vendredi 22 août 2008

"Smertouchka" - cette véritable et excellente amie de l'homme...

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"Comme la mort (à y regarder précisément) est le vrai but final de notre vie, je me suis, depuis quelques années, tellement familiarisé avec cette véritable et excellente amie de l'homme que son image non seulement n'a plus rien d'effrayant pour moi, mais est au contraire tout à fait apaisante et réconfortante !" (Mozart)


Avant de reprendre quelques jours de vacances, et sans savoir si d'ici mon départ je pourrai mettre en ligne les textes prévus, voici, puisque la Russie est à l'honneur ces temps-ci, deux extraits du beau livre d'Ivan Stoliaroff, Un village russe (Plon, coll. « Terre humaine », 1992), consacré à la paysannerie russe de la fin du XIXe siècle. Pas de nostalgie ou d'idéalisation ici, mais de petites réflexions, en contrepoint par rapport à notre époque, sur les bienfaits du fatalisme comme du repos (peut-être) éternel. A bientôt !


"Si quelqu'un de nous se plaignait de manquer de quelque chose (et nous manquions de beaucoup de choses), ma mère disait : « Il n'y a pas de raison d'irriter Dieu, nous ne mourons pas de faim et ne vivons pas d'aumône, nous ne demandons pas notre pain aux autres ; avec l'aide de Dieu, nous ne vivons pas si mal. » Et il n'était pas possible de répliquer là-dessus. Elle avait raison : nous ne mourions pas de faim et il y avait des gens qui vivaient encore plus mal que nous.

Il faut dire que les paysans de chez nous n'avaient pas l'habitude de se plaindre de la vie, quelle qu'elle fût, et que l'envie à l'égard des plus riches qui vivaient mieux que les autres n'existait pas. La richesse et la pauvreté étaient considérées comme un don ou un châtiment envoyé par Dieu. Et il ne faut pas se plaindre de Dieu. Dieu est libre de récompenser par sa grâce ou de châtier par sa colère. Les voies du Seigneur sont impénétrables. Il peut envoyer au juste de pénibles épreuves et rendre l'indigne riche et heureux. C'est probablement grâce à cette manière de considérer les biens matériels que les vols étaient, chez nous, tout à fait exceptionnels. Les cours, les isbas n'étaient jamais fermés au cadenas. Le matériel d'exploitation se trouvait dans la cour sous le hangar ; quant aux divers outils (...), il restaient dans le jardin ou au potager, là où se faisait le travail. Les gens passaient devant, mais il ne venait à personne l'idée de prendre les objets laissés là, bien qu'ils fissent défaut à beaucoup." (pp. 38-39)

"Les enfants des paysans étaient habitués, dès leur plus jeune âge, à voir la mort de près. Leurs frères et soeurs, grands-pères et grands-mères, parfois leurs parents mouraient sous leurs yeux. Ils étaient souvent témoins des derniers instants de leurs voisins. C'était pour eux un devoir, même si le défunt se trouvait loin de chez eux, d'aller voir le mort, étendu sur le banc sous les icônes, avant la mise en bière, ou tout de suite après, dans le cercueil.

On portait le défunt de la maison à l'église dans son cercueil ouvert et tous les passants pouvaient le voir. Les enfants sortaient de leur isba et couraient après la procession pour voir le défunt.

Moi, qui étais lecteur à l'église, j'avais eu de nombreuses occasions d'approcher les morts. Entre douze et seize ans, j'avais pris part au moins à cent enterrements et vu les visages sur lesquels la mort avait laissé son empreinte. Je n'avais pas encore douze année, que j'en avais déjà vus beaucoup.

Seuls les adolescents et les jeunes pleins de vie et de force, qui ont le désir de vivre, craignent la mort. Les autres l'acceptent comme envoyée par Dieu pour mettre fin à la vie terrestre de l'homme. Les gens qui meurent à un âge avancé n'ont pas peur de la mort. Pressentant son arrivée, ils se hâtent de dire leurs dernières volontés aux membres de leur famille.

C'est ainsi qu'un paysan, apprenant du médecin qu'une opération pourrait le sauver, la refusa très calmement : « Non, il vaut mieux que je rentre chez moi pour communiquer mes dernières volontés à mes proches et que je me prépare à mourir. » « Se préparer » voulait dire : recevoir l'onction des malades ou, au moins, se confesser et recevoir la sainte communion.

Un paysan souffrant d'une maladie inguérissable et très pénible, demandait à Dieu non pas la guérison, mais de lui envoyer smertouchka, « la chère mort ».

Des vieillards arrivés à un âge très avancé ne pensaient qu'à une chose : que la mort vienne les chercher le plus tôt possible.

Il arrivait souvent de voir un vieux, assis devant son isba, se chauffant au soleil et répétant humblement : « Le bon Dieu m'a certainement oublié, il ne veut pas m'envoyer la mort. »

(..., suit une description des croyances, des rituels de mort, qui s'achève ainsi, avec le livre :)

Le visage du mort restait découvert ; c'est seulement arrivé au cimetière, au dernier moment, que l'on fermait le cercueil, car il ne faut pas priver le défunt de lumière. Ces coutumes étaient sacrées, et on les a toujours observées." (pp. 222-23)

RIP !

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