dimanche 22 février 2009

"Depuis des éternités, l'a pas tellement changé la France..." (Apologie de la race française, II.)

bk2réduite


Apologie I.

Apologie III.

Apologie IV-1.

Apologie IV-2.

Apologie IV-3.

Apologie V.

Apologie VI-1.

Apologie VI-2.



Ajout le 19.03.09.



"Après, la conversation est revenue sur le Président Poincaré qui s'en allait inaugurer, justement ce matin-là, une exposition de petits chiens ; et puis, de fil en aiguille, sur le Temps où c'était écrit. « Tiens, voilà un maître journal, le Temps ! » qu'il me taquine Arthur Ganate, à ce propos. « Y en a pas deux comme lui pour défendre la race française ! - Elle en a bien besoin la race française, vu qu'elle n'existe pas ! » que j'ai répondu moi pour montrer que j'étais documenté, et du tac au tac.

« Si donc ! qu'il y en a une ! Et une belle de race ! qu'il insistait lui, et même que c'est la plus belle race du monde et bien cocu qui s'en dédit ! » Et puis le voilà parti à m'engueuler. J'ai tenu ferme bien entendu.

« C'est pas vrai ! La race, ce que t'appelles comme ça, c'est seulement ce grand ramassis de miteux dans mon genre, chassieux, puceux, transis, qui ont échoué ici poursuivis par la faim, la peste, les tumeurs et le froid, venus vaincus des quatre coins du monde. Ils ne pouvaient pas aller plus loin à cause de la mer. C'est ça la France et puis c'est ça les Français. »"


(Voyage au bout de la nuit).



Je rappelle que le Voyage au centre du malaise français est sorti en 1993. Le découvrir en 2009 donne un curieux sentiment de décalage, du fait des évocations de noms pour certains encore présents (non sans multiples retournements de veste : on en apprend, ou on s'en remémore de belles, sur de petites truies comme Max Gallo ou Julien Dray), pour d'autres étonnamment lointains (Harlem Désir la dernière fois). Peut-être l'extrait de ce jour vous procurera-t-il des sentiments de ce genre. Je le laisse en tout cas, avec ces détails parfois quelque peu périphériques rapport à notre propos, tel quel.

"Dans un livre [La France dans le monde] ayant le triple avantage d'être bref, clair et lucide - paru en 1933, écrit peu avant l'arrivée des nazis au pouvoir -, Edouard Herriot constatait qu'un modus vivendi avec l'Allemagne du maréchal Hindenburg était « rendu plus difficile par l'activité et la violence de la propagande germanique ». Et de sélectionner un exemple particulièrement offusquant : « On a vu cette propagande s'exercer lorsqu'elle a pu croire, de façon à la fois cynique et active, qu'il y avait en France un séparatisme breton. A cette occasion, certains journaux représentèrent la Bretagne comme formant chez nous une minorité nationale. » Toute la politique de l'entre-deux-guerres entre puissances européennes consiste à déceler des problèmes ethniques chez le voisin tout en les niant chez [soi]. Le droit des peuples/ethnies ou des peuples/races à disposer d'eux-mêmes, au nom duquel Hitler déclare vouloir rassembler les Allemands d'Europe, laisse ses interlocuteurs le plus souvent désarmés tant paraît au fond justifiée la revendication racialiste, c'est-à-dire le droit des peuples à se regrouper pour former une entité autonome sur un territoire déterminé, celui de leurs ancêtres. Ainsi aboutira-t-on, via l'annexion des Sudètes au Reich au nom du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, au dépeçage ethnique de la Tchécoslovaquie peu avant la Seconde Guerre Mondiale.

La manipulation de l'agitation des nationalités reste encore le moyen le plus sûr de disloquer un grand pays. Au-delà des aspects de pur secours humanitaire - que les effets d'encouragement aux irrédentismes finissent par rendre inévitable -, le droit d'ingérence, dans sa composante politique, déclare explicitement vouloir libérer des minorités nationales éventuellement réparties dans plusieurs Etats. Comme le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, c'est une très vieille antienne de la politique internationale. En France, une propagande tenace, relayée par Bernard Kouchner, alors secrétaire d'Etat, et, plus modérément, par le ministre des Affaires Etrangères, Roland Dumas, mais aussi par une grande partie de l'opposition, a oeuvré à la suite de la guerre du Golfe en vue de populariser l'idée d'une séparation des Kurdes de l'Irak, de la Turquie et de l'Iran, afin qu'ils puissent se réunir dans un Kurdistan autonome. Le motif en est leur homogénéité ethnique et culturelle. Le nouveau est que ces motifs sont aujourd'hui censés s'appliquer en France, selon des modalités propres et moins radicales. L'ethnicisme d'application extérieure (politique étrangère) tend à devenir un ethnicisme d'application intérieure (politique régionale et politique d'immigration) : une attention toute nouvelle, justifiée par le droit à la différence - c'est-à-dire à une différence dure -, est portée - à l'intérieur de l'Hexagone - à des groupes d'implantation très ancienne ou beaucoup plus récente, au motifs qu'ils présentent (ou présenteraient) une homogénéité ethnique et culturelle particulièrement forte. Il faut comprendre que, au travers de l'antiracisme postcolonial, l'argument est retourné contre l'Hexagone, à la fois pour en décrire l'hétérogénéité, puis la souhaiter, voire l'organiser. L'antiracisme est le haut-parleur du déclin de la représentation d'une cohésion forte, vécue quelque part comme inébranlable, de la France. Il a pour effet d'ouvrir et d'approfondir un doute sur sa constitution, sur ses origines. Qu'un philosophe comme André Comte-Sponville écrive, voulant parler de la situation française, qu'un « peuple » (ou une nation) « n'est pas une race » ou que l'un des leaders politiques de la droite libérale, François Léotard, affirme qu'il n'y a jamais eu de « race française » (« les Français : un grand peuple qui ne fut jamais une race ») et que ces formules soient aujourd'hui évidentes, reçues comme indiscutables, en dit très long sur ce qui ne sera plus, la représentation d'une profonde homogénéité française : c'est en effet une évidence inverse, au début de ce siècle [le XXeme...], depuis les ultra-républicains jusqu'aux royalistes, que les Français forment une « race », non une race à l'allemande, moins constituée par le sang reçu que par le sang versé, aux qualités exprimées par Verdun, génératrice de civilisation, vivant dans cette patrie dont Lavisse et Pfister disent qu'elle se définit par les « souvenirs communs ». L'antiracisme exprime cette atteinte à la croyance d'un socle de civilisation nationale française en continuum, qui absorbait les apports au cours de son développement après les avoir fondus en vue de la poursuite de son édification : l'antiracisme se propose d'amputer plus encore cette croyance en insistant sur la nécessité d'un retournement du processus de sédimentation unificateur des principales différences.

Mais réfléchissons bien - d'autant que nous explorons peut-être la voie qu'emprunteront de futurs malheurs - à ce que transporte la modification des systèmes d'évidence édifiés autour de la race. Qu'est-ce qui fonde l'interdit porté sur l'usage de l'ancienne expression de « race française », telle qu'elle est utilisée pour désigner le substrat de populations diverses fondues dans la construction d'une civilisation particulière ? Eh bien, tout simplement, l'argument selon lequel ce ne serait pas une vraie race (mais une mosaïque de races) : que la « race française » ne manifesterait pas les caractéristiques d'homogénéité ethnique. En d'autres termes, c'est une argumentation de type racialiste - et l'argument de base des théories raciales - qui est ici mobilisée. L'antiracisme ne dévalue la « race française » qu'autant qu'elle dépouillerait les ethnies authentiques et légitimes au bénéfice d'une ethnie qui n'existerait pas, ou d'une race fausse...

L'antiracisme s'inscrit dans un cadre mental qui s'est peu à peu construit et où il est intervenu pour prononcer des interdictions et des monopolisations d'usage. Ainsi l'antiracisme a-t-il accaparé le vieux thème de la valorisation de la différence, autrefois apanage des théories raciales. Ainsi s'est-il adjoint deux mots, et leurs dérivés, race et ethnie, également originaires de l'autre camp - en serrant au plus près, d'ailleurs, ses taxinomies -, pour en piloter des usages légitimes (cf. les législations antiracistes, la mise en avant du multiracial, etc.), tout en interdisant d'utiliser l'un et l'autre en équivalence au concept de nation ou de civilisation française, au prétexte d'une inauthenticité raciale du Français en tant que tel, au prétexte second de la violence raciste meurtrière que ce prononcé d'équivalence inclurait par nature. Il n'y a pas à s'étonner que le cadre mental d'une époque soit organisé en un système à la fois logique, nécessaire et arbitraire : de l'acceptation ou non de ce système dépend le degré d'intelligibilité avec elle-même dont une société est capable à un instant donné. En revanche, ce système peut, et c'est ici le cas, rendre inintelligible l'époque précédente, le cadre mental antécédent. L'exigence de dépression de l'idée de nation occulte que, en recouvrant, il y a peu encore, le concept de nation ou de civilisation française le mot « race », appliqué à l'ensemble humain qu'ils recouvraient et qui les avait générés, était loin de devoir déboucher, en son usage alors courant, sur une pratique ou une pensée racistes." (pp. 68-72)

P. Yonnet illustre ce dernier point à travers l'exemple d'écrits de Saint-Exupéry remontant à la débâcle de 1940, Pilote de guerre et la Lettre à un otage. Voici un extrait de cette dernière, dans laquelle « Saint-Ex » s'adresse à un ami juif, suivi du commentaire de P. Yonnet :

« Toi si français, je te sens en péril de mort, parce que français, et parce que juif (..., coupure de AMG). Nous sommes tous de France comme d'un arbre, et je servirai ta vérité comme tu eusses servi la mienne. »

"Continguïté de thèmes que notre cadre mental antiraciste a manichéisés en les classant dans l'absolument irréconciliable : la nation substantielle et de longue souche, rameaux, tronc et racines où « nous sommes tous de France comme d'un arbre », cet attachement à une identité française forte associée comme l'une de ses conséquences au refus des mécanismes d'exclusion antisémite." (pp. 74-75)


« L'ethnicisme d'application extérieure (politique étrangère) tend à devenir un ethnicisme d'application intérieure (politique régionale et politique d'immigration)... » : on aura reconnu là ce bon vieux truc qui consiste à essayer et à perfectionner une politique à l'extérieur, chez plus petit et/ou plus faible que soi, chez ceux que personne de vraiment puissant ne va défendre, avant de la pratiquer à la maison, armé de ces précédents - un des derniers avatars de cette tactique étant sans doute la volonté d''utilisation de l'ADN pour établir des critères « fiables » quant au regroupement familial [1]. Le génie particulier d'un Bernard Kouchner étant dans la cas évoqué par P. Yonnet de promouvoir une politique paraissant vraiment, aux yeux de vous et moi qui n'y connaissent rien aux Kurdes et qui ne leur veulent aucun mal, empreinte d'humanité et de perspective historique.

On constatera tout de suite, dans cet ordre d'idées, que si ces stratégies politiques ont pris une plus grande ampleur aux beaux temps de l'Empire français, quand la métropole disposait d'un grand terrain de jeux, sans autre arbitre qu'elle-même, pour tester telle ou telle innovation, le grand absent de la citation de Paul Yonnet est précisément la colonisation. Notre auteur a je crois raison de souligner que la notion de « race française » telle qu'elle s'est mise en place au fil du temps et telle qu'elle constituait le socle d'un consensus à l'orée du XXe siècle - consensus que renforça et ébrécha en même temps la Première Guerre mondiale, comme le montre notamment le texte de Céline que j'ai mis aujourd'hui en exergue - est « loin de devoir déboucher, en son usage alors courant, sur une pratique ou une pensée racistes », il n'en reste pas moins qu'impasse est ici faite sur le rôle de la colonisation dans la définition de cette race française, dont la « supériorité » fut à la fois utilisée pour justifier la colonisation et justifiée par la réussite de cette même colonisation (je vous en parlais il y a peu, c'est l'auto-alimentation du droit du plus fort : je suis le plus fort, donc j'entreprends et je réussis, et d'ailleurs le fait que je réussisse prouve que j'étais le plus fort, et que j'avais donc raison d'entreprendre, etc.), le cas de Ernest Lavisse, évoqué par P. Yonnet, étant d'ailleurs tout à fait révélateur à cet égard.

"Je suis contre les femmes ; tout contre" : le célèbre propos de Guitry - cet admirable représentant sinon de la race française en tout cas de « l'esprit français » -, par ce jeu de mot sur les sens du terme « contre » peut aider à faire comprendre les ambiguïtés de cette définition de la race française par elle-même qui se définit aussi contre les autres, et notamment contre les colonisés qu'elle assujettit, en même temps qu'elle se définit contre ces Allemands si proches, que l'on déteste et que l'on admire, dont on se sent différent mais à qui on aimerait parfois ressembler [2], etc... Bref : ne nous laissons pas entraîner trop loin dans ces directions, ne tentons pas de distribuer trop de bons et de mauvais points à propos de ce qui s'est passé il y a plus d'un siècle ; il nous suffit d'avoir montré ou rappelé, d'une part qu'il ne faut pas - il ne faut jamais ! - oublier que la politique - ou les politiques - de la France en ces années-là ne se réduit pas à l'Hexagone, d'autre part que l'auto-définition de soi implique nécessairement des formes variées et plus ou moins inoffensives de dépréciation des autres (je vous renvoie à C. Lévi-Strauss sur ce sujet).

Enfin, et avant que d'aborder dans un troisième volet, plus précisément, certains des critiques de la France, il faut reformuler ce qu'écrit Paul Yonnet en termes de holisme et individualisme. La métaphore de la « race française » comme un arbre aux racines profondes voire immémoriales, qui se développe et se ramifie à travers les âges à partir d'un substrat commun, est bien sûr d'esprit typiquement holiste. L'intéressant, si l'on se concentre encore une fois sur la période 1870-1914, c'est que l'on voit de nouveau à l'oeuvre un des schémas directeurs qui a permis à cette époque de fonctionner, fût-ce sur des modes très tendus : l'individualisme s'est y aidé du holisme, s'est parfois voulu, éventuellement même consciemment, comme le prolongement du holisme. On trouvait ce thème chez Tocqueville, on le retrouvera chez Péguy et Bernanos, on le trouve chez Jaurès : 1789 comme continuation d'un certain esprit égalitaire et aristocratique français, la royauté et certains visages de la Révolution main dans la main, à la fois contre 1793 et contre l'économie de marché bourgeoise, la révolution industrielle, etc.

Ce n'est pas aujourd'hui notre sujet que de discuter ces conceptions pour elles-mêmes, ce qui est important pour l'heure est de noter le pont qu'elles tentent de jeter entre présent et passé - entre modernité et tradition -, et la façon dont cela permet de créer un climat d'ensemble - P. Yonnet parle d'une « évidence » - où se retrouvent des gens par ailleurs très opposés, Jaurès et Maurras par exemple. Car si l'on peut s'étriper sur le contenu de cette notion de « race française », si l'on peut reprocher à l'adversaire de la trahir, ou de la soumettre à des « partis de l'étranger », Juifs, francs-maçons, etc., ou de l'empêcher d'évoluer et d'accomplir sa destinée, rares sont ceux qui refusent ce lien entre présent et passé, lien qui d'ailleurs n'empêche pas, éventuellement, de préférer le premier (Jaurès) ou le deuxième (Tocqueville) de ces termes. A sa manière, et après le traumatisme de la Grande Guerre, le texte de Céline par lequel j'ai commencé cette livraison, est encore une version de ce mythe de la « race française », version tout simplement négative : nous avons toujours été « miteux, chassieux, puceux ».

Donc : si l'on peut tout à fait, bien que ce ne soit ni notre sujet ni celui de P. Yonnet, décrire le contenu, ou plutôt les contenus différents, désignés par le concept de « race française », cela ne nous est pas nécessaire. A l'époque déjà on le savait, l'identité française - pour employer une expression contemporaine, dont on pourrait d'ailleurs soutenir qu'elle est plus rigide ce que celle de « race », mais passons - est multiple, sous-tendue par des conflits, utilisons la terminologie de Tocqueville, entre « aristocratie » et « démocratie ». Ces notions, on peut, de Augustin Thierry à Emmanuel Todd, les relier à des noyaux de populations différents au sein du pays. On peut, si l'on maudit l'une d'entre elles, la rejeter dans le passé (optique de la vulgate marxiste, qui justement sort de notre tableau, ou tente d'en sortir, car lorsqu'il s'agira d'aller défendre la patrie contre l'Allemand, les plus internationalistes en paroles ne mégoteront pas longtemps), ou l'assimiler à l'étranger (option Maurras) : les termes du débat restent à peu près les mêmes [3].


Finissons-en. La « race française » telle qu'elle était une « évidence », n'était pas une race au sens biologique, et c'est que Paul Yonnet rappelle avec à-propos. Le Robert 2006 donne comme sens du mot race :

I.1 Famille, considérée dans la suite des générations et la continuité de ses caractères (ne se dit que de grandes familles, familles régnantes,etc.). 2. Vieilli. Commune plus vaste considérée comme une famille, une lignée. 3. Fig. Catégorie de personnes apparentées par des comportements communs.

II. Subdivision de l'espèce zoologique, elle-même divisée en sous-races ou variétés, constituée par des individus réunissant des caractères communs héréditaires.

III. 1. (1684) Subdivision de l'espèce humaine d'après des caractères physiques héréditaires. 2 Par ext. (XIXe) Dans la théorie du racisme, Groupe naturel d'humains qui ont des caractères semblables (physiques, psychiques, culturels, etc.) provenant d'un passé commun, souvent classé dans une hiérarchie.

L'objet de ma livraison de ce jour, pour résumer, est de montrer que l'expression « race française » (où le mot race était principalement employé dans les sens « vieilli » et « figuré » I 2 et I 3), à la fois parce que le mot - notamment dans son sens I 1, déjà - le permettait et parce que l'histoire, de Vacher de Lapouge à Hitler, s'en est chargée, cette expression ne peut plus être employée que dans les sens II et surtout III, et surtout III 2 - donc, dans les faits ne peut plus être employée -

sauf, précisément, par les antiracistes assermentés, qui en déduisent que les Français ne sont pas une « vraie race » [4]. Source de contradictions et de complications, dans l'image que nous nous faisons de nous-mêmes, que ce qu'on appelle les « minorités » se font d'elles-mêmes, dans l'image qu'elles se font de nous (ainsi que dans le cervelet du pauvre Eric Zemmour, mais passons). Je précise tout de suite que je suis loin de croire que tous ceux qui « appartiennent » à ces minorités adhèrent à une vision aussi racialiste que celle qui fut développée par SOS-Racisme à une époque et qui peut l'être de temps à autres par le CRAN aujourd'hui. Simplement, la situation d'ensemble est confuse, et il me semble que le recul historique que nous permet d'avoir le texte de Paul Yonnet peut contribuer à la clarifier.


Ces idées en appellent d'autres... A bientôt !




A titre d'illustration, je reproduis ci-après le texte de la chanson, bien-nommée, Hexagone, écrite en 1980 par celui qui allait plus ou moins devenir le barde officiel de SOS-Racisme - Renaud. Tout n'est certes pas à jeter dans ces vers parfois piquants, mais c'est pour la vision d'ensemble, cette détestation proclamée de la France par un français, pour ce volontarisme du rejet, et par comparaison avec ce que pouvait écrire Saint-Exupéry (un rien plus courageux que M. Renaud Séchan, faut-il le rappeler... mais ce sont aussi des époques différentes), que je vous invite à les lire.



"Ils s'embrassent au mois de Janvier,
car une nouvelle année commence,
mais depuis des éternités
l'a pas tell'ment changé la France.
Passent les jours et les semaines,
y a qu'le décor qui évolue,
la mentalité est la même :
tous des tocards, tous des faux culs.

Ils sont pas lourds, en février,
à se souvenir de Charonne,
des matraqueurs assermentés
qui fignolèrent leur besogne,
la France est un pays de flics,
à tous les coins d'rue y'en a 100,
pour faire règner l'ordre public
ils assassinent impunément.

Quand on exécute au mois d'mars,
de l'autr' côté des Pyrénées,
un arnachiste du Pays basque,
pour lui apprendre à s'révolter,
ils crient, ils pleurent et ils s'indignent
de cette immonde mise à mort,
mais ils oublient qu'la guillotine
chez nous aussi fonctionne encore.

Etre né sous l'signe de l'hexagone,
c'est pas c'qu'on fait d'mieux en c'moment,
et le roi des cons, sur son trône,
j'parierai pas qu'il est all'mand.

On leur a dit, au mois d'avril,
à la télé, dans les journaux,
de pas se découvrir d'un fil,
que l'printemps c'était pour bientôt,
les vieux principes du seizième siècle,
et les vieilles traditions débiles,
ils les appliquent tous à la lettre,
y m'font pitié ces imbéciles.

Ils se souviennent, au mois de mai,
d'un sang qui coula rouge et noir,
d'une révolution manquée
qui faillit renverser l'Histoire,
j'me souviens surtout d'ces moutons,
effrayés par la Liberté,
s'en allant voter par millions
pour l'ordre et la sécurité.

Ils commémorent au mois de juin
un débarquement d'Normandie,
ils pensent au brave soldat ricain
qu'est v'nu se faire tuer loin d'chez lui,
ils oublient qu'à l'abri des bombes,
les Francais criaient "Vive Pétain",
qu'ils étaient bien planqués à Londres,
qu'y avait pas beaucoup d'Jean Moulin.

Etre né sous l'signe de l'hexagone,
c'est pas la gloire, en vérité,
et le roi des cons, sur son trône,
me dites pas qu'il est portugais.

Ils font la fête au mois d'juillet,
en souv'nir d'une révolution,
qui n'a jamais éliminé
la misère et l'exploitation,
ils s'abreuvent de bals populaires,
d'feux d'artifice et de flonflons,
ils pensent oublier dans la bière
qu'ils sont gourvernés comme des pions.

Au mois d'août c'est la liberté,
après une longue année d'usine,
ils crient : "Vive les congés payés",
ils oublient un peu la machine,
en Espagne, en Grèce ou en France,
ils vont polluer toutes les plages,
et par leur unique présence,
abîmer tous les paysages.

Lorsqu'en septembre on assassine,
un peuple et une liberté,
au cœur de l'Amérique latine,
ils sont pas nombreux à gueuler,
un ambassadeur se ramène,
bras ouverts il est accueilli,
le fascisme c'est la gangrène
à Santiago comme à Paris.

Etre né sous l'signe de l'hexagone,
c'est vraiment pas une sinécure,
et le roi des cons, sur son trône,
il est français, ça j'en suis sûr.

Finies les vendanges en octobre,
le raisin fermente en tonneaux,
ils sont très fiers de leurs vignobles,
leurs "Côtes-du-Rhône" et leurs "Bordeaux",
ils exportent le sang de la terre
un peu partout à l'étranger,
leur pinard et leur camenbert
c'est leur seule gloire à ces tarrés.

En Novembre, au salon d'l'auto,
ils vont admirer par milliers
l'dernier modèle de chez Peugeot,
qu'ils pourront jamais se payer,
la bagnole, la télé, l'tiercé,
c'est l'opium du peuple de France,
lui supprimer c'est le tuer,
c'est une drogue à accoutumance.

En décembre c'est l'apothéose,
la grande bouffe et les p'tits cadeaux,
ils sont toujours aussi moroses,
mais y a d'la joie dans les ghettos,
la Terre peut s'arrêter d'tourner,
ils rat'ront pas leur réveillon;
moi j'voudrais tous les voir crever,
étouffés de dinde aux marrons.

Etre né sous l'signe de l'hexagone,
on peut pas dire qu'ca soit bandant
si l'roi des cons perdait son trône,
y aurait 50 millions de prétendants."



U1307635XINP

Hawaï, 1956, Jane Russell et Raoul Walsh... White trash forever !






[1]
Avec dans ce cas comme dans d'autres le retournement de la posture « droits-de-lhommiste » : puisque ces gens qui sont tellement nos égaux n'ont pas rechigné [sic] à accepter les analyses ADN, ne serait-ce pas se déclarer indûment supérieurs à eux que de les refuser ? Et il est bien évident que l'inconscient paternaliste, pour ne pas dire plus, de certains « droits-de-lhommistes », est un point faible sur lequel l'adversaire, qui n'aime pas plus les nègres, ou qui du moins ne s'est pas mis en tête de les aimer, ne se prive pas d'appuyer.



[2]
Au point de s'offrir en sacrifice, avec et contre lui, lors de la Grande Guerre... Terrible jeu de miroirs que ce conflit entre deux peuples « si loin si proches » qui vont finir par s'holocauster eux-mêmes et mutuellement, dans une sorte de valse amour/haine pathétique en tous les sens du terme : émouvante et dérisoire (valse dont le symbole reste les Meyer dont je vous ai déjà parlés). Cette idée permettrait de comprendre pourquoi des esprits lucides comme R. Rolland ou, après l'exaltation chauvine du début, Thomas Mann, laissent quelque peu froid, même si dans leur pacifisme ils ont eu d'une certaine manière raison avant les autres : on a le sentiment, justifié ou non (vous aurez compris que je n'ai pas lu Au-dessus de la mêlée, j'explique justement pourquoi je n'ai jamais eu envie de le lire), que ces sages sont passés à quelque chose d'essentiel à leur époque. Mais peut-être est-ce une forme d'envie ou de rancoeur face à leur sainteté...

Quoi qu'il en soit, de ce point de vue, la Seconde Guerre mondiale, dans son épisode franco-allemand, est nettement moins intéressante : ce qui était psychologiquement sinon confondu du moins incestueusement proche, soit ne manifeste plus son ambivalence que sous une forme passive (on peut avoir des sentiments mêlés vis-à-vis des Allemands et de leur présence en France, mais l'important dans un premier temps est de survivre), soit se disjoint en des pôles nettement plus marqués (la Résistance d'un côté, certes pas toujours haineuse, mais clairement focalisée contre un ennemi auquel on n'a aucune envie de ressembler ; la Collaboration, et notamment son lot d'homosexuels plus ou moins avoués fascinés par la jeunesse allemande, dont le quarteron d'écrivains en goguette en Allemagne en octobre 1941 (Drieu, Jouhandeau, Abel Bonnard, dont la postérité a plus retenu l'élégant surnom de « Gestapette » que ses écrits littéraires, André Fraigneau...) restera l'emblème.) Et depuis, depuis disons la vraie mise en route de la « construction européenne », c'est l'indifférence mutuelle...



[3]
On remarquera d'ailleurs dans certaines controverses, auxquelles j'ai moi-même participées, « aux côtés » d'Emmanuel Todd, sur Nicolas Sarkozy (ou, paraît-il, dans le livre de P. Péan sur B. Kouchner), on remarquera, disais-je, que l'on retrouve cette accusation d'importation en France de valeurs étrangères, à la race, l'identité, la tradition - le terme ici importe peu - française. Sans nous lancer dans une discussion sur ces thèmes, clarifions :

- des importations de valeurs étrangères, et des importations nocives, cela est possible, il n'y a rien de mal en soi à en parler et à les critiquer. Les cultures communiquent, il n'y a aucune raison pour qu'elles communiquent toujours bien ou se transmettent toujours ce qu'elles ont de plus adapté l'une à l'autre. Ce qui pose problème, c'est lorsqu'on passe de la critique de ces valeurs importées, et des personnes dont on trouve qu'elles ont tort de les importer, à une critique essentialiste de ces personnes en tant qu'elles appartiennent, ont toujours appartenu, appartiendront toujours à des groupes porteurs de ces valeurs. C'est l'opération qu'à tort ou à raison, je ne connais pas les textes, on reproche à Maurras envers protestants, franc-maçons et juifs, important dans une France aristocratique le virus de la démocratie ;

- dans le cas de Nicolas Sarkozy, il n'y a aucun problème moral à l'accuser de promouvoir une conception anglo-saxonne inégalitaire de l'existence, tant il la revendique. Le problème précis est plutôt de savoir à quel point ces valeurs, notamment sous la forme « économiste » qu'elles prennent de nos jours, sont si anglo-saxonnes et si peu françaises que cela (je vous l'avais signalé, E. Todd recommande à ce sujet le livre Néolibéralisme, version française de F. Denord, qui comme son titre l'indique soutient plutôt la thèse que Reagan et Thatcher sont en la matière loin d'être responsables de tous « ces mensonges qui nous ont fait tant de mal »).



[4]
C'est une autre interprétation de la tirade de Bardamu mise en exergue : la France n'est qu'un « ramassis », pas une vraie nation ou une vraie race. Par opposition peut-être en premier lieu aux Juifs, qui eux sont et ont toujours été une race. On sait que dans les pamphlets, notamment Bagatelles... et L'école des cadavres, Céline est un peu « à la recherche de la race perdue », sur le thème : depuis quand les Français ne sont-ils plus une vraie race, depuis quand est-ce que cela a commencé à déconner ? Et est-ce que les Allemands, qui ont mieux compris ces histoires de race que nous, ne pourraient pas nous aider ? Etc.

Julien Dray, ex-« tête pensante » de SOS-Racisme, peut ne pas apprécier le rapprochement, il n'en reste pas moins qu'il y a, donc, des points communs entre certaines thématiques développées par son organisation et certaines prémisses théoriques de Céline.


Ajout le 19.03.09.
J'aurais pu formuler cette dernière idée plus rapidement, et même m'en servir pour compléter mon exergue : le slogan de SOS-Racisme, « Nous sommes tous des immigrés », n'est jamais qu'une variante lapidaire de la phrase de Céline sur ces « puceux... venus vaincus des quatre coins du monde ». Il y a des différences de polarité, ce qui est vu ici comme un bien est vu là comme un mal (et encore : chez Céline comme chez J. Dray il y a des sautes d'humeur), mais le système conceptuel est le même.

Libellés : , , , , , , , , , , , , , , , , , ,