dimanche 29 novembre 2009

rebatetjanvier44

AMG - Rebatet en pleine péroraison...


D'abord, un petit coup de pied de l'âne dans les fesses de N. S., ça ne peut pas faire de mal :

"Chaque ajustement nécessite beaucoup d'efforts, de tractations afin d'empêcher des explosions. Il faut éviter de vouloir tout conduire de front. Les réformes doivent être menées les unes après les autres, selon un ordre d'urgence, en évitant la réforme pour la réforme et en bannissant la réformette. Il ne faut jamais oublier que la réforme est toujours pénible : les peuples préfèrent la stabilité et détestent le mouvement. Les dernières années de l'Ancien Régime furent le temps de la réformette, de la mini-réforme brownienne, de l'agitation en tous sens." (P. Chaunu, Danse avec l'histoire, (1998), pp. 146-47)

("La réforme, oui, la chienlit, non !" Sarkozy le soixante-huitard, c'est vraiment la chienlit.)

Ce qui, incidemment, rappelle qu'à certains égards la France est dans une situation pré-révolutionnaire - depuis un certain temps, et peut-être encore pour longtemps. C'est l'une des caractéristiques du temps présent - une situation qui s'est graduellement mise en place depuis 1973 et le premier choc pétrolier : un inconfort général, une situation de crise effective pour des couches de plus en plus étendues de la population, mais sans violences autres que sporadiques, localisées, et, osons le dire, peu violentes (combien de morts, dans les émeutes de 2005 ?). Les gens les plus désespérés n'ont peut-être plus grand-chose à perdre, mais ils ne peuvent que constater que leurs concitoyens mieux lotis, d'une part ne vont pas les aider plus que ça, d'autre part ont eux-mêmes pour seul espoir de se protéger de la crise. On a connu situation politique et psychologique plus dynamisante... Et si l'on peut accuser l'individualisme et l'égoïsme de tout un chacun, on voit bien une fois encore que les concepts d'abrutissement des masses ou d'aliénation n'ont une valeur explicative que secondaire : tout le monde sait bien que Nicolas Sarkozy, François Hollande ou je ne sais qui d'autre se soucie des Français comme de l'an 40, tout le monde sait bien que le mode de vie actuel (la société de consommation) ne mène nulle part. Ils s'y accrochent pourtant désespérément, à ce mode de vie, dira-t-on : précisément, si le système tient encore, c'est qu'il repose sur cette force extraordinaire, la volonté de tous ceux qui en font encore partie, c'est-à-dire à peu près tout le monde, y compris le SDF qui s'agrippe à son RMI et à sa CMU, la volonté de tout un chacun de continuer comme ça, par peur de lendemains pires ou encore pires. Le système ne mène nulle part, mais nulle part, au moins, ce n'est pas, en principe, l'enfer. Si, donc, le libéralisme a pour résultat de rapprocher l'homme de sa condition la plus animale, et si l'animal a pour premier et principal désir de persévérer dans son existence, nous y sommes : chacun ne pense qu'à durer, et contribue donc à ce que le système dure.

(J'ai exprimé des réflexions similaires en mai dernier, avec un point de départ inverse : les gens désirent en fait la crise, parce qu'il n'y a qu'une vraie crise qui puisse les sortir de leur torpeur, qu'ils haïssent mais dont ils savent qu'ils n'arriveront pas tout seuls à en sortir.)

Avec bien sûr, et sans même évoquer les questions écologiques (qui, vous l'aurez compris, ne me passionnent pas), des effets contre-productifs : on aura raison de dire que ces efforts faits pour simplement durer et pour éviter le pire, non seulement n'améliorent pas la situation, mais risquent bien d'amener à ce pire que l'on redoute tant. Et, dans cette optique, il est évident que les « réformes browniennes » de notre président aggravent la situation, de même que, ainsi que je l'écrivais toujours dans le même texte, sa façon de faire le vide autour de lui et de s'attaquer sans relâche à tout ce qui en France est institution, peut aboutir un jour à un face-à-face simple : les Français vs. Nicolas Sarkozy, face-à-face qui ne peut guère être remporté par le second. Tout ceci je l'admets sans réserve, à condition que l'on comprenne bien à quel point les efforts faits par chacun de nous pour que la situation actuelle dure, doivent être pris en compte dans l'analyse.

Bref. Je n'avais pas prévu de vous parler de ça, mais d'essayer de mieux comprendre pourquoi Nicolas Sarkozy, encore lui, pauvre salope, ne lutte guère contre l'insécurité. Parce que, même si c'est un jeu dangereux, ça l'arrange pour les élections, nous sommes d'accord. Mais essayons d'aller un peu plus loin, et d'abord de remonter un peu plus haut dans l'histoire. Pierre Chaunu, encore :

"[L]a fonction essentielle [de l'État-Nation] est d'assurer des espaces de droit et de paix au moins relatifs. Là réside, particulièrement en France, le moteur de la gratitude et de l'amour qu'on porte à l'État-nation. Aujourd'hui, d'ailleurs, il est nécessaire que l'État-nation France reconquière sont territoire pour y faire régner l'ordre, la paix et le droit égal pour tous. La tâche n'est pas facile car, paradoxalement, lutter contre la petite délinquance qui empoisonne la vie quotidienne exige plus d'efforts que les interventions militaires au loin, voire plus que le rude combat contre le terrorisme extérieur ; il faut davantage de volonté, de principes, de rigueur et surtout un système d'éducation en état de marche. Une armée sophistiquée triomphe, en effet, difficilement d'une guérilla. C'est une loi de l'histoire. Le demi-échec des Américains au Vietnam en est la preuve : techniquement ils auraient pu gagner mais au seul prix de l'extermination, donc de la suppression de l'enjeu... ce qui revient à ne pas gagner." (Ibid., p. 280)

Pas plus Chaunu que moi-même n'ignorons donc les difficultés pratiques. Mais continuons, avec un petit tour maintenant chez Marcel Gauchet, dans un texte qui remonte à 1990, c'était ma foi bien vu :

"A une inquiétude collective cruciale, car portant sur les principes mêmes du pacte social, on a répondu par une fin de non-recevoir. Mieux, par une création d'inégalité et, symboliquement, la plus lourde de toutes, celle de l'accès à la puissance publique - car il n'est pas besoin d'y insister, tout le monde ne se sent pas les mêmes moyens d'écrire au procureur de la République quand on refuse d'enregistrer votre plainte dans un commissariat. Cela, d'autre part, pendant que le signe de l'inégalité de fait en la matière se renverse : c'était la richesse qui exposait, tandis que leur dénuement même était supposé protéger les pauvres ; ce sont eux à l'opposé qui feront le gros des frais de la nouvelle « violence sociale » épargnant les mieux matériellement défendus. De là le développement au cours des années soixante-dix d'un climat passionnel et délétère autour des affaires de police et de justice. De là, par exemple, la remontée significative de comportements aberrants d'autodéfense qui fourniront aux pourfendeurs de l'« idéologie sécuritaire » le support idéal pour de flamboyantes diatribes contre le recroquevillement apeuré et vindicatif de populations égarées par l'instinct de possession.

Observons simplement pour commencer que ces farouches contempteurs de l'obsession sécuritaire n'en seront pas moins les premiers et les plus vaillants sur la brèche dès qu'il sera question de défendre les acquis de la Sécurité sociale. Il y aurait donc au moins une acception dans laquelle le besoin de sécurité ne serait pas inavouable... Ce qu'il faut rappeler à ces demi-lettrés, c'est qu'en effet, on le sait depuis Hobbes, dans un univers d'individus la sécurité est l'objet même de l'engagement en société. C'est en fonction de cette prémisse que s'est développée à l'âge moderne la forme d'État originale que nous connaissons, l'État protecteur. Manquer au devoir de protection qui engage le pouvoir social envers chacun des membres du corps politique, c'est remettre en cause ni plus ni moins les raisons qui pour chaque individu font le sens de son appartenance à une société. C'est le coeur même du système de légitimité de notre univers qui est en jeu dans cette attente." (La démocratie contre elle-même, Gallimard, "Tel", 2002, pp. 214-15)

Rappelons-nous ensuite à quel point Nicolas Sarkozy aime peu la France (c'est son droit d'ailleurs - en tant que personne, pas en tant que président), et il n'y a plus qu'à ajouter deux et deux : l'action qu'il mène par le haut, de dissolution de la France dans « l'Europe », de destruction des institutions françaises, est la même que celle qu'il mène par le bas, action qui est en l'occurrence passivité, envers la façon dont la petite (et, au moins, moyenne : les trafiquants de drogue) délinquance gangrène le sentiment de sécurité comme fondement de l'État de droit. Je ne dis pas que tout cela est pensé, je n'en sais rien, mais que tout cela va dans le même sens, un sens, n'ayons peur ni des mots ni de leurs connotations, anti-national.

(Marcel Gauchet, dans la suite du texte que je viens de citer, l'explique très bien : ce n'est pas l'immigré en tant que tel qui pose alors problème à un Français prétendument xénophobe et raciste en tant que tel : c'est la rencontre entre l'immigré et l'insécurité. Non seulement l'insécurité au quotidien mine-t-elle l'État-Nation, mais le fait qu'elle semble venir, et vienne pour une part effectivement, des immigrés ou de leurs descendants, aboutit à une sorte de cohésion nationale sur fond de « bouc-émissarisation » de l'immigré, cohésion dont tout le monde sent qu'elle est factice puisque, je suis encore M. Gauchet, on sait bien que les immigrés ne vont pas rentrer chez eux. Inconfort à tous les étages !)

(Qui dit immigré dit Giscard d'Estaing et regroupement familial, je vous en ai déjà parlé. VGE étant comme on sait un grand « Européen », nous retrouvons là, une fois de plus mais pas la dernière, un rapprochement entre l'intéressé et Nicolas Sarkozy.)

Le paradoxe évidemment, où l'on reconnaît sans peine le schéma de Castoriadis sur la façon dont le capitalisme scie la branche sur laquelle il est assis en détruisant les piliers de la société (les instituteurs et professeurs qui forment des citoyens obéissants, les fonctionnaires wébériens qui veillent à l'application neutre du droit, etc.) dont il a pourtant besoin pour fonctionner, le paradoxe, disais-je, c'est que, si le capitalisme est cosmopolite, il est né, ou du moins s'est vraiment développé, dans le cadre de l'État-Nation moderne, avec ce que cela implique sur le concept de sécurité : je renonce à une part de ma liberté, je renonce dans une certaine mesure à mes racines (cas typique des Corses et de la vendetta, institution holiste que l'État-Nation et son monopole de la violence légitime ne peuvent supporter), j'ai droit en retour à la sécurité, autant que tous ceux qui comme moi acceptent ce pacte. Autrement dit : renforcer les fonctions régaliennes de l'État, très bien, mais si on le fait en dissolvant par ailleurs, d'en haut et d'en bas, cet État qui jusqu'à nouvel ordre est encore l'État-Nation, eh bien non seulement on ne risque pas d'être très efficace, mais dans les faits on détruit cet État-Nation qui fut pourtant, et a des chances d'être encore, si utile pour le capitalisme...

C'est un peu le point aveugle des doctrines de la « bande à Soral » et de Égalité et réconciliation. Si on ne peut assimiler toute l'histoire de l'État-Nation à l'État-providence qui se met en place en France dans l'après-guerre sous l'influence du CNR, il faut reconnaître qu'autant l'État-Nation en général que cet État-providence en particulier ont été en harmonie avec l'essor et la stabilisation du capitalisme - Castoriadis encore : ce sont les prolos qui ont sauvé le capitalisme, en l'obligeant à accepter des règles et des limitations.

J'ignore quelle est la solution à ces diverses apories et contradictions, probablement la réalité nous fournira-t-elle une alchimie inédite dont elle a le secret, mais il me semble sinon impossible du moins très difficile de lutter à la fois contre le capitalisme et pour le rétablissement d'un État-nation cohérent et compétent. Le seul qui peut-être, je dis bien peut-être car c'est une question que je connais mal, ait vraiment essayé de sortir de ce carcan, serait de Gaulle et son référendum de 1969 sur la participation des travailleurs aux entreprises, laquelle aurait diminué le lourd poids des grandes boites dans la vie politique de la Ve République. J'écris tout ceci sans déprime particulière, juste pour que l'on sache un peu mieux ce que l'on veut et comment on peut l'atteindre. Après tout, il y a certains patrons qui seraient bien heureux de revenir au système des « Trente Glorieuses » et de se partager des marchés publics juteux sans avoir peur d'être rachetés par un fonds de pension ou un Indien sans manières, et qui ne voient pas que d'un bon oeil les théories fondamentalistes de Bruxelles. Ce serait un nouveau paradoxe : de même qu'à lire son blog on a parfois le sentiment que Frédéric Lordon pourrait mieux sauver le capitalisme que n'importe quel capitaliste, Alain Soral et sa mouvance contribueraient à restaurer un État foncièrement capitaliste - mais, au moins, relativement efficace et concerné par la communauté qu'il est censé incarner.

Cela dit, ce genre de phénomènes n'est pas non plus inédit : que des gens dont la sensibilité de départ soit peu étatiste se battent pour que l'État soit juste - et donc fort, sinon comment pourrait-il discuter sérieusement avec les dominants capitalistes ? - est une constante de l'histoire de l'État-Nation depuis la Révolution française - avant laquelle il y avait un Roi, compétent ou non, puissant ou non, mais qui de fait incarnait d'autres valeurs que celles de l'argent -, et ne fait que renvoyer à ce caractère hybride de l'État dont je vous parle de temps à autre : par certains côtés extérieur à la société, avec sa rationalité propre, par d'autres côtés émanation, voire incarnation, de la société.

- Il y aurait bien d'autres réflexions à faire, notamment sur le rapport de l'individu moderne à la violence, mais elles sont attristantes et pénibles, et transformeraient ce petit prêche en véritable sermon dominical édifiant... Une autre fois, mes frères, et bon premier dimanche de l'avent !


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Ach, l'insécurité est partout...

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mardi 24 novembre 2009

Gauchistes, encore un effort, par pitié... (II)

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Our hero !


J'ai écrit je ne sais plus où que la fonction historique de Nicolas Sarkozy serait peut-être de permettre aux Français de refaire (un peu de) leur unité contre lui, en leur faisant prendre conscience, non de leur identité nationale, mais de leurs valeurs, valeurs incompatibles avec les siennes (pour autant qu'il en ait : je vous avais écrit tout un sermon sur ce thème il y a bientôt un an, n'hésitez pas à le relire, il tient délicieusement le coup). Il me semble qu'il est déjà en train de réussir à réconcilier de Gaulle et Le Pen, ce qui, même si le temps a passé depuis les accords d'Évian, n'est pas un mince exploit. Éric Besson et la lumpen-racaille ont beau faire, les gens de droite voient bien que le bougne est problème second, pas premier. Pour le dire en reprenant les termes de P. Yonnet, ce qui compte est la nation en acte, pas une identité factice. Ou, très prosaïquement : on peut penser et dire du mal des immigrés, on préfère tout de même un sympathique et compétent plombier rebeu (et ceux qui croient que je prends les plombiers de haut feraient bien d'ausculter leur propre subconscient) à un politicien qui pontifie sur la France tout en essayant de vous prendre par tous les trous.

Ach, si seulement la gauche... Il y a trois ans je m'étais ému du peu de compréhension par les auteurs de gauche des notions de communauté et de holisme. Soit dit en passant, je n'avais alors pas lu Michéa (sauf peut-être Impasse Adam Smith), qui fournit sur ce point d'intéressants outils d'analyse. Quoi qu'il en soit, je pourrais vous faire le même numéro sur ce thème : cela a beau faire des dizaines d'années qu'un juif marxiste de gauche (merde, ça en fait des certificats de bonne conduite !), en l'occurrence l'excellent Gunther Anders, les a prévenus qu'il était devenu plus important que tout d'être conservateur, pour, dans un premier temps, préserver ce qui peut encore l'être, s'ils l'évoquent avec révérence, c'est pour oublier tout aussitôt ce sage conseil - ou s'offusquer si ce même conseil provient d'un goy non marxiste pas toujours de gauche.

L'erreur est pourtant ici à peu près la même que celle des gens de droite qui voient dans le krouia la source de tous leurs maux : il s'agit de faire porter trop de choses, positives ou négatives, sur les épaules de l'étranger, de l'immigré, du sans-papier. De même que les problèmes d'immigration sont seconds par rapport à la question du pouvoir politique de la France, la souffrance du sans-papier, pour réelle qu'elle soit, ne doit venir qu'en second, dans l'esprit d'un Français, par rapport à la souffrance de ses compatriotes - et là encore, ceux qui croient que lorsque j'écris « en second » je pense « on s'en fout » feraient mieux de réviser leur concept de hiérarchie - je ne prêche pas du tout l'indifférence, je rappelle ce qui me semble un ordre de priorités. Pour enfoncer le clou : un sans-papier malien peut être humainement plus intéressant qu'un gros con de Français, et il y en a !, mais si l'on ne veut s'occuper que de la souffrance du premier et pas de celle du second, fût-il un chômeur alcoolo xénophobe, il n'y a alors qu'une attitude cohérente : renoncer pour soi-même à tous les avantages que l'État(-Nation) peut offrir - et il y en a ! Si l'on accepte un tant soit peu l'idée de nation, on est bien obligé, en tout cas on devrait se sentir obligé d'être solidaire de ses compatriotes, tout difficile que cela puisse parfois être. Cela n'implique aucune renonciation à aucun idéal d'universalité que ce soit.

- Ce modeste rappel de priorités logiques n'empêche donc pas, il s'en faut, de « soutenir » autant les immigrés que French Popu. On peut très légitimement considérer que le mieux serait que la situation s'améliore aussi bien « ici » qu'« ailleurs » (Heil Godard !). Mais là encore, il faut être précis : si les politiques des pays occidentaux contribuent à maintenir une certaine partie du monde dans la misère, et donc à encourager les flux migratoires (qui ceci dit ne concernent pas nécessairement les plus pauvres), il est abusif d'accuser de tous les crimes le Français moyen qui trime pour nourrir sa famille, et cela reste abusif même s'il proclame se foutre du tiers-monde comme de sa première carte de France (pour ceux qui comprennent la métaphore).

En résumé :


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il est grand temps que D. Gluckstein et G. Schivardi enculent Besancenot un bon coup (ils peuvent y aller à sec, c'est déjà bien ouvert, Sarko a dégagé la voie) ; ceci fait, qu'ils aillent boire un verre au Wepler


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avec Villepin et Le Pen - et, tant qu'à faire, moi-même, je serais heureux d'entendre, la bouche pleine de joue de boeuf au Riesling mais l'esprit attentif, ce qui pourrait alors se dire.

- Et certes de l'eau risque de couler sous les ponts d'ici là. Quel est donc le statut de tout ce discours ? J'affirme mais ne prouve guère. Prends-je pour autant mes désirs pour des réalités ? Je crois trop bien connaître les capacités d'inertie de mes compatriotes pour me bercer d'espoirs illusoires. Reste un certain air du temps, que j'espère flairer à peu près bien. Et quelques références, que je vous donne pour finir :

- le dernier papier d'Alain Soral, où sont évoqués les rapports entre de Gaulle et la droite nationale ;

- un texte parmi d'autres de ce site irrégulier mais si réjouissant parfois, L'Organe ;

- à gauche, l'excellente réaction de Jacques Sapir à cet amusant projet - vous avez voulu Sarko, vous l'avez eu - visant à rendre les élèves de Terminale scientifique encore plus abrutis qu'avant. Vous ne manquerez pas de noter que J. Sapir ne diabolise pas plus que bibi les questions sur la nation, se contentant d'émettre quelques réserves sur M. Éric Besson. C'est bien le moins. Heureusement, la justice veille !


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Et elle n'est pas contente !

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lundi 23 novembre 2009

La loi morale dans mon cul.

Je découvre cette phrase de Camus : "Quand nous serons tous coupables, ce sera la démocratie." Il y a souvent un réel plaisir à ne pas savoir la signification précise qu'un auteur a voulu donner à l'expression de sa pensée, faute de disposer du contexte : le nivellement par le bas, le protestantisme, l'État-policier (qui entretient des rapports évidents à l'individualisme : si chacun est responsable de soi, c'est chacun qu'il faut surveiller, car le danger peut venir de n'importe qui... Hortefeux, c'est une vraie tendance de la démocratie), la prise en charge par l'individu de sa culpabilité, et, tant qu'on y est, de celle des autres (Sartre !)... les interprétations se bousculent, et tant pis si elles ne correspondent pas à ce que Camus a voulu dire. Je vous laisse y rêver en partant au boulot ou pointer au chômage.

Un petit divertissement tout de même pour votre début de semaine : dans deux semaines, sans doute n'aurez-vous rien de mieux à faire que de "Rêver le capitalisme" !, ceci avec une sacrée bande d'enculés-enculistes. Restons à Saint-Germain-des-Prés, cela fait irrésistiblement penser à Vian et à sa Java des bombes atomiques : "La seule chose qui compte, c'est l'endroit ousqu'elle tombe..."

Y a quelqu'chose qui cloche là-dedans !

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vendredi 20 novembre 2009

Différence des sexes, quand tu nous tiens...

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Le lien du vendredi, c'est ce redoutable questionnaire dû à M. Cinéma, redoutable par sa difficulté et par son effet déjà pervers - un comble : à le lire, on a presque l'impression de n'avoir aucun souvenir érotique, de n'avoir jamais eu d'émoi érotique - le fist-fucking anal made by Thierry Henry, péché véniel ou mortel, n'en tenant guère lieu...

A ceux qui le veulent de relever le gant, je me contente pour l'heure, ne pouvant rivaliser avec la photo si bien choisie par l'auteur pour orner son sujet, de vous renvoyer à ce joli montage photo tiré de Freaks. Santé !


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lundi 16 novembre 2009

Sida mental, hémophilie sémantique. - Du cosmos et de la diminution de ses défenses immunitaires.

Eisenstein


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Chose promise, chose due :

"La représentation symbolique de l'univers, non seulement est la seule possible, mais encore est la seule vraie. L'espace n'étant pas dans l'espace, mais toute représentation étant nécessairement spatiale, il est donc nécessaire de figurer la finitude ontologique de l'espace par un volume clos, fermé sur lui-même, et entouré de toutes parts par l'infini du métacosme divin. Cette représentation est conforme à la nature du cosmos physique, ce qui est l'essentiel, même si elle n'est pas cosmographiquement exacte, au sens où elle ne fournit pas une « photographie » exacte de l'identité cosmique. Seulement, une telle « photographie » n'existe pas. Il n'y a pas de représentation objectivement fidèle de la réalité spatiale. Il n'y a pas de point de vue adéquat sur l'espace, d'où l'on pourrait le décrire tel qu'en lui-même. Il n'y en a pas, et la doctrine eisteinienne devrait nous en convaincre. C'est pourtant ce que la doctrine galiléenne se propose de faire, et c'est en tout cas ce dont elle a réussi à persuader l'immense majorité des hommes. Voilà pourquoi cette révolution est essentiellement mentale. L'espace indéfini, que Newton tente de sauver en en faisant le sensorium Dei - mais il ne fut pas compris [1] - n'existe en vérité que « dans la tête » de millions d'Européens. Et il est bien difficile de rompre la fascination que cette nouvelle image mentale peut exercer sur notre esprit une fois que nous l'avons produite. Songeons pourtant que l'humanité l'a ignorée pendant des millénaires ; que pendant des millénaires les hommes n'ont jamais cherché à représenter l'espace comme tel, que toute la peinture, dans toutes les civilisations humaines, ne représente jamais qu'un espace spirituel et symbolique, c'est-à-dire figure sur une surface plane quelque chose qui est de nature transpatial. Au contraire, la Renaissance voit aussi l'apparition de la perspective graphique, ou perspectiva artificialis, c'est-à-dire la mise au point de procédés visant à la reproduction bidimensionnelle de la perception supposée objective et universelle des trois dimensions de l'espace. Quoi qu'il en soit des problèmes que soulève cette question, il est clair que cette représentation perspective de l'espace introduit l'illusion de la profondeur. C'est ainsi que cette profondeur illusoire réalisée à l'aide d'un « trompe-l'oeil » vient masquer la disparition de la profondeur ontologique du cosmos.


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L'homme éprouve le besoin de s'offrir à lui-même des attestations picturales de l'ouverture indéfinie d'un monde pourtant réduit à sa propre spatialité : partout des points de fuite, des blessures optiquement inguérissables, par où s'écoulent, inexorablement, le sang et la vie sémantique du cosmos. Désormais l'espace spirituel est fermé pour l'art sacré qui se dégrade en art religieux. Une civilisation tout entière s'abîme dans un décor de théâtre, de faux-antique et de paradis perdu." (La crise du symbolisme religieux, pp. 105-106. J'ai de nouveau supprimé des éléments de liaison du type : "Comme nous l'avons déjà remarqué...")

Sur la Renaissance, je me permets de vous renvoyer à ce qu'en écrit M. Sahlins. Sur Eisenstein, à cette phrase de l'excellent Jean Douchet, qui disait en substance que le maître russe était indéniablement un génie, mais qu'après avoir vu un film de lui, on n'avait finalement qu'une seule envie, celle de voir un « vrai film » - j'en dirais personnellement autant de certaines oeuvres de Welles, mais passons.

Ce texte pourrait nous amener à préciser certaines idées sur le « désenchantement du monde » - peut-être faudrait-il plutôt parler de désespoir. Nous y reviendrons bien sûr. Une seule remarque pour aujourd'hui : "L'espace indéfini n'existe en vérité que « dans la tête » de millions d'Européens" - si l'on veut de « l'identité nationale », en voilà ! Éric Besson devrait finalement demander à tous les immigrés de signer une déclaration sur l'honneur comme quoi ils acceptent la doctrine galiléenne - quand bien même Einstein et la physique quantique l'ont réduite à peu de chose -, car c'est bien l'un des fondements de notre « civilisation ». Pas de doigts, pas de chocolat, pas de Galilée, pas de papiers ! - Blague à part, c'est un de nos problèmes majeurs. On peut accuser les « repentantionnistes » de tous bords de tous les péchés possibles, et dans certains cas on n'aura pas tort, cela n'y changera rien : c'est d'abord parce que l'Occident s'est à une époque engagé dans une voie enivrante mais dangereuse qu'il n'a jamais totalement maîtrisée, qu'il vit avec une fausse perspective, c'est le cas de le dire, sur lui-même, et qu'il en est réduit, dans les faits, à demander aux autres de croire en des valeurs :

- auxquelles, c'est bien connu, ses propres dirigeants ne croient plus, ou sous une forme dégradée (sans parler de l'égalité, il faut imaginer ce que les termes de liberté et de fraternité signifient pour N. Sarkozy) ;

- auxquelles il estime devoir s'accrocher en dépit de l'évolution de ses propres connaissances, qu'il s'agisse, valeurs et mythes historiques, des révolutions française ou américaine, ou, valeurs et mythes scientifiques, des révolutions copernicienne et galiléenne. Attention : je ne suis pas en train de dire que tout est mauvais dans tous ces événements. Je note simplement que ce que l'on nous apprend à l'école (au sens large : jusqu'à l'université, et dans les journaux généralistes) sur ces événements fondateurs est à tout le moins inexact, parfois complètement faux, et que nous demandons à ceux qui viennent chez nous d'y croire.

On répondra que des mythes sont nécessairement des simplifications, qu'il ne faut pas trop leur en demander, mais cela ne fait que reculer le problème d'un cran : l'Occident a justement voulu des mythes qui ne soient pas des mythes, mais des vérités rationnelles. A un moment ou un autre, cela finit par poser problème. Il est vrai qu'il est parfois de la beauté même des problèmes d'être insolubles.


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[1]
"L'espace est, pour Newton, le mode selon lequel Dieu est universellement présent à toutes choses, et en dehors de cette « fonction », il n'a aucun sens et n'existe tout simplement pas." (p. 57) Pour le dire vite : malgré les apparences et les légendes, les hypothèses scientifiques de Newton s'enracinent dans une métaphysique explicite, mais le « sens de l'histoire » et certaines ambiguïtés des formulations de sa pensée ont contribué à occulter cette dimension de l'oeuvre de Newton et à minimiser son opposition proprement philosophique, métaphysique et religieuse, et donc pas seulement scientifique, à Descartes.

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samedi 14 novembre 2009

"La réalité objective n'est pas de nature matérielle."

A M. Limbes, c'est bien le moins.

Finalement, pas trop de polémique pour l'instant - si ce n'est contre des morts, il est vrai illustres, Galilée et Descartes -, mais de la philo, de la belle et bandante philo :

"1. - Nous ne pouvons pas ne pas penser le monde, puisque l'homme est précisément l'être pour qui le monde existe, c'est-à-dire pour qui l'ensemble des existants constitue un ordre objectif, indépendant, existant en lui-même. 2. - Penser le monde, c'est aussi penser un tout unifié : unité, totalité, existence, tels sont les caractères de l'idée de monde. 3. - Le surgissement de la pensée du monde s'effectue dans la découverte du langage : naître à la conscience du signe, c'est naître en même temps à la conscience des univers objectif et subjectif ; 4. - il en résulte que la pensée du monde est d'abord celle d'un monde « à dire », en d'autres termes d'un être dont il faut révéler le sens. 5. - En conséquence, une conception du monde qui exclut la pensée de son unité, la pensée de sa totalité, la pensée de son sens, et qui ne garde que celle de son existence, réduisant alors le cosmos à son pur être-là physique, n'est même pas une pensée du monde ou ne l'est qu'en réintroduisant subrepticement et inconsciemment les conditions qu'elle avait délibérément écartées. Or, on ne peut évidemment penser l'unité d'un monde dont l'isotropie est incompatible avec une structure d'ordre quelconque. On ne peut penser la totalité d'un monde dont la réalité physique est constituée par l'indéfinité spatiale, alors que la notion de totalité implique celle de finitude. Enfin on ne peut penser le sens d'un monde qui, par définition épistémique, en est dépourvu.

Il faut donc renoncer définitivement à imaginer le monde physique comme un amas de corps indéfiniment répartis dans un espace indéfiniment étendu. Le monde n'est pas dans l'espace, c'est l'espace qui est dans le monde. La pensée cosmologique qui pose « devant elle » la réalité physique de l'étendue indéfinie est immédiatement prisonnière de sa propre représentation : elle ne peut plus « sortir » de cette universelle extension qui l'environne de toutes parts et « où qu'elle aille ». C'est pourtant cette représentation qui envahit les esprits en ce début du XVIIe siècle, comme une véritable suggestion collective [dont les causes me semblent peu expliquées par l'auteur, et certes ce n'est pas le coeur de son sujet, note de AMG]. Le subconscient culturel est doté d'une nouvelle « image mentale », qui fonctionne d'une manière automatique et irréfléchie, au titre d'une évidence spontanée et qui accompagne toute pensée du monde. Par cette image, qui se trouve au fond de toute activité spéculative, la pensée devient un tableau, une représentation. Or, l'illusion propre de la pensée de l'espace, c'est de se supposer elle-même, ou, ce qui revient au même, de nous entraîner à penser qu'elle se suppose elle-même, c'est-à-dire que l'espace supposer un espace pour exister, que le « dans » et le « où », sont dans et . Qui s'arrêtera à la pensée de l'espace se convaincra qu'en effet elle affirme toujours implicitement que l'espace est toujours dans l'espace : à peine avons-nous posé, en pensée, un contenant, que nous posons un contenant du contenant, et ainsi de suite, indéfiniment. Or, c'est une erreur. L'espace n'est pas dans l'espace. L'espace n'est nulle part. Et même si nous avons quelques difficultés à l'imaginer, nous ne devrions avoir aucune peine à le concevoir. Dès lors, si nous tenons fermement cette conclusion, nous constatons que les figurations traditionnelles du cosmos sont, en réalité, les seules possibles."

(J. Borella, La crise du symbolisme religieux, 2e édition revue, 2008 [1ère édition 1990], L'Harmattan, pp. 100-101. J'ai fait de rares coupures, tout à fait négligeables.)

S'aventurer dans la démonstration de ce dernier point nous entraînerait trop loin, mais ne pas retranscrire cette idée aurait donné une fausse image de ce texte par ailleurs limpide. Quoi qu'il en soit, après lecture d'une centaine de pages, je ne peux qu'ardemment conseiller la lecture de ce livre étrangement peu connu, qui entre autres mérites :

- propose une véritable analyse de la modernité, y compris de ce qui en elle peut séduire (cf. les belles pages sur l'invention de la perspective à la Renaissance, à lire sous peu) ;

- marque bien ce qui rapproche le christianisme d'autres religions traditionnelles. En soi, ce n'est pas bien ou mal, mais d'ordinaire, soit l'on met à part le christianisme, pour le louer (point de vue par exemple de Girard, Chaunu, Ellul...) ou pour le blâmer (Nietzsche, notamment, avec toutes les complications de sa pensée), soit on le met dans le même sac (poubelle) que les autres religions, au nom de l'athéisme, de la laïcité, etc. Il est donc aussi rare qu'intéressant de rencontrer une approche qui, sans du tout tomber dans un syncrétisme béat, évite ces partages à tout le moins peu inventifs, et parfois, sous certaines plumes, carrément crétins.

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dimanche 8 novembre 2009

Tous dans la même galère.

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"Se rappeler combien l'univers est beau est, à en croire les sots, se rendre coupable d'anthropomorphisme. Mais comment ne pas l'admirer ? C'est, en réalité, une forme d'humanisme. Les cieux racontent la gloire de Dieu ; leur étendue manifeste la puissance de ses mains et suscite en nous un incoercible besoin de beauté. Le premier à le dire [?], berger de son état, fut roi d'Israël : il s'appelait David. Ses psaumes traduisent la plus belle de toutes les poésies, celle de l'univers qu'on est en droit d'aimer, lui, sa structure et/ou son auteur. D'où le mot de Voltaire : « Que Dieu existe ? la belle affaire ! N'importe qui est capable de s'en rendre compte, mais qu'il s'intéresse à moi, là est la véritable question et j'ai peine à le croire... » Cette phrase (...) m'a souvent fait penser cum grano salis que Voltaire est le plus grand théologien chrétien du XVIIIe siècle en même temps que son plus grand écrivain. Aujourd'hui la grande terre de spiritualité est peut-être l'Inde, car ceux qui y habitent savent contempler l'univers."

(P. Chaunu (avec E. Mension-Rigau), Danse avec l'histoire, Fallois, 1997, p. 43.)

"La vie future sera la répétition de la vie terrestre, sauf que tout le monde restera jeune, la maladie et la mort seront inconnues, et nul ne se mariera ni ne sera donné en mariage."

Mythe Andaman cité par C. Lévi-Strauss (d'après E. H. Man) dans Les structures élémentaires de la parenté, Mouton, 2e édition, 1967, p. 525.)


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C'était la minute dominicale de paix, avant que de repartir vers de nouvelles aventures polémiques. Bonne vie à tous !

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lundi 2 novembre 2009

Le prix Renaudot de F. Beigbeder.

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J'ai suffisamment pris mes distances avec certains aspects de la logique de Lucien Rebatet pour avoir aujourd'hui le droit de lui jeter des fleurs. Sans aborder encore le si émouvant massif des Deux étendards, que l'on ne saurait présenter par un échantillon de citations, même bien choisies, voici donc, tirées des Décombres, quelques saillies sur la vie sociale et politique française à la fin de l'entre-deux-guerres, dont je vous laisse goûter l'actualité par rapport à notre France sarkozyste, festive, déprimée, braillarde, inefficace, ne se posant que les questions qu'elle sait ne pas pouvoir résoudre... Pas de photos dans le corps du texte aujourd'hui - je pourrais mettre les mêmes que la dernière fois.

"Tout cela ressemblait à une vaste placidité. Paris tout entier exhalait l'épatement des viandes et des digestions, des loisirs fades et niais, le ruminement doux et bête de ce gros animal au repos que forment quatre millions endimanchés de bipèdes présumés pensants." (II, 8)

"Comme tous les ministres de la démocratie française, il [Daladier] vivait en vase clos, beaucoup plus isolé du peuple que n'importe quel monarque absolu de jadis, parmi des politiciens enfermés dans les abstractions et les calculs de leur bizarre métier, tous en sécurité derrière leurs privilèges, et pour qui un déplacement de voix représentait un dommage bien plus grand qu'une guerre." (I, 5)

Le Front populaire :

"On assistait toujours à la vieille pitrerie des partis gesticulant des rôles. (...) Les finances étaient pillées, l'économie saccagée, la plus grossière démagogie substituée à toutes les règles du gouvernement des hommes. La politique extérieure, où la gabegie avait des conséquences encore plus sinistres mais moins immédiates, était le fort de ces messieurs, le terrain où ils ne faiblissaient jamais, où ils pouvaient se livrer à toutes leurs lubies et tout leur sectarisme, où leur vénalité devenait la plus profitable, où ils cueillaient à foison les arguments jetés aux prolétaires impatients et qui commençaient à soupçonner la comédie. (...) La France exécutait devant l'Europe entière une grossière pantomime, présentant un derrière fuyard et foireux quand elle devait montrer les dents, clamant qu'elle ne permettrait ni ceci ni cela, et dégringolant dans une trappe à guignol quand ceci ou cela s'était produit. Elle se gargarisait avec des décoctions d'entités genevoises [la SDN], elle pelotait amoureusement des foetus de peuples lointains, et refusait aigrement, sous des prétextes insanes, l'alliance qu'une grande nation lui offrait à sa porte." (I, 2) - Lucien pensait à l'Allemagne de Hitler : cet exemple, ou contre-exemple, nous porte à la prudence, sans nous empêcher de penser qu'avec la Russie, tout de même, il y a de quoi parler...

"J'avais de plus en plus conscience d'une fatalité de la guerre : non la fatalité grotesque du droit et de la morale, qui n'a servi que de prétexte à l'usage des ingénus et des algébristes, mais la fatalité de la maladie. La démocratie, au point où elle en était parvenue de judaïsation, d'asservissement aux ploutocraties, aux desseins de leur impérialisme financier, portait en elle la guerre comme un cancéreux porte la mort." (II, 8)

- jusqu'à un certain point, on dirait du Jaurès ("Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l'orage"). Peut-être faut-il aussi se demander si le monde de la démocratie, c'est-à-dire le monde où est né la démocratie, n'est pas plus guerrier que celui auquel il a succédé. A suivre ! - Il est par ailleurs possible de remplacer dans cette citation « guerre » par « crise ».

En attendant... ce qui nous attend, guerre ou crise, il est à craindre que le Français ne l'aborde comme il a vécu la « drôle de guerre » :

"Eh bien ! Je ne vois plus qu'une resquille goguenarde ou une vaste et invincible passivité.

A l'appel des affiches blanches [la mobilisation], les hommes sont venus, vieux, chevaux de guerre bien domestiqués, sachant l'événement obscur, convaincus aussi par expérience qu'il en est toujours ainsi, que l'humble Français de ce siècle est ballotté au gré d'inaccessibles personnages, et de leurs querelles, qu'il serait bien vain d'approfondir. Les insolentes inégalités qu'ils ont en spectacle ne leur inspirent même pas un mouvement de rébellion. Ce ressort-là aussi, chez eux, est détendu. L'autre nuit, avec deux caporaux et huit hommes, nous montions la garde de la prison, corvée fastidieuse entre toutes. Sur le coup de huit heures, le chef de poste arriva, un sergent tout pareil aux autres, et que cependant, rien qu'à la tête, nous saluâmes du même mot : « Merde, un garde mobile ! » C'en était un en effet, de vingt-six ans, frais et prospère, et qui se révéla aussitôt plus tracassier et d'une morgue plus stupide que douze adjudants réunis. J'en étais exaspéré au point que vers minuit, quand il venait pour la dixième fois dans la cour vérifier ma jugulaire et mon fourreau de baïonnette, je luis lâchai en face, sous la lune, mon paquet : « N'as-tu pas honte d'embêter ainsi de pauvres diables, qui ont trente-cinq ans et quinze sous par jour, quand tu touches dix-huit cent balles, nourri, logé, blanchi et couchant avec ta femme, pour ne pas aller te battre, toi, un soldat de métier ? »

J'étais le seul encore capable de ce sursaut, qui a laissé du reste le mobile pantois. Mais quatre jours plus tard, comme n'avions pas de sous-off avec nous, les camarades ont délibérément lâché la garde, passé la nuit au bordel, et pour être plus sûrs de leurs prisonniers, ils les ont emmenés avec eux chez les garces, y compris un espèce de sinistre fou muet, déserteur en prévention de conseil de guerre, qui la veille s'était rué sur une sentinelle couteau au poing." (III, 15)

- encore un peu d'esprit de désobéissance, même irresponsable, pour aller prendre du plaisir (sur le dos des putes, mais les pauvres n'ont guère d'autre solution ou distraction), mais plus assez pour affronter le supérieur petit merdeux... C'est l'internet porno au bureau, la main libre prête à appuyer sur la touche escape !


Pour finir, et bien sûr, sans quoi Lucien ne serait pas Lucien, cet éloge du cosmopolitisme, hélas incomplet, car ne s'adressant qu'aux oeuvres d'art, et non pas, comme chez Baudelaire, à l'infinie variété de la vie : "Ma grande affaire [en 1939, dégoûté momentanément de la politique] avait été aussi d'aller (...) rendre une enthousiaste visite aux tableaux du Prado, de suivre encore une fois un des ces pèlerinages cosmopolites aux grandes oeuvres humaines, qui restent dans notre siècle un des signes les moins discutables de la civilisation." (II, 8)


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- Eh oui, c'était avant la « consécration littéraire » de Beigbeder...

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