vendredi 1 mai 2009

"Encore une minute, monsieur le bourreau..."

visconti164555


Cette crise, les Occidentaux nantis la veulent, la désirent, n'attendent qu'elle.

De plus en plus rares (quoiqu'en expansion en Chine, en Inde...) mais encore nombreux et puissants, puisque leurs désirs matériels dirigent en grande partie la façon dont fonctionne l'économie de la planète ; prisonniers de leur confort et de leurs névroses, ils sentent bien l'obscur rapport entre celui-là et celles-ci, mais n'ont pas la force de renoncer à celui-là et préfèrent encore celles-ci, qu'au moins ils connaissent, à l'inconnu. Ils savent leur vie à peu près vide de sens mais ont néanmoins une obscure peur du vide... Il est vrai qu'ils ont peur de tout. Le « conservatisme » que l'on reproche aux Français « attachés aux acquis sociaux » existe, mais c'est une vaste rigolade en comparaison du conservatisme de tous les nantis de la planète, qui en dépit de et du fait de l'ennui profond de leur existence, s'y accrochent comme à leur seul repère (ou presque : famille, amis sont toujours là, mais cela ne change pas grand-chose à notre problématique).


damnés collier


Depuis à peu près quarante ans, depuis les évolutions post-1968 et le divorce entre « gauchistes » et ouvriers, les gens ne pensent à s'occuper des autres (étant donné que je compte ici pour rien tiers-mondismes et mouvements anti-racistes, en ce qu'ils sont justement, hors mouvements sérieux, peu médiatiques et de toutes façons minoritaires, un alibi à l'inaction) que lorsqu'ils sont eux-mêmes dans la merde. Même dans ce cas cette réapparition du souci des autres n'est ni automatique - certains, même très pauvres, vivent encore dans le songe cotonneux de la société de consommation, d'autres, pauvres depuis toujours, rêvent de la rejoindre -, ni instantanée - il y a des transformations graduelles, plus ou moins rapides selon les personnes et les situations -, mais c'est je crois un schéma assez général, et qui n'a pas de raison d'évoluer en sens contraire : si, à côté des inadaptés sociaux de toujours (fous, malades, glandeurs-nés, voyous...) vous êtes le seul chômeur, vous pouvez culpabiliser et la fermer, mais si autour de vous il y a des centaines de milliers de chômeurs involontaires, alors vous avez des chances de réfléchir à ce qui se passe de façon plus globale (quitte d'ailleurs à en mettre un peu trop sur le dos du système...).


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"Cette crise va nous amener à réfléchir, le mode de vie occidental est autodestructeur, les gens vont prendre conscience qu'il y a des choses plus importantes dans la vie..." - bien sûr, oui, sauf que tant que l'on n'y est pas obligé par les circonstances, les seules actions provoquées par ces pertinentes réflexions consistent à économiser un peu, choisir un peu plus de produits bio, râler sur son blog... ou manifester le 1er mai, le jour où on peut le faire sans perdre d'argent. (Je sais, il y a les emprunts immobiliers, la peur du chômage, les exigences des gamins...)

Autrement dit : puisque les gens, avec tout ce que l'on sait sur les causes de la crise et sur l'immense demande, principalement, mais plus uniquement, occidentale, l'immense demande de confort permanent qui en est, au moins aujourd'hui, la cause, puisque les gens ne se prennent que très peu collectivement en main pour tenter de contrebalancer quelque peu le poids de cette immense demande, eh bien cette crise, ils la veulent, ils l'attendent, ils l'espèrent : ils savent que ce n'est qu'une fois qu'ils n'auront plus le choix qu'ils feront ce qu'ils admettent être incapables de faire d'eux-mêmes, renoncer au confort auxquels ils sont si habitués. Je suis bien conscient qu'il est difficile pour quiconque d'intervenir sur des événements aussi impressionnants, je suis le premier averti de ce sentiment d'impuissance individuelle qui est à la fois une des racines (Hobbes, déjà..., Pascal) de la modernité et une de ses manifestations les plus criantes (que le suffrage universel ne compense guère, il n'y a que les politiques qui fassent encore semblant de ne pas en être conscients, ils ne sont pas fous...), mais je ne peux néanmoins que constater, non seulement, pour l'heure, la petitesse des réponses collectives apportées à cette somme d'impuissances individuelles, mais aussi la jouissance perverse, qui au moins donne un peu de sel à sa vie, avec laquelle l'individu lambda se réfugie derrière cette impuissance, réelle mais pas définitive... pour ne strictement rien faire, et continuer, vaille que vaille, son existence fantomatique de consommateur dépressif.


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Il y a là un mélange d'impuissance réelle, donc, d'habitude de l'assistanat, de masochisme, de peur de l'inconnu, de conscience que l'inconnu est proche - on hésite d'autant plus à sauter le pas que l'on sent qu'il ne serait pas si difficile de le faire -, d'égoïsme pur et dur (les pauvres ne sont pas beaux à voir... quant aux pays pauvres, n'en parlons pas, qu'ils nous donnent les ressources qu'ils peuvent encore nous donner et dont nous avons tellement besoin, et ferment leur gueule), qui « aboutit » (je mets des guillemets car c'est aussi la racine du problème, c'est là où on risque d'être puni par où on a péché, ce qu'en plus, donc, on demande !) à une mentalité à la fois individualiste et apocalyptique, que l'expression « après moi le déluge » et ses résonances pauvrement bibliques me semble, une nouvelle fois, décrire de la façon la plus adaptée - à condition d'ajouter que cela veut aussi dire : « avec moi le déluge », « par moi le déluge », « pas sans moi le déluge »...


nightofthehunter


« Encore une minute M. le bourreau », ai-je choisi comme titre : il faut entendre toute la jouissance, et de cette minute, et de l'orgasme - l'Apocalypse - qui conclura cette minute, minute bien sûr étirée le plus possible, pour faire durer le plaisir qu'elle procure, le plaisir provoqué par l'anticipation du moment de l'Apocalypse, et pour augmenter, espère-t-on, l'orgasme final.

Il peut échouer, bien évidemment, mais il s'agit là d'une sorte d'immense attentat-suicide collectif, qui entraîne d'ores et déjà dans son sillage un grand nombre de victimes innocentes. Et puisque les psychanalystes aimaient à méditer sur la dimension narcissique des attentats-suicides terroristes - dont certains, faut-il le rappeler, avaient tout de même une réelle dimension politique -, voilà pour eux un morceau de choix, leur propre société et ses névroses.


nightofthehunter4




Bon, j'étais parti pour vous parler des Etats-Unis et de la religion, ceci ne devait qu'une incise préliminaire. Mais j'aime les longs préliminaires - et les bons préliminaires vous font entrer plus aisément dans le vif du sujet : ce que je viens d'écrire s'applique plus qu'à tout autre pays aux Etats-Unis et leurs apocalypses de bazar, je n'aurai donc plus, la prochaine fois, qu'à m'y attaquer directement.


En attendant, vous pouvez toujours relire cette digression sur les Etats-Unis (une dizaine de paragraphes après le début du texte, à la rubrique c) ainsi que les liens afférents, cela nous fera gagner du temps.



(Deux remarques pour finir :

- je l'ai déjà évoqué, ce texte le confirme pleinement, Sébastien Fontenelle a peut-être du mordant, mais pas beaucoup de cerveau ;

- je vous épargne les liens, en islandais et pour certains (des images de vidéo-surveillance) censurés, mais une jeune Islandaise, lors des récentes élections, a exprimé très nettement ce qu'elle pensait du suffrage universel, en chiant dans l'isoloir et en se torchant avec le bulletin de vote avant de le mettre dans l'urne. Cheers !)

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