les FTM de l’étagère « curiosae » pour les normaliser, y compris dans le porno grand public. « Repousser les limites » est son expression favorite : idéologie américaine. Né à Inglewood, en Californie, dans une famille de classe moyenne, sans problème, il ne se rappelle rien avant l’âge de 10 ans. Dit s’être toujours senti comme un garçon prisonnier d’un corps de fille. « J’avais un look de skater, les cheveux longs, je ne traînais qu’avec des mecs. » Un jour, il joue au foot dans la rue, il a ses premières règles. « Je rentre tout mouillé chez moi et ma mère me dit : "Tu es menstruée." Imaginez, j’étais un garçon et ma mère me sort un truc pareil ! » Vers 15 ans, il commence une dépression. La seule chose qui l’intéresse est la course à pied, il s’y jette à corps perdu. Et aussi dans l’alcool et les drogues, qui noient apparemment toute chronologie. Il acquiesce à ce qu’on lui suggère : « C’était la fin des années quatre-vingts ? », « le milieu des années quatre-vingt-dix ? » Oui, peut-être. Plus tard, il est à Los Angeles. Il suit une thérapie mais « le mieux qu’elle a su me dire était que j’étais une femme fortement identifiée à un homme ». Sa copine de l’époque porte sa photo chez Elite. Son look androgyne séduit. Il joue un peu le jeu puis arrête le mannequinat d’un coup, un jour qu’il doit se rendre à Paris pour un nouveau job, dans une agence de filles. Retour à LA, vie dans la rue, ses parents et ses deux sœurs ne veulent plus entendre parler de lui, prostitution. Habillé en garçon, il fait des branlettes, des pipes : « Je n’avais toujours pas pratiqué de coït avec un homme. » Un jour, un Français l’embarque chez lui : « J’avais le cerveau fondu au crack, je lui avais demandé 20 dollars. 20 dollars !» Mort de rire. « On commence à baiser et là, il me dit en touchant mes seins : "Je savais que t’étais une fille." Moi, mortifié : "Comment t’as pu deviner ?" » C’est ainsi qu’il va changer de sexe.

Son ex l’expédie trois fois en cure de désintox, puis il voit Female Misbehavior de Monika Treut et commence à se documenter. Voulant éviter les cicatrices et la poitrine creuse de l’ablation des seins, il va trouver un spécialiste de la gynécomastie, « puisque j’étais un homme ». « Il m’a laissé un peu de chair et, avec la muscu, le résultat est parfait. » Et s’il a « une chatte », c’est qu’il voulait conserver ses orgasmes et que la reconstruction de pénis pour trans n’est pas au point à son goût (la testostérone lui a d’ailleurs fait un clitoris de taille très honorable).

Lui qui avait toujours été nul à l’école, il se découvre excellent webmaster pour Ilsa Strix. Après son divorce, en 2003, il lance Transexual-man.com. Infiltre les forums tout seul comme un grand, fait parler de lui. Après la soirée au Torture Garden, il mouille sa chemise en allant distribuer lui-même des pubs pour Buckangel.com dans la foule : le jeu de mot de self-made man est trop tentant. Il ne cesse de le répéter : « Je suis fier de mon corps, j’adore le voir changer. » Et fier de prouver qu’un homme n’a pas forcément des couilles. Une bonne claque queer dans la gueule des sexistes, même s’il n’a pas de grandes prétentions théoriques : « Oui, j’ai été invité à parler par des universitaires, mais ce n’est pas trop mon truc. Je crois qu’ils y voient des choses plus profondes que moi.»"

Eric Loret, texte original disponible ici.

Précisons que cet article a été publié en 4e de couverture, et donc fortement mis en valeur par la rédaction de Libération. Que dire ? D'un côté, ce concentré de connerie et de prétention contient, c'est pain bénit pour moi, tout ce que l'on essaie ici de rapprocher : la « fierté », l'anti-« sexisme » à deux balles, la « confusion des décadences », comme disait Baudelaire, portée à un niveau étonnant, un mélange hélas typique de pureté (Buck Angel) et de crasse bestiale (le rectum plein de crème) confirmant à l'improviste Pascal ("le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête..."), une dose de mentalité capitaliste que le journapute note sans vouloir trop y insister, la possibilité si aisément admise (mais c'est un effet-Duchamp : ces gens sont présentés, même avec ironie, comme célèbres, donc ils sont légitimes) pour des tarés d'avoir une légitimité sociale et une « célébrité », un certain éloge de la débilité (Buck s'est camé-e mais n'a pas franchement l'air d'avoir inventé la poudre)... On ne sait d'ailleurs trop ce que M. Loret maîtrise de ce qu'il écrit, s'il sait qu'il fait un peu du Léon Daudet lorsqu'il rapproche un cinéaste hollywoodien célèbre de cet univers interlope, et de la littérature d'horreur lorsqu'il évoque le clitoris de Buck (la raison d'ailleurs pour laquelle, malgré une saine curiosité, je ne suis pas allé sur les sites recommandés - c'est à vous de voir, comme on dit. (Cela me rappelle d'ailleurs que je vous dois un texte sur le clitoris - qui n'est pas qu'une verge , nom de Dieu ! - depuis un an maintenant, le temps passe.))

Je ne veux pas prendre les choses au tragique, j'ai bien rigolé en lisant tout cela, mais j'ai aussi éprouvé le même sentiment que lorsque je rappelais, en conclusion de mon texte sur l'homophobie ("ajout du 16.05") - à propos d'un livre dans lequel d'ailleurs Lévi-Strauss était pris à partie - , que toutes mes constructions conceptuelles, pour cohérentes et fondamentales qu'elles puissent me paraître, ne pesaient pas bien lourd face aux évolutions technologiques actuelles : quand ce qui était un paramètre fondamental de la condition humaine devient quelque chose avec quoi on peut jouer, cela donne un certain vertige - c'est la relativité généralisée appliquée à la vie quotidienne - voire un sentiment, rare pourtant à ce comptoir, d'« aquoibonisme ».




Un peu d'érotisme à l'ancienne pour se consoler ?


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Le bienheureux Onassis allumant la cigarette de Cyd Charisse, un soir des années 50, sur la Côte d'Azur... (pour un gala de charité contre la polio, tous les prétextes étaient déjà bons pour faire la fête !)





Par contraste, on trouverait presque un charme suranné à Nicolas Sarkozy, sur lequel viennent d'être publiés deux textes qu'il n'est pas inintéressant de comparer l'un à l'autre :

- Sarkozy agent de la CIA ;

- Sarkozy, sauveur de la France presque malgré lui.


A bientôt peut-être !

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mardi 15 juillet 2008

Espace vital.

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Rougemont écrivait en 1942 :

"Il faut se moquer de la démocratie. D'abord parce qu'elle est le seul régime qui tolère une critique railleuse. Ensuite, parce que l'humour est nécessaire pour la bonne marche des institutions, dans un ordre social presque entièrement profane. Voici comment.

Le Diable est sardonique et ironique à souhait, mais il ne supporte pas l'humour, et c'est par là, probablement, qu'il s'accorde le moins avec notre régime. Car la Démocratie étant basée sur cette supposition elle-même humoristique, que tous les hommes sont égaux, elle ne peut fonctionner sans humour, non plus qu'une machine sans huile et sans jeu entre ses parties. C'est le sens de l'humour qui sauve les hommes vivant dans un Etat démocratique. Et de quoi les sauve-t-il ? De l'asphyxie par la proximité, qui serait le résultat fatal de notre destruction des hiérarchies. Grâce au sens de l'humour, une distance respirable et respectable peut être rétablie entre voisins, entre maris et femmes, ou entre fonctionnaires et victimes normales de l'Etat.

Prenez en effet une démocratie quelconque. Supprimez toute espèce d'humour aussi bien dans sa vie quotidienne - rouspétance du citoyen - que dans sa vie proprement politique - farce des partis - et vous obtiendrez au terme de l'opération, si elle est énergiquement poussée, l'Etat totalitaire dans sa splendeur native." (La part du diable, Gallimard-Idées, pp. 97-98)

Où, sur la fin, l'on retrouve Muray et notre bienheureux monde contemporain... On peut rapprocher ce texte de ces lignes de Jacques Bouveresse présentant un ouvrage de Karl Kraus (je crois que c'est dans sa préface à la réédition de La troisième nuit de Walpurgis):

"C'est... un aspect à la fois essentiel et problématique : il y a quelque chose dans la satire krausienne (et probablement aussi, si l'on songe à un cas comme celui de Swift, le satiriste par excellence, dans la satire en général) qui n'est sans doute pas démocratique ou, du moins, pas facile à concilier avec l'idée que l'on se fait généralement de la démocratie. Le satiriste ne croit, en tout cas, pas que toutes les opinions méritent d'être considérées et discutées : c'est par la dérision et le mépris, plutôt que par la discussion, que doivent être « traitées » certaines d'entre elles."

Mais ce n'est pas « problématique » : tout n'a pas à être démocratique dans une démocratie, et même - Denis de Rougemont rejoint ici un raisonnement déjà cité deux fois en ces lieux (le plus récemment ici) de Vincent Descombes - il faut que certaines choses - chez V. Descombes, la famille et l'école - ne le soient pas pour que l'ensemble ait une chance de l'être à peu près.

Il rejoint aussi, dans le même temps, l'idée que j'avais exprimée en adjoignant J. Rancière à L. Dumont : une société d'idéologie inégalitaire, une société hiérarchisée, a besoin dans les faits d'égalité entre ses membres pour fonctionner ; une société d'idéologie égalitaire - démocratique - a, elle, besoin d'inégalité dans les faits pour fonctionner, et le sens de l'humour, la satire, qui sont la conscience explicite et proclamée que des hommes sont moins forts, moins intelligents, moins altruistes, etc. que d'autres, est un des rouages importants de ce mécanisme.

(On retrouve un basculement que j'avais souligné dans le temps : avec le passage de la tradition à la modernité, et plus précisément avec des gens comme Flaubert, Musil, Brel..., on passe du constat ancien de l'existence de la bêtise, à l'interrogation, ironique et/ou désespérée sur la nature et les origines de cette bêtise.)

De ce point de vue, peut-être est-il possible d'interpréter l'idéologie (non plus au sens de Dumont comme précédemment, mais au sens plus banal, « marxiste ») d'inspiration darwinienne qui imprègne le climat actuel en France, comme une réaction sauvage à la censure morale sur les humoristes ("Il ne faut pas rire de ceci, de cela...") en particulier et sur la méchanceté en général, dans les années 80 puis 90 ; la violente réaffirmation de l'inégalité, son exaltation, la volonté politique de l'accentuer au niveau économique et de la consacrer ainsi un peu plus, seraient comme un retour du refoulé : on a cru possible de se passer d'une soupape de sécurité « nécessaire pour la bonne marche des institutions » (« C'est le sens de l'humour qui sauve les hommes vivant dans un Etat démocratique »), on se retrouve avec une idéologie fort peu démocratique. Ici comme ailleurs, le sarkozysme fait souffler un peu d'air en rouvrant une porte fermée par le "politiquement correct", mais il le fait bien mal, et, à la manière de N. Sarkozy lui-même, c'est-à-dire celle d'un bourrin (et fier de l'être).

(Ce qui n'empêche évidemment pas le sarkozysme d'être aussi très politiquement correct sur certains points : outre que cette notion est à géométrie variable, on ne peut pas s'opposer à certaines tendances de fond.)


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vendredi 11 juillet 2008

11 septembre catholique (III) : "Le réel, c'est Dieu."

J'aurais bien aimé la trouver, celle-là - qui n'est pas du panthéisme. On la complètera par celle-ci : "Toute apparition est miraculeuse" (ce que n'aurait d'ailleurs pas nié Chesterton, je vous en parlerai une autre fois), et on aura déjà pas mal commencé la journée.


Ceci pour vous indiquer que, comme un fait exprès, dans un long texte programmatique qui vient d'être publié et dont je vous conseille instamment la lecture, M. Limbes aborde des questions évoquées dans mon précédent envoi :

"Il faudra dénoncer comme traître et ennemi de la Liberté, ou du moins comme idiot nuisible, tout « croyant » surpris en train de se justifier aux yeux du Monde Moderne en protestant de son non-fanatisme ou de sa « modération », c'est-à-dire en train de montrer qu'il ne croit pas lui-même pour ne pas léser l'adversaire qui ne croit pas non plus.

Cette attitude, en vérité, constitue un crime et même le crime suprême contre l'Esprit, car elle revient à entretenir le préjugé majeur selon lequel la Foi serait opposée non pas tant à la Raison, ce que l'on pourrait admettre à la rigueur, qu'à la Liberté, ce qui est inadmissible. Le Texan le plus arriéré est capable de comprendre que là où il n'y pas la possibilité de rester fidèle à une parole donnée, le mot « liberté » perd tout son sens. Du fait qu'il croit ce qu'il croit, l'homme libre exige de l'autre, et par conséquent admet, qu'il en fasse autant. La Liberté garantit la Foi, la Foi garantit la Liberté. Notre liberté est solidaire de notre fidélité. Voilà ce qui contredit absolument tous les dogmes du Monde Moderne, et il y a donc lieu d'être particulièrement vigilant et inflexible sur ce point.

Nous sommes capables d'êtres libres à hauteur de ce que nous sommes capables de croire. Et plus notre foi est intègre, plus nous sommes intègres dans notre foi, plus nous serons disposés à admettre, (au fond, à exiger), que le voisin en fasse autant. C'est donc exactement le contraire de ce que prétend l'endoctrinement officiel : plus une foi est intègre, moins elle est ombrageuse. C'est non seulement dans la Foi, mais encore dans l'Intégrité de la Foi, que se trouve la garantie de la vraie Liberté. Maintenant, que ces principes se vérifient en général assez peu sur les différents groupes qualifiés d'« intégristes » dans les journaux, je ne le conteste pas, mais cela illustre simplement le fait que les journaux n'appellent jamais les choses par leur vrai nom, et ensuite, que la plupart de ces groupes ne sont une vraie menace ni pour le Monde Moderne, – quand il y a une vraie menace quelque part pour ce dernier, en général les journaux n'en parlent pas, ou plutôt : quand il y a quelque chose de vrai quelque part, en général, les journaux n'en parlent pas, ou alors c'est qu'ils ont une bonne raison pour le faire – ni pour les hommes libres, ni pour personne sinon pour eux-mêmes, car ils ne sont en vérité qu'une menace parodique que le Monde Moderne entretient en son sein pour se faire peur et occulter à ses yeux la vraie Menace, c'est-à-dire lui-même."

"L'islam est aujourd'hui le nom ou du moins un nom de l'espérance humaine, telle est la certitude qui m'anime et que j'aimerais autant que possible ardemment faire partager, ne serait-ce qu'aux musulmans. Le monde occidental a peur de l'islam, il le perçoit massivement comme une menace, bien que dans le même temps, et paradoxalement, de plus en plus d'Occidentaux le perçoivent comme une espérance – sans que cela aille nécessairement jusqu'à la conversion. Les uns et les autres ont à la fois tort et raison. À coup sûr, l'islam est bien une menace pour le monde occidental dans la mesure où [celui-ci] s'identifie avec le Monde Moderne ou du moins avec son épicentre. Dans ce cas, on ne peut que se réjouir qu'une telle menace existe, et c'est elle, finalement, qui nous donne raison d'espérer. Au contraire, dans la mesure où l'Occident peut encore être distingué de ce cancer qui, parti de lui, a projeté ses métastases un peu partout dans l'univers, l'islam est une chance pour lui comme pour le reste du monde, l'arche d'un nouveau déluge universel, qui n'est pas d'eau cette fois, mais d'une matière que j'aime mieux me dispenser de nommer, à supposer qu'elle ait un nom. Il peut l'aider à se refaire une santé traditionnelle, parce qu’il a été constitué avec les caractères de généralité humaine et d’universalité spirituelle exigées à cette fin.

Cependant, il faut encore savoir de quel « islam » on parle. Il y a un islam authentique qu'il faut apprendre à distinguer de ses parodies et contrefaçons de toute sorte, comme il faut d'ailleurs le faire pour n'importe quelle tradition. Dans le cas de l'islam, ces contrefaçons se rangent essentiellement sous deux catégories : « traditionnalistes », c'est-à-dire en réalité crypto-modernistes, dissimulant leur caractère antitraditionnel sous les dehors d'une réaction à la modernité ou à certains de ses aspects ; ou bien ouvertement moderniste. Au premier genre appartient l'islam dit « salafi », idéologie officielle du régime satanique qui occupe illégitimement les Lieux Saints de l'Islam avec la complicité des États occidentaux (en particulier anglo-saxons) depuis de trop nombreuses années. Au second genre appartient la cohorte des pseudo-intellectuels verbeux et larmoyants qui nous saoulent de discours staliniens sur la nécessité pour l'islam de s'« émanciper » de sa « sclérose » afin de s'« adapter » aux « exigences de la modernité », c'est-à-dire en somme d'« upgrader » l'islam comme un logiciel obsolète pour le rendre plus performant et compétitif au regard des objectifs pratiques de la modernité, qui sont bien sûr l'exacte antithèse de toute spiritualité. Bien sûr, la ruse principale de la propagande moderne est d'essayer de nous faire accroire d'une part qu'il y a une opposition réelle entre ces deux partis, alors que si l'on regarde bien, on verra qu'un ultra-moderniste comme Meddeb et un ultra-salafi comme l'horrible « cheikh » Albani, de sinistre mémoire, n'ont rien en commun, non, rien si ce n'est le rejet de presque tout ce qui constitue la tradition islamique et de l'esprit même de cette tradition, c'est-à-dire au fond l'essentiel ; d'autre part, que cette prétendue opposition épuise toutes les possibilités d'interprétation, autrement dit qu'il n'y a pas de « troisième voie », pas d'alternative possible entre un modernisme affiché et hautement revendiqué (souvent d'ailleurs jusqu'à la caricature, cf. l'inépuisable Meddeb), et un modernisme plus ou moins insidieux et feutré. Ce qui n'est rien d'autre qu'une manière de dire qu'il n'y a pas d'alternative du tout au modernisme : tout au plus, on nous laisse le choix entre sa forme dure et sa forme « soft », atténuée, d'ailleurs dans une bien faible mesure, car même les « salafistes » désormais ne jurent plus que par les bienfaits de « la science » (tout le monde sait que le Coran avait prédit la bicyclette, le téléphone, la fission de l'atome et mille choses merveilleuses encore – il n'y a que le « salafisme » qu'il n'avait pas prévu...). Pas d'alternative au modernisme, c'est-à-dire à l'avilissement et à l'asservissement généralisés, à l'abdication de l'intelligence et de sa liberté transcendante face au déterminisme des conditions extérieures ; comme des chiens crevés, pour reprendre l'image terrible de Bernanos, nous dérivons au fil de l'eau, vers un but incertain que les optimistes s'efforcent d'imaginer le plus rose possible.

Mais l'islam authentique n'a cure de cette pseudo-opposition et renvoie dos à dos ces déviances diverses, dont il se fait un marchepied pour porter plus haut encore l'espérance ardente dont il est le lampadophore."

Je signale par ailleurs que ce texte ("L'ombilic de Limbes", qui se trouve en page d'accueil : il est malheureusement impossible de faire un lien vers un texte précis) contient de très intéressantes vues comparatives sur l'Islam, le judaïsme et le catholicisme, que je ne peux aborder aujourd'hui, ainsi que sur le rôle de l'Intellect dans l'Islam - ainsi :

"Seule l'intelligence libère. Et l'intelligence est tradition. De même et parce que la tradition, au fond, que la foi, est intelligence. L'islam est à la fois la plus banale, la plus éculée, savetée, ressassée de toutes les traditions puisqu'il se pose lui-même comme Rappel de tout ce qui a déjà été dit et redit avant lui ; et à la fois un peu plus qu'une tradition : quelque chose comme l'auto-révélation de l'essence de la tradition, le moment de la tradition qui se révèle à elle-même comme Intellect, Esprit et Liberté, révélant en même temps la nature traditionnelle (comprendre : qui relève de la tradition comme répétition créatrice) de l'Intellect et de l'Esprit."


A suivre !

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jeudi 10 juillet 2008

11 septembre catholique (II) : "Nous vaincrons parce que nous sommes les plus morts ?"

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"Oui, Joseph de Maistre, Barrès, Péguy et les autres étaient des réacs sublimes en leur temps, qui auraient donné leur peau et qui ont donné leurs livres pour l'Occident en péril, mais uniquement parce qu'il était à l'époque encore défendable, qu'il était la civilisation même, qu'il regorgeait d'enthousiasme, de religiosité, d'inventivité, contre les « barbares » qui fonçaient tête baissée. Quand on pense qu'en 1914, pour Suarès, les barbares, les fanatiques, les terroristes, n'étaient pas des métèques incultes du fin fond de l'Arabie, mais tout simplement les Allemands du Kaiser qui osaient s'en prendre à la France éternelle ! Oui, les ennemis de la civilisation étaient des enfants de Goethe aux portes de Strasbourg !

Ce que les Occidentalistes ne comprennent pas aujourd'hui, c'est que tout ce qu'ils fantasment sur l'Occident qui n'est plus se trouve justement dans l'Orient qu'ils combattent idéologiquement par goût du paradoxe.

C'est l'Orient aujourd'hui qui détient la dignité du monde, sa capacité de résistance, sa grandeur d'âme, son sens de la parole donnée, son courage guerrier, son hospitalité sacrée, sa foi absolue et son esprit de croisade, pourquoi pas ? Autant de valeurs qui étaient l'apanage de l'Occident et qui sont toujours vivantes à l'Est. Il faut donc être logique et s'adapter, se déplacer, dévier son son espoir là où ça se passe. Je continue à maintenir qu'aujourd'hui un Bernanos ne défendrait pas l'Occident de George W. Bush et d'Ariel Sharon ; que Massignon évidemment serait à Bagdad ; que Dominique de Roux trouverait des accents gaulliens à Saddam Hussein et que Léon Bloy s'interrogerait avec passion sur l'âme d'Oussama comme il [le fit] sur celle de Napoléon. Bref, le meilleur moyen d'être occidental aujourd'hui, c'est soutenir l'Orient dans sa résistance contre ce qu'est devenu l'Occident." (M.-E. Nabe, Crève, Occident!, 2003, repris dans J'enfonce le clou, Rocher, 2004, pp. 30-31)

La série en cours intitulée "11 septembre catholique" est un ensemble de variations et de réflexions sur ce texte de Marc-Edouard Nabe, autant clarifier mes buts et incertitudes dès maintenant. Notons donc qu'il y a ici trois questions différentes :

- la véracité du diagnostic sur les écrivains : je donnerai la prochaine fois quelques éléments de réponse concernant Bernanos (j'en ai déjà donné un peu). Sur de Roux, M.-E. Nabe a certainement raison. Sur Bloy... je donnerais cher pour le savoir ! - Mais évidemment, il ne s'agit ici que de cas particuliers ;

- la véracité du diagnostic sur l'Orient (sur l'Occident, la question ne se pose hélas plus guère - j'ai d'abord écrit : "ne se pose déjà plus", j'ai rajouté le "guère" parce qu'on ne peut tout à fait s'y résigner. Non ? ). N'y ayant jamais mis les pieds, vilain casanier, je ferais peut-être mieux de la fermer... Il me semble néanmoins, relativement aux informations que l'on peut glaner et aux intuitions que l'on a le sentiment de pouvoir suivre avec quelque raison, que sur ce point, c'est-à-dire l'Orient non pas en tant que tel mais par rapport à l'Occident, le meilleur texte que l'on puisse lire est celui de Jean-Pierre Voyer : "Murawiec penseur de réservoir" - non seulement le meilleur par son propos, mais par l'importance de ses hésitations sur ce qui dans les pays musulmans actuels s'élève contre l'Occident : une antique civilisation, ou ce ce qui est qualifié dans la Diatribe d'un fanatique de « religion de synthèse » - hésitation non seulement sur ce diagnostic, mais sur l'éventuelle joie que l'on peut en retirer. Ainsi : certains mouvements politiques musulmans - les Frères Musulmans, le salafisme... - sont-ils une forme inévitablement quelque peu bâtarde de religion musulmane, que les musulmans dans leur ensemble soutiendraient non sans répugnance, mais avec la reconnaissance due à ceux qui paient de leur personne, ou sont-ils - malgré les apparences, je veux bien - une façon de cheval de Troie de l'esprit impérialiste occidental, via un certain rapport au politique finalement placé, dans les faits, au-dessus de la religion, à la modernité, notamment technologique (condamnée peut-être, mais très utilisée) ?

(Ces derniers points sans même mentionner les questions d'équilibre ou de déséquilibre politique : les calculs d'apprentis sorciers d'Américains ou de Sionistes misant sur, voire finançant en sous-main, les mouvements les plus extrémistes - qui seraient donc, avec d'évidentes variations selon les cas, leur alliés « objectifs », comme on disait dans le temps - pour légitimer leurs interventions et ne pas laisser se mettre en place, ou pour détruire, des mouvements qui auraient plus l'assentiment de la majorité des populations concernées. Marie-Antoinette, à qui l'on voue aujourd'hui un culte que je ne parviens pas, je suis désolé, à admettre ne serait-ce qu'un peu, Marie-Antoinette s'était essayée à ce genre de jeu pour légitimer une intervention étrangère en France, en faisant donner de l'argent aux révolutionnaires les plus excités. Cette salope l'a payé de sa tête, il n'y a tout de même pas de quoi pleurer.)

- le rôle du catholicisme et de l'Islam là-dedans. Je connais trop peu l'Islam pour m'aventurer vraiment dans cette question, mais cela n'empêche pas de tenter d'en démêler les fils. Notamment :

Quelle que fût, au Moyen Age occidental ou à la grande époque du Califat, l'emprise réelle du catholicisme et de l'islam sur les âmes et les comportements du vulgum pecus (de Popu), il reste un fait incontestable pour les périodes qui ont suivi : le catholicisme s'identifie moins à la civilisation occidentale que l'islam (la religion) à l'Islam (la civilisation). Dans le monde entier les sociétés régies par, ou vivant dans une Tradition (heil Guénon !) ont évolué sous la pression de l'Occident, qui, lui, a évolué de son propre chef. Si l'on veut une différence entre l'Occident et le reste du monde, et sans entrer dans les débats sur l'« occidentalo-centrisme » et ses formes avouées ou sournoises, en voilà une, indéniable.

La question ici reste ouverte, et j'en n'en connais pas pour l'heure de réponse satisfaisante (mais je suis loin d'avoir tout examiné...) : si l'Occident a abandonné de lui-même la religion qui l'informait, alors que les autres civilisations n'abandonnent ou n'ont abandonné les leurs que sous l'effet dudit Occident, est-ce dû à ce que l'on pourrait appeler, avec d'importants guillemets, un "accident historique", ou est-ce dû à une spécificité du christianisme/catholicisme ?

Mon petit doigt, aidé de Bolzano, aurait tendance à répondre que certaines tendances et spécificités du christianisme - l'Incarnation au premier chef (et l'on connaît l'importance du Christ dans l'un des plus importants facteurs de cette évolution, le protestantisme) - pouvaient pousser l'Occident dans la direction qu'il a suivie, mais qu'il n'y avait rien de fatal à cette évolution. Restons-en là pour l'instant, contentons-nous de marquer l'importance de cette question : si l'évolution était fatale, alors, toutes questions de possibilité réelles mises à part, ce qui n'est déjà pas rien, un retour de l'Occident à sa Tradition chrétienne/catholique serait inutile : les mêmes causes produisant les mêmes effets, à terme nous repartirions pour un tour. Si au contraire le chemin qui a mené de l'Evangile et de saint Augustin à Luther et Guizot - dit comme cela, la réponse a l'air évidente, mais justement... - s'est perdu sur une voie de traverse, alors peut-être - avec des majuscules ! - un retour à la Tradition occidentale est-il envisageable.


Voilà me semble-t-il les données du problème - et les raisons pour lesquelles je ne peux le résoudre, en admettant que quelqu'un puisse. Un peu de Bernanos et de jeunisme la prochaine fois !


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mardi 8 juillet 2008

"Justice sociale" et "péché originel", même combat ?

C'est en tout cas - étonnament - Cioran qui le dit :

"On doit se ranger du côté des opprimés en toute circonstance, même quand ils ont tort, sans pour autant perdre de vue qu'ils sont pétris de la même boue que leurs oppresseurs." (De l'inconvénient d'être né, ch. VIII)

A tort ou à raison, me vient l'idée que c'est une phrase que quelqu'un comme Vincent Descombes aurait pu écrire, et qui n'aurait pas tout à fait déplu à Baudelaire - ni même, qui sait, à l'un de ses maîtres :


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(La suite ici pour ceux qui veulent, mais dans le cas présent je trouve la version "vestida" plus érotique.)


"Il est absurde de croire avec Jean-Jacques que l'homme naît bon. Il naît capable de plus de bien et de plus de mal que n'en sauraient imaginer les Moralistes, car il n'a pas été créé à l'image des Moralistes, il a été créé à l'image de Dieu." (Les grands cimetières sous la lune, 1ère partie, II)

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dimanche 6 juillet 2008

11 septembre catholique (I) : "Que tout ce qui peut être détruit, le soit."

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(Ajout le 7.07.)


Cette phrase se trouve dans l'intéressant petit livre de Denis de Rougemont, La part du diable (1944, Gallimard "Idées", 1982, p. 211), à la suite d'une tirade écrite pendant la deuxième guerre mondiale, et ma foi fort actuelle :

"A l'orgueil et à la brutalité proclamées comme vertus par les totalitaires, les nations libres n'osèrent opposer que des vanités courtes et des prudences lâches, et cela s'appelait du réalisme. A l'esprit de vengeance et de ressentiment, elles ne surent opposer que leurs inquiétudes de propriétaires fatigués, et cela s'appelait défense de l'ordre. A la grossièreté spirituelle, que la confusion spirituelle, et cela s'appelait droit de libre critique. (...)

Quand une démocratie rougit de ses vertus, sur quelle force peut-elle compter ? Et quand l'élite d'une société n'attache plus que du ridicule aux disciplines qui l'ont fondée et maintenue, quand elle réserve ses applaudissements aux plus médiocres parce qu'ils amusent le plus grand nombre et rapportent le plus d'argent, quand elle rend un culte à des stars d'une intolérable sottise, quand tout cela paraît naturel, et le contraire anti-social ou ennuyeux, que peut-elle opposer aux barbares ? La barbarie bébête et débile de nos foules, la démission sans élégance de nos élites, est-ce que c'est cela qu'il faut sauver au prix de sa vie ?"


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- la réponse est donc non : Que tout ce qui peut être détruit, le soit. (Au passage : on trouve chez Castoriadis des textes proches (mais non identiques), où il dit en substance que si tout ce que nous avons à opposer à l'islamisme est Madonna, il ne faut pas s'étonner que des gens choisissent l'islamisme.)


Un peu plus tôt (p. 193), Denis de Rougemont citait un passage d'Ezéchiel, qu'il interprète comme une façon de montrer « le rôle ironiquement providentiel des Tyrans » : "A l'épreuve de la guerre et du meurtre, nos illusions, immédiatement châtiées, se dénoncent comme illusions." Rien n'empêche de reprendre cette interprétation et de l'appliquer, plus exactement encore, au 11 septembre, et même, ce qui n'était pas le cas dans la deuxième guerre mondiale, aux motivations de ceux qui attaquèrent la « démocratie » :

"La parole de Iahvé me fut adressée en ces termes :

« Fils d'homme, dis au prince de Tyr : Ainsi a dit Adonaï Iahvé :

Ton coeur s'est exalté
et tu as dit « Je suis un dieu,
j'habite une résidence divine,
au coeur des mers »,
alors que tu es homme et non dieu.
Tu as rendu ton coeur pareil au coeur de Dieu.
Te voilà plus sage que Danel !
Rien de ce qui est tenu secret n'égalait ta sagesse.
Par ta sagesse et ton intelligence
tu as constitué une fortune,
tu as acquis de l'or et de l'argent
dans tes trésors.
Par la grandeur de ta sagesse et par ton trafic
tu as augmenté ta fortune
et ton coeur s'est élevé, à cause de ta fortune.
C'est pourquoi ainsi a dit Adonaï Iahvé :


vision



Parce que tu rends ton coeur pareil au coeur de Dieu,
voici que je vais faire venir contre toi
des étrangers, les plus redoutables des nations ;
ils tireront l'épée contre ta belle sagesse
et profaneront ta splendeur.
Ils te feront descendre dans la fosse et tu mourras
de la mort des victimes, au coeur des mers.
Pourras-tu dire : « Je suis un dieu »,
devant tes meurtriers,
alors que tu es un homme et non un dieu,
dans la main de ceux qui te transperceront ?
Tu mourras de la mort des incirconcis,
par la main d'étrangers,
car moi j'ai parlé, oracle d'Adonaï Iahvé. »" (Ezéchiel, XXVIII, 1-10 ; j'utilise la traduction de la "Pléiade".)


Moi j'aime bien... Notons que dans ces versets ce n'est pas tant la richesse elle-même qui est condamnée, ni la « sagesse » et l'« intelligence » qui ont été utilisées pour devenir riche, que la prétention et l'arrogance qui découlent ou peuvent découler de la richesse : "Parce que tu rends ton coeur pareil au coeur de Dieu..."

(Ajout le 7.07 : juste après la rédaction de ce texte, j'ai découvert un blog catholique, musilien, mélomane (et féminin, ce qui ne gâte rien et nous change un peu), où l'on trouve notamment une analyse de la parabole des talents qui, malgré sa regrettable volonté de séparer salariat et esclavage, rejoint l'esprit de mon commentaire du paragraphe précédent : il y a la richesse, il y a l'esprit qui fait que l'on veut devenir riche, il y a l'esprit que l'on a quand on est riche, et les relations entre ces trois paramètres sont variables selon les personnes.)

On me dira qu'il y a un côté « vieux con » à évoquer cet événement déjà lointain qu'est le 11 septembre, et peut-être ajoutera-t-on que l'on ne sait même pas ce qui s'est effectivement passé ce jour-là. Concernant le second point, on ne peut pour l'heure qu'enregistrer le doute et faire savoir qu'on le partage, sans pouvoir guère aller plus loin. Concernant le premier point, l'argument peut se renverser aisément : c'est précisément parce qu'on n'a pas assez prêté attention à ce qui s'est dit ce jour-là qu'il est utile d'en reparler. Jouons notre Defensa : notre sentiment d'inculpabilité est tel que nous avons réussi à nous boucher les oreilles sur le message - certes aussi muet que bruyant - qui nous fut alors transmis, et dont l'envolée d'Ezéchiel (que l'on peut évidemment appliquer, un peu différemment, à Israël, en 2008 comme lorsqu'elle fut prononcée) me semble fournir une bonne formulation.

A ce sujet d'ailleurs, je suis tombé récemment, en lisant un curieux livre de Jacques Ellul, La trahison de l'occident (Calmann-Lévy, 1975), mélange d'anarchisme écologiste tiers-mondiste, de christianisme féroce et cinglant, de protestantisme proto-sioniste et d'auto-satisfaction occidentale anti-tiers-mondiste pré-Pascal Bruckner (c'est vous dire la crème fouettée),


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sur un passage révélateur (p. 111-115), écrit après le premier choc pétrolier, dans lequel l'auteur explique d'une part que les dirigeants des pays arabes se sont comportés comme des « enfants gâtés » irresponsables, et que d'autre part ils ont creusé leur propre tombe, puisqu'ayant désormais pris conscience de leur dépendance énergétique trop forte les pays occidentaux n'allaient pas tarder à trouver des alternatives (plus écologiques, évidemment), et qu'ainsi les émirs allaient se trouver marron, bien fait pour leur gueule.

"N'ayons aucune inquiétude, étant donnée la capacité d'innovation du monde occidental, avant cinq ans on aura trouvé [des énergies alternatives], et dans de multiples directions - aussi bien pour remplacer la source d'énergie, que pour remplacer les sous-produits industriels du pétrole." (p. 114)

Lu en 2008, avec un baril à je ne sais pas combien (le temps de l'écrire et ça augmentera), cette thèse, pourtant pas idiote en elle-même, fait sourire. Autant vous dire que, choc pétrolier ou 11 septembre (événements pas sans rapports d'ailleurs), et contrairement à ce que pouvait encore croire Ellul, il ne faut jamais sous-estimer la bêtise et l'inculpabilité de l'homme blanc !


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Cari


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