dimanche 3 août 2008

Jusqu'au cou.

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"Aussi bien, le courage n'est-il pas affaire de carrière ou de caste. L'expérience de deux guerres - de la première surtout - m'incline à penser qu'il n'est guère, chez les hommes un peu sains, de disposition de l'âme plus couramment répandue. Du moins, dans notre peuple, où la plupart des cerveaux sont solides et les corps bien membrés. A tort, beaucoup d'officiers s'imaginent que les plus braves soldats se recrutent parmi les violents, les aventureux ou les apaches. J'ai toujours observé, au contraire, que ces brutaux résistent mal à tout danger un peu soutenu. Faire preuve de courage, c'est, pour le soldat, proprement faire son métier. Un honnête garçon a-t-il, dans la vie courante, coutume de remplir exactement sa tâche quotidienne : à l'établi, aux champs, derrière un comptoir et, oserai-je l'ajouter, à la table de travail de l'intellectuel ? Il continuera, tout naturellement, à s'acquitter, avec la même simplicité, du devoir du moment. Surtout si, au besoin inné de la besogne consciencieusement accomplie, s'ajoute l'instinct collectif. Celui-ci revêt bien des nuances diverses, depuis l'élan, à demi irraisonné, qui porte l'homme à ne pas abandonner son camarade jusqu'au sacrifice consenti à la communauté nationale. Mais c'est presque insensiblement que les formes les plus élémentaires conduisent aux plus hautes. Je n'ai pas connu, en 1914-1918, de meilleurs guerriers que les mineurs du Nord ou du Pas-de-Calais. A une exception près. Elle m'étonna longtemps, jusqu'au jour où j'appris, par hasard, que ce trembleur était un « jaune » : entendez un ouvrier non syndiqué, employé comme briseur de grèves. Aucun parti pris politique n'est ici en cause. Simplement, là où manquait, en temps de paix, le sentiment de la solidarité de classe, toute capacité de s'élever au-dessus de l'intérêt égoïste immédiat fit de même défaut sur le champ de bataille." (Marc Bloch, L'étrange défaite, 1940, "Folio", pp. 136-137)

Cela pourrait s'appeler "Eloge de l'homme moyen en temps non moyens"... On rétorquera peut-être que c'est ainsi que l'on fabrique de la « chair à canon ». On ajoutera éventuellement, ce qui est plus intéressant, que c'est ainsi que la France, durant quatre ans, s'est patiemment, d'une façon « à demi irraisonnée », et sans qu'elle s'en fût jamais remise, suicidée par la perte de ses meilleurs éléments. Quoi qu'il en soit, et même si l'on peut toujours se demander, évolutions techniques obligent, si les guerres à venir auront encore quelque chose à voir avec le courage, il est de fait qu'en période de « jaunisme » généralisé, de telles lignes semblent annoncer bien d'autres « étranges défaites »...

A suivre !


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