samedi 23 août 2008

Se quel guerrier io fossi...

Vous savez sans doute le goût que j'ai pour la formule de Georges Bataille : « Il faut le système, et il faut l'excès ». Peut-être cette idée ne résume-t-elle pas tout, mais le fait est que la plupart des plus belles créations de l'esprit humain apparaissent à un moment où une époque vacille, qu'elle meure ou qu'elle soit en train de naître. Sans doute faut-il toujours une peur, une incertitude, pour que les meilleurs d'un temps s'élèvent au-dessus d'eux-mêmes - et si leur temps (le « système ») vaut beaucoup, ce qu'ils lui apporteront alors en plus (l' « excès ») sera d'autant plus sublime.

Je me faisais ce genre de réflexions en regardant un DVD du plus parfait - je n'ai pas dit nécessairement le meilleur - opéra de Verdi, Aida. Verdi lui-même n'était pas que je sache un homme très inquiet, surtout vers la fin de sa vie, et son génie n'est que modérément lié à l'angoisse d'une époque. Il fut plutôt, au contraire, un « phare », un peu au sens baudelairien du terme, durant une période hésitante, incertaine. Mais on ne peut s'empêcher de se demander si l'incroyable cohérence de Aida n'est pas liée, entre autres, à cette alchimie tenant un opéra qui se passe, et le rappelle sans cesse, dans un univers polythéiste, composé par un artiste se pensant athée qui vivait et travaillait dans un contexte catholique : je crois que la réussite parfaite - à vous dégouter de tous les autres opéras, parfois - de Aida est liée à cela : une volonté de fer, une expérience à coté de laquelle même le Wagner de la maturité fait un peu branleur, fondant ensemble des éléments hétérogènes, au profit d'une tradition ainsi parachevée (et donc détruite : Otello, Falstaff, sans parler du Requiem, toutes oeuvres admirables, chercheront d'autres directions).

Et ce ne serait alors pas un hasard, si le personnage le plus accompli de l'opéra est le grand prêtre (une fameuse canaille) Ramfis, à la croisée de ces chemins.




Voilà, cette fois-ci je m'en vais, j'ai un train à prendre - donc pas de photos, ce qui est peut-être dommage, Aida ayant tendance à accentuer l'habituel côté grotesque des disparités physiques entre ténors (souvent un peu fluets) et chanteuses (souvent pas fluettes du tout). En règle générale, un baryton, plus gaillard, vient compenser ce déséquilibre, mais ce n'est pas vraiment le cas ici, où le baryton, au lieu d'être un rival amoureux ("l'opéra, c'est un baryton qui veut empêcher le ténor et la soprano de coucher ensemble", disait B. Shaw) est un père (tyrannique), et où les deux chanteuses passent leur temps à assaillir de leur débordante affection un ténor certes vaillant militaire, mais un peu benêt sur les choses de l'amour.

Je finis donc en vous indiquant, au cas où, les deux meilleures versions, la Perlea


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avec B. Christoff en Ramfis : admirablement chantée, quoiqu'un peu à l'ancienne, et la Solti


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dans laquelle Vickers et Gorr sont en état de grâce. Deux versions excellemment dirigées.

A bientôt !

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