jeudi 31 décembre 2009

La première des libertés...







Ah, les années 70... Drôles de mixtures. Mais revenons à Bernanos :

"De 1914 à 1918, les hommes de l'avant ont vécu d'honneur, ceux de l'arrière de haine. A quelques exceptions près, tout ce qui n'avait pas combattu s'est retrouvé pourri, pourri sans remède, pourri sans retour, au bout de ces quatre années sanglantes. Tous pourris, vous dis-je ! Ce ne sont pas là des paroles en l'air. Les témoignages subsistent. Je défie, je mets au défi un garçon normal d'écrire, par exemple, une thèse sur l'espèce de littérature d'où ces malheureux tiraient la substance de leur patriotisme sédentaire, sans risquer de sombrer aussitôt dans le désespoir. Mensonge et haine. Haine et mensonge. L'opinion de ce noble peuple qui s'est battu tout au long de son histoire, avec des chances diverses, s'est trouvée aux mains d'un tas de bavards plus ou moins latinisés, fils d'esclaves grecs, juifs ou génois, pour lesquels la guerre ne fut jamais qu'un pillage ou une vendetta, rien d'autre. Si mal nés que le respect de l'ennemi leur paraît un préjugé absurde, capable de démoraliser les soldats. C'est vous qui nous eussiez démoralisés, chiens ! si du moins nous avions daigné vous lire. Plût à Dieu qu'au retour nous ayons fermé à coups de trique vos bouches intarissables ! Mais vous criiez si fort, vous écumiez avec tant d'abondance, que nous nous sommes trouvés un peu honteux avec nos béquilles et nos croix, nous avons eu peur de paraître moins patriotes que vous, imposteurs. Votre énorme impudence suffirait à expliquer, sinon justifier, la timidité des anciens combattants. Quoi ! nous eussions rougi de tendre la main à n'importe quel loyal ennemi avec lequel nous avions échangé des coups, et nous prenions vos consignes, nous subissions vos louanges ! Car l'armistice ne vous a pas fait taire et la paix pas davantage. Vous aviez tellement eu peur pour vos peaux, Tartarins ! Oui, je jure que nous n'aurions pas demandé mieux, assuré le légitime prix de notre victoire, de rendre l'honneur à un peuple affamé, nous nous serions souvenus qu'il avait fait face contre tous, sacrifiant jusqu'à sa misérable enfance, élevée sans lait. Nous eussions pensé à tant de femmes allemandes, tant de femmes de soldats, mortes un jour, le sein tari, auprès d'un nouveau-né spectral, nourri d'un pain noir et gluant. Nous vous aurions dit : « Méfiez-vous, Tartarins... Nous les avons vaincus, ne les humiliez pas. Assez d'histoires de mitrailleurs enchaînés à leur pièce, de Boches conduits au feu à coups de bâton. Assez de phrases sur les barbares. Vous ne tiendrez pas soixante millions d'hommes sous la perpétuelle menace d'une occupation préventive, derrière des frontières ouvertes. » Hélas ! Ils ne cessaient d'injurier que pour suer d'épouvante. Ils criaient : Sécurité... Sécurité... d'une voix si perçante que l'Europe envieuse, déjà secrètement ennemie, feignait de se boucher les oreilles, parlait avec tristesse de nos obsessions morbides. Nous n'étions nullement obsédés, nous autres. Nous aurions donné beaucoup - même la légendaire part du combattant - pour sécher votre flux d'entrailles. Mais rien n'arrête les diarrhées séniles. Nous aurions dû prévoir qu'à mesure que se redressait l'Allemagne - un genou, puis l'autre - la suppuration de haine ne s'arrêterait pas pour autant, qu'elle allait refluer peu à peu jusqu'au coeur du pays. Les maniaques qui furent sans pitié pour l'Allemagne vaincue, exsangue, l'honorent maintenant. Ils finiront sans doute par l'aimer. Le redoutable Orient qui commençait hier encore à Sarrebruck a pris position au centre même de Paris, rue Lafayette [siège du PCF]. Que voulez-vous ? Ces vieux ont encore pris de l'âge. Ils préfèrent avoir la barbarie tout près, à une étape de chaise roulante. La défense de l'Occident se trouve ainsi grandement facilitée. La guerre entre les partis se poursuit selon les anciennes méthodes de la guerre du Droit. Sans doute, le chantage au « défaitisme » ne sert plus désormais, car le jour même où M. Mussolini a jeté son dévolu sur l'Éthiopie, clef de l'Afrique, tous les guerriers honoraires sont devenus pacifistes.


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Le chantage au « communisme » succède à l'autre. Des milliers de braves gens qui ne demanderaient pas mieux que de se rendre compte avant de rejeter définitivement de la communauté nationale une part importante du prolétariat français n'osent plus ouvrir la bouche, de peur qu'on les accuse de faiblesse envers M. Jouhaux, comme on les eut convaincus jadis de complicité avec M. Joseph Caillaux, maintenant champion sénatorial des Bons Riches." (p. 553-555).

Bernanos fait ici allusion à une campagne menée par Léon Daudet et l'Action Française durant la Grande Guerre contre Caillaux, accusé alors de rien moins que de trahison.

Dans les Grands cimetières..., ce qui suit directement est le passage que je vous ai retranscrit l'autre jour. Sautons maintenant quelques pages :

"Que de malentendus s'éclairciraient demain pourvu qu'on substituât au nom absurde de dictateurs celui de réformateurs ! La première Réforme, celle de Lénine, exécutée dans les conditions les plus défavorables, gâtée par la névrose juive, perd peu à peu de son caractère. Celle de M. Mussolini, d'abord unanimiste et sorélienne, aussi diverse d'aspect que le puissant ouvrier qui en avait poursuivi si longtemps l'image à travers les manuels élémentaires de sociologie, d'histoire, d'archéologie, toute clinquante d'une antiquité de bazar, avec son air de farce héroïque, sa gentillesse populaire, coupée d'accès de férocité, son exploitation cynique et superstitieuse d'un catholicisme d'ailleurs aussi vide et somptueux que la basilique de Saint-Pierre, n'était sans doute que la réaction d'un peuple trop sensible aux premiers symptômes de la crise imminente.



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Quelques années plus tôt, à travers des lieues et des lieues, la tempête russe ne l'avait-elle pas jeté dans les convulsions ? L'orage wagnérien qui se formait au centre de l'Europe devait exciter plus gravement encore ses nerfs. Que peut un Érasme devant Luther ? Quel homme de bon sens eût parié pour les girondins humanistes, ou même pour Danton, contre Robespierre et Saint-Just ? Le comportement de l'Italie nouvelle devant le terrible Enchanteur est exactement celui de l'inverti en face du mâle.


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Il n'est pas jusqu'à l'adoption du pas de l'oie, par exemple, qui n'évoque irrésistiblement certaines formes du mimétisme freudien. Que dire ? Lénine ou Trotsky ne furent que les prophètes juifs, les annonciateurs de la Révolution allemande, encore dans les nuées du Devenir. Mussolini lui ouvre les portes dorées de la Mer. Au roulement des camions et des tanks, toute l'enfance de l'Europe vient de mourir à Salzbourg avec l'enfant Mozart. Il n'est qu'une Réforme et qu'un Réformateur : le demi-dieu germanique, le plus grand des héros germains, dans sa petite maison des montagnes, entre sa vierge allemande, ses fleurs et ses chiens fidèles.


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Eva aime Smoke gets in your eyes...


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On ne peut mépriser la grandeur d'un tel homme, mais cette grandeur n'est pas barbare, elle est seulement impure, la source de cette grandeur est impure. Elle est née de l'humiliation allemande, de l'Allemagne avilie, décomposée, liquéfiée de 1922. Elle a le visage de la misère allemande, transfigurée par le désespoir, le visage de la débauche allemande, lorsque les innommables, les intouchables reporters des deux mondes se donnaient pour un louis le hideux plaisir de voir danser entre eux, fardés, poudrés, parfumés, jouant des hanches et le ventre vide, les fils des héros morts, tandis que M. Poincaré, le petit avoué aux entrailles d'étoupe, au coeur de cuir, faisait grossoyer les huissiers. Elle est le péché de l'Allemagne, et elle est aussi le nôtre. Sur sa face d'archange sans pardon, elle n'a pas daigné essuyer les crachats. Notre ancienne haine resplendit dans ses yeux, nos anciennes injures font à son front cette ombre ardente. Elle n'a rien oublié. Elle n'oublie rien. Ni ses crimes ni les nôtres. Son orgueil assume tout. Plût à Dieu qu'elle se fût inspirée de l'esprit de vengeance ! Il n'y a pas de vengeance assez profonde pour y enterrer le secret de sa honte passée. Elle a connu toutes les formes de l'opprobre, même la pitié. Cette force allemande, que le monde a maudite, va racheter le monde. Elle croit cette tâche immense à sa mesure, elle lui paraît mille fois moins lourde que l'oubli." (pp. 565-66)


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Textes fort riches et par certains aspects contestables, mais comme à l'accoutumée je préfère vous les livrer sans coupures, pour ne pas en freiner l'élan ni en gommer les éventuelles aspérités.


Ce que j'en retiens principalement, pour continuer notre recherche, peut-être formulé en termes hégéliens ou maussiens.

Du côté de Hegel, on dira que s'il put y avoir reconnaissance de l'ennemi sur le champ de bataille, à l'arrière et lors du Traité de Versailles il y eut au contraire déni de reconnaissance. En s'inspirant de Mauss, on dira qu'à Versailles la logique du don - contre-don (et le pardon chrétien évoqué par Bernanos n'en est pas la moindre figure) a été brisée : on a tout pris aux Allemands sans rien leur accorder. Si le « concert européen » avait été sur la même longueur d'onde lors du congrès de Vienne, les ravages provoqués dans toute l'Europe par Napoléon étant nettement supérieurs aux dégâts commis par les Allemands en 1914-1918, nous aurions eu bonne mine... Mais les vieux routiers du Congrès de Vienne savaient ne pas aller trop loin, et n'étaient pas encore bien modernes (Bismarck, déjà, en 1871, en fit trop...). Car ce qui a provoqué l'inflation anti-allemande du traité de Versailles, c'est, outre la haine mi-archaïque mi-moderne (ambiguïtés du nationalisme...) de Clemenceau envers l'Allemagne, la conjonction de deux formes de la modernité.

La première, absente du texte de Bernanos, c'est l'américanisme, l'internationalisme wilsonien, je vous apporte la bonne parole, j'ai raison, avec moi vous allez tous vous aimer, et tant pis si je ne vous connais pas, ne connais pas votre histoire - d'ailleurs l'histoire, c'est démodé, laissons-tomber et embrassons-nous Folleville.

La seconde est plus subtile, et c'est malheureusement la France qui l'a alors incarnée. Je récapitule : à certains égards, le libéralisme, dans son schéma du contrat, est une forme dégradée du don - contre-don, mais une forme tout de même, une « figure de la réciprocité ». Dans la pratique, on sait bien qu'un contrat ne peut prétendre à une certaine légitimité morale, même faible, que si les deux signataires sont de puissance à peu près égale. Ce qui n'était pas le cas en 1918. J'ai par ailleurs eu l'occasion de montrer, dans les textes sur la nature humaine et la notion de cérémonie d'une façon générale (heil Voyer !), ainsi qu'au sujet plus particulier de Nicolas Sarkozy, que, poussé jusqu'à ses limites, le libéralisme substitue au légitime besoin de sécurité une pure et simple logique animale de préservation de son être, logique de préservation qui n'a d'autre fin qu'elle-même. Cela se lit chez un des pères fondateurs, Hobbes, cela s'est retrouvé en filigrane dans l'excellent slogan de la droite après le 21 avril 2002 : « La Sécurité, première des libertés », cela se lit aussi, donc, dans le premier texte cité de Bernanos : " Ils ne cessaient d'injurier que pour suer d'épouvante. Ils criaient : Sécurité... Sécurité..." Le Traité de Versailles, de ce point de vue, c'est, en sus du virtualisme wilsonien et des travers de Clemenceau, la conjonction très moderne d'un contrat sans réciprocité et du désir de « survivre pour survivre », fût-ce aux dépens de l'existence du voisin. Ajoutons pour faire bonne mesure cette dimension de vieillesse perçue par Bernanos, qui sait très bien que tant de jeunes viennent de succomber sur les champs de bataille : le libéralisme poussé jusqu'au seul désir de survivre, c'est d'abord une histoire de vieux, et la « colonisation des jeunes (le peu qu'il en restait) par les vieux » une des façons dont cette forme du libéralisme a progressé dans les esprits au long du XXe siècle.

Vous avez maintenant les ingrédients de la tambouille, le résultat est simple et très clairement expliqué par Bernanos : l'Allemagne nazie n'est pas en quête de reconnaissance (Hegel) ou de vengeance (Mauss, la vengeance est une forme de réciprocité), parce que les signataires du traité de Versailles ne se sont eux-mêmes, fondamentalement, pas placés sur ces terrains primordiaux et ont de facto empêché l'Allemagne de le faire. L'Allemagne nazie est en mission, une mission favorisée par l'état de ses voisins, mais où elle ne regarde qu'elle-même - espace vital, volonté de domination universelle, narcissisme et jeunisme effrénés, au prix de l'élimination d' « ennemis intérieurs » ne cadrant pas avec cette « identité raciale-nationale », etc, vous connaissez la chanson.

Bref, il me semble qu'il faut modifier le regard que nous portons d'ordinaire sur ce Traité de Versailles dont tout le monde par ailleurs reconnaît la faillite : cette faillite n'est que d'un point de vue secondaire due à des sentiments archaïques de vengeance ou de nationalisme, elle est bien plus fondamentalement une faillite très moderne, on y retrouve même des composantes importantes de la modernité. Y compris d'ailleurs la nullité des personnels politiques... (Ce qui ramène à cette autre question, mais à chaque jour suffit sa peine : les grands hommes politiques de la modernité furent-ils démocrates ? Ou : jusqu'à quel point le furent-ils ?)

Meilleurs voeux !


- Oui, une petite digression pour finir : lors d'une « fantaisie », dans laquelle figurait d'ailleurs Bernanos, j'avais fait un parallèle entre la volonté de domination de Hitler et la « civilisation du cul » dénoncée par Godard. En recherchant des photos pour illustrer ce texte, je suis tombé sur des clichés d'Alessandra Mussolini, petite-fille de son grand-père, en tenue d'Ève, photos dont j'avais su puis oublié l'existence. Un totalitarisme chasse l'autre, d'une certaine manière, et je me disais en comparant ces photos


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que si l'une suggère des visions nettement plus agréables que l'autre, le corps le plus profané n'est sans doute pas celui que l'on croit.

- Et voilà comment finir une année de blog sur Mussolini nu(e)... Merci et à bientôt !

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