mercredi 17 juin 2009

"Putain un jour..."

De Guy Debord, je n'ai pas grand-chose à dire. Je l'ai lu avec intérêt il y a une quinzaine d'années, sans depuis beaucoup y revenir. Que l'État le consacre, on peut certes en sourire, mais il n'y a pas de quoi en être surpris. C'est ainsi que les choses fonctionnent, en France notamment, et, après tout, dans un pays où il n'y a pas une structure de fondations privées comme aux États-Unis, capables l'une d'accueillir Baudelaire, l'autre Proust, la troisième Céline, etc., il n'est pas illogique que ce soit l'État qui centralise les informations et les archives. Dans le cas d'un présumé radical révolutionnaire sans concessions etc. comme G. Debord, c'est juste un peu drôle, mais je crois qu'il faut reconnaître que cela ne vaut pas à soi seul condamnation de ses écrits. En des temps aussi confus, la consécration d'une oeuvre par l'État ne signifie pas plus qu'elle est mauvaise ou dépassée, que son refus de l'acquérir dans ses archives ne signifierait (ou n'aurait signifié, dans le cas de Debord) qu'elle vaille toujours d'être lue.

(Et puis on a assez râlé, lors de la vente Breton, qu'un libraire du quartier latin, appuyé sur des banques américaines, ait tout raflé et envoyé aux États-Unis... Finalement, et sans se leurrer sur les aspects financiers du problème du point de vue des ayant-droits, ne vaut-il pas mieux que ces archives restent en France ?)


Tout ceci... pour me payer une nouvelle fois P.-A. Taguieff, dont le texte sur ce sujet a eu le don de me faire bondir. Il est étrange comme certains auteurs ne cessent de vous sortir par les yeux. A la longue je le confesse j'ai fini par ressentir, non pas de l'affection, mais une pitié non exempte de chaleur humaine à l'égard d'un gars comme Finkielkraut, tant à l'intérieur de son étroitesse d'esprit il semble triste et désorienté. M. Taguieff, lui... en fait, je devrais lui être reconnaissant de me prouver ainsi périodiquement par l'exemple la faculté des « intellectuels » à n'être que de sinistres crapules. Je ne relève que deux points :

- il est dit plusieurs fois dans l'article que Debord fut un homme « sans oeuvre ». On peut détester cette oeuvre, la tenir pour négligeable, il reste qu'elle existe. D'autant que, quoi que l'on pense par ailleurs du personnage Debord et de la façon dont, on peut l'accorder à P.-A. Taguieff, il a su créer autour de lui une légende, une partie de cette oeuvre, il faut le noter, n'est pas signée - les textes de la revue de l'Internationale Situationniste. Il en est d'ailleurs ici comme de Breton : considérer que l'oeuvre ne vaut pas grand-chose, détester le côté chef de bande, avec scissions, anathèmes, etc., tout cela est légitime. L'un comme l'autre néanmoins, dans des proportions évidemment différentes, ont fédéré, y compris contre eux-mêmes, des volontés qui plus tard purent s'exprimer...

- ...notamment celle de M. Taguieff ! Il est de notoriété publique - l'intéressé l'a lui-même évoqué ailleurs - que dans sa jeunesse il lisait les publications situationnistes et fréquentait la librairie La Vieille Taupe, qui à l'époque (fin années 60) était le meilleur endroit pour les trouver. Qu'il les trouve désormais débiles, c'est son droit, mais dans un article aussi violent, où l'on ironise à plaisir sur "la fantomatique Internationale situationniste, microscopique groupement d'une dizaine d'individus en moyenne, épouvantail à bourgeois particulièrement poltrons", omettre que l'on a soi-même été un moment séduit par cet "épouvantail", n'est-ce pas quelque peu minable ? Juger sévèrement une époque, dont on a pourtant partagé, ne serait-ce qu'un temps, les défauts, sans le signaler au lecteur (du Figaro, qui plus est, lecteur sans doute peu au fait de l'histoire des compagnons de route de l'I.S.), c'est aussi irresponsable que lâche.

"Juger une époque" : par-delà le cas Debord, c'est de cela qu'il s'agit. En « oubliant » de signaler sa participation, même modeste, à cette histoire, P.-A. Taguieff refuse de donner la moindre crédibilité, la moindre possibilité de séduction, à des mouvements comme l'I.S. (et, peut-on poursuivre, à ceux qui aujourd'hui veulent s'en inspirer). Ergo, ceux qui s'y sont engagés ou intéressés ne pouvaient être que des gros cons ou des petits merdeux (ou l'inverse). Jugement facile, excessif, que la vérité des faits oblige, tout simplement - et cela n'aurait pas été le cas si l'auteur s'était expliqué, dans son article, sur le sujet - à appliquer à Pierre-André Taguieff lui-même.






Précisions : je n'en ai pas d'exemplaire sous la main, mais je tiens l'information selon laquelle P.-A. Taguieff fréquentait La Vieille Taupe par intérêt pour le situationnisme, du livre (controversé) de C. Bourseiller, Histoire générale de l'ultra-gauche, Denoël, 2003. C'est dans un numéro (que je n'ai pas lu) des Archives et documents situationnistes, du même Bourseiller, que M. Taguieff revient sur ces années.

Ajoutons que l'allusion à La Vieille Taupe ne se veut pas maligne : à l'époque, la librairie n'a rien d'une officine révisionniste ou négationniste.



P.S. : J'en profite : il m'arrive de recevoir des propositions pour devenir « ami » de tel ou tel sur Facebook. Le fait est que je ne suis pas sur Facebook et n'ai pas l'intention de m'y inscrire. Ce que spontanément j'appellerais un « bon vieux mail » me semble suffisant pour quiconque cherche à me contacter. Cordialement !

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