mercredi 31 décembre 2008

Sarkozy mon amour (III) : "Une légère sensation de fraîcheur sur le col."

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Sarkozy mon amour, I.

Sarkozy mon amour, II.



Première partie.

Deuxième partie.

Troisième partie.

Conclusion : Fays ce que dois, advienne que pourra.


Le début de la présidence de Nicolas Sarkozy a revêtu des allures de catastrophe pour l'intéressé : escapade Bolloré « mal perçue par l'opinion », paquet-cadeau fiscal idem, Cécilia se barrant aussitôt que possible, perte de nerfs au salon de l'agriculture, apparition ridicule et disneylandienne de Carla "j'aime-les-pauvres-ma-chatte-aime-les-riches" Bruni, dégringolade dans les sondages... A l'époque, pas si lointaine, il y a quelques mois, l'hardi Pierre Larrouturou pouvait sortir un (bon) livre ainsi intitulé


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sans triomphe populaire certes, mais sans déclencher l'hilarité. Dans Après la démocratie, qui a dû être rédigé à peu près au moment de la sortie du livre de P. Larrouturou, Emmanuel Todd se veut sans appel : les Français, les sondages le prouvent, rejettent massivement la politique inégalitaire de Nicolas Sarkozy, qui va à l'encontre de leurs valeurs les plus fondamentales. Ne s'offrent plus à l'intéressé, la greffe n'ayant pas prise, que les solutions (évoquées ici) d'ethnicisation de la démocratie ou de suppression progressive du suffrage universel, sauf bien sûr à ce qu'il se résolve à recourir au protectionnisme. Je ne contesterai pas que N. Sarkozy puisse recourir à l'un ou l'autre de ces trois moyens, je le contesterai d'autant moins qu'il peut même recourir aux trois ensemble : en réalité, il peut faire ce qu'il veut ou presque. Pour un homme censé être en situation d'échec, le moins que l'on puisse dire est que c'est un luxe !

C'est entre autres ce constat d'échec du constat d'échec dressé par E. Todd qui m'a mis sur la piste : Nicolas Sarkozy est plus fort que jamais. Qhod est hic et nunc demonstrandum !


(Une précaution générale : vous serez d'accord ou non avec les idées ici exprimées, mais je vous prie de garder à l'esprit qu'un tel exercice de caractérisation à chaud d'un homme et d'un régime, ne peut, sauf à prendre les dimensions d'un livre, faire à chaque ligne la différence entre ce qui est vrai en 2008, ce qui le sera sans doute en 2009, peut-être en 2011, sous réserve de ceci, de cela, etc. Je signale des éléments de ce genre de temps à autre, il serait fastidieux pour tout le monde de les rappeler en permanence.)


I. De quelques aspects de la personnalité de Nicolas Sarkozy.

On me fera peut-être remarquer que dans les livraisons immédiatement précédentes j'ai parlé du sarkozysme, et qu'aujourd'hui j'évoque Nicolas Sarkozy lui-même. C'est effectivement un des noeuds du problème - et même une des erreurs les plus fréquemment commises, entre autres par votre serviteur : trop séparer un homme banal et la situation politique dans laquelle il se trouve, et qu'il a en partie créée.

Pour nous donner un point de départ, citons Jean-Claude Michéa (La double pensée, Flammarion, 2008, pp. 181-82 ; ce livre et le livre précédent de son auteur, L'Empire du moindre mal, Climats, 2007, seront notre fil d'Ariane aujourd'hui) :

"Quant au positionnement politique d'un Nicolas Sarkozy, il ne présente aucun mystère particulier : c'est un politicien libéral - au sens où le sont également une Laurence Parisot, un Claude Bébéar, un Jacques Attali. A ce titre, la seule question qui compte réellement à ses yeux (comme aux yeux de tout actionnaire) ce n'est évidemment pas celle de la couleur de peau de la main-d'oeuvre mais bien celle de sa rentabilité économique (...). En revanche, l'état de transe profonde dans lequel la personnalité même de Nicolas Sarkozy a visiblement le don de plonger beaucoup d'esprits de gauche - et même au-delà - apparaît beaucoup plus mystérieux (si l'on veut bien écarter la thèse, par ailleurs plausible, de l'antisémitisme inconscient). De ce point de vue, la seule véritable question philosophique (qui a forcément une dimension psychanalytique) est : « De quoi le nom de Sarkozy est-il le nom ? » Il n'est pas étonnant, dans ces conditions, que le petit best-seller d'Alain Badiou nous en apprenne infiniment plus sur les fantasmes personnels de son auteur (ou sur ceux de son étonnant fan-club) que sur l'objet officiel de sa passion."

Passons sur les échanges de piques entre lacaniens et post-lacaniens (Milner [1]/ Badiou / Michéa), retenons la thèse : Nicolas Sarkozy est banal, n'a aucun intérêt, ceux qui s'excitent sur lui soit tombent dans le panneau « people » qui les divertit de ses vraies réformes, de ses vrais méfaits (d'inspiration plus ou moins directement marxiste, c'est aussi le point de vue du Réseau Voltaire), soit, et ce n'est pas incompatible, le font pour des raisons à peine avouables (J.-C. Michéa évoque ici en passant la plausibilité d'un antisémitisme inconscient ; p. 207 de La double pensée il suggère que le nom de Sarkozy est utilisé par les anciens gauchistes anti-humanistes, notamment althussériens (A. Badiou au premier chef, donc), comme « un très curieux retour du refoulé » de « tous les sujets en chair et en os que l'intellectuel de gauche a impitoyablement sacrifiés sur l'autel de la Structure » - autrement dit, et si je comprends bien cette idée rapidement exprimée en note, on a tellement dans les années gauchistes oublié les « sujets en chair et en os » au profit des notions de « structure » ou de « processus sans sujet » qu'il faut ou que l'on croit devoir maintenant en remettre une couche dans le sens inverse, en faisant porter trop de choses à Nicolas Sarzkoy (ou, donc, au « nom Sarkozy »), y compris les souffrances qu'il inflige à ceux que l'on avait soi-même auparavant éliminés de toute question théorique digne d'intérêt).

Oublions A. Badiou pour l'instant - d'autant que nous n'avons jamais lu son livre sur N. Sarkozy -, et notons tout de suite que ces objections de Jean-Claude Michéa à une trop grande personnalisation du débat autour du Président lui-même, ne s'appliquent pas au livre d'Emmanuel Todd, que celui-ci les a devancées : s'il partage la thèse selon laquelle l'intéressé est une personnalité banale qui ne vaut sans doute pas l'excès de haine et de curiosité qu'il suscite, E. Todd n'en oublie pas pour autant ("Ce président est la preuve que la France est malade.") qu'il n'est tout de même pas insignifiant que ce gars, apparemment donc, si commun, soit président de la République.

Et il faut aller plus loin : non seulement il n'est pas insignifiant qu'un individu aussi tristement libéral et bourgeois que Nicolas Sarkozy soit Président, mais il est important qu'il se comporte comme il le fait en tant que Président, cela fait précisément partie du sarkozysme. Banalité, justement, ? Si l'on en reste au niveau Le point-Nouvel obs du « style Sarkozy », oui, mais pas, me semble-t-il, si l'on va plus à l'essentiel.

Reprenons en effet l'idée de J.-C. Michéa d'un Nicolas Sarkozy avant tout libéral, c'est-à-dire, c'est le sens de L'Empire du moindre mal et de La double pensée, quelqu'un qui cherche à mettre de côté les questions morales, en ce qu'elles risquent à tout instant de déboucher sur le fanatisme religieux, au profit d'une neutralité axiologique (supposée) et d'une volonté d'efficacité rationnelle. Et constatons que N. Sarkozy est aussi, voire surtout, libéral dans sa façon de faire de la politique, c'est-à-dire que, s'il a un environnement et une personnalité idéologiques (je suis d'accord avec tout le monde là-dessus, c'est une petite pute d'avocat parvenu, bourgeois, fasciné par le luxe, individualiste, darwinien, etc.), il pousse le libéralisme philosophique jusqu'à ne pas avoir de réelles convictions (au grand dam parfois de certains de ses soutiens, à l'UMP ou aux Etats-Unis), au profit d'une permanente volonté d'efficacité à court terme (qui est aussi une des clés de son incompétence notoire, laquelle fit de lui un ministre du budget qui creusa comme jamais les déficits publics, ou un ministre de l'intérieur pompier-pyromane).

Il faut ici faire un détour par la notion d'« animal politique ». L'expression a deux sens principaux :

- la définition d'Aristote de l'homme comme « animal politique », de la condition humaine comme arrachement à l'animalité par le fait de la collectivité : l'animal ou le primate vivent en hordes, l'être humain en organisations politiques (faut-il le rappeler, c'est un des acquis irréversibles de l'ethnologie que d'avoir montré que les organisations tribales les plus primaires d'apparence étaient déjà de véritables organisations politiques, ce dont les Sauvages furent toujours parfaitement conscients) ;

- le cliché du bon politicien comme « animal politique », instinctivement doué pour les jeux de partis, d'alliances, de trahison, sans grand scrupule ni morale - comme l'animal.


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Nicolas Sarkozy est de toute évidence un extraordinaire « animal politique » dans le second sens de l'expression (demandez à J. Chirac, D. de Villepin,, J.-M. Le Pen, les socialistes, etc., ce qu'ils en pensent) : son originalité je crois est justement de chercher à remplacer, pour lui-même et pour les autres, le premier sens par le deuxième. Il a en effet poussé cette « animalité », sinon plus loin que tout autre (il n'est pas le plus « méchant », le plus « cruel » des politiciens, quelle que soit la réalité de son sadisme vis-à-vis de certains de ses adversaires), du moins dans une direction qui lui est particulière.

Retournons nous une nouvelle fois vers la thèse de base des deux derniers livres de Jean-Claude Michéa, le libéralisme comme, fondamentalement, une volonté (illusoire) de neutralité par rapport à la morale, appliquons-lui la thèse aristotélicienne de l'humanité comme politique, et donc comme morale, par essence, enchaînons, avec J.-C. Michéa toujours, sinon dans les termes, du moins dans l'esprit, sur l'idée que le libéralisme poussé jusqu'à un certain point est un retour à l'animalité - quand le seul principe de base que l'on accepte (car il en faut un), l'intérêt bien compris des agents, finit par se convaincre avec l'instinct, avec l'animalité donc -, et nous ne pouvons que constater que Nicolas Sarkozy, placé là où est il et avec le pouvoir dont il dispose, n'est pas qu'un banal « politicien libéral » : en lui se confondent l'instinct de la bête politique sans morale aucune et la volonté et la capacité de tout sacrifier à son intérêt personnel à court terme. Sa manière de faire de la politique, de gérer sa propre existence, ce qu'il aimerait, c'est très important, que nous fassions de nos existences à nous, tout cela est équivalent, et fournit une définition du sarkozysme et de Nicolas Sarkozy comme une animalité en acte, perpétuellement revendiquée et se voulant exemplaire.

(Toujours dans une perspective proche des thèses de Jean-Claude Michéa, on peut ainsi comprendre à la fois pourquoi Nicolas Sarkozy est, d'un point de vue idéologique, proche des enculistes classiques, virtualistes américains, sionistes, médéfiens, etc., et pourquoi, par enculisme justement, il peut très bien les laisser tomber, ou les vexer, ou les provoquer, s'il estime que c'est son intérêt de le faire. (C'est un peu du David Maddox : qu'est-ce qui, finalement, empêche un juif enculiste d'enculer un autre juif, enculiste ou non ? Rien. Pourquoi alors se priver ?) Ce qui ne veut pas dire que les amitiés, les soutiens financiers et politiques, les différences entre alliances de longue date et rencontres récentes ne pèseront pas en cas de crise grave.)

Disons à peu près la même chose autrement : si l'Humanité est une cérémonie, si ce qui différencie l'homme de la bête est le sens de la cérémonie, il est clair, il est patent, il est évident que Nicolas Sarkozy n'est pas humain, est pré-humain (animal), ou, si l'on veut, post-humain (« homme nouveau », homo liberalis) : qu'il n'ait guère de morale est une chose, qu'il n'ait aucun sens de la tradition (innombrables témoignages, venus de toutes les professions...) et de la cérémonie en est une autre (J. P. Voyer : "cet homme qui chie sur tous les rituels..., qui insulte comme il respire...", qui ose, ou plutôt "n’ose pas, « il » ignore la bienséance. « Il » ose comme d’autres pètent" : il ose comme il respire [2]). Ce n'est pas céder à l'hyperbole ou à une fascination louche à relents antisémites (où l'on retrouverait le thème du sous-homme) que de l'écrire : le Président de la République française, dans la manière dont sous nos yeux il se comporte en tant qu'individu et en tant qu'homme politique, est à peine un être humain, il est plus proche de l'animalité que de l'humanité, il est infra-humain, il est humain au niveau le plus bas de l'humanité - et il se veut comme tel ! Si l'imbécile est l'homme qui à un moment donné a décidé de s'arrêter de réfléchir, Nicolas Sarkozy est celui (il n'est pas le seul, mais il est notre président, et à ce titre il devrait être le garant d'une certaine idée de notre identité, avec toutes les cérémonies et traditions que cela implique) qui à un moment donné a décidé de s'arrêter d'être humain (si ce n'est, ô merveille, par intérêt...). En soi-même, c'est déjà un exploit, certes trop commun par les temps qui courent. A la fonction que Nicolas Sarkozy occupe, c'est une forme de génie - ce qui est bien le comble pour un animal ! Et l'on dira qu'il n'est pas fascinant...


Donc, oui, il est banal, oui, il n'a rien d'admirable, oui, il ne représente pas que lui-même, oui son côté « people » est un miroir aux alouettes, mais oui aussi il est fascinant, parce que la forme particulière que prend chez lui son instinct politique et, je ne dirais pas le noyau minimal idéologique qui est le sien, mais les quelques principes très généraux qu'il peut avoir en tête pour diriger son action, sont en totale adéquation avec la situation qui est la sienne, celle d'un président à la tête d'un pays dont tous les partis politiques, sauf celui qu'il dirige, sont en ruine.

(Son côté « people » est un paravent et une composante importante du sarkozysme, il en joue certes, mais c'est aussi par nature - et pour que dans la mesure de nos moyens nous l'imitions - qu'il s'exhibe (et là, pour le coup, c'est très humain : la lutte pour la reconnaissance. Disons que chez lui c'est intermédiaire entre l'animalité et l'humanité : c'est infantile). Il faut garder toutes ces dimensions en tête en même temps pour bien comprendre ce qui se passe.)

Donc, oui, si on reste aux apparences, on peut céder à une fascination malsaine, pleine de « refoulé », de « fantasmes », voire même d'une forme d'« antisémitisme inconscient », et ne pas voir ce qui se trame derrière ; mais si on en reste à la banalité de l'homme, on passe à côté de son incroyable pouvoir actuel.


II. De quelques aspects du sarkozysme.


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Il n'est pas aimé, dira-t-on, et je l'ai moi-même souvent écrit. Mais justement, c'est là la deuxième erreur de l'ensemble des analystes, y compris donc bibi, et c'est ce qu'après la lecture de E. Todd celle de Berdiaev m'a fait comprendre : non seulement N. Sarkozy n'a pas besoin d'être aimé (sinon du fait de son narcissisme personnel, ce qui n'est pas négligeable, mais que Carla lui digère périodiquement le chibre semble pour l'heure lui suffire), mais le sarkozysme n'a pas besoin que N. Sarkozy soit aimé pour fonctionner - au contraire.

Nous l'avons implicitement déjà démontré : l'amour étant un sentiment élevé (je soupçonne N. Sarkozy, qui clame son admiration pour le Voyage au bout de la nuit, d'être exagérément sensible à la définition de l'amour comme « l'infini à la portée des caniches » - formule drôle mais qui n'est pas le plus grand legs de Céline à la postérité), si notre président se situe fondamentalement au niveau le plus bas de l'humanité, il ne va pas spontanément susciter un sentiment qui peut, que l'on se situe d'ailleurs dans le cadre de l'amitié ou de l'amour, prendre des visages admirables.

Mais on peut le démontrer aussi, de manière moins compassée, en oubliant ce qui précède, et en appliquant au sarkozysme la démonstration que fait Berdiaev sur le bolchevisme : celui-ci s'est imposé contre les mencheviks parce qu'il collait mieux aux aspects autoritaires traditionnels de la politique russe, Nicolas Sarkozy s'est imposé (c'est me semble-t-il le point commun entre les thèses d'Alain Badiou et d'Emmanuel Todd) en jouant sur les sentiments les plus bas des Français, lesquels il faut l'avouer n'en manquent pas - la peur au premier chef, la peur de soi, des autres, des étrangers, du vieillissement, etc. Tout cela est connu et archi-connu, il faut simplement souligner : d'une part, donc, la symbiose entre ce qu'est Nicolas Sarkozy et les ressorts émotionnels et psychologiques sur lesquels il joue (là encore, et sans forcer le trait, on rappellera que l'hospitalité - et ses lois - est une des composantes fondamentales de la condition humaine en tant que codification du rapport à l'autre / à l'inconnu, et que donc n'envisager l'étranger que du point de vue de soi-même, sans chercher jamais à se mettre un peu à la place de celui-ci, n'est pas d'un comportement très élevé moralement (humainement) [3]), d'autre part, la coïncidence entre ces « valeurs » et, pour parler comme E. Todd, l'état d'atomisation actuel de la société française, la dissolution des vieilles solidarités, la division des Français les uns contre les autres, le règne effectif et prôné par le pouvoir (mais heureusement pas complet) du chacun pour soi. De ce point de vue, Emmanuel Todd fournit lui-même, lorsqu'il insiste sur cette atomisation de la société, les armes pour le contredire sur le constat d'échec qu'il dresse à l'endroit de Nicolas Sarkozy : dans une société mieux organisée et pleine de contre-pouvoirs déterminés, peut-être que oui, les ratés des premiers mois du règne du Président lui auraient été fatals (qu'il s'agisse de mettre fin prématurément à son quinquennat, comme l'aurait souhaité P. Larrouturou, ou de simplement le marginaliser par rapport à l'évolution réelle du pays, comme un vulgaire Chirac post-dissolution de l'Assemblée nationale), mais dans l'état actuel de la société française N. Sarkozy s'est vite remis de ces impairs.

Ajoutons encore un élément important : les Français préfèrent ne pas aimer Nicolas Sarkozy. Par une forme de cohérence autant que de masochisme : le pays ne va pas très bien, les Français ne sont pas brillants et ne s'aiment pas beaucoup (dans les deux sens de l'expression : ils n'aiment pas ce qu'ils sont, ils ne s'aiment pas les uns les autres), autant donc avoir un président à l'unisson, une canaille sans intérêt - à qui l'on reconnaît, c'est bien le moins, un dynamisme supérieur à la moyenne. On retrouve E. Todd et l'idée de Nicolas Sarkozy comme « triomphe bouffon de l'égalitarisme français » : dans le climat actuel, tout le monde est finalement content de ne pas avoir plus de raison d'être content du Président que de soi-même et de ses compatriotes. Si le Président était digne d'admiration, cela finirait, à un moment où un autre, par nous renvoyer à nos insuffisances propres. Là, c'est la grisaille, l'indifférenciation, l'illusion que rien d'autre n'est possible que la médiocrité actuelle. Tous dans la même galère. Le « chef » ne se distingue finalement des autres que par son activité, qui montre au moins - qui ne montre peut-être que ça - qu'il a envie d'être là, et il est assez sain, surtout par rapport aux socialistes, qui depuis des années (à l'exception de S. Royal, dont la relative popularité ne tombe tout de même pas du ciel) montrent le contraire, montrent qu'ils ne veulent aucune vraie responsabilité, il est assez sain qu'on reconnaisse à celui qui veut s'y coller le droit de le faire - "Foutu rôle d'ailleurs", comme disait Baudelaire, qu'il semble difficile ici de ne pas citer de nouveau :

"En somme, devant l'histoire et devant le peuple français, la grande gloire de Napoléon III aura été de prouver que le premier venu [« triomphe bouffon de l'égalitarisme... »] peut, en s'emparant du télégraphe et de l'Imprimerie nationale, gouverner une grande nation.

Imbéciles sont ceux qui croient que de pareilles choses peuvent s'accomplir sans la permission du peuple, - et ceux qui croient que la gloire ne peut être appuyée que sur la vertu.

Les dictateurs sont les domestiques du peuple, - rien de plus, - un foutu rôle d'ailleurs, - et la gloire est le résultat de l'adaptation d'un esprit avec la sottise nationale."

Signalons rapidement que ceci se rapproche d'une phrase de Berdiaev que sans lui attribuer nommément j'avais utilisée récemment comme titre d'un texte relatif à Après la démocratie ("Le pouvoir, par sa nature même, n'est pas démocratique, mais il doit être populaire."), constatons qu'avec Napoléon III nous revenons à deux questions : la nature du sarkozysme et sa possible longévité, que nous sommes maintenant mieux armés pour affronter.


III. De quelques aspects de la révolution sarkozyenne.


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Révolution, j'ai parlé de révolution, et je dois avouer que lorsque j'ai ouvert mon dictionnaire, j'ai été quelques secondes décontenancé en découvrant qu'aucun des sens du Larousse (éd. 2005) ne correspondait à ce que j'avais en tête. C'est qu'il s'agit d'une révolution un peu spéciale : le sarkozysme est la révolution adaptée à notre temps pleutre, anti-héroïque, démocratique (au moins dans certains sens du terme), communautariste, légaliste, prodédurier, etc. - en un mot : le sarkozysme est la révolution possible dans un monde murayen, le sarkozysme est la révolution d'« Après l'histoire » [4].


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Nicolas Sarkozy a été élu on ne peut plus légalement, et il règne, pour l'instant, sans grande violence. Comprenons-nous : outre que notre président, avec le parcours qu'il a eu, a forcément non seulement acheté, mais aussi intimidé pas mal de monde, la situation en France est violente, et elle pourrait le devenir bien plus très rapidement.


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Mais, sauf exception inconnue du grand public, N. Sarkozy n'a pas besoin de faire tuer ou d'envoyer ses ennemis en prison, quelques bons messages adressés à certains d'entre eux (Dominique de Villepin, Julien Dray (bien fait, salope !!), ou, d'une autre manière, Rama Yade...) suffisant à se faire comprendre par la grande majorité d'entre eux.


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La révolution sarkozyenne, c'est un peu l'idée de Jean-Pierre Voyer et de Warren Buffet : la lutte de classes continue, mais il n'y a plus que les riches qui la font, ils sont les seuls à ne pas être résignés. Nicolas Sarkozy n'est pas résigné, on ne peut pas dire, il profite de la résignation des Français pour faire ce qu'il veut (tout en respectant pour l'instant les formes légales du pouvoir républicain ; en changeant le droit en permanence, certes, mais ce n'est pas tout à fait rien).

Mais pour que cette révolution fonctionne, et pour qu'elle dure, il faut tout de même deux conditions :

- il faut qu'elle soit à peu près vide de contenu. Ici encore, comprenons-nous bien : si l'on envisage dans leur ensemble les réformes entreprises par notre Président, leur orientation enculiste-libérale-droitière ne fait guère de doute. Mais, c'est la leçon comprise par Nicolas Sarkozy de ses premiers mois de pouvoir, quand vraiment il avait trop montré qui étaient ses vrais amis, il s'agit maintenant de ne plus, officiellement, que brasser du vent, sans rien promettre d'effectif ou de trop contraignant. Bien sûr, il y a dix coups à droite pour un coup vaguement à gauche, mais comme ce dernier coup surprend à chaque fois et qu'on en parle parfois plus que des dix autres réunis, les frontières sont brouillées en permanence. Ce n'était pas vrai au début, ce ne l'est peut-être pas pour toujours, mais en ce moment le régime sarkozyste est un régime presque sans idéologie - ce qui est une nouvelle application extrême du libéralisme selon J.-C. Michéa [5].

(On remarquera que deux des personnalités politiques marquantes de l'année écoulée, S. Royal et B. Obama, partagent avec notre héros, d'une part ce dynamisme exhibitionniste, d'autre part ce flou idéologique. C'est me semble-t-il un élément supplémentaire de preuve de cette adéquation du sarkozysme à notre temps.)

- la deuxième condition est liée à la première : il faut que Nicolas Sarkozy ait toujours un coup d'avance sur tout le monde. La société française est atomisée certes, les Français sont résignés et divisés certes, mais ils ne sont tout de même pas complètement cons : que Nicolas Sarkozy stoppe trop longtemps son numéro d'équilibriste, qu'il rejoigne trop son camp d'origine, et des blocs plus efficaces se reformeront nécessairement contre lui. Sa force étant qu'il a la main, ou, comme on dit en football, qu'il « a son destin entre les pieds » (pour ce qui le concerne, entre les talonnettes) : tant qu'il dicte le rythme, et sous réserve bien entendu qu'il ne commette pas trop d'erreurs grossières, il ne peut être rattrapé. Le sarkozysme, une dictature ? "Pouvoir absolu exercé par une personne", dit Larousse. Ce pouvoir n'est pas absolu, dira-t-on. Nous répondrons, quitte à jouer du paradoxe : ce pouvoir est déjà absolu, et restera absolu tant que Nicolas Sarkozy n'en abusera pas trop - car il en abuse bien sûr tous les jours, c'est le fait du prince en permanence, et c'est la mithridatisation progressive et généralisée du pays, on s'y habitue petit à petit. Mais tant que, tel un dirigeant israélien avisé, il grignote du territoire un peu plus chaque jour sans trop se faire remarquer...

Un raisonnement d'esprit durkheimien le démontrerait tout autant : pour prouver le pouvoir de la société, Durkheim rappelle qu'il suffit de chercher à s'opposer à ce pouvoir que certains jugent fictif, pour constater qu'il existe bel et bien. Ce qu'il reste des adversaires de Nicolas Sarkozy suffit à montrer l'étendue de son pouvoir - qui, ceci dit, ne m'empêche aucunement, pour l'heure, d'écrire publiquement tout le mal que je peux penser de lui (et que je pense de plus en plus chaque jour qu'hélas Dieu fait).

Dictature ou pas - laissons, malgré le dictionnaire, le terme de côté s'il doit provoquer de mauvaises querelles -, il faut comprendre le sarkozysme : c'est une éponge, qui se nourrit du suc de ce qu'elle nettoie, que l'on ne peut couper en morceaux et encore moins briser, une substance molle, étouffante - et bien sûr, répugnante, malodorante, dégueulasse.

Et en tout cas, une belle construction politico-idéologique. Libéral jusqu'au bout du gland, « gaulliste » (le coup d'Etat permanent) et trotskyste (la révolution permanente) - vraiment un soixante-huitard, donc : notre président est un sacré cocktail.


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IV et conclusion. De quelques aspects du futur.

Parti pour durer, Nicolas Sarkozy ? La façon dont il a géré la crise économique l'a pour l'instant servi. Exercer la présidence de l'Union européenne lui a permis de brouiller les pistes idéologiques (je vous renvoie à ce propos aux analyses [ajouts et modifications le 04.01.09 :] assez virtuoses et dans l'ensemble élogieuses, de M. Defensa, où l'on constate une fois de plus que si les convictions du Président sont floues, son talent politique est clair - où l'on constate aussi, pour une fois, que son bilan est, ici, plutôt positif [fin du passage modifié]) ; le blanc-seing que lui donne plus ou moins l'opinion publique pour remplir son « foutu rôle » n'a pas de raison d'être annulé si le « rôle » devient de plus en plus « foutu », comprenez ingrat. Ceci sans oublier qu'en 2012 il a peu de chances de trouver en face de lui un adversaire vraiment dangereux. Last but not least, l'état d'atomisation de la société française ne favorise pas les mouvements collectifs crédibles, même hors partis et syndicats traditionnels.


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C'est pourtant ce dernier point qui amène à nuancer tout le paragraphe précédent. Je pourrais le formuler de façons diverses, utilisons la description de l'Ancien Régime en 1789 par Taine, telle que j'ai fini de la lire après la rédaction du premier de cette série de textes consacrés à Nicolas Sarkozy. J'y utilisais, ignorant donc que j'allais la retrouver chez Taine, l'expression « diviser pour régner », et l'on sait que, dressant les socialistes les uns contre les autres, les communautarismes les uns contre les autres, les Français les uns contre les autres (ici, c'est à Alain Soral que je vous renverrai), N. Sarkozy utilise à qui mieux mieux cette technique, ceci après des lustres de divisions des travailleurs les uns contre les autres par un patronat en ce domaine jamais avare d'idées ni d'initiatives (la moindre caissière sait ça mieux que n'importe quel sociologue ou « politologue », ne parlons pas des journaputes, même si, semble-t-il, ils commencent à comprendre...).

Le problème, c'est que cette médaille a son revers. Taine l'écrira mieux que nous :

"Dans ces vingt-six millions d'hommes dispersés, chacun est seul. Depuis longtemps, et par un travail insensible, l'administration de Richelieu et de Louis XIV a détruit les groupes naturels qui, après un effondrement soudain, se reforment d'eux-mêmes. (...) Le bas clergé est hostile aux prélats, les gentilhommes de province à la noblesse de cour, le vassal au seigneur, le paysan au citadin, la population urbaine à l'oligarchie municipale, la corporation à la corporation, la paroisse à la paroisse, le voisin au voisin. Tous sont séparés par leurs privilèges, par leurs jalousie, par la conscience qu'ils ont [ou croient avoir] d'être chargés ou frustrés au profit d'autrui. (...) « La nation, disait tristement Turgot, est une société composée de différents ordres mal unis, et d'un peuple dont les membres n'ont entre eux que très peu de liens, et où, par conséquent, personne n'est occupé que de son intérêt particulier. Nulle part il n'y a d'intérêt commun visible. [souligné par Turgot ou Taine]. (...) » Depuis cent cinquante ans, le pouvoir central a divisé pour régner. Il a tenu les hommes séparés, il les a empêchés de se concerter, il a si bien fait, qu'ils ne se connaissent plus, que chaque classe ignore l'autre classe, que chacune se fait de l'autre un portrait chimérique, chacune teignant l'autre des couleurs de son imagination, l'une composant une idylle, l'autre se forgeant un mélodrame, l'une imaginant les paysans comme des bergers sensibles, l'autre persuadée que les nobles sont d'affreux tyrans. - Par cette méconnaissance mutuelle et par cet isolement séculaire, les Français ont perdu l'habitude, l'art et la faculté d'agir ensemble. Ils ne sont plus capables d'entente spontanée et d'action collective. Au moment du danger, personne n'ose compter sur ses voisins ou sur ses pareils. (...) La débandade est complète et sans remède. L'utopie des théoriciens s'est accomplie, l'état sauvage a recommencé. Il n'y a plus que des individus juxtaposés ; chaque homme retombe dans sa faiblesse originelle [le voilà, le vrai but du libéralisme, et donc du sarkozysme, en tout cas si l'on suit Hegel et J.-P. Voyer et l'idée que « la raison d'être, c'est le résultat »], et ses biens, sa vie sont à la merci de la première bande qui saura se former. (...) - C'est à cela qu'aboutit la centralisation monarchique. Elle a ôté aux groupes leur consistance et à l'individu son ressort. Reste une poussière humaine qui tourbillonne et qui, avec une force irrésistible, roulera tout entière en une seule masse, sous l'effort aveugle du vent." (L'Ancien Régime, Livre cinquième, Ch. IV, II, pp. 291-292 de l'édition « Bouquins »)

Il faudrait être précis, voir ce qui a changé depuis 1789 - notamment au niveau de la violence de groupe : il y a des gens violents en France, notamment certes des petits jeunes de banlieue, des petits Demange, des petits Balkany, mais le niveau global de violence n'a rien de comparable avec 1789 - nous ne ferons pas ce travail, c'est la similitude d'ensemble des deux situations qui importe. Et cette similitude, fondamentalement, est simple : à partir d'un certain degré d'absolutisme, et quelle que soit par ailleurs la force de l'appareil administratif (y compris policier), il n'y a plus que deux forces en présence dans le pays : le roi, et le peuple. Et à ce moment, il est trop tard.


Mussolini_e_Petacci_a_Piazzale_Loreto,_1945

Benito, c'est le deuxième à partir de la gauche...


Il est bien évident que ces dernières formulations sont excessives, mais il est tout aussi évident que, de même que la centralisation absolutiste a détruit la pyramide du féodalisme, de même, à partir des années 1970, on a détruit les solidarités qui s'étaient (re)construites, vaille que vaille, depuis le milieu du XIXe siècle, que la IIIe République avait entérinées, la IVe et la Ve (en son début), programme du CNR à l'appui, renforcées.

Finissons-en donc avec ce texte comme avec ces propos de « bonne aventure ». Le sarkozysme est une pratique de l'instabilité, qui, in fine, finira, notamment si la crise perdure au-delà de ce qui est admissible par nos contemporains, par se détruire elle-même (sauf si elle prend un « virage libéral » tel que celui qui, l'histoire se mord la queue, vit Napoléon III, encore lui, autoriser le droit de grève - mais elle n'en prend vraiment pas le chemin - dans une dizaine d'années, peut-être ?). C'est à ce moment, et me semble-t-il pas avant, que les organisations politiques encore existantes, pourront, pour le meilleur ou pour le pire, c'est une autre histoire, jouer un rôle - à côté, comme il semble vraisemblable, de nouvelles associations - qui seront aussi, disons-le dès aujourd'hui avant de le démontrer une autre fois, celles qui permettront, un jour, de sortir de la crise. (Mes chers frères, je peux vous l'annoncer dès aujourd'hui : ce n'est peut-être pas en même temps, mais c'est de la même manière, que nous nous débarrasserons du sarkozysme et de la crise - sauf apocalypse !)

Ce jour peut venir dans quelques mois, dans quelques années, il n'y a rien de pusillanime à constater à quel point on est là dans l'incertitude. Tout ce que l'on peut imaginer c'est que le jour où il viendra, les choses iront vite - les rancunes personnelles que Nicolas Sarkozy suscite au jour le jour chez ceux qu'il rencontre n'allant certes pas alors l'aider.


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De la poussière à la poussière...


D'ici là, avouons-le, à part se moquer de temps à autre de l'intéressé, de son narcissisme, de son intelligence à courte vue, de son incapacité à s'exprimer avec quelque recherche, du con exagérément dilaté de sa femme, etc, à part, aussi, tout de même, observer si de nouveaux acteurs, moins marqués par l'Ancien Régime et encore hors de portée des griffes du sarkozysme, peuvent surgir... - d'ici là, il n'y a pas grand-chose à faire.

Sinon vous présenter nos meilleurs voeux pour l'année de crise à venir !



BusterBar

Le jeune Buster était déjà mélancolique, le vieux Keaton n'est pas gai non plus. Qu'il se console, les politiciens, les dictateurs ne pèsent pas beaucoup par rapport à l'éternité...


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[1]
Rappelons en effet que toute cette histoire - assez obscure pour moi je l'avoue - de « nom » vient de l'utilisation de ce concept lacanien par Jean-Claude Milner dans Les penchants criminels de l'Europe démocratique (Verdier, 2003), ouvrage admiré par Jean-Claude Michéa, mais qui valut à son auteur les répliques de deux lacaniens ou anciens lacaniens, Jacques Rancière (La haine de la démocratie, La Fabrique, 2005), et, donc, Alain Badiou (Portées du mot "Juif", Léo Scheer, 2005). J'ai lu le livre de J.-C. Milner il y a quelques années, et ne l'avais pas du tout aimé. Il me semble en tout cas que Lacan a bon dos dans l'histoire, et qu'il s'agit principalement de querelles sionistes / antisionistes (j'ai déjà évoqué cette hypothèse).



[2]
De ce point de vue, Nicolas Sarkozy est indéniablement plus subversif que tous les "Comités invisibles" du monde (Subversion : "Action visant à saper les valeurs et les institutions établies", dixit Larousse).



[3]
Ces remarques ne préjugent d'aucune prise de position sur des questions comme l'« immigration » ou les « sans-papiers » (je n'en parle d'ailleurs à peu près jamais). Il n'y a rien d'impossible, d'un strict point de vue logique, à vouloir fermer les frontières parce que l'on estime que de nouveaux immigrés ne pourraient être heureux chez nous. Mais on peut regretter que Nicolas Sarkozy ne se mette à la place des autres, en l'occurrence, donc, des immigrés, que lorsqu'il s'agit d'essayer de faire passer une mesure aussi contestable que celle des tests ADN.



[4]
Cela fait un certain temps que je n'ai pas cité Philippe Muray. Rappelons pour faire vite que quelque part dans le dernier tome de ses Exorcismes Muray confessait que son thème de « la fin de l'Histoire » était une hypothèse impossible à prouver totalement, mais que tout se passait comme si, pour l'instant et pour une durée indéterminée, l'Histoire s'était arrêtée. C'est dans cette acception « minimaliste » que nous reprenons ce thème aujourd'hui.



[5]
J'en reviens toujours à cette idée de M. Maso, selon laquelle « le libéralisme n'est pas une idéologie », alors que non seulement il est une idéologie, mais, tel la vulgate marxiste, une idéologie hypocrite, qui nie son caractère idéologique. A la lecture des livres de Jean-Claude Michéa on comprend à quel point cette erreur, ou cette prétention, remonte aux premiers pas du libéralisme. Mais soyons beaux joueurs envers M. Maso, alias Pierre Cormary, et puisque celui-ci, le cerveau à peu près dans le même état que celui de Jack Nicholson dans Shining, se proclame encore sarkozyste, admettons de notre côté que Nicolas Sarkozy, lui, est cormaryste, cormaryen, ou libéral tendance Cormary !

Et puisque nous évoquons M. Maso, il faut bien avouer qu'il n'est pas, dans notre optique, indifférent que l'auteur du seul texte que je connaisse (qui ne soit pas écrit par un demeuré) où il soit fait une déclaration d'amour à Nicolas Sarkozy (Pour Sarkozy, avec ferveur), soit l'oeuvre d'un masochiste revendiqué. Mais je dois surinterpréter...

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mardi 30 décembre 2008

Tant qu'il y aura des Juifs...

palestine_pappe

(Méfiez-vous : sous ce sourire affable se cache une paire de burnes comme on n'en voit plus dans l'Université française depuis des décennies.)



...je ne pourrai travailler tranquillement. On essaie de réfléchir calmement sur Nicolas Sarkozy, et voilà que d'un côté E. Olmert - cela m'étonnait aussi qu'il soit d'accord avec moi -, de l'autre D. M'Bala M'Bala, font encore des leurs.

Concernant Israël, je n'éprouve guère le besoin de me répéter. Rien ne change de toute manière, sauf, en pire, pour les gens qui vivent à Gaza.

Concernant Dieudonné... il est difficile de dire à quel point il a eu conscience de ce qu'il faisait (la vidéo du spectacle, disponible ici, n'est de plus pas très audible), et je n'essaierai pas de le deviner (on peut même lui donner un petit crédit pour ce qui serait de la légèreté, pour ce qui serait une volonté de ne pas trop réfléchir aux conséquences : "au point où j'en suis...").

Ce qui me gêne le plus dans cette histoire, ou plutôt ce qui m'attriste, ce n'est pas tellement ce qu'a pu vouloir dire ou faire Dieudonné, d'autant qu'il y a un côté très mécanique à tout cela (Dieudonné appuie là où ça peut faire le plus mal, la machine moralisatrice et judiciaire se met en marche comme un seul homme), c'est - je vais passer pour un obsédé du sarkozysme - que finalement, le seul à qui cela rende vraiment service est Nicolas Sarkozy. Bouquinant un peu sur les Etats-Unis en ce moment, il m'a été difficile de ne pas penser, devant cette alliance tout de même hétéroclite Dieudonné-Le Pen-Faurisson (il faut semble-t-il le rappeler : les deux derniers nommés sont de farouches colonialistes. Pour Jean-Marie Le Pen, c'est connu ; pour Robert Faurisson, j'ai lu certains de ses textes, vous pouvez me croire - et ce n'est pas ses alliances avec des fanatiques qui se veulent musulmans et anti-impérialistes qui vont y changer quoi que ce soit), il m'a été difficile de ne pas penser, disais-je, aux mouvements politiques américains des années 60 : je ne les idéalise pas plus que ça, mais il se trouve que lorsque Noirs et Juifs étaient alliés contre le pouvoir WASP, non seulement ils ont fait bouger certaines choses, mais ils étaient plus universalistes et moins communautaristes qu'ils ne le sont depuis devenus : voir Dieudonné brûler ainsi les ponts en compagnie de gens dont il n'est pas secret que certains d'entre eux carburent avant tout à la haine, c'est le voir donner du grain à moudre aux communautaristes de tous bords, noirs, sionistes, juifs-de-bonne-volonté, blancs, arabes, etc.

Et, j'en reviens à mon sujet fétiche de ces vacances, ce qui peut faire le plus pour faire durer le sarkozysme, c'est la division des Français. On en a eu une preuve a contrario lors de la contestation anti-CPE, quand sur quelques manifestations les « jeunes des banlieues » avaient rejoint les « petits blancs étudiants », et que toute la classe politique avait fait dans son froc. Je le préciserai plus dans ma prochaine livraison, si Olmert et Dieudonné veulent bien fermer leur grande gueule pendant quelques heures. - Quoi qu'il en soit, communautarisme et division, c'est, fondamentalement, la même chose. En n'hésitant donc pas à dire que, si nous pensons à toutes les indignations vertueuses qui vont lui tomber sur le paletot dans les prochains jours, une part de nous-même soutient moralement Dieudonné, nous concluerons donc, avec une autre part de nous-même, que la connerie est un tort pour tout le monde, et qu'il est regrettable, lorsqu'on se veut officiellement républicain et anti-esclavagiste, de finir par servir la soupe à Nicolas Sarkozy, « ami d'Israël », communautariste de première et homme du discours de Dakar sur « l'homme africain », via Robert Faurisson.


Tant qu'on y est :

- je reçois périodiquement la « news-letter » d'un vieux lecteur (?)-blogueur, M. Nebo. Celui-ci a mis en ligne de regrettables passages de Tristes tropiques, où C. Lévi-Strauss, qui a par ailleurs reconnu qu'il n'y connaissait pas grand-chose, s'aventure dans des généralités sur l'Islam que le redoutable polémiste qu'il pouvait être à l'occasion aurait désintégrées s'il s'était agi d'un discours du même (bas) niveau sur les cultures primitives. Depuis ma lecture de Tristes tropiques j'hésite à évoquer ces chapitres, ne souhaitant ni les passer sous silence ni jouer les Zorro à tout bout de champ - surtout rapport à une oeuvre dont ils ne sont certes pas le centre. Puisque M. Nebo (qui, lui, bande comme un cerf pour tout ce qui est anti-Islam) vous les fournit, je vous les signale (je n'ai pas vérifié la qualité de la retranscription), vous jugerez vous-même ;

- un peu d'humour pour finir : à qui l'ignore, je ne peux que fermement conseiller la lecture régulière du blog de M. I. Rioufol : dans l'époque désordonnée qui est la nôtre, et vu l'état de décomposition avancée du cerveau de l'intéressé, il peut arriver que par hasard il ait raison sur tel ou tel point. Mais en général, il repousse avec une belle bravoure les limites de l'absurdité et de la bêtise, et cela est presque rafraîchissant (voilà, malheureusement, le genre d'enculistes à qui Dieudonné vient de rendre service). Bonne lecture !


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En voilà un qui a une époque a vraiment brûlé les ponts - et au nom des Vietnamiens, s'il vous plaît !

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vendredi 26 décembre 2008

Sarkozy mon amour (II). - Compléments.

Sarkozy mon amour, I.

Sarkozy mon amour, III.




(D'abord, une remarque de détail : en ouvrant mon comptoir et en retombant sur la photographie officielle de notre président bien-aimé, qu'Allah lui explose la rondelle, je remarque un mensonge : l'alliance. J'imagine qu'il n'a plus la même. Faut-il refaire la photo ? Ou se réjouir de ce que ce petit bout de métal, pendant quelques années encore, portera témoignage officiel de ce que notre président bien-aimé était au moment où il posait et depuis quelques mois déjà cocu jusqu'à l'os, qu'Allah le lui défonce ?)


"Ils sont les successeurs et les exécuteurs de l'ancien régime, et, quand on regarde la façon dont celui-ci les a engendrés, couvés, nourris, intronisés, provoqués, on ne peut s'empêcher de considérer son histoire comme un long suicide : de même qu'un homme qui, monté au sommet d'une immense échelle, couperait sous ses pieds l'échelle qui le soutient. - En pareil cas, les bonnes intentions ne suffisent pas ; il ne sert à rien d'être libéral et même généreux, d'ébaucher des demi-réformes. Au contraire, par leurs qualités comme par leurs défauts, par leurs vertus comme par leurs vices, les privilégiés ont travaillé à leur chute, et leurs mérites ont contribué à leur ruine aussi bien que leurs torts."

Ce passage consacré à Louis XVI et la noblesse de 1789, par lequel s'ouvre la conclusion du premier tome des Origines de la France contemporaine, illustre très bien la force d'une révolution - comme la thèse déjà citée de Cioran selon laquelle "quand sonne l'heure d'une idéologie, tout concourt à sa réussite, ses ennemis eux-mêmes..." : à partir d'un certain moment, et pour un certain temps, on ne peut plus rien faire contre la révolution, sinon le dos rond, sinon réfléchir et commencer à s'y adapter. L'image du torrent, fréquemment employée par Taine comme, donc, par Maistre et Berdiaev, rappelle d'ailleurs - je ne sais pas si je vous en ai déjà parlé - la théorie dite du bouchon, exprimée à l'occasion par Jean Renoir (c'est un peu Le chêne et le roseau revisité) : un bouchon flottant sur la mer est certes balloté par le courant dans des directions différentes, mais il ne coule pas, et peut même, d'un délicat mouvement de hanches, choisir de suivre telle vague plutôt que telle autre lorsqu'il se trouve à une intersection, sans même qu'on le remarque (Renoir, une belle crapule paraît-il, s'y connaissait - autre écho de l'ancien régime - en louvoiement). Ceci bien sûr par opposition aux digues, qui avant de s'effondrer augmentent la force du courant qui va les écraser, ou aux riches bateaux d'antan (le PS, bien sûr, ou pour filer la métaphore, le « Paquebot » du FN), devenus d'incontrôlables et risibles épaves).

Ceci montrant bien, dans l'état actuel des choses, l'enfer que vivent les socialistes, qui soit trahissent, soit s'opposent de façon traditionnelle, mais sans portée, soit, comme S. Royal, flottent quelque part dans leur propre sphère, essayant, c'est déjà ça, de trouver autre chose, elle et on ne sait trop quoi - autre chose qui risque fort de ne pas être suffisant le « moment venu ».

Mais nous abordons là la question de la longévité possible du sarkozysme, et c'est une question que nous ne pouvons encore aborder : la prochaine fois !

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jeudi 25 décembre 2008

Sarkozy mon amour (I).

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"Tu me tues, tu me fais du bien..."



Sarkozy mon amour, II.

Sarkozy mon amour, III.



J'ai parlé l'autre jour du sarkozysme comme d'une révolution. Je vais maintenant suivre ce fil, de manière peut-être un peu décousue et contournée, mais qui j'espère me permettra de me faire comprendre. En premier lieu, si l'on soutient, ou si l'on explore la thèse selon laquelle le sarkozysme est une révolution, il faut notamment se demander ce qu'est une révolution - ce qui implique une comparaison avec les exemples archétypaux français et russe. Et, admettons-le tout de suite, un certain regard sur ce qu'est une révolution - au sens fort.

Il est plus agréable de lire des ouvrages sur l'histoire d'une révolution que d'en vivre une. L'indignation trop accentuée contre la révolution bolcheviste, que je prendrai comme premier exemple, le fait d'attribuer par trop exclusivement tous les crimes aux bolcheviks, n'est-ce pas surtout le résultat de quelque idéalisation de la révolution, comme si l'on n'avait pas surmonté cette illusion qu'une révolution doit être bienfaisante et noble ? La mémoire historique est bien courte chez les hommes d'une période révolutionnaire. Trop d'hommes d'une époque révolutionnaire la voudraient diriger à leur gré, et sont furieux de n'y point parvenir. Mais on oublie qu'il est impossible de diriger une révolution, de même qu'il est impossible de l'enrayer. La révolution, c'est la fatalité et un élément déchaîné. Les bolcheviks n'ont pas dirigé la révolution, ils n'ont été que son arme docile. La plupart des appréciations sur la révolution sont fondées sur la supposition qu'elle aurait aussi bien pu ne pas avoir lieu, que l'on pouvait l'éviter, ou encore qu'elle eût pu être sage et douce, si ces brigands de bolcheviks ne l'en avaient pas empêchée.

Mais il faut considérer comme dépourvue de toute perspective historique la mentalité selon laquelle on pourrait enrayer la révolution en partant de principes prérévolutionnaires. C'est ne rien vouloir entendre de ce qu'est une révolution, fermer les yeux sur sa nature : la nature de la révolution est telle qu'elle doit s'exprimer jusqu'au bout, épuiser son élément de rage violente, avant de subir finalement une défaite et de dégénérer en son contraire, pour que l'antidote naisse du mal lui-même. Les tendances extrêmes doivent inévitablement triompher, et les tendances plus modérées seront répudiées et détruites. Dans une révolution, ceux-là même périssent toujours qui l'ont inaugurée, ou qui l'avaient rêvée. - On se situe là d'évidence dans une optique maistrienne, la volonté de la Providence opérant de façon occulte certes, mais démontrée par les expériences historiques. De ce point de vue là d'ailleurs, il faut abandonner comme une folie rationaliste toute espérance que des partis plus modérés et plus sages - girondins ou constitutionnalistes démocrates - puissent dominer les éléments de la révolution et la diriger (ce qui au passage réduit à rien, non pas peut-être les thèses de Furet lui-même sur la « bonne » et la « mauvaise » révolutions françaises, mais leur vulgate, sur le thème "ça aurait dû s'arrêter avant la Terreur" : c'est bien Clemenceau qui avait raison, la Révolution française est un « Bloc »). C'est là la plus irréalisable de toutes les utopies.

De fait, dans la révolution russe toujours, les utopistes, c'étaient les constitutionnalistes démocrates. Les bolcheviks furent les réalistes. N'étaient-ils point utopiques et privés de sens commun, les rêves que l'on nourrissait de transformer la Russie en un pays de droit démocratique, en s'assurant que l'on pourrait contraindre le peuple russe, à force de discours humanitaires, à reconnaître les droits et les libertés de l'homme et du citoyen, et qu'il serait possible de déraciner les instincts de violence chez les gouvernants, comme chez les gouvernés, par des mesures libérales ? C'eût été une révolution invraisemblable, la négation de tous les instincts historiques et de toutes les traditions du peuple russe, de l'« idéologie russe », pour reprendre encore la terminologie de Dumont - plus radicale encore qu'avec les bolcheviks, lesquels se sont approprié les méthodes traditionnelles de gouvernement et ont exploité certains instincts séculaires du peuple. Les bolcheviks n'étaient pas du tout des « maximalistes », mais bien des « minimalistes », qui agirent dans le sens de la moindre résistance, en complet accord avec les aspirations instinctives des soldats exténués par une guerre au-dessus de leurs forces et désirant ardemment la paix, des paysans envieux des terres des seigneurs, des ouvriers vindicatifs (incidemment, cette approche permet de comprendre en quoi la révolution russe fut à la fois un « putsch », pour citer la formule de Castoriadis, et une vraie révolution voulue en quelque manière par le peuple - qui a ainsi pu s'installer et durer ; les deux vont ensemble : il fallait un putsch pour que les Russes acceptent le changement de régime). Les maximalistes furent ceux qui voulaient à tout prix la continuation de la guerre, et pas ceux qui avaient décidé d'en finir. Il faut bien voir que ceux qui favorisent les éléments irrationnels d'une révolution agissent, en quelque sorte, plus sagement et d'une manière plus réaliste que ceux qui cherchent à réaliser dans cet élément irrationnel un plan théorique de politique rationnelle. La révolution précipite et détruit tous les plans théoriques des politiciens rationalistes, et à son point de vue elle a raison. Dans une révolution subsiste la force d'un élément national, même dénaturé et malade. Le bolchevisme fut une folie rationaliste, une volonté de « régler » définitivement la vie, mais il s'appuya sur un élément populaire, ce qui n'était pas le cas du rationalisme des politiciens libéraux.


Une pause : vous voyez déjà où je veux en venir, si l'on remplace « bolchevisme » par « sarkozysme » (le sarkozysme comme action sur des éléments proprement français, mais ceux du niveau le plus bas, c'est un peu la thèse d'Emmanuel Todd) : je me livrerai plus loin à cet exercice politico-pédagogique. Mais explorons d'abord quelques conséquences, toutes maistriennes de nouveau, de ce qui précède : si la révolution est un tout qui emporte tout, alors les guerres civiles que le plus souvent elle provoque sont inutiles : les guerres civiles appartiennent entièrement à l'élément irrationnel de la révolution, elles restent dans le domaine de la désagrégation révolutionnaire et l'augmentent. Les guerres civiles entre armées révolutionnaires et contre-révolutionnaires, c'est en général la lutte des forces révolutionnaires contre les forces d'avant la révolution, précisément les forces atteintes par la révolution précisément, ajouterai-je même, les forces qui sont la cause de la révolution (Maistre : "La Révolution française a pour cause principale la dégradation morale de la Noblesse.") La contre-révolution réelle, au contraire et par conséquent, ne peut être opérée que par des forces post-révolutionnaires, et non prérévolutionnaires - par des forces qui se seront développées au sein même de la révolution. C'est Napoléon, « le fils de la Révolution », qui a mis fin à la Révolution française, pas les nobles, les émigrés, les partis que la Révolution avait balayés. De même, c'est un pur produit de la société communiste, M. Gorbatchev, qui, s'appuyant d'ailleurs sur d'autres membres de sa classe, a mis fin au bolchevisme, pas des russes blancs. Les révolutions ne peuvent être vaincues que par des forces post-révolutionnaires, par des éléments différents, et de ceux qui dominaient avant la révolution et de ceux qui dominent durant la révolution. Tout ce qui est prérévolutionnaire n'est en effet qu'un des éléments internes de la révolution elle-même, de la décomposition révolutionnaire : le prérévolutionnaire et le révolutionnaire ne sont au bout du compte qu'une même entité prise à deux moments différents. La révolution, c'est l'ancien régime - dont la décomposition s'achève (pour la révolution française, c'est très clair à la lecture de Taine : la première partie des Origines de la France contemporaine, consacrée à l'Ancien Régime, est déjà une description de la Révolution). Et il n'y a de salut ni dans ce qui a commencé de se corrompre ni dans ce qui achève de se corrompre. En un mot : Il n'y a jamais de restaurations. Il y a des mouvements convulsifs et spasmodiques de forces qui achèvent de se décomposer dans la révolution - forces que la révolution a désagrégées, - et ensuite des tentatives nouvelles dessinées par les forces que la révolution a fait naître et qui cherchent à conserver les gains vitaux qu'elles ont acquis. Je n'ai pas mes Considérations sur la France avec moi, mais c'est peut-être le sens de la fameuse formule de Maistre : "Une contre-révolution ne doit pas être une révolution contraire, mais le contraire d'une révolution."



Nouvelle pause, et explication. A l'exception des italiques, des incises sur Todd, Taine, Castoriadis, Dumont, Furet, et de quelques tournures personnelles, ce qui précède n'est, peut-être certains d'entre vous s'en doutaient-ils, pas de moi : il s'agit d'une analyse de la révolution russe par Nicolas Berdiaev dans Un nouveau Moyen Age (Plon, 1927, pp. 169-185 : Gorbatchev est par ailleurs prédit par Berdiaev p. 181). Le découvrant en même temps que cette analyse du sarkozysme qu'est Après la démocratie, j'ai eu l'impression que Berdiaev prolongeait Todd, allait plus loin que lui, et via sa référence à Maistre et l'idée du sarkozysme comme révolution, permettait de mieux comprendre ce qu'était ce sarkozysme.

Il y a certes à cette vision de la révolution un obstacle théorique, que l'on peut expliciter en ayant recours à Bolzano : aussi longtemps que seules des causes partielles d'un événement sont réunies, celui-ci n'est pas une fatalité. Dès qu'elles sont toutes présentes, qu'elles forment donc une cause totale, l'événement est à la fois enclenché et fatal - ce qui, dans le cas d'une révolution, prend la forme du torrent décrit par Maistre et Berdiaev. Par conséquent, à partir de quel point peut-on juger que la révolution a eu lieu, et qu'il ne faut plus se battre, ou plus seulement, ou plus principalement, avec des armes prérévolutionnaires, mais avec des armes nouvelles ? Dans le cas du sarkozysme, admettons sans tomber dans un raisonnement circulaire que ce sont précisément les points communs entre cette « révolution » et la description de Berdiaev qui accréditent l'idée que nous sommes passés à autre chose, même si, il est vrai, un doute peut encore subsister.

Dans ce qui suit, qui est aussi du Berdiaev, je remplacerai donc bolchevisme par sarkozysme, à vous de voir à quel point le parallèle peut être fécond - nul besoin de me préciser que N. Sarkozy a pour l'instant fait moins de morts que Lénine, je suis au courant, et l'important n'est pas là. (Je triturerai parfois un peu le texte de Berdiaev pour les besoins de la cause, sans signaler les coupures, ni, bien sûr et surtout, modifier son sens.)

"On ne saurait traiter la révolution d'une façon extérieure. Il est inadmissible de ne voir en elle qu'un fait empirique, sans lien aucun avec ma vie spirituelle, avec ma destinée. S'il demeure dans cette attitude extérieure, l'homme ne peut qu'étouffer de rage impuissante. La révolution a eu lieu non seulement hors de moi et au-dessus de moi, telle qu'un fait incommensurable avec le sens de ma vie, c'est-à-dire privé pour moi de tout sens [et cela même en démocratie, même parce que 53% de mes compatriotes qui ont voté au second tour ont provoqué cette révolution : le fait reste "incommensurable avec le sens de ma vie"] ; elle a eu lieu également avec moi, comme un événement intérieur de ma vie. Le sarkozysme a pris corps en France, et il y a vaincu, parce que je suis ce que je suis, parce qu'il n'y avait pas en moi de réelle force spirituelle - cette force de la foi capable de déplacer les montagnes. Le sarkozysme, c'est mon péché, ma faute. C'est une épreuve qui m'est infligée. Les souffrances que m'a causées le sarkozysme sont l'expiation de ma faute, de mon péché, de notre faute commune et de notre péché commun. Tous sont responsables pour tous. La révolution sarkozyste, c'est la destinée du peuple français et la mienne, la rançon et l'expiation dues par le peuple et par moi.

Que les « socialistes » ne prennent donc plus cet air innocent, suffisant et indigné. Graves sont leurs péchés, et ils doivent endurer une pénitence sévère. Ceux qui ne voient dans le sarkozysme que la violence extérieure d'une bande de brigands s'exerçant sur le peuple français en ont une conception superficielle et fausse. On ne conçoit pas ainsi les destinées historiques des peuples. C'est un point de vue ou bien de petites gens ayant souffert de la révolution, ou bien de combattants actifs, aveuglés par la fureur de la lutte. Les sarkozystes ne sont pas une bande de brigands ayant attaqué le peuple français sur son chemin historique, et l'ayant ligoté pieds et mains ; leur victoire n'est point le fait du hasard. Le sarkozysme est un phénomène beaucoup plus profond, bien plus terrible et plus affreux. Une bande de brigands est moins redoutable. Le sarkozysme n'est pas un phénomène extrinsèque, mais intrinsèque au peuple français, il est la grave maladie morale, il est le mal organique du peuple français [E. Todd : "Ce président est la preuve que la France est malade."]. Le sarkozysme n'est qu'un reflet du vice interne qui réside en nous. Il n'est qu'une hallucination de l'esprit populaire malade. Le sarkozysme correspond à l'état moral du peuple français.

Seul le pouvoir sarkozyste, qui a déclaré la guerre à toutes les qualités au profit des seules quantités [tiens ! Guénon...], brutal et féroce dans ses moyens d'action, peut aujourd'hui gouverner le pays. Le premier plan est occupé par une génération de gens énergiques, âpres à la vie, envieux et cruels, et qui viennent appliquer tous les moyens de la guerre au gouvernement du pays, c'est-à-dire qui continuent la guerre, pour d'autres fins, à l'intérieur même du pays [diviser pour régner]. Mais cela ne veut pas dire une seconde que ces conquérants soient eux-même étrangers à l'état du peuple. C'est précisément le peuple qui les a proclamés dans le temps de sa déchéance et de sa décomposition sanglante. Les sarkozystes forment un pouvoir très impopulaire et qui n'est aimé de personne. Mais ce pouvoir impopulaire et qui n'attire aucune sympathie peut très bien apparaître comme le seul pouvoir possible, dans le cas où le peuple l'a mérité. Au coeur d'une économie en faillite et d'un pouvoir socialiste corrompu, le peuple français n'en a pas mérité d'autre [autrement dit : le sarkozysme peut durer longtemps. J'y reviendrai.] L'énorme masse du peuple français ne peut pas sentir les sarkozystes, mais elle se trouve en état de sarkozysme et en plein mensonge. C'est un paradoxe, mais qui a besoin d'être entendu profondément. Le peuple français doit être délivré de l'état de sarkozysme, vaincre le sarkozysme en soi-même.

- suit un passage intéressant (p. 200), mais qui nous entraînerait trop loin. Berdiaev enchaîne par un hommage à Joseph de Maistre, dont les sentences sur les émigrés durant la Révolution s'appliquent trop bien aux socialistes d'aujourd'hui pour que nous le fassions pas le parallèle :

"Les socialistes ne sont rien et ne peuvent rien... Une des lois de la révolution sarkozyste, c'est que les socialistes ne peuvent l'attaquer que pour leur malheur, et sont totalement exclus de l'oeuvre quelconque qui s'opère.

Ils n'ont rien entrepris qui ait réussi, et même qui n'ait tourné contre eux. Non seulement ils ne réussissent pas, mais tout ce qu'ils entreprennent est marqué d'un tel caractère d'impuissance et de nullité, que l'opinion s'est enfin accoutumée à les regarder comme des hommes qui s'obstinent à défendre un parti proscrit.

Les socialistes ne peuvent rien, on peut même ajouter qu'ils ne sont rien."

- Berdiaev rend ensuite hommage au prophétisme de Dostoïevski, et s'attarde de façon fort intéressante (pp. 208-213) sur l'« idéologie russe ». Puis il revient aux sarkozystes :

"Un type anthropologique nouveau a percé en France. Les plus forts au point de vue biologique se sont amalgamés et ils se sont trouvés occuper les premiers rangs de la vie. Alors on a connu un jeune homme rasé de près, l'attitude martiale, très énergique, sensé, animé de la volonté d'arriver au pouvoir et cherchant à se glisser aux premiers rangs de la vie - dans la plupart des cas, fort impertinent et sans-gêne. On le rencontre partout, il règne partout. C'est lui qu'on voit rouler en auto à toute allure, brisant choses et gens sur sur chemin. Le nouveau jeune homme n'est pas de type français, mais de type international. Des gens habiles dans les affaires de ce monde, sans scrupules mais doués d'énergie, ont réussi à percer et à proclamer leurs droits d'être les maîtres de la vie. La France traverse une époque de démoralisation, qui la fait courir aux jouissances de la vie, - époque comparable à celle du Directoire. La matérialisation et la démoralisation n'ont pas emporté seulement les sarkozystes ; ce phénomène a bien plus d'ampleur. Les Français s'habituent à l'esclavage, ils n'ont plus le même besoin de liberté, ils ont échangé la liberté de l'esprit contre les biens extérieurs. Ce noir sentiment, l'Envie, est devenu la puissance exterminatrice du monde. Et il est difficile d'enrayer les progrès de son développement.

- ici, évidemment, c'est un peu daté, car cela fait longtemps que les Français ont pris goût à l'esclavage - mais c'était encore nouveau pour les Russes en 1927. Notons que l'on retrouve ici le ton des premiers pamphlets de Bernanos, à peine plus tardifs - Nous autres Français ou Les grands cimetières...., et laissons à Berdiaev le mot de la fin :

Il ne peut y avoir de retour à la vie d'avant la crise et d'avant le sarkozysme, et il ne doit pas y en avoir. Si ce retour était possible, les douleurs et les souffrances de nos jours n'auraient plus ni sens ni justification. Ce qui est condamnable et néfaste chez le réactionnaire, c'est précisément d'aspirer au retour du proche passé. La révolution ne crée pas de vie nouvelle, de vie meilleure ; elle ne manifeste que la décomposition de la vie ancienne menée dans le péché. Mais l'expérience spirituelle, acquise par la crise et la révolution, doit nous guider vers une vie nouvelle qui sera meilleure. C'est ce que chaque homme d'esprit éclairé doit décider pour lui-même, quelle que soit sa conception optimiste ou pessimiste de l'avenir. Une vie nouvelle, une vie meilleure est avant tout une vie spirituelle. Le mot d'ordre pour chacun, c'est : Fais ce que dois, advienne que pourra. Il n'y a pas de retour possible au vieux libéralisme des intellectuels ou au socialisme." (pp. 186-224)

L'aura-t-on remarqué, j'ai sur la fin opéré un glissement en introduisant la crise économico-financière dans le jeu. Ce serait plus évident si l'on parlait d'Obama, mais si l'on admet que la crise ne date pas d'aujourd'hui, qu'elle remonte à plusieurs années - en tant que crise ; sa gravité a évidemment pris une autre dimension depuis peu, « et que c'est pas fini » - et que c'est elle qui a contribué à faire élire N. Sarkozy, il semble légitime de la faire ainsi intervenir de façon comparable à la Grande guerre pour la Russie de 1917. La différence étant que les bolcheviks mirent fin à la participation russe à la guerre, ce qui ne se fit pas (Brest-Litovsk) sans douleur, alors que l'on ne mettra pas fin à la crise par simple décision, même douloureuse. Mais cela conduit à la question de la durée du sarkozysme, et de l'influence qu'aura la crise sur cette durée : va-t-elle aider N. Sarkozy ou lui nuire... - comme disait l'autre, c'est une autre histoire, que nous aborderons en principe la prochaine fois. Je vous laisse avec ces méditations maistriennes, Dieu nous protège !



N.B. : j'ai utilisé la vieille traduction du Nouveau Moyen Age parue chez Plon en 1927. L'Age d'Homme l'a retraduit et réédité en 1985 : l'ayant parcourue et utilisée sur certains points de détails peu clairs dans la version de 1927, cette traduction m'a parue sensiblement différente, plus sèche, moins maistrienne justement. Difficile du coup de savoir où se trouve le « vrai » Berdiaev, si la traductrice de Plon (l'anonyme A.-M. F.) s'est laissée emporter, ou si J.-C. Marcadé et S. Siger, pour L'Age d'Homme, ont été trop secs. A suivre un jour peut-être, mais si vous allez vérifier mon utilisation des thèses de Berdiaev en vous référant à l'édition actuellement disponible, ne soyez pas surpris si vous êtes surpris !

Enfin, je remercie mon ami C. B. - un social-démocrate, je ne suis vraiment pas sectaire - pour m'avoir fourni certains des fils conducteurs ici suivis.

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lundi 15 décembre 2008

"Un peu d'antisémitisme éloigne du conformisme, beaucoup d'antisémitisme y ramène..."

Un dernier extrait du livre de Todd, pour le plaisir au moins autant que pour son intérêt propre. Les prochaines livraisons utiliseront plus indirectement Après la démocratie et tenteront d'élargir la perpective.

Il s'agit aujourd'hui d'un costard taillé à notre ami Finkie, notamment à propos de sa description des émeutes de novembre 2005 comme « pogrom anti-républicain » (entretien au Figaro du 15.11.2005). E. Todd décrit avec une certaine acuité les ressorts psychologiques qui ont pu pousser notre aigri préféré à employer une telle tournure, "qui révèle chez son auteur un vrai génie de la synthèse conceptuelle" :

"Avec l'expression « pogrom anti-républicain » Finkielkraut évoque une république française minoritaire, menacée par la violence d'une population étrangère virtuellement majoritaire. Il sait bien que les enfants d'immigrés ne sont pas la majorité de la société française. Tout au plus le sont-ils en Seine-Saint-Denis. La vision est délirante, mais cohérente et efficace. Elle tend à formaliser une mutation ethnique du système social et politique français, un passage régressif au stade de la démocratie ethnique. La démocratie, sous sa forme républicaine, subsiste, mais elle surplombe des ethnies extérieures, dominées et hostiles. Ce modèle sociopolitique représente peut-être une tentative instinctive et inconsciente d'Alain Finkielkraut pour résoudre un conflit de loyauté, expression d'une sincérité désespérée plutôt que d'un machiavélisme sordide.

Il y a quelques années encore, Finkielkraut était considéré comme l'un des chantres de l'universalisme français, un bon républicain, héritier de l'école laïque. Il s'est défini plus tardivement comme représentant d'un peuple juif menacé. La loyauté de l'essayiste envers l'Etat d'Israël se superpose donc à ces obligations d'intellectuel français. Mais l'analyse politique la plus élémentaire nous impose le fait incontournable que les principes qui fondent la République française d'une part, l'Etat d'Israël de l'autre, sont incompatibles : tout le monde peut en théorie, s'il immigre et s'assimile, devenir français. Tout le monde ne peut pas devenir israélien au sens plein, c'est-à-dire israélien et juif. L'appartenance au peuple juif est, pour l'essentiel, définie par un droit du sang qui exclut autant qu'il inclut. La République française est une démocratie universaliste. L'Etat d'Israël est une démocratie ethnique, avec ses exclus et dominés arabes.

On conçoit donc tout le bénéfice psychologique qu'un intellectuel qui se pense français et juif, simultanément et également fidèle à la France et à Israël, pourrait tirer d'une ethnicisation de la société française, de sa redéfinition comme une démocratie ethnique, avec ses vrais citoyens blancs ou d'origine chrétienne. L'ethnicisation de la France ramènerait la République au niveau non universaliste de la démocratie primitive athénienne, américaine ou israélienne : un corps de citoyens égaux, constitué par une opposition à un ou plusieurs groupes opprimés, extérieurs ou inférieurs, ou présentant simultanément ces trois caractéristiques." (Après la démocratie, pp. 134-136)

Comme me le disait en 2005 un ami (antisémite), c'est le bordel en Israël, alors ils aimeraient que ce soit la même merde ici. Le fait est qu'en utilisant le terme de « loyauté » E. Todd sait se situer dans un champ sémantique marqué - en l'occurrence par l'accusation de « double loyauté » qui fut souvent employée contre les Juifs à la grande époque. M. Rodinson regrettait d'ailleurs que la création d'Israël donne ainsi du grain à moudre aux antisémites, en rendant plus concrète cette notion de « double loyauté » (ce à quoi il était évidemment facile de répondre que cette notion n'avait pas attendu la création d'un Etat pour faire des dégâts).

Dans ce contexte miné, reste l'analyse percutante d'Emmanuel Todd, qui me semble, sur le cas de Finkie, très bien vue : Israël a des problèmes avec les Arabes, la France a des problèmes avec les Arabes, j'aime Israël, j'aime - ou j'aimais - la France, je n'aime pas les Arabes, donc Israël et la France, c'est pareil - quitte, pour les besoins de cette dernière équation, à faire revenir la France en question à « une forme primitive de démocratie », ou à une « démocratie régressive », pour reprendre les expressions de E. Todd citées dans ma précédente livraison. J'avais par ailleurs incidemment noté il y a deux ans que le retour en force, chez les intellectuels juifs, et plus seulement chez les gauchistes-athées-anti-patriarcat-bla-bla, du thème de la « civilisation judéo-chrétienne », ne manquait pas de sel, si l'on se souvenait que cette construction idéologique fut historiquement bien plus chrétienne que juive, maintenant les juifs au stade de première étape du christianisme, ce qui dans le passé ne plaisait pas, on le comprend, aux intéressés ainsi subsumés à une religion qui n'est pas la leur et qui ne leur a pas toujours voulu que du bien.

A la vôtre !



P.S. : puisqu'on parle de ça, je signale que M. Ehud Olmert pense comme moi : Israël est le plus fort des Etats de sa région, il est même plus fort que tous ces Etats réunis, s'il y a une nouvelle guerre (entre Etats) il leur mettra, une nouvelle fois, une belle branlée, mais il ne sera pas plus avancé pour cela. Il est dommage que cet homme ne s'en soit pas rendu compte à l'époque de sa guerre au Liban - s'il m'avait lu à l'époque, cela aurait épargné quelques vies (et une humiliation à son pays). Mais bon, qu'un premier ministre israélien m'approuve, c'est assez rare et valait bien la peine d'être noté.



P.S.2, ou plutôt deuxième tour. Au café du commerce, on n'est pas raciste, ce n'est donc pas parce qu'on vient de se faire un juif qu'on va hésiter à se farcir un nègre : dans son dernier livre, La double pensée (Flammarion, 2008), Jean-Claude Michéa nous offre ce savoureux passage, qui me semble un bon complément au texte d'Emmanuel Todd :

"La décomposition des solidarités locales traditionnelles ne menace pas seulement les bases anthropologiques de la résistance morale et culturelle au capitalisme. En sapant également les fondements relationnels de la confiance (tels qu'ils prennent habituellement leur source dans la triple obligation immémoriale de donner, recevoir et rendre) la logique libérale contribue tout autant à détruire ses propres murs porteurs, c'est-à-dire l'échange marchand et le contrat juridique. Dès qu'on se place sur le plan du simple calcul (et l'égoïste - ou l'économiste - n'en connaît pas d'autre) rien ne m'oblige plus, en effet, à tenir ma parole ou respecter mes engagements (par exemple sur la qualité de la marchandise promise ou sur le fait que je ne me doperai pas), si j'ai acquis la certitude que nul ne s'en apercevra. A partir d'un certain seuil de désarticulation historique de l'« esprit du don » (matrice anthropologique de toute confiance réelle) c'est donc la défiance et le soupçon qui doivent logiquement prendre le relais. Dans ce nouveau cadre psychologique et culturel, le cynisme tend alors à devenir la stratégie humaine la plus rationnelle ; et « pas vu, pas pris » la maxime la plus sûre du libéralisme triomphant (comme le sport en administre la preuve quotidienne à mesure qu'il se professionnalise et qu'il est médiatisé). Comme souvent, c'est le sympathique Yannick Noah qui a su formuler, avec sa rigueur philosophique habituelle, les nouveaux aspects de cette question morale. Son fils, Joakim [une sacrée gueule de trou du cul, note de AMG], ayant récemment commis, selon les mots de Yannick lui-même, « une petite boulette » (alcool et drogue au volant d'un véhicule sans permis, avec, en prime, excès de vitesse) notre héros national a aussitôt tenu à lui rappeler publiquement que l'essentiel, en l'occurrence, aurait été « de ne pas se faire pécho » ; ajoutant, au passage, que « ça fait vingt ans que je fais le con et je suis encore populaire parce que les gens pensent que je suis un mec bien. Alors Joakim peut faire la même chose. » En hommage à cette belle leçon de pédagogie paternelle, je propose donc d'appeler principe de Noah la loi qui tend à gouverner une partie croissante des échanges économiques contemporains (on sait, par exemple, que la contrefaçon est effectivement devenue l'une des industries les plus florissantes du capitalisme moderne)." (pp. 233-234)

Admettons, je mets ce principe dans ma terminologie un de ces jours.


Pour finir, un peu de raffinement "judéo-négro-maçonnique", comme disait Céline, dans ce monde de brutes :





Peace and love !

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samedi 13 décembre 2008

"Le pouvoir, par sa nature même, n'est pas démocratique, mais il doit être populaire."

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Ce texte était à peu près achevé hier samedi soir, je voulais avoir l'oeil clair pour le finir, mais ai découvert avant de dormir que le maître venait de reproduire une partie des citations qu'il contient. Je n'y ai pas vu de raison de surseoir à sa publication. Encore un peu de Todd donc pour votre dimanche :

"L'incapacité du Parti socialiste à définir un programme provient peut-être tout simplement de ce qu'au fond il ne veut plus gouverner. [Voici un auteur qui a de toute évidence de bonnes lectures.] Parti d'élus locaux, il se satisfait de jouir du pouvoir local, niveau auquel il peut apaiser des tensions sociales nées de la désintégration des structures économiques. Cette option basse cependant devient elle-même problématique parce que les moyens financiers se contractent à mesure que la pression sur les salaires augmente.

D'horizontal, le dualisme politique devient vertical : au pouvoir local de la gauche répond le pouvoir national de la droite ou plutôt son impuissance nationale. L'activisme forcené de Nicolas Sarkozy a en effet le mérite de mettre en évidence l'absence de pouvoir effectif du plus volontariste des présidents, dans un contexte de libre-échange et de capitalisme financier parvenu à maturité.

- paragraphe qui signifie, "tout simplement", que le PS n'est pas dans l'opposition - l'amusant, à la lumière des derniers vaudevilles socialistes, étant que c'est celle (S. Royal) qui s'éloigne le plus des positions dites de gauche du parti qui vient aussi mettre un peu de bordel dans cet aspect « association de notables dans un but conservateur » - ce qui ne l'empêche pas d'être elle-même un bel exemple de notable, on s'amuse au PS... Notons par ailleurs que de ce point de vue les résultats pas si mauvais des socialistes aux élections législatives de 2007 par rapport au raz-de-marée de droite prévu n'étaient pas une bonne nouvelle : ils ne changeaient rien au fait que le Parlement était à la botte de N. Sarkozy, qu'Allah l'émascule, mais permettait aux dignitaires socialistes de conserver leurs « bastions », c'est-à-dire leurs indemnités, bureau, voiture de fonction, secrétaire à la bouche coopérative, etc. Mais laissons E. Todd continuer.

La mécanique de neutralisation du suffrage universel se détraque. Du point de vue des hommes politiques, qui ont de plus en plus de mal à se faire élire pour ensuite ne pas gouverner, une solution serait que cesse la comédie. Le refus d'obéir au peuple pourrait être officialisé par une suppression du suffrage universel, par l'instauration d'un régime politique franchement autoritaire. L'hypothèse paraîtra à certains exagérée. Mais nous devons avoir à l'esprit la violence des tensions auxquelles est soumis le corps social, et qui vont s'accroître avec la baisse du niveau de vie du plus grand nombre.

On commence à peine à réfléchir aux implications de la croissance chinoise pour la théorie du libre-échange ; on n'a pas encore envisagé ses implications pour la théorie politique (...). La Chine combine croissance par les exportations et dictature du Parti communiste. Nous nous inquiétons de la date à laquelle elle acceptera, sous l'effet de l'élévation de son niveau de vie et de ses contacts avec « l'Occident civilisateur », de se conformer à une vision américaine ou européenne de la démocratie. Nous attendons avec impatience que la Chine modernisée combine dans sa pratique politique suffrage universel et pluralisme des partis. Mais (...) nous devons, à l'inverse, nous demander - compte tenu de la taille de la Chine, du rôle de plus en plus central qu'elle joue dans la détermination des niveaux de revenus américains et européens -, si le Parti communiste chinois ne nous indique pas aussi l'objectif politique à atteindre : la dictature, appelée chez nous gouvernance.

- P. Jorion écrivait il y a quelques semaines que les Etats-Unis risquaient fort de devoir devenir sous peu aussi autoritaires en matière de politique économique que la Chine, s'ils voulaient « sauver » ce qui peut encore être « sauvé ». Et pour ce qui est des libertés publiques, on sait qu'avec des joyeusetés comme le "Patriot Act", il ne sera pas bien difficile, dans les faits, de les diminuer à mesure des « besoins ».

En France, et ailleurs dans le monde développé, l'opposition entre population et classe dirigeante s'exaspère, et il devient de plus en plus difficile de neutraliser le suffrage universel par le spectacle. Les affaires européennes donnent régulièrement l'occasion à nos classes dirigeantes - entendues en un sens large : financières et médiatiques autant que politiques - de laisser transparaître la vigueur de leur tropisme antidémocratique. Chaque « non » a un référendum sur l'Europe entraîne (...) un déchaînement de commentaires exaspérés sur le mauvais usage que font les populations du droit de vote.

Supprimer, dans les dix à trente ans qui viennent, le suffrage universel, ne serait certes pas une tâche aisée. Bien des facteurs sociaux semblent exclure cette possibilité : tout le monde sait lire et le tiers de la population aura bientôt fait des études supérieures. Mais nous vivons dans une société d'un genre nouveau, dénuée de croyances collectives et de forces intermédiaires organisées, dans laquelle, en outre, la conscription a été remplacée par une armée de métier.

La montée vraisemblable de conflits de classes immatures, c'est-à-dire sans programme, ne pourrait qu'engendrer un climat de violence et de peur, dont le seul effet politique serait une autonomisation de l'Etat (je souligne pour mémoire, c'est un point sur lequel je dois revenir bientôt) sur fond d'anarchie.


L'atomisation résultant de la forme narcissique de l'individualisme contemporain fait de la société une masse inerte, fragile, vulnérable. Nous avons déjà constaté qu'elle est incapable de s'opposer à une politique étrangère qu'elle désapprouve, non seulement en France avec l'envoi de troupes en Afghanistan, mais quelques années plus tôt, quand les gouvernements anglais, italien et espagnol décidèrent que leurs pays devaient participer activement à la guerre en Irak. Et si les Français ont eu la force de voter non au Traité constitutionnel européen, ils n'ont pas trouvé l'énergie nécessaire pour refuser le traité simplifié promu par Nicolas Sarkozy.

Il n'est pas certain que des individus isolés, soumis à une baisse substantielle de leur salaire, ou de leur retraite, soient capables de s'opposer vigoureusement à une suppression de leurs droits politiques dans un climat par ailleurs de plus en plus sécuritaire. Comment ne pas voir en effet qu'un ensemble de forces sociales poussent les sociétés postindustrielles à toujours plus surveiller, contrôler, incarcérer ? Jusqu'à présent, en France, on s'est contenté de surpeupler les prisons sans réaliser les investissements nécessaires, ni même augmenter de façon significative les effectifs de la police. Mais on sent que la dynamique sécuritaire n'a pas atteint son terme. (...)

Nous avons eu la surprise, au lendemain de l'élection de Nicolas Sarkozy, de voir dans Le Nouvel Observateur Henri Guaino vanter le coup d'Etat du 18 Brumaire de Napoléon Bonaparte comme l'un des trois grands moment de l'Histoire de France. Merci pour l'avertissement. L'exemple du bonapartisme nous rappelle qu'un régime autoritaire peut conserver certaines des formes extérieures de la démocratie. Le bonapartisme cher à Guaino inclut le maintien d'un suffrage universel bidon parce que indirect, ou privé de la pluralité des candidatures.

- on aura noté que E. Todd mélange ici Napoléon Ier et Napoléon III : cela ne nuit pas à sa démonstration mais peut porter à confusion.

Dans le contexte politique français actuel, envahi par l'image démultipliée du Président, ce serait cependant une grave erreur d'analyse que de situer à droite de l'échiquier politique l'aspiration la plus violente au dépassement de la démocratie. Le sarkozisme semble plutôt s'orienter vers le choix d'une ethnicisation de la démocratie. Ce genre d'option aboutit il est vrai à la restriction en pratique ou en théorie du droit de suffrage d'une partie de la population, la minorité ethnique choisie comme bouc émissaire. Mais le gros du peuple garde son droit de vote. Il ne s'agit au fond que de faire revivre une forme primitive de démocratie [compléments et explications à venir plus tard sur ce sujet, si Allah me prête vie jusque-là], en faisant appel à tout ce qu'il y a de mauvais en nous. On peut parler de démocratie régressive, ou négative.

La gauche est privée de cette option. Ses bons sentiments internationalistes la conduisent au contraire, avec raison, à stigmatiser les réflexes ethnicisants de la population lorsqu'ils s'expriment. Mais que faire si l'on refuse de s'appuyer sur les mauvais instincts du corps électoral ? Une logique alarmante menace le Parti socialiste s'il persiste dans son attachement à ce libre-échange qui attise les réactions xénophobes de la population : qu'il finisse par conclure que le peuple est par nature mauvais et qu'il faut lui retirer le droit de suffrage, ou du moins en limiter sérieusement l'exercice.

Le côté bon élève de beaucoup de dirigeants socialistes s'allie souvent à une arrogance qui pourrait virer en sentiment antidémocratique. Une étude statistique serait évidemment nécessaire, mais il me semble que les hommes politiques de droite prennent avec plus de philosophie leurs échecs électoraux [l'ex-compagne de M. Demange, du fond de sa tombe, a quelque raison de protester, mais passons]. Le retrait enfantin et vexé de Jospin, au soir de son élimination de 2002, a été extraordinairement significatif. Il a démissionné dans tous les sens du mot. Mais plutôt que de démissionner, les dirigeants socialistes humiliés préféreront peut-être un jour démettre ce peuple incapable de les comprendre. On décèle chez des socialistes ou d'anciens socialistes d'autres signes inquiétants d'une hostilité latente à la démocratie, comme, par exemple, la prédilection qu'ils manifestent pour les fonctions internationales échappant à tout processus électif : Strauss-Kahn au FMI, Lamy à l'OMC. Trichet est passé, brièvement sans doute, par le PSU et la CFDT avant de servir Balladur puis la Banque centrale européenne. Et n'oublions pas le plus important, le beau modèle de l'antidémocratisme socialiste que fut Jacques Delors, réfractaire d'instinct aux procédures électorales. Il fut à la tête de la Commission européenne et capable, durant le débat sur le traité de Maastricht, de dénier à ses adversaires le droit de participer à la - pardon - à sa démocratie.

- difficile de ne pas ajouter à cette liste l'immondice Kouchner, qui, s'il accepta, à contre-coeur, de se présenter à quelques reprises devant les électeurs, se fit alors systématiquement battre, et qui, handicapé pour des élections plus importantes par cet évident refus de sa personne par lesdits électeurs, s'est résolu à finir sa vie politique comme, rôles éminemment méprisables, valet, bouffon et porte-flingue du Président, qu'Allah les empale tous deux. Cette vieille salope à l'air lifté est comme un poisson dans l'eau du sarkozysme - qui se souvient encore, un peu plus d'un an après sa prise de fonctions, qu'elle fut, pendant des années, « socialiste » ?


kouchner


La suppression des élections poserait évidemment autant de problèmes qu'elle en résoudrait (...), mais n'oublions pas que la démocratie ne représente après tout qu'une infime période de l'histoire humaine et que bien des régimes politiques se sont passés d'élections. La cooptation existe. (...) On pourrait [ainsi] conserver le droit de voter aux élections locales. Dans l'hypothèse d'un coup d'Etat, nous pouvons faire confiance aux militants socialistes pour se présenter en défenseurs acharnés de cette démocratie locale au sein de laquelle ils tiennent tant de place.

Je ne plaisante pas. La menace d'une suppression du suffrage universel me paraît beaucoup plus sérieuse que celle d'une république ethnique. Le fonctionnement anarchique de valeurs égalitaires mène le plus souvent, dans un contexte de régression économique, à des solutions de dictature. La tradition française, dans la longue durée, ce n'est pas seulement l'individualisme et la République, c'est aussi l'absolutisme louis-quatorzien et la dictature des deux Bonaparte.

D'ailleurs, un système à deux niveaux combinant autorité supérieure sans contrôle et suffrage local existe déjà : l'Europe. Tandis qu'à l'échelon inférieur de la nation le suffrage universel subsiste, à l'échelon supérieur des institutions la cooptation règne." (Après la démocratie, pp. 241-47.)

E. Todd évoque ensuite la possibilité de faire servir les institutions européennes à de meilleures fins - le protectionnisme, c'est le chapitre suivant.

J'ai fait on l'a vu quelques coupures, notamment quand le style de ce livre écrit sans doute trop rapidement se fait approximatif et/ou journalistique. L'important était la thèse générale et le regard porté sur nos amis les socialistes, cette épouvantable force de nuisance.

Quant à savoir si M. Todd a raison... Les tendances antidémocratiques qu'il évoque existent, c'est une évidence. L'emporteront-elles, je l'ignore, et je ne sais même pas s'il ne vaudrait pas mieux qu'elles l'emportent pendant quelque temps. La politique du pire n'a jamais été mon genre, mais peut-être un intermède autoritaire permettrait-il de clarifier certaines choses, en tout cas de dissocier nettement suffrage universel et souveraineté populaire : non que ces deux concepts soient nécessairement incompatibles, mais pour bien montrer qu'ils sont fort différents l'un de l'autre. On pourrait même aller jusqu'à se demander si le suffrage universel n'est pas devenu un obstacle à la souveraineté populaire. Les exemples et expressions choisis par Emmanuel Todd le suggèrent : "si les Français ont eu la force de voter non au Traité constitutionnel européen, ils n'ont pas trouvé l'énergie nécessaire pour refuser le traité simplifié promu par Nicolas Sarkozy." D'une part il n'a pas fallu beaucoup de « force » pour glisser un bulletin dans l'urne (mais effectivement une certaine sagacité pour choisir le bon bulletin), d'autre part, dès qu'il n'y a plus de suffrage universel, en l'occurrence de référendum, l'« énergie nécessaire » manque aux Français, ils ne savent plus quoi faire : peut-être que s'ils n'ont plus le suffrage universel et les illusions de souveraineté qu'il procure, l'« énergie » et l'inventivité leur reviendront... - Que le lecteur ne s'inquiète pas, nous en reparlerons !



Une digression par ailleurs, puisque nous évoquons E. Todd : dans une récente interview à Minute, Alain Soral se réclame d'Emmanuel Todd. Je veux bien, mais s'il y a un sentiment que provoque la lecture de Après la démocratie, c'est bien que le FN est fini, et pour longtemps - ce qui, ajouterai-je, n'est pas nécessairement une bonne nouvelle. Certes, ce côté « toujours un train de retard » fait si l'on veut partie du charme d'Alain Soral, certes on ne peut pas changer d'avis ni de parti toutes les cinq minutes, certes les combats perdus d'avance sont émouvants et les "chants les plus désespérés sont les plus beaux", mais notre Musset de la Marine me semble quelque peu pathétique lorsqu'il estime que si N. Sarkozy a gagné les élections c'est parce qu'il s'est inspiré du programme du FN version Soral, oubliant ces deux légers détails que, non seulement c'est Nicolas Sarkozy qui a gagné les élections et pas Jean-Marie Le Pen ou Alain Soral, mais qu'en les gagnant il a niqué le FN bien profond. D'ailleurs, M. Sarkozy a tout niqué, et il a tout niqué parce qu'il a tout niqué d'un coup, le PS, le centre et le FN. C'est une révolution ! (Une révolution, bordel ! On n'a jamais vu depuis de Gaulle quelqu'un détruire ainsi tous les partis en place. Les « observateurs » spéculent sur une dérive bonapartiste plus ou moins forte ou un éventuel « coup d'Etat », mais la révolution a déjà eu lieu, et à 53 % des voix ! Il faut en prendre la mesure !) - Bref, en tant qu'animateur de "Egalité et réconciliation", Alain Soral a peut-être un travail utile à faire, mais par rapport au FN, il perd son temps. Et le mien par la même occasion, qui en compte si peu - quand je pense que le monde s'écroule, et que je risque de n'avoir pas le temps de vous expliquer clairement pourquoi avant l'apocalypse... Allah vous garde - et Dieu sait que vous en avez besoin !



Peter Paul Rubens - A Peasant Dance




(Ajout le 15.12)
Nicolas Sarkozy aurait voulu confirmer les thèses d'Emmanuel Todd qu'il ne s'y serait pas pris autrement. Olivier Bonnet peut être très énervant par certaines attitudes (cette expression « sabre au clair », quel ridicule, quelle bouffonnerie - j'avais été lui chercher noise sur le sujet un jour de désoeuvrement : il n'y a pas de lien permanent, mais les curieux peuvent aller dans la rubrique Football, à la brève "Domenech n'a pas de figure"), mais il décrit bien ici le genre de tour de passe-passe anti suffrage universel qui contribue à isoler les « élites » de tout - au nom de la démocratie, bien sûr. Comme disait l'autre, démocratie, démocratie, que d'enculeries on commet en ton nom...

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