vendredi 26 juin 2009

"La démocrachie partout..." (Fume, c'est du sioniste !)

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J'avais prévu de vous parler d'autre chose ce matin, mais la lecture de cet article dans le numéro d'hier de Libération (un numéro dans l'ensemble sérieux, il faut l'admettre) m'oblige à changer mes plans :

"Les soldats israéliens ont agressé plusieurs fois des diplomates français.

La France humiliée par Tsahal.

Si Nicolas Sarkozy fait beaucoup d'efforts pour se rapprocher de l'État hébreu [note à M. Limbes : c'était écrit sans majuscule...], on ne peut pas dire que la réciproque soit vraie. À preuve la multiplication des « bavures » commises par les forces de sécurité israéliennes à l'encontre des ressortissants français en mission et soigneusement étouffées par le Quai d'Orsay. Lundi, la directrice du centre culturel français de Naplouse (Cisjordanie) a été sortie de son véhicule, jetée à terre et rouée de coups par des militaires israéliens près de Jérusalem. « Je peux te tuer » a lancé en anglais un des soldats. Sa voiture portait pourtant des plaques diplomatiques. Depuis, on lui a déconseillé de porter plainte pour ne pas « gêner » la visite de Nétanyahou. Mardi, c'est le directeur du centre culturel de Jérusalem-Ouest, Olivier Debray, qui, à bord d'un véhicule pourvu de plaques consulaires, a été insulté par des policiers.

D'une façon générale, le corps consulaire français se plaint de la violation régulière par les policiers et les soldats israéliens des usages consulaires. Le 11 juin 2008, Catherine Hyver, consule adjointe à Jérusalem, avait été retenue dix-sept heures sans une goutte d'eau ni une miette de pain par la sécurité israélienne à un point de passage de la bande de Gaza.

Mais l'incident le plus choquant est l'occupation du domicile de l'agent consulaire français, Majdi Chakkoura, à Gaza pendant l'attaque israélienne de janvier. En son absence, les soldats israéliens ont complètement ravagé les lieux - pourtant signalés à l'armée israélienne -, volé une grosse somme d'argent, les bijoux de son épouse, son ordinateur et détruit la thèse sur laquelle il travaillait. Et ils ont souillé d'excréments le drapeau français. Le Quai d'Orsay n'a là encore élevé aucune protestation. Une occupation semblable s'est produite au domicile d'une professeure [aïe ! Libé !] palestinienne du centre culturel français. Avec ce tag écrit en français sur la bibliothèque dévastée : « Sale arabe, ont va revenir te tuer ». C'est, dit-on à Gaza, la faute de français - le « t » en trop - qui a choqué l'enseignante." (Jean-Pierre Perrin)

Contrairement à ce qu'écrit l'auteur, ce sont les premiers incidents les plus choquants, car ils participent d'une volonté réfléchie d'insulter les Français. Ce qui s'est passé à Gaza, tout désagréable que cela soit, peut à la rigueur relever du comportement « normal » d'une armée d'occupation. Quoi qu'il en soit, on admirera le soutien du Quai d'Orsay à ses collaborateurs, et surtout, on imaginera ce que l'on aurait entendu si de tels incidents venaient de soldats syriens ou iraniens. Sans doute la merde juive a-t-elle une odeur plus agréable que la merde arabe (ou musulmane, ou arabo-musulmane...).


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Il est vrai que l'on ne discute pas les goûts et les couleurs. Après tout, nous avons un président qui passe sa vie à conchier notre pays, pourquoi les autres se gêneraient-ils ?



Passons. Je profite de l'occasion pour vous signaler ce texte de R. Steuckers, remontant à 1988 et toujours actuel.


Long live rock !

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mardi 23 juin 2009

Straubien.

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"...c'était la douceur savoureuse d'octobre, il l'emmenait quelquefois à la campagne un jour entier, toujours vers les forêts. Il n'avait jamais osé auparavant emmener une femme parmi les grands arbres. Il voulait la retirer des salons, des golfs, des restaurants. La France est un pays de forêts. Il y a encore autour de Paris, en tirant vers le nord ou vers l'ouest, de ces grands refuges. Là il aurait voulu la préparer au ton secrètement hautain des cathédrales, des châteaux et des palais qui sont les derniers points d'appui de la grâce, car les pierres ont mieux résisté que les âmes."

(P. Drieu la Rochelle, Gilles, 1939, deuxième partie, ch. V.)



"Un pays imaginaire - entre 1848 et 1917, entre la Chine et Cuba - avait surgi, au mois de mai, des pavés du Quartier Latin. Le Messie, répétait Maurice Clavel chaque matin dans Combat, était ressuscité sur les barricades. Mais en juin, on s'apercevait que le pays réel était aussi le pays légal. Finalement, au-delà des options politiques, une masse immense de Français restait attachée - comme aux États-Unis, comme en Grande-Bretagne - à l'ordre et à la loi. Telle était la surprise et, pour les enragés, le scandale. Ils avaient cru à une France idéale (celle des révolutions) et ils retrouvaient la « vraie » France, « petite, bourgeoise, xénophobe, raciste, nationaliste, réactionnaire, fasciste, religieuse, catholique, protestante ou juive ». La France des petites villes, vieillotte et sage, d'abord dépassée par l'éruption, lentement s'était ressaisie : elle s'était reconnue sur les Champs-Élysées, et elle allait confirmer dans son vote qu'elle était encore (pour combien de temps ?) la majorité."

(P. de Boisdeffre, Lettre ouverte aux hommes de gauche, Albin Michel, 1969, p. 111)


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La citation sur la « vraie » France provient du livre de M. Daniel Cohn-Bendit, Le gauchisme, remède à la maladie sénile du communisme, Seuil, 1968 (évoquerait-il encore le judaïsme ainsi ?...). Il n'est pas certain que l'auteur y qualifie cette France qu'il décrit avec amour comme la « vraie », je n'ai pu le vérifier.

Quoi qu'il en soit de ce dernier point d'importance symbolique, il suffit de mettre en rapport cette brève analyse de P. de Boisdeffre et les résultats des élections européennes pour voir ce qui a changé depuis et en partie à cause de Mai 68 : entre de Gaulle et D. Cohn-Bendit il y avait de vraies différences, la « France des petites villes, vieillotte et sage » avait de bonnes raisons de suivre le premier et de ne pas aimer le deuxième qui, comme on peut le constater, le lui rendait bien. Alors qu'entre ceux que l'on a appelés, en faisant mine d'oublier la colossale abstention à ce scrutin, les deux vainqueurs des élections européennes, N. Sarkozy et D. Cohn-Bendit, il n'y a quasiment pas de différence. Je vous renvoie à cette récente interview d'Alain Soral, dans laquelle il compare D. Cohn-Bendit et J. Attali, vous constaterez par vous-même que Nicolas Sarkozy se fond avec allégresse dans ce même moule - qu'il faut bien qualifier d'anti-français, puisque ces gens-là proclament eux-mêmes fièrement, au mieux leur indifférence, au pire leur haine pour la France ! Résultat, la « France des petites villes... » soutient Nicolas Sarkozy en grande partie pour de mauvaises raisons, et ce n'est évidemment pas une situation saine.

Avec Drieu alors on peut se réfugier dans ce qui reste de la « grâce »... - mais c'était l'époque d'avant Festivus, on foutait alors la paix aux vieilles pierres, on ne se croyait pas alors obligé de les « valoriser » avec l'appui d'acteurs ratés, intermittents du spectacle en déshérence, qui nous empêchent de profiter, dans notre intimité, de l'oeuvre du passé.

Certes la grâce par définition ne se décrète pas, et se retrouvera ailleurs... Mais en attendant force est de constater que tout semble fait, c'est kafkaïen, peut-être pas pour que nous ne puissions plus rien éprouver, ce qui est sans doute impossible, mais pour que, de ce que nous éprouvons, nous ne puissions plus rien dire d'audible.


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vendredi 19 juin 2009

L'Iran existe-t-il ?

Oui, bien sûr, mais c'est paradoxalement en ce moment que l'on se met à en douter, tant au fil des lectures on voit chacun fantasmer son Iran, se projeter en lui, au gré de ses propres motivations, pro-occidentales, anti-impérialistes, féministes, démocrates, anti-sionistes, etc.

(Ce qui est d'autant plus amusant que, d'après les témoignages assez nombreux que j'ai pu recueillir, et souvent de première main, il est fort difficile de résumer la position « des Iraniens » sur l'Occident : beaucoup rêvent d'y venir, principalement aux États-Unis, en Angleterre et en France, tout en le critiquant vertement (avec ou sans jeu de mots). Bref, sans approfondir le sujet, non seulement il y a des contradictions sur ce point entre Iraniens, mais il y a des contradictions dans l'esprit de nombreux Iraniens - ce qui est tout à fait banal (ce qui l'est moins, c'est que, maintenant, même les Américains semblent apprendre à vivre avec des pensées contradictoires, voilà de la nouveauté !), mais évidemment n'aide pas à « choisir son camp ».)

La palme, comme souvent, revient à l'incroyable Ivan Rioufol, dont on admirera l'extraordinaire bonne conscience à se mêler des affaires d'un pays souverain. Il suffit d'imaginer ce qui se passerait si un éditorialiste iranien demandait à son gouvernement d'envoyer des fonds pour soutenir les mouvements qui contestent la trahison par Nicolas Sarkozy du vote des Français au référendum du 29 mai 2005 - trahison d'ailleurs plus évidente que les fraudes imputées à Mamoud Ahmadinejad, dont il semblerait, à l'heure où j'écris, qu'il ait effectivement bétonné un scrutin qu'il aurait de toutes façons gagné, tout ceci étant écrit avec les précautions requises -, il suffit d'imaginer cela pour prendre la mesure de la bassesse du personnage.

(Digression : ce crétin prétentieux, toujours à donner des leçons anti-politiquement correct, ne dédaigne pas par ailleurs jouer les caisses de résonance pour le MEDEF : quiconque a pris récemment sa retraite, ou a parlé avec un conseiller financier ces dernières années, ce qui fait donc pas mal de monde, sait bien que la situation des retraites en France, telle qu'il la décrit, est complètement fausse : cela fait déjà un bail que nous ne sommes plus dans un pur système de retraites par répartition, que l'État d'une main rogne sur ce qu'il doit aux gens, de l'autre les encourage à entrer dans la capitalisation. Parler, ainsi que le fait I. Rioufol, comme si l'on partait à l'assaut d'un système puissant et d'un tabou très fort, c'est vraiment prendre les gens pour des cons. Fin de la digression.)

En contraste, c'est l'objet principal de cette petite intervention, je ne peux que vous recommander cet excellent article de M. Defensa. L'Iran n'y est évoqué que de façon périphérique, mais c'est peut-être la meilleure chose à faire. Félicitations du jury en tout cas !




Par ailleurs, on peut lire le diagnostic de Thierry Meyssan : on ne sait jusqu'où on peut le suivre, mais il apporte des informations que l'on ne trouve pas ailleurs.



Vive la France !

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mercredi 17 juin 2009

"Putain un jour..."

De Guy Debord, je n'ai pas grand-chose à dire. Je l'ai lu avec intérêt il y a une quinzaine d'années, sans depuis beaucoup y revenir. Que l'État le consacre, on peut certes en sourire, mais il n'y a pas de quoi en être surpris. C'est ainsi que les choses fonctionnent, en France notamment, et, après tout, dans un pays où il n'y a pas une structure de fondations privées comme aux États-Unis, capables l'une d'accueillir Baudelaire, l'autre Proust, la troisième Céline, etc., il n'est pas illogique que ce soit l'État qui centralise les informations et les archives. Dans le cas d'un présumé radical révolutionnaire sans concessions etc. comme G. Debord, c'est juste un peu drôle, mais je crois qu'il faut reconnaître que cela ne vaut pas à soi seul condamnation de ses écrits. En des temps aussi confus, la consécration d'une oeuvre par l'État ne signifie pas plus qu'elle est mauvaise ou dépassée, que son refus de l'acquérir dans ses archives ne signifierait (ou n'aurait signifié, dans le cas de Debord) qu'elle vaille toujours d'être lue.

(Et puis on a assez râlé, lors de la vente Breton, qu'un libraire du quartier latin, appuyé sur des banques américaines, ait tout raflé et envoyé aux États-Unis... Finalement, et sans se leurrer sur les aspects financiers du problème du point de vue des ayant-droits, ne vaut-il pas mieux que ces archives restent en France ?)


Tout ceci... pour me payer une nouvelle fois P.-A. Taguieff, dont le texte sur ce sujet a eu le don de me faire bondir. Il est étrange comme certains auteurs ne cessent de vous sortir par les yeux. A la longue je le confesse j'ai fini par ressentir, non pas de l'affection, mais une pitié non exempte de chaleur humaine à l'égard d'un gars comme Finkielkraut, tant à l'intérieur de son étroitesse d'esprit il semble triste et désorienté. M. Taguieff, lui... en fait, je devrais lui être reconnaissant de me prouver ainsi périodiquement par l'exemple la faculté des « intellectuels » à n'être que de sinistres crapules. Je ne relève que deux points :

- il est dit plusieurs fois dans l'article que Debord fut un homme « sans oeuvre ». On peut détester cette oeuvre, la tenir pour négligeable, il reste qu'elle existe. D'autant que, quoi que l'on pense par ailleurs du personnage Debord et de la façon dont, on peut l'accorder à P.-A. Taguieff, il a su créer autour de lui une légende, une partie de cette oeuvre, il faut le noter, n'est pas signée - les textes de la revue de l'Internationale Situationniste. Il en est d'ailleurs ici comme de Breton : considérer que l'oeuvre ne vaut pas grand-chose, détester le côté chef de bande, avec scissions, anathèmes, etc., tout cela est légitime. L'un comme l'autre néanmoins, dans des proportions évidemment différentes, ont fédéré, y compris contre eux-mêmes, des volontés qui plus tard purent s'exprimer...

- ...notamment celle de M. Taguieff ! Il est de notoriété publique - l'intéressé l'a lui-même évoqué ailleurs - que dans sa jeunesse il lisait les publications situationnistes et fréquentait la librairie La Vieille Taupe, qui à l'époque (fin années 60) était le meilleur endroit pour les trouver. Qu'il les trouve désormais débiles, c'est son droit, mais dans un article aussi violent, où l'on ironise à plaisir sur "la fantomatique Internationale situationniste, microscopique groupement d'une dizaine d'individus en moyenne, épouvantail à bourgeois particulièrement poltrons", omettre que l'on a soi-même été un moment séduit par cet "épouvantail", n'est-ce pas quelque peu minable ? Juger sévèrement une époque, dont on a pourtant partagé, ne serait-ce qu'un temps, les défauts, sans le signaler au lecteur (du Figaro, qui plus est, lecteur sans doute peu au fait de l'histoire des compagnons de route de l'I.S.), c'est aussi irresponsable que lâche.

"Juger une époque" : par-delà le cas Debord, c'est de cela qu'il s'agit. En « oubliant » de signaler sa participation, même modeste, à cette histoire, P.-A. Taguieff refuse de donner la moindre crédibilité, la moindre possibilité de séduction, à des mouvements comme l'I.S. (et, peut-on poursuivre, à ceux qui aujourd'hui veulent s'en inspirer). Ergo, ceux qui s'y sont engagés ou intéressés ne pouvaient être que des gros cons ou des petits merdeux (ou l'inverse). Jugement facile, excessif, que la vérité des faits oblige, tout simplement - et cela n'aurait pas été le cas si l'auteur s'était expliqué, dans son article, sur le sujet - à appliquer à Pierre-André Taguieff lui-même.






Précisions : je n'en ai pas d'exemplaire sous la main, mais je tiens l'information selon laquelle P.-A. Taguieff fréquentait La Vieille Taupe par intérêt pour le situationnisme, du livre (controversé) de C. Bourseiller, Histoire générale de l'ultra-gauche, Denoël, 2003. C'est dans un numéro (que je n'ai pas lu) des Archives et documents situationnistes, du même Bourseiller, que M. Taguieff revient sur ces années.

Ajoutons que l'allusion à La Vieille Taupe ne se veut pas maligne : à l'époque, la librairie n'a rien d'une officine révisionniste ou négationniste.



P.S. : J'en profite : il m'arrive de recevoir des propositions pour devenir « ami » de tel ou tel sur Facebook. Le fait est que je ne suis pas sur Facebook et n'ai pas l'intention de m'y inscrire. Ce que spontanément j'appellerais un « bon vieux mail » me semble suffisant pour quiconque cherche à me contacter. Cordialement !

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mercredi 10 juin 2009

"Batons rompus".

(Avec plus d'une pensée pour C. et ses proches.)



Tel est le titre d'une chronique de Mauriac de 1953, dont voici les premières lignes :

"J'ai des confrères « gentils ». Voilà quarante ans que je les observe : ils tiennent d'une main distraite leur tuyau d'arrosage et répandent leur gentillesse sur les bons et sur les méchants. Ils sont gentils parce qu'ils n'attendent rien des êtres. Ils sont à leur affaire : pas d'ennemis à gauche, ni à droite, ni au centre. Des sourires pour tous : cela coûte si peu ! Un article, deux ou trois fois l'an, aux Lettres françaises, que les gens du monde ni les académiciens ne lisent (bien que certains y collaborent en douce...). Un bel article sur Maurras, à l'occasion, sur la littérature bien entendu : cela n'engage guère. La gentillesse est à base de prudence et d'indifférence.

Les êtres perpétuellement furieux, comme Bernanos, sont en réalité dévorés de tendresse. Leur aventure personnelle les intéresse moins que le sort du vieux pays démâté, qui donne de la bande ; ils souffrent pour l'équipage, pour les pauvres de l'entrepont. Ils ne méprisent les individus que parce qu'ils attendent tout de l'homme. Ils ne méprisent les chrétiens auxquels ils ont affaire, que parce qu'ils attendent tout de la sainteté. Ils ne se résignent pas à l'échec apparent de la Rédemption parce qu'ils ont foi au Rédempteur. Et comme ils détiennent le pouvoir de se faire entendre, ils aspirent à devenir la voix de tous ceux qui dans tous les ordres souffrent persécution pour la justice." (La paix des cimes, p. 409.)


Eclaircissons rapidement quelques points. Les lettres françaises ont été crées par Jean Paulhan notamment durant la guerre, comme une manifestation de la Résistance, Mauriac y collabora. Les communistes mirent le grappin dessus à la Libération. Ajoutons que, dans La paix des cimes, certains des meilleurs passages sont les descriptions du communisme soviétique (quelques lectures de bons témoignages et une dose de bon sens valent toutes les expéditions en URSS sous tutelle du parti, cela sera valable aussi pour la Chine quelques années plus tard...) et les polémiques avec les communistes français. Mauriac y montre, tout bourgeois bordelais qu'il fût, que l'on peut être anticommuniste sans sombrer dans l'idolâtrie utilitariste capitaliste.

Par ailleurs, l'allusion à Maurras semble selon l'éditeur de La paix des cimes viser Roger Nimier, qui, s'il n'écrivit jamais pour Les lettres françaises, rendit hommage au fondateur de L'Action française à sa mort en 1952, en voulant séparer « l'homme et l'écrivain » du « politique ». Rappelons que Maurras fut un soutien réel - non sans ambiguïtés - du régime de Vichy : si pour nous son rôle durant la seconde guerre mondiale est éclipsé par l'ensemble de son oeuvre durant un demi-siècle, pour le résistant Mauriac, en 1952-53, vouloir faire oublier « le politique » Maurras pouvait sembler fort de café.



Deux compléments :

- vive le cancer ! L'ultra-salope Bongo, de nationalité française et agent de la DGSE selon Verschave, y est passée. Champagne pour tout le monde, offert par la maison ! Comme à l'accoutumée, souhaitons qu'il ait beaucoup souffert : la mort des puissants est à peu près le seul moment où ils peuvent éprouver les mêmes sensations que les gens normaux, ils nous doivent bien quelques râles et gémissements, a fortiori quand ils en ont causé autant que ce gars-là. Ce n'est après tout que leur responsabilité s'il leur faut cela pour être rappelés, in extremis, aux bases de l'humaine condition ;

- vive les vieilles ! Je constate avec plaisir que notre amie Mauricette est de retour parmi nous. Welcome home...

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lundi 8 juin 2009

"Boîte à outils."

Feuilletant Le recul de la mort en me demandant comment l'exploiter au mieux, je tombe sur ce passage, dont les habitués auront peut-être l'impression qu'il ne leur apprend rien, mais qui me semble constituer un utile addendum au texte précédent.

Comme je ne crois pas l'avoir déjà fait, je résume tout de même à grands traits la thèse centrale testée dans ce livre par Paul Yonnet : ce qui caractérise le plus la modernité, finalement, c'est l'évolution qui a permis aux Occidentaux de désirer leurs enfants, d'avoir les enfants que l'on désire, et, en principe, seulement eux. Autour de ce qu'il appelle « l'enfant du désir d'enfant » se sont complètement reformulées théories et pratiques de la famille, de la société, du rôle des femmes, de la mort, de l'autonomie... Ce qui était fatalité, souvent grave (mortalité infantile, mortalité des femmes en couches...) devient maîtrisable. Et bien sûr, et c'est une des choses qui m'a intéressé dans ce livre, cette maîtrise réelle par rapport au passé s'est accompagnée et s'accompagne toujours d'illusions sur ce que cette maîtrise permet dans la vie de tous les jours, avec tous les leurres et toutes les déceptions que cela comporte.

Ajoutons, pour que vous puissiez bien comprendre la fin de ce texte, que si les enfants sont désormais désirés, il est capital pour eux de le sentir, et de le sentir si possible en permanence. D'où les problèmes psychologiques de ceux qui ont des raisons de sentir qu'ils n'ont pas été désirés, ainsi que, évoquons-le en passant, les problèmes psychologico-identitaires des gamins de banlieue, pris entre divers modes de transmission familiale et éducative [1]. Citons.

"Les sociétés occidentales - européennes - ont donné naissance à des formes particulières d'idéologies, de pratiques politiques et sociétales extrémistes, que l'on qualifie de « totalitaires ». Qui plus est, elles les ont exportées dans presque tous les continents, où elles sont souvent devenues un peu plus folles (Asie, Afrique). Mais le véritable extrémisme des sociétés occidentales ne dépend pas de la conjoncture politique ou économique. Il en est le squelette, la colonne vertébrale, la structure, il est la fonction qui permet le développement de toutes les autres. Le véritable extrémisme est au centre. Il est toujours au centre et c'est pourquoi personne ne le voit. C'est la dynamique invisible. Tout le monde le célèbre et en redemande. Rares sont ceux qui l'ont remis en cause. Il avance tel un fleuve implacable, déchirant sans espoir les sociabilités et les reliefs anciens. Il tient dans la mise en place d'un vaste système de prise en charge éducative qui, appelant, attirant, engloutissant tel un maelström les descendants dès le plus jeune âge pour ne les relâcher qu'à un âge de plus en plus élevé, s'est étendu à toutes les classes de la société. Il déracine les individus de leur milieu pour tendre à les réduire à une sorte d'unité fondamentale par les moyens de ce qu'il nomme la « culture » et par l'abstraction. Dans les pays les plus extrémistes - et la France est extrémiste en ce domaine (comme l'avait bien vu Charles Péguy) -, on prépare idéalement l'individu à pouvoir exercer n'importe quel métier, dans n'importe quel milieu ou groupe social (mais que signifient ces mots dans de telles conditions ?). Bref, la mécanique de la sociabilisation par l'éducation à l'occidentale exerce une formidable violence qui désocialise, frappe, extrait, atomise en profondeur les individus, les préparant à n'être que des individus réputés autonomes et autosuffisants, mais en réalité devenus entièrement dépendants d'un État-providence (au sens le plus large de l'expression), véritable lierre infiltré dans tous les interstices de la vie sociale, des individus autosuffisants dans quelques détails, mais baignant dans un fond assistanciel généralisé, des individus ayant troqué la dépendance vis-à-vis des milieux proches (parenté, groupe de métier, communauté, religion) contre une dépendance envers l'État dans ses multiples représentations et sa puissance déployée : c'est ce que les Occidentaux appellent la « liberté », la liberté « individuelle ».

Comme l'avait à de multiples reprises analysé Durkheim, l'État au sens générique - il en est de toute taille - libère les individus des tutelles comme des solidarités immédiates. C'est la forme historiquement prise par les processus d'individuation primaire (dont l'origine remonte, si l'on veut, à l'apparition des premières formes d'État dans les sociétés néolithiques). Mais s'il brise la dépendance à l'égard des réseaux de sociabilités proches, en destituant les éducateurs parentaux ou investis par les parents, en privant - notamment par l'École - de leur légitimité la transmission des savoir-faire et des traditions ((...) c'est tout autre chose que transmet aujourd'hui la famille), c'est pour faire franchir un palier à la dépendance et à l'assistance, c'est pour les accroître, les transformer en quantité et en qualité, les requalifier à une autre échelle et faire essentiellement de la dépendance, non plus une dépendance vis-à-vis de structures et de personnes connues, mais d'organismes anonymes et de fonctions, de machineries sociales de plus en plus étendues et complexes (songeons aux système de protection sociale). Tout commence avec la délégation éducative de plus en plus étendue, au contenu décidé dans les rouages ou sous le contrôle des appareils d'État. Le but dernier, un but politique (l'« accession à l'autonomie ») est de fabriquer des électrons libres dans un univers de contraintes et de dépendances articulées autour des appareils d'État et du sacro-saint marché (qui est lui-même fabriqué et organisé par les États, j'allais dire « comme chacun sait », mais les discours libéraux et socialistes se conjuguent pour empêcher d'en prendre suffisamment conscience.) L'autonomie est donc historiquement et pratiquement le mode d'approfondissement de la dépendance des individus, à la puissance et au complexe, un changement d'échelle avec contreparties, voulu par eux. Fondamentalement, l'autonomie est un module de glissement, de déplacement de la dépendance, d'un stade à un autre, d'une dimension à une autre. L'autonomie instaure de nouvelles dépendances. C'est la généralisation et l'extension de la délégation éducative, de l'école, qui est la colonne vertébrale, l'agent organisateur, le réalisateur de ce déplacement vécu comme une libération, et non comme une réarticulation sociale de l'aliénation et de la coopération - qui font une société -, mais on comprend comment le déploiement des conséquences du recul de la mort, le triomphe de l'enfant du désir d'enfant, qui appelle l'ardente obligation d'en administrer la preuve dans la libération de son être singulier, et l'accès des femmes à l'autonomie physiologique et sociale, comment ce couple de forces nées des victoires remportées sur la tragédie millénaire de la mortalité en couches et de la mortalité infantiles s'est naturellement trouvé en phase avec le moteur même de l'évolution sociale, comment il l'a dynamisé et comment il en est devenu l'instrument, tout en en déplaçant le centre vers le moi : comment la famille moderne, loin d'y faire obstacle, et devenant même la « cellule de base » de l'individu, en est non seulement l'alliée, mais le creuset formateur, la rampe de lancement, le lieu où s'élaborent les composants, le lieu où s'équipe psychologiquement le sujet de l'individualisation, l'individu. L'individu individualisé est par conséquent doublement dépendant : une première fois car il ne peut psychologiquement exister, se développer puis survivre dans la société sans le désir que les autres ont de lui, une seconde fois parce qu'il ne peut matériellement exister sans de vastes structures imbriquées dont il est à peu près entièrement dépendant.

L'idéal de l'individu soi-disant autonome est atteint lorsque celui-ci doit faire appel au plombier pour changer un joint de robinet, au retoucheur pour recoudre un bouton de chemise, quand une panne d'émetteur de radio ou de télévision plonge les personnes dans l'angoisse du face-à-face avec soi-même et avec les autres. Au moindre incident de la vie collective, la soi-disant autonomie apparaît pour ce qu'elle est, faible et limitée, et a contrario la dimension de la dépendance (Durkheim aurait dit la « solidarité organique ») des agents sociaux." (pp. 405-408)


Cet idéal n'est même vraiment atteint que lorsque cet individu est fier de lui : enfant, j'étais tout impressionné lorsque mon père (pur produit de l'école républicaine s'il en fût) après avoir appelé et réglé le plombier, l'électricien ou le réparateur télé, s'enorgueillissait de sa propre efficacité, glissant de la rapidité avec laquelle il avait pu faire résoudre le problème technique posé, à l'attribution à soi-même, et uniquement à soi-même, du mérite de cette résolution. Et je marchais dans la combine, évidemment, aussi fier du paternel qu'il l'était de lui-même. Ach, comme disait l'autre, la vie rend modeste. (Cette éducation ne m'ayant bien sûr guère préparé à la débrouillardise technique, j'ai résolu la question en épousant une femme bricoleuse. Cela m'évite des frais, autant que de l'orgueil, puisque ma belle ne se fait pas faute de me rappeler mes carences individuelles.)




[1]
Il y a quatre ans déjà je le me demandais, comment "psychanalyser un musulman", faisant ainsi référence aux profondes incompatibilités entre l'islam (religion et civilisation) et la psychanalyse. Aujourd'hui je me demanderais plutôt, Nabe ("La plupart des Arabes nés en France sont des paumés dans leur identité, tordus dans tous les sens par vingt ans d’intégration à la SOS Racisme", cf. Les pieds-blancs), et P. Yonnet aidant, si les "jeunes de banlieue", avec leurs qualités et leurs défauts, ne sont pas les plus névrosés de notre société névrosée (ce qui ne signifie bien sûr pas que la psychanalyse en tant que telle puisse leur être d'un grand secours).

Voici ce qu'écrit à ce sujet Paul Yonnet :

"Telle est la faiblesse des sociétés modernes, et donc des démocraties : cette dépendance à l'individualisation, donc à l'économie psychologique de l'individu. Par cette voie, nous ouvrons le chemin de compréhension d'une quantité de phénomènes de la vie contemporaine (...), en passant par les comportements de révolte de la jeune population issue de l'immigration - dont le moins que l'on puisse dire est qu'elle ne se sent pas forcément désirée. Les Italiens ne l'étaient guère plus, un siècle plus tôt, mais justement, un siècle plus tôt, on pouvait beaucoup plus facilement faire le deuil ou sublimer l'absence de désir : le désir ne revêtait pas la même importance, avoir été désiré, être désiré n'était pas encore devenu le centre organique de la constitution psychologique de l'individu, et sa carence explosive, une bombe atomique au coeur de la perception du monde." (pp. 469-70)

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vendredi 5 juin 2009

Fais ce que je dis... : Le libéral nu.

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Je vous avais promis il y a déjà trois mois des éclaircissements sur « la solidarité d'origine et de fait entre l'Etat moderne, l'individu moderne, le capitalisme ». Il va s'agir surtout de choses connues, mais que l'on a tendance à oublier, ou dont on ne perçoit pas assez les conséquences.

On sait par exemple le rôle qu'a joué l'Etat moderne dans l'unification des territoires des différentes nations, qu'à une plus grande stabilité des frontières a correspondu un essor des moyens de transports, dont le symbole est le train, essor qui a permis ou amplifié la création de marchés intérieurs homogènes. Dans le même temps, les décantations successives du concept de nation ont mis l'accent sur la continuité passé-présent, produisant une homogénéité temporelle, symétrique de l'homogénéité spatiale du marché. Double homogénéité à laquelle il faut ajouter l'égalité de principe entre les individus qui forment la nation - a contrario, une société hiérarchisée, où les relations entre les classes sont codées, pose de facto de nombreuses limites à l'extension du marché.

Tout cela je le répète est connu, et par exemple décrit avec subtilité (car l'individualisme joue ici un rôle pour le moins complexe) dans le chapitre « Le retour du politique » du livre de M. Gauchet, L'avènement de la démocratie II. La crise du libéralisme. (Gallimard, 2007, pp. 161-208), auquel je me permets de vous renvoyer. (Je profite de l'occasion pour faire une petite mise au point sur « Marcel et moi » à la fin de ce texte.)

Ce n'est en même temps là « que » une manifestation tardive, quoiqu'essentielle, du processus de constitution de l'Etat moderne, processus qui débute dès la fin du Moyen Age. Je ne peux toujours pas vous offrir une synthèse sur la question, mais un trait essentiel de cette histoire est la séparation progressive (non sans heurts, va-et-vients, paradoxes, décrits par M. Gauchet) de l'Etat du reste de la société, qui devient elle-même dans le même mouvement, on le sait, la « société civile ».

C'est précisément un paradoxe constitutif de cette mécanique de séparation que je voudrais aujourd'hui décrire.


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Embrassons hardiment l'ensemble des penseurs politiques européens des XVIIe-XIXe siècle, en laissant de côté ces deux cas particuliers toujours gênants que sont Hobbes et Rousseau, que constatons-nous ? Une préoccupation quasi-constante pour limiter la place de l'Etat. Mais si on la limite, c'est qu'il en a une, c'est aussi simple que ça, et c'était là, depuis la fin du Moyen Age, la nouveauté. Je vous renvoie à l'excellent petit livre de Michel Senellart, Machiavélisme et raison d'Etat, XIIe-XVIIIe siècles, PUF, coll. « Philosophies », 1989, pour plus de détails sur cette intéressante histoire qui se déroule, pour prendre une périodisation quelque peu atypique par rapport à nos schémas de pensée habituels, entre le XIIe et le XVIIe siècles. Résumons cette histoire à grands traits et, comme c'est l'usage à ce comptoir, dans un esprit inspiré par Louis Dumont.

Prenons une société traditionnelle, en l'occurrence la société féodale occidentale. Ce n'est pas que l'Etat n'a pas de fonction propre, le prince des devoirs caractéristiques, etc. L'important, c'est que la société dans l'ensemble, Etat compris, est organisée suivant certains principes (religieux, hiérarchiques...), qui, au moins en théorie, s'imposent à tous. L'Etat a des fonctions particulières, oui, mais il est imbriqué à l'ensemble de la société.

Pour de multiples raisons, la « dynamique de l'Occident » va amener petit à petit à constituer l'Etat comme un domaine séparé du reste de la société. Comme on sait - et là encore, M. Gauchet l'explique très bien - c'est en utilisant les thèmes religieux traditionnels que l'Etat va s'émanciper et se constituer son domaine propre, ce sera une des fonctions historiques de la monarchie de droit divin : c'est en utilisant la thématique religieuse que le pouvoir royal gagnera, de fait, son autonomie, sur laquelle on ne pourra plus, par la suite, revenir.

Il est très important de noter ici que ce mouvement est contemporain des premières pensées d'un domaine économique lui-même autonome par rapport au reste de la société. M. Senellart le démontre, ce sera, reprenons les mêmes termes, la fonction historique du mercantilisme.

A la fin du XVIIe siècle l'essentiel du travail est déjà fait : l'Etat moderne, tout imprégné qu'il soit de souveraineté religieuse, n'est plus partie intégrante de la société, il est devenu un métier à part (citons M. Sennellart : "On voit s'esquisser..., dans le discours sur l'art de gouverner, la transformation de l'office du prince, centré traditionnellement sur ses devoirs, en « métier de roi » (Louis XIV) fondé sur un savoir propre. Mutation qui correspond, avec la montée de l'absolutisme, aux progrès de l'Etat administratif." (p. 57)). Et du sein de ce que l'on n'appelle pas encore la « société civile » - les vieilles féodalités ne sont plus dans le sens de l'histoire, mais elles sont toujours en place, encore puissantes. Ce sera, au moins en France, le travail du XVIIIe siècle de les faire pourrir, avant de leur donner le coup de grâce en 1789 - émerge ce curieux domaine qu'on appelle l'économie.

Oui, à la fin du XVIIe siècle l'essentiel du travail est déjà fait : les penseurs du XVIIIe siècle, et notamment ceux que l'on appelle les premiers libéraux, arrivent sur un terrain déjà bien déblayé. Ce qui ne veut pas dire que leur apport n'est pas significatif, loin s'en faut : ils vont justement, par leurs analyses et leurs prescriptions (pas toujours aisées à distinguer les unes des autres : tout réalistes proclamés qu'ils soient, les libéraux (les « premiers » comme leurs successeurs) prennent souvent leurs désirs pour des réalités et confondent allègrement faits et valeurs), formuler explicitement ce qui était dans l'air sans que l'on en ait bien conscience, et accélérer ainsi l'évolution en cours.


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Ils le feront par le versant « société », par le versant « économie », qu'ils vont sinon assimiler complètement l'un à l'autre, du moins rapprocher autant que faire se peut, mais ils savent que le versant « Etat » n'en existe pas moins. Sentent-ils qu'en se concentrant sur la société ils accentuent la séparation Etat-société que les siècles précédents avaient contribuée à créer ? Je ne connais pas assez de première main ces auteurs pour l'affirmer, mais ma thèse du jour est la suivante : de façon plus ou moins consciente, si, entre le XVIIe (Locke) et le XIXe (avant, pour nous donner un point de repère, que le marxisme ne prenne de l'importance), les auteurs libéraux passent leur temps à dire qu'il faut que l'Etat en fasse le moins possible et se contente de créer les conditions pour que la société et le marché, la main invisible dans la culotte, s'éclatent comme larrons en foire, ce n'est pas seulement pour une raison basique de cohérence sur point fondamental de la doctrine : c'est aussi parce qu'ils savent, ou qu'ils sentent, non sans crainte, non peut-être sans un certain plaisir, que dans la pratique le mouvement historique auquel ils participent donne à l'Etat plus d'importance qu'il n'en avait auparavant.


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Cette ambiguïté constitutive, il faut en décrire les différents aspects, tout en notant qu'ils obéissent tous au même schéma. Au niveau théorique, on aura recours à l'image d'un pays que l'on coupe en deux. Les deux parties peuvent fonctionner en harmonie, ou dans l'indifférence mutuelle, mais il est désormais possible que l'un des deux envahisse l'autre, ce qui était par définition impossible auparavant. L'Etat médiéval, pour reprendre notre exemple (et ce n'est pas le même Etat que dans d'autres sociétés primitives ou traditionnelles, faut-il le préciser...), avait je le répète des fonctions, mais il restait dans sa finalité imbriqué, j'allais écrire, dilué, dans une organisation d'ensemble qui le structurait.

Au niveau historique : que ce soit sur le versant positif (la constitution du marché interne, avec notamment les investissements massifs faits pour désenclaver certaines régions et pour mettre au point un réseau de transports sur l'ensemble du pays (ceci d'ailleurs sans même évoquer, je vous renvoie à Braudel sur ce point, le rôle de l'Etat dans le financement des grandes expéditions commerciales et colonisatrices qui procurèrent tant d'argent et de produits à l'Occident)), ou sur le versant négatif (la mise au pas des, ou de certaines des hiérarchies traditionnelles), on sait bien que c'est d'abord par une grande augmentation de la responsabilité et des charges de l'Etat que s'est traduite la séparation de l'Etat et de la « société civile ».

On répondra : et les banquiers, et les entrepreneurs ? Sans chercher à savoir qui fut, pour tel ou tel investissement, à l'origine et qui contribua le plus à le mener à bien, il faut répondre deux choses, qui recouvrent d'ailleurs encore une fois les aspects positif et négatif du processus. D'un point de vue « négatif », il faut bien insister sur le fait que quel qu'ait pu être le rôle moteur de certaines personnes privées, rien n'aurait pu se faire, sur un plan global, sans une action forte de la part des Etats. D'un point de vue « positif », c'est-à-dire en envisageant le processus dans sa cohérence d'ensemble, il est précisément illusoire de séparer rigoureusement collectivités publiques et personnes privées. Citons une troisième fois F. Fourquet :

"Le capitalisme n’est pas pensable sans l’État ; un capitalisme sans État, c’est comme un sourire sans chat ; on ne peut même pas parler de « symbiose » comme s’il s’agissait de deux entités distinctes, l’une économique et l’autre politique, qui se seraient formées séparément et auraient passé une alliance ou décidé de vivre ensemble ; il y a inhérence réciproque : dès leur naissance au Moyen Âge, l’État est dans le capitalisme et le capitalisme dans l’État ; ensemble ils forment une seule et même entité sociale."

Il n'y a là aucune contradiction avec la séparation de l'Etat et de la « société civile », il n'y aurait contradiction que si justement l'on assimilait société et « société civile ». Rappelons-le encore, c'est au même moment que l'Etat se sépare de la société et qu'un domaine appelé « économique » de la société se « constitue », ou en tout cas fait l'objet de théorisations. L'Etat se sépare bien de la société dans son ensemble, en tant que, comme la société médiévale, elle était fondée sur une structuration de différents niveaux, politiques, culturels, religieux..., mais c'est le même mouvement qui aboutit à la constitution de la société civile, qui certes fait face à l'Etat, mais dont les traits ne sont pas indépendants de ceux de l'Etat.

(Pour reprendre mon exemple - qui vaut ce qu'il vaut - d'un pays séparé en deux : les frontières communes de chacun des nouveaux pays ne sont pas indépendantes l'une de l'autre, elles ne sont pas même liées : elles sont définies l'une par l'autre.)


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Il n'y a donc aucun problème à constater que certains, banquiers ou entrepreneurs, naviguent entre Etat et société civile, il n'y a rien d'étonnant à ce que ces deux domaines d'activités, nés en même temps, collaborent. Comme je l'ai déjà expliqué, que certains parmi les entrepreneurs soient ici victimes d'une illusion d'optique est un autre problème, qui n'affecte pas la nature essentiellement incestueuse de la relation entre Etat et société civile.

(En revanche, les slogans du type « moins d'Etat » ont plus de cohérence (je n'ai pas dit plus, ni d'ailleurs moins, de valeur), venant des parangons de la société civile (première manière, pas ce que l'on désigne aujourd'hui sous ce terme), lorsqu'ils s'attaquent à l'autre aspect de l'Etat, l'Etat comme « représentant du peuple ». Dans le cas français, on sait qu'il a fallu, pour parachever la révolution anti-féodale, accentuer l'importance du versant politique de l'Etat, faire des promesses sur son aspect de représentation de la société. Le processus est ici différent : il a fallu le faire, cela est d'une grande importance pour l'histoire de France (notamment), mais ce n'était pas une nécessité logique comme celle qui lie Etat et société civile. L'enculisme occidental à la Bentham n'a pas besoin d'un Etat représentant le peuple, il s'en fout complètement, et bien sûr, cela a plutôt tendance à le déranger que l'Etat soit aussi cela, que l'édifice global repose, tant bien que mal, sur trois piliers et non deux.


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Il faut toujours avoir cette distinction en tête lorsqu'on entend des critiques contre l'Etat. De même d'ailleurs, bien évidemment, pour ce qui est de ceux qui se veulent à la fois anti-capitalistes et pro-Etat Providence, qui simplifient abusivement le problème.)


Revenons pour finir à nos idéologues libéraux. Il faut je crois éviter autant que possible de formuler les choses en termes freudiens : culpabilité, inconscient, dénégation... même si cela ne serait pas nécessairement faux pour certains de ces auteurs. C'est l'ambiguïté logique qui est intéressante, pas l'éventuelle mauvaise foi de tel ou tel grand (ou moyen) penseur. Pour que la main invisible fonctionne, il faut l'Etat : il le faut d'un point de vue logique, il l'a fallu d'un point de vue historique (ce qui veut d'ailleurs dire que la main invisible est bien peu efficace par elle-même, mais passons.) Les premiers à avoir appelé l'Etat à leur secours, finalement, les premiers « assistés », ce sont les libéraux (et l'on sait qu'ils ne sont toujours pas les derniers à pleurer maman en cas de problème.) De ce point de vue, donc, leurs appels continuels à la limitation du rôle de l'Etat ne sont pas qu'une conséquence logique de leur croyance à l'harmonie de la société débarrassée des tutelles traditionnelles (harmonie on le sait éventuellement perverse : la fable des abeilles, « vices privés, vertus publiques »...), ils sont aussi, pour employer un terme neutre, la prescience de ce que le système qu'ils prônaient impliquait, avant eux - ce processus de séparation de l'Etat et de la société, ils ne l'ont pas inventé - et plus encore après - ce processus, ils y ont largement contribué - : in fine, des capacités inédites d'extension de l'Etat.


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Quelques remarques :

- ici comme dans d'autres domaines, chacun à sa façon Hobbes et Rousseau « écrivent tout haut ce que leurs contemporains osent à peine écrire tout bas », le premier en appelant de ses voeux un Etat fort comme seule « réponse » à la société laissée à elle-même, le second en cherchant à briser cette séparation Etat / société civile et en voulant retrouver la société dans son ensemble derrière la seule société civile ;

- M. Senellart donne quelques indications dans ce sens, il doit y avoir des livres sur le sujet : la statistique apparaît en même temps que l'Etat moderne. Le jésuite Giovanni Botero, auquel est consacré une grande partie de son livre, est ainsi à la fois un fondateur de la raison d'Etat moderne (ou de la raison d'Etat de l'Etat moderne) et un des initiateurs de la statistique. Je m'efforcerai de toutes façons de préciser certains points abordés ici à la hussarde, notamment sur la constitution du domaine de « l'économie », je voulais aujourd'hui insister sur cette espèce d'aveuglement sur soi qui est à la naissance du libéralisme.


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Ici, d'ailleurs, je suis tout à fait dans la ligne de Michéa : libéralisme politique = libéralisme économique...

- enfin, sur L'avènement de la démocratie II. La crise du libéralisme, et sur Marcel Gauchet : ce livre, ainsi que le tome 1, La révolution moderne, est plein d'enseignements et traite de sujets très proches de mes principales thématiques. Il me pose néanmoins, outre la longueur des citations que le style de l'auteur m'imposerait, toujours le même genre de problème : les raisonnements et thèses de Marcel Gauchet sont à la fois, donc, très proches de ce que j'essaie de développer ici, et, parfois, très éloignés (même si, par rapport aux textes des années 70 et du début des années 80, la diminution des piques anti-marxistes d'une part, qui « droitisaient » quelque peu, au moins en apparence, leur contenu, la perplexité grandissante de l'auteur devant l'évolution des démocraties d'autre part, font que je me reconnais sensiblement plus dans les deux tomes de L'avènement de la démocratie que dans les travaux contemporains ou préparatoires au Désenchantement du monde). Cette porosité entre des thèses que je soutiens et d'autres qui me semblent plus discutables - parfois au sein d'une même phrase, parfois au détour d'un simple adjectif - fait que, pour ces livres comme pour d'autres textes de Marcel Gauchet, il m'est toujours difficile de les traiter pour eux-mêmes, tant le travail d'analyse devrait être serré et laborieux.

Ceci dit, mon objection de base est en elle-même simple : il me semble que M. Gauchet a une vision trop statique, trop unilatérale, des sociétés traditionnelles (un peu comme Castoriadis d'ailleurs). Il se peut bien sûr, me répondra-t-on que ce soit moi qui les idéalise quelque peu... Quoi qu'il en soit, il m'est, pour toutes ces raisons, plus aisé de creuser de mon côté la découverte et l'analyse de ces sociétés - diverses par ailleurs... -, tout en utilisant ce qui me semble fécond dans les diagnostics de M. Gauchet, c'est-à-dire pas mal de choses, que de me lancer dans une longue analyse de ses livres.


A suivre... Bonne sieste !


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