samedi 27 mars 2010

Portrait en pied d'un trou du cul.

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Peut-être avez-vous entendu parler du décès d'un chanteur nommé Jean Ferrat... M'étant mis il y a quelques mois à réécouter ses chansons, je me faisais des réflexions sur son engagement, son rapport à sa et à notre France, ce que cela signifiait d'être communiste, etc. Sa mort ayant suscité nombre de réactions, j'ai voulu entamer un dialogue avec Olivier « Sabre au clair » Bonnet, lorsque celui-ci s'indigna de ce que Marine Le Pen eût osé fredonner du Ferrat en votant aux dernières élections. Mal m'en a pris, dialoguer avec un gauchiste est chose quasi impossible...

Je vous laisse lire cet échange si vous en avez envie et juger par vous-même, je voulais seulement aujourd'hui (vous dire bonjour,) vous en apprendre l'existence, et, malgré le titre de ce message et mon envie pendant quelques jours d'en découdre avec cette sous-merde, ce puceau de la pensée qui ose, l'inconscient, l'imbécile, la fieffée ordure ! être fier de son manque de curiosité intellectuelle, annoncer qu'après réflexion il me semble plus raisonnable de consacrer le peu de temps dont je dispose actuellement à des investigations plus positives. Cela prendra peut-être la forme d'un texte sur ou à partir de Ferrat, ou d'une étude plus générale, je l'ignore encore.

Il y aurait pourtant à dire, notamment sur cette effarante mendicité, ces appels en fin d'article à toucher un peu de fric - tout cela pour avoir le temps de lire L'Humanité et Alternatives économiques et de recopier leurs articles, ça c'est du journalisme indépendant ! -, ce manque de fierté, cette absence de honte, présage de toutes les compromissions intellectuelles... - Précisons d'ailleurs que le Bonnet dut faire face à un procès intenté par un méchant sarkozyste il y a quelque temps, et que par contre, dans un tel contexte, si on n'a pas les moyens, je peux comprendre que l'on fasse appel à la générosité des lecteurs. Pour le reste... je m'arrête, je m'arrête ! et essaie de revenir à ce comptoir bientôt, avec des cocktails plus originaux.


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Santé !

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mercredi 24 mars 2010

"No use complaining" - The sound and the fury (I) - Nigger of the day (VIII)

Je ne connais rien de ce film, et n'ai - pour l'instant - rien cherché à en savoir. Sa thématique semble claire, peut-être l'est-elle trop, mais bon sang de bois, quelque chose circule ici.





Ce fut - c'est ? - le rêve de certains, c'est une hypothèse distrayante : un XXe siècle américain sans nègres...

A suivre !

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lundi 22 mars 2010

"Nous pouvons essayer de faire en sorte que les Etats-Unis rejoignent le monde réel."

Bon courage ! - Quoique, ou parce qu'il s'agit plus des dirigeant des États-Unis que des Américains eux-mêmes.


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Citation extraite de cet intéressant entretien avec le vieux Chomsky. Comme à l'accoutumée, conseiller un texte ne signifie pas que l'on y approuve jusqu'à la moindre virgule, mais qu'il y a des choses à y prendre - entre autres :

"Contrairement à ce que beaucoup de gens croient, l’une des principales fonctions du Pentagone est de camoufler le mode de fonctionnement de l’économie. Les gens aiment à répéter qu’il s’agit d’une économie de marché libre, mais la plupart des inventions sont produites par les secteur public, les ordinateurs, l’internet, les avions, tout ça. En réalité, c’est le secteur public qui prend en charge les coûts de développement et qui assume les risques, et si quelque chose finit par marcher, on en fait cadeau au secteur privé. C’est ce qu’ils appellent le marché libre."

Tout mes lecteurs le savent, mais on ne le répétera jamais assez !


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"Il parait qu’on n’a pas le droit de dire des choses gentilles sur le Parti Communiste, n’est-ce pas ? C’est comme une sorte de règle établie. Pourtant, une des raisons pour lesquelles le « New Deal » a fonctionné, qu’il a eu un impact, c’est parce qu’il y avait des gens qui étaient là, présents tous les jours, sur tous les fronts. Sur celui des droits civiques, du droit du travail, en train d’organiser, de faire ce qu’il y avait à faire, ils étaient là, prêts à faire tourner les machine à ronéotyper – il n’y avait pas d’internet à l’époque - et à organiser des manifestations. Ils avaient une mémoire. Le mouvement avait une mémoire, chose qu’il n’a plus aujourd’hui. Aujourd’hui, tout le monde doit recommencer à partir de zéro. Mais à l’époque, le mouvement avait une mémoire, une sorte de tradition, et les gens étaient toujours présents."


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Etc. Bonne lecture !


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vendredi 19 mars 2010

Les liaisons dangereuses : Hegel-Marx-Drumont-Bernanos-Voyer... l'ADN !

Je constate que le maître s'intéresse, via ses discussions sur le site de Paul Jorion j'imagine, au rôle de la monnaie dans les révolutions fondatrices de la modernité, l'américaine et la française. C'est un sujet que je ne connais guère, mais je m'en voudrais de ne pas reproduire ce passage de La Grande Peur, dans lequel Bernanos narre / évoque / imagine les méditations rétrospectives de Drumont devant les massacres qui ont mis fin à la Commune :

"Tout républicain qu'il soit resté, la mise en scène révolutionnaire lui paraît réellement trop bien réglée : il y flaire une énorme imposture. Or les misérables qu'il voit étendus à ses pieds ont cru dur comme fer aux rois tyrans, à la libération de la classe ouvrière par les Robespierre et les Danton. Eussent-ils autrement jamais quitté l'atelier, pris le chassepot ? Au fond, se dit le futur auteur de La fin d'un monde (...), cette Révolution fameuse, celle de 89, n'a eu qu'un résultat ["La raison d'être, c'est le résultat..."] certain : la consolidation des biens acquis grâce à quelques poignées d'assignats, frauduleusement. Une comédie se jouait, à l'avant-scène, avec la petite armée terroriste, les porteurs de piques, les sectionnaires, ou ces bonshommes habillés en femmes de la Halle que recrutait Choderlos de Laclos, tandis que les malins s'assuraient les dépouilles du régime, bouleversaient le Code civil pour y introduire une nouvelle conception du droit de propriété propre à décourager les anciens possesseurs légitimes en conférant au vol garanti par la Loi un caractère sacré.

[Drumont, jusqu'à la fin :] Un des derniers actes de la Convention fut d'abolir la confiscation. Jadis, dès qu'un homme avait trahi ses devoirs, il était indigne d'exercer sa fonction de riche, il était dégradé, déclaré déchu. Dans son Système de politique positive, Auguste Comte a bien discerné le sens qu'avait la confiscation, au point de vue social. Mais la Bourgeoisie tenait à bien marquer, au contraire, le caractère absolu, imprescriptible, indélébile, que devait avoir la propriété, dès qu'elle était passée entre ses mains. C'était sa façon à elle de clore la Révolution (...)

La Bourgeoisie n'a-t-elle pas, d'ailleurs, fait passer sur la collectivité toutes les charges dont étaient grevées autrefois les propriétés qu'elle avait acquises pour quelques chiffons de papier ? Le traitement du clergé, l'assistance publique, l'instruction primaire, tous les services auxquels pourvoyaient jadis les propriétés vendues pendant la Révolution retombaient sur le plus grand nombre, et les acheteurs de biens nationaux avaient les domaines, tandis que l'État prenait pour lui les obligations, c'est-à-dire les mettait sur le dos de tous les citoyens." (Pléiade, pp. 101-102)

Privatisons les profits, nationalisons les pertes, toujours la même histoire... Notons de plus que l'abolition de la Confiscation est contemporaine - au moins dans l'intention, les moeurs évoluant plus lentement que le Droit - de celle du Ridicule. Il faut bien le dire : à la Cour, un BHL n'aurait eu d'autre solution que de s'exiler ou se tuer. En théorie du moins.

A suivre...

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jeudi 18 mars 2010

Philosophie de l'action.

Cela commence par une citation de Drumont, qui fait presque penser à du Badiou... en moins athée tout de même :

"Le grand homme n'est pas un homme comblé de dons extraordinaires, c'est un homme ordinaire qui veut résolument accomplir tout ce que Dieu attend de lui ; il sait qu'il y a une volonté divine, une idée de Dieu sur le monde, et il s'efforce simplement, ingénument, de correspondre à cette idée." - J'ai failli écrire "dans le monde", plutôt que "sur", et peut-être aurais-je eu raison -

et cela continue, quelques lignes plus loin par ce commentaire de Bernanos, où une forme d'anticléricalisme mâtinée de sociologie wébérienne débouche non sur le scepticisme mais sur la théologie et la métaphysique :

"Le cardinal de Retz, un Saint-Simon, et si près de nous, un Balzac ou un Veuillot, ont exprimé la même surprise en face de ce phénomène social : l'impuissance brouillonne des honnêtes gens, l'étonnante duperie qui, d'invocateurs ou de prêcheurs du mieux, les fait incessamment serviteurs du pire, par une sorte d'âpre et comique fatalité. Balzac seul, qu'une certaine grossièreté de nature préserve des élégants contresens à l'usage des moralistes mondains, et qui va toujours droit devant lui, avec sa force de lion, semble avoir entrevu au moins l'un des solutions de ce problème de psychologie : l'éducation religieuse ne saurait transformer à coup sûr une âme médiocre. Trop souvent elle n'y fonde rien, n'imprime en elle, comme au fer rouge, que la terreur de la mort, du Jugement, de l'Enfer, et cette dévotion superstitieuse, à peine supérieure au fétichisme des sauvages, qui dispense d'agir, au sens surnaturel, c'est-à-dire d'aimer." (La Grande Peur..., ch. IV, pp. 110-111)

Formule tellement importante que je ne relèverai que pour mémoire l'erreur commise sur la religion des Sauvages. A suivre !

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mercredi 17 mars 2010

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Il y a des aménagements à faire, tout dans l'analogie que je vous suggère ne cadre pas avec la Cour actuelle, mais ce portrait d'ensemble par Bernanos des hommes de pouvoir autour de Napoléon III avant et juste après 1870 n'en est pas moins saisissant :

"Si vous regardez d'un peu près, sur des toiles aujourd'hui démodées, invendables, ces visages célèbres du Second Empire, vous reconnaîtrez la bouche au pli amer, la mâchoire longue, fine, agile, faite pour mordre et non pour tenir, vous remarquerez sûrement le regard presque indéfinissable, à la fois voluptueux et dur, aussi prompt à séduire qu'à se rendre, si peu sûr. Une race de chefs, venue au jour comme à l'improviste, faite à l'image de l'Empereur, surgie d'on ne sait où, tenant au grand monde, au monde des cercles, au demi-monde, tellement différente de la rude et et grossière lignée dépossédée par la révolution de 1848, mais plus différente encore des vieillards coriaces, indestructibles, de la Restauration, presque sans analogie dans l'histoire, et comme née d'un rêve balzacien, a brillé de 1850 à 1870, puis s'est éteinte avant d'avoir réussi à se reproduire - stérile - avec les dernières fusées de l'Exposition de 1884. Non moins âpre à la curée des places, non moins féroce dans le plaisir que certaines de ses devancières, avec quelque chose du cynisme impitoyable des hommes de la Régence, mais où les connaisseurs peuvent discerner une espèce d'insolence savoureuse à l'excès, un peu peuple, déjà vulgaire, elle était néanmoins trop impressionnable, trop nerveuse pour résister à l'assaut des anciens culotteurs de pipes, des gros garçons du Quatre-Septembre. En vain de rares survivants tenteront de se rallier au régime : on en verra, dans des préfectures importantes, soutenir au profit de la République de nouvelles candidatures officielles, mais ils garderont encore, jusque dans leur trahison, trop d'élégance, un sourire insupportables à leurs maîtres. D'ailleurs, il est vrai que leur subtil génie n'eût pu se déployer que dans une atmosphère favorable de luxe, de bals, d'intrigues mondaines corsées d'un peu de débauche ; les meilleurs d'entre eux, après un court essai, passèrent la main, s'éloignèrent discrètement du pouvoir ainsi que d'une table de whist. Sous la présidence d'opérette du maréchal Mac-Mahon, ils commenceront à former les cadres du parti conservateur, s'empareront peu à peu de l'ancien Faubourg jusqu'alors intact, introduiront dans ce qu'il est convenu d'appeler la haute société les moeurs des cercles équivoques, le goût d'un luxe boulevardier, des comptes rendus de la presse, des jeux de Bourse et des mariage juifs.


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Mais (...) ils n'en sont pas moins démissionnaires de leur premier rêve, des vaincus. La convulsive agitation des uns vaut tout juste la paisible agonie de l'autre, au fond de la cité dormante. Peut-être même [Drumont] n'a-t-il pas compris [toute] la signification de cet universel trémoussement..." (La Grande Peur..., ch. II, pp. 78-79)

- J'ai tronqué un peu la fin pour pouvoir placer cet « universel trémoussement » qui me met en joie.

Évidemment, l'analogie ne peut être complète, le contexte n'est pas identique, la balance penche plus aujourd'hui du côté de la vulgarité que de l'élégance, et un Frédéric Lefebvre, pour ne citer que lui (quelle place laissera-t-il dans les manuels d'histoire ?...), ne rentre pas du tout dans ce cadre. Mais il me semble que ce portrait d'une génération « aussi prompte à séduire qu'à se rendre », « venue au jour comme à l'improviste » et ayant le « goût d'un luxe boulevardier », valait d'être cité.


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En attendant que ces gens-là « démissionnent » - « vaincus » !

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vendredi 12 mars 2010

"Quand c'est fini n-i n-i ça recommence.."

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L'histoire ne se répète pas que sous la forme de la farce. Certes les volontés d'oubli du passé que Mai 68 illustra et que Nicolas Sarkozy perpétue (d'oubli du passé ou de promotion d'un seul passé : celui où la France fait la plus mauvaise figure, ce que Paul Yonnet a appelé la « mythologie noire ») peuvent sembler quelque peu dérisoires par rapport au désir de se perdre des générations qui ont immédiatement suivi la Grande Guerre, mais dans les deux cas les conséquences sont tragiques. Bernanos nous le disait en 1930 environ :

"Nous ne sommes que trop tentés d'accepter cette liquidation du passé, sans garantie, sans contrôle, comme nous acceptâmes de liquider les stocks. L'illusion des faibles, à chaque nouvelle tentative d'une impossible libération, est de faire table rase, de recommencer la vie disent-ils - comme si la vie se recommençait ! Illusion familière aux individus et aux peuples, car un peuple risque de commettre beaucoup plus souvent qu'on ne le pense, en dépit des fanfaronnades, ce péché contre l'Esprit, qu'aucun repentir ne rédime. Lorsqu'il y a dix ans nous affichions à la face du monde la prétention ridicule de commencer une Ère nouvelle - « Quelle ère, se disait le poilu consterné. L'air de quoi ? Est-ce qu'ils vont supprimer La Marseillaise ?... » - ce mensonge inouï fait pour étonner les poules de Chicago dissimulait mal une lassitude énorme, la honteuse hâte à nous renier, reniant avec nous nos morts. Nous nous vantions d'être les hommes de l'avenir que déjà nous n'osions plus regarder notre victoire en face, la guettant de biais, prudemment, avant de lui tourner le dos. Ainsi lorsque nos fils parlent aujourd'hui avec un innocent dédain de l'époque désormais préhistorique où la bicyclette, sous le nom de vélocipède, ressemblait à une girafe suivie de son petit, quand l'automobile n'était encore qu'un effrayante machine aux quatre roues grêles, tenant de la sauterelle et de la tortue, avec ce reniflement lamentable, le spasme de son pauvre petit ventre de cuivre, et l'éternuement convulsif qui préludait à d'illusoires départs, nos fils, dis-je, oublient qu'ils risquent de rompre inutilement, dangereusement, avec un passé trop proche, trop étroitement uni par des liens secrets à leurs épreuves, à leurs déceptions, à leurs malheurs, au tragique de leur propre destin.

Reste la légende - vérité humanisée. Non pas la brillante rhétorique des entrepreneurs de mensonges, mais cette vérité qui vient jusqu'à nous avec le souvenir de quelques hommes exceptionnels, dont le génie nous restitue la part non corrompue, impérissable, du passé." (La grande peur des bien-pensants, "Pléiade", pp. 62-63)

Il y a deux niveaux : la Grande Guerre (de même que l'épisode Vichy-collaboration) fut une rupture en elle-même. Mais les générations d'après, celle des années folles, celle de 68 en rajoutèrent sur une rupture par elle-même déjà fort traumatisante, en tournant le dos au passé (les morts et les survivants de la Grande Guerre deviennent une gêne), ou en n'en sélectionnant qu'un aspect (Nous sommes tous des Juifs allemands). On connaît les conséquences pour l'entre-deux-guerres : des divisions de plus en plus fortes entre Français, sociales, politiques, avec notamment le pacifisme à outrance...


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La symétrie s'arrête là. Dans La Grande Peur, Bernanos revient sur le désastre de Sedan. Mai 68, ce n'est pas seulement la condamnation de Vichy, c'est un deuxième oubli de la Grande Guerre, et c'est même l'oubli de la séquence historique Sedan-Verdun-Vichy. Rappeler les chocs de ces guerres - perdue en 1971, « gagnée » en 1918 -, cela ne revient aucunement à dire que finalement quelqu'un comme Darquier de Pellepoix était un type bien ; mais ne pas prendre la mesure de ces chocs, perpétuer l'oubli de cette séquence, c'est d'une part ne pas comprendre ce qui s'est passé dans l'entre-deux-guerres, c'est d'autre part - et pour ce qui nous concerne le mal est fait - recommencer les mêmes divisions à base de croyance naïve en la possibilité de la « table rase ».


Dans quelle mesure le deuxième paragraphe de la citation de Bernanos s'applique-t-il à de Gaulle ? A-t-il « humanisé la vérité », ou ne fut-il qu'un « brillant rhétoriqueur » ? Sa tache était bien difficile : outre qu'il était à la fois juge et partie dans l'affaire, on peut estimer que s'il était arrivé, ou revenu, quelques années plus tard, il aurait vraiment pu nous aider à aboutir à une « légende » équilibrée, mais que, les conflits entre Français étant encore trop présents, il dut faire trop de rhétorique (sur la décolonisation aussi), et que cela finit par se retourner contre lui. Et malheureusement, de fil en aiguille, contre nous.

(Il faudrait un livre entier pour étudier les contradictions de Nicolas Sarkozy sur ces thèmes... Il est vrai que sa tache n'est pas bien aisée non plus.)


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Cours, camarade, le vieux monde est derrière toi...

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mercredi 10 mars 2010

Éléments de compréhension.

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Dans le dernier numéro (134) de la revue Éléments, paru il y a déjà quelque temps, vous pouvez trouver une interview de votre tenancier préféré, réalisée par un de mes plus vieux habitués, un alcoolique pur et dur, en l'occurrence l'excellent M. Cinéma, lequel a pour l'occasion rédigé un « chapeau » dont la lecture m'a fait rougir de plaisir, mais que je rougirais encore plus, et cette fois de honte, à l'idée de le reproduire, tant il est indulgent à mon égard.

Ayant laissé passer quelques semaines depuis la parution de ce numéro - principalement consacré à l'épineuse question : "L'animal est-il un être humain ?", et par ailleurs, comme à l'accoutumée, foisonnant d'informations -, je reproduis ci-après cette interview, qui n'apprendra sans doute pas grand-chose à mes piliers de comptoir, mais qui peut-être permet de mieux comprendre certaines de mes évolutions. Je ne modifie pas un iota à ce qui a été publié, même si nous avons dû couper certaines nuances et certains exemples pour les besoins de la publication (je rétablis en revanche les interlignes entre les différents paragraphes). Je ne ferai ensuite que quelques très brefs commentaires :

" - Dans votre étude critique de la modernité, quels maîtres conservez-vous et lesquels avez-vous fini par remettre en question ?

Un bref récapitulatif peut faire comprendre la portée de cette question. Lorsque j'ai ouvert mon café, dans un monde post-11 septembre 2001 très marqué en France par le communautarisme, notamment sioniste, alors extrêmement "décomplexé", je partais en guerre sous la double bannière de ma formation d'extrême-gauche - quelque part entre Deleuze et Debord, pour le dire vite - et du choc de ma lecture récente des livres de Jean-Pierre Voyer, dont l'audace de ton et la proximité de ses thèses avec ce que je pouvais ressentir dans ma vie quotidienne ont été des appels d'air frais qui m'ont sorti, selon la formule consacrée, de mon sommeil dogmatique. Tout simplement, la vie d'un français moyen, vous, moi, est mieux décrite par J.-P. Voyer que par Debord. Passées les premières "gueulantes" poussées sur mon site, je me suis efforcé de mieux comprendre pourquoi la lecture de livres comme Hécatombe ou le Rapport sur l'état des illusions dans notre parti m'avait fait un tel effet. En commençant à lire les auteurs recommandés par J.-P. Voyer - Marshall Sahlins, Vincent Descombes, Durkheim... -, puis, de fil en aiguille, d'autres - Louis Dumont, Joseph de Maistre, mais aussi des figures réputées plus « centristes » comme M. Gauchet ou P. Yonnet, j'ai élargi peu à peu mes perspectives. Ceci sans bien sûr oublier les regards d'artistes comme Baudelaire, Bloy, Musil, ou, de nos jours, quelqu'un comme M.-É. Nabe.

Tout cela n'a pu que m'éloigner petit à petit d'auteurs classés très à gauche, tels Alain Badiou ou Alain Brossat, nettement plus présents sur mon site il y a quatre ans qu'aujourd'hui, et même de Castoriadis, dont néanmoins les thèses sur l'auto-institution de la société ou sur l'autodestruction du capitalisme me semblent toujours très importantes.

Mais même si je dois parfois donner l'impression au lecteur de « pencher de plus en plus à droite », je crois qu'il ne faut pas raisonner trop en ces termes. Non qu'il n'y ait pas de réelle différence entre la gauche et la droite, je crois au contraire qu'il y en a toujours, mais parce que ces différences me paraissent moins importantes, pour ce qui est des idéologies, qu'entre les auteurs qui acceptent tout de la modernité, qui croient vraiment qu'avant la Révolution française l'histoire de l'humanité se résume à une succession de sordides dictatures intolérantes, et ceux qui essaient de soupeser autant que faire se peut ce que nous avons gagné et perdu dans l'histoire.

Et il est bien clair, de ce point de vue, que les auteurs dits de gauche souffrent en général d'une certaine cécité volontaire : même lorsqu'ils font référence à des gens comme Benjamin ou Arendt, assez « irréprochables » pour avoir le droit d'écrire sur la modernité le même genre de critiques que par contre on reproche à Maistre ou René Guénon, on a l'impression qu'ils ne retiennent de ces critiques « antimodernes » que le minimum, jusqu'à les édulcorer. (Et pourtant, à certains égards, Arendt est plus conservatrice que Maistre !) D'une autre génération, un Jean-Claude Michéa n'échappe pas totalement à cette critique. Mais il fait heureusement porter l'attention sur les premiers socialistes, pour qui la notion de communauté ne se dissout pas encore, comme chez le Marx de la maturité, dans une pure et simple addition d'« individualités ».

Aussi aimerais-je approfondir ces auteurs, tout en continuant à dérouler certains fils sur lesquels j'ai commencé à tirer en lisant des auteurs "catholiques paradoxaux" - mais un catholique n'est-il pas toujours paradoxal ? - comme Chesterton, qui assimilait tradition et démocratie, ou Boutang, dont le royalisme se nourrissait de Proudhon ou Sorel.

- Quels seront vos prochaines livraisons ?

Je fais comme M. Eric "traître en chef" Besson, je cherche à comprendre ce qu'est l'identité nationale française. A ceci près que je ne crois pas que l'expression « identité nationale » signifie grand-chose, ni actuellement, ni d'un point de vue logique. Une nation en acte fonctionne certes grâce à des valeurs communes - et on peut très bien en discuter publiquement -, mais elle crée son identité, ou plutôt ses identités, souvent conflictuelles, en avançant, et sans qu'il soit nécessairement souhaitable de trop réfléchir à ce qu'elle fait. Mieux vaut sans doute ne pas essayer d'avoir une définition trop stricte du régime républicain et de ses buts, un flou artistique permet mieux à diverses sensibilités de s'y retrouver. Toutes généralités qui me semblent particulièrement vraies pour la France. Ceci n'empêchant pas de se demander à quel point un concept comme celui de nation peut encore être viable dans le monde d'aujourd'hui. Il y au moins des raisons d'en douter.

Si la question se résumait à lutter contre le capitalisme financier, la réponse serait assez simple : l'État-nation peut reprendre les prérogatives qu'il a lui-même abandonnées. Ce serait difficile, il y faudrait une pression populaire forte dans de nombreux pays à la fois, mais cela n'aurait rien d'impossible. C'est en gros le schéma d'un Alain Soral. Mais si, dans la lignée d'un François Fourquet, on croit à la quasi-identité de l'État moderne, donc l'État contemporain du développement des nations, et du capitalisme ; si, d'autre part, on constate à quel point l'individualisme - éventuellement "familial", autour de la famille nucléaire, comme chez Paul Yonnet - dévore tout sur son passage, on sera plus dubitatif, d'une part sur l'avenir des nations, qui sont ou étaient des concentrés particuliers d'individualisme et de holisme, pour reprendre la terminologie de Dumont, d'autre part sur les éventuelles idées à apporter pour que la disparition éventuelle de ces nations ne débouche pas sur le chaos le plus complet. Le pire n'étant, faut-il le rappeler, jamais sûr.

Ce qui est éternel, ce n'est pas le capitalisme, ce n'est pas non plus le marché au sens que l'on donne actuellement à ce terme, ce sont ce qu'avec Braudel on peut appeler les « jeux de l'échange ». De l'État-Nation P. Chaunu dit que "nous n'avons rien à mettre à sa place" : et pourtant, si nous changeons de « jeux », cet État ne peut qu'en être fortement affecté.

C'est donc sur sa signification qu'il me semble important de réfléchir : son rôle dans la naissance et le développement du capitalisme, dans la naissance et le développement des nations, sa fonction d'incarnation et de représentation du peuple, ceci sur fond d'individualisme toujours croissant... On doit se situer entre l'enquête historique, la philosophie politique, l'ethnologie de nos contemporains, telle que Dumont l'estimait pratiquée par Tocqueville, et qu'il m'arrive de la retrouver chez P. Muray ou M.-É. Nabe : cela fait beaucoup de choses à la fois, mais si l'un de ces piliers manque, tout l'édifice, fût-il encore à construire, risque fort de s'écrouler, et nous en-dessous."


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Cet entretien ayant lui-même été réalisé il y a plusieurs mois, vous avez pu constater par vous-même que si j'ai un peu avancé du côté de Boutang - et Maurras -, mon beau programme d'évaluation précise du rôle de l'État est pour l'heure resté lettre morte. Les investigations historiques - de même que proprement philosophiques - sont devenues comme mes parents pauvres, j'y reviendrai.

J'ajouterai simplement aujourd'hui que rédiger ces réponses m'a permis de comprendre une autre évolution : passés les premiers tâtonnements, j'ai trouvé une première direction générale en cherchant à étudier les différences entre tradition et modernité. Cela m'occupe évidemment toujours, « et que c'est pas fini », mais il faut de toute évidence s'occuper aussi de ce qui peut être commun à ces deux époques de l'histoire de l'humanité, surtout si nous espérons que certains enseignements de la tradition seraient susceptibles de nous aider à ne pas sombrer dans l'anarchie complète... On doit essayer de voir si les types anthropologiques modernes peuvent comprendre et accepter ces enseignements, même en les adaptant.

Bonne journée à tous !


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L'animal est-il un être humain...

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dimanche 7 mars 2010

Varia.

Quelques précisions d'ordre technique pour commencer :

- grâce à l'un de mes nouveaux commentateurs, je découvre tardivement l'existence de certains commentaires : ce site peut ne pas en indiquer la présence, si vous cliquez sur "Commentaires" dans les précédentes communications, vous allez en trouver. Je vais voir ce que je peux faire pour régler ce petit problème, et m'excuse pour mes réponses tardives - que je laisse sitôt ce message posté ;

- je n'ai jamais tenu de statistiques quant à la fréquentation de mon comptoir, mais sais qu'il y a en ce moment des nouveaux venus, que le lien "Dieu bénisse l'Islam" peut désarçonner : à la place du site Limbes, un des tout meilleurs blogs que je connaisse, on y trouve des annonces vaguement liées à l'Islam. Moustafa, le rédacteur de ce site - qu'au passage je remercie sincèrement pour son dernier mail, auquel je répondrai dans les prochains jours, promis - peut ne pas vouloir prolonger cette expérience, mais doit-il pour autant supprimer les textes existants ? Je laisse le lien tel quel encore quelque temps, le supprimerai, avec quel regret, si les écrits si éclairants que l'on y trouvait sur les rapports entre l'Islam et la science, l'Islam et le christianisme, ne resurgissent pas... des limbes.




Ceci dit, un peu de mélancolie pour ce dimanche :


"La France n'est désormais ce qu'est elle qu'à travers une demi-douzaine de querelles, proches de la guerre civile qui nous font ce que nous sommes jusque dans notre passion d'en finir avec elles." (P. Boutang, Maurras, 1984, p. 341)

- c'est quelque chose que j'ai écrit il y a quelques années, je ne sais plus où : cela fait longtemps que notre beau pays, comme sur une fondation, repose (en partie) sur ses querelles, mais le problème est que ces querelles sont de moins en fécondes, qu'elles ne produisent plus qu'une division résignée.


Les Parisiens en font maintenant assez régulièrement l'expérience : être le seul français (sans guillemets - tout de même !) dans une rame de métro, entre Asiatiques, Noirs, Arabes, Slaves... C'était mon cas ce vendredi, je repensais du coup à cette phrase de Bernanos que je vous ai déjà citée :

"Je voudrais faire clairement entendre qu'aucune vie nationale n'est possible ni même concevable dès que le peuple a perdu son caractère propre, son originalité raciale et et culturelle, n'est plus qu'un immense réservoir de manoeuvres abrutis, complété par une minuscule pépinière de futurs bourgeois. Que les élites soient nationales ou non, la chose a beaucoup moins d'importance que vous ne pensez. Les élites du XVIIe siècle n'étaient guère nationales, celles du XVIe non plus. C'est le peuple qui donne à chaque patrie son type original."

- phrase qu'il faut compléter par celle-ci :

"L'homme de bonne volonté n'a plus de parti, je me demande s'il aura demain une patrie."

...et me disais donc que les élites avaient pris Bernanos au mot, lui ajoutant un peu de Brecht ("Puisque le peuple vote contre le Gouvernement, il faut dissoudre le peuple...") et s'attachaient à rendre les peuples de moins en moins « nationaux », à les dissoudre. Ne pensons pas trop aux causes pour l'instant (outre une réaction agressive des élites à ce qu'on appelle trop modérément - et les dites élites le savent bien - la « désaffection » des peuples à leur égard, ces causes peuvent être fort simples : ceux qui ont le pouvoir vont « de l'avant » tant qu'on les laisse faire, le repos, la quiétude leur sont désagréables), pensons simplement aux résultats.

On écrit parfois qu'il y a moins de mouvements migratoires aujourd'hui qu'à d'autres périodes de l'histoire. Précision très utile, mais purement quantitative, et qui fait fi de la « mercurianisation » générale des sociétés à l'oeuvre aujourd'hui : le problème n'est pas seulement qu'il y ait des migrations, et qu'il y en ait peu ou beaucoup, mais que ces migrations deviennent la seule norme, puisque nous sommes sans cesse invités à migrer, si ce n'est au sens géographique du terme, du moins de façon mentale ou familiale. Quand le référent prend la forme du mouvement, c'est la nature même du mouvement qui est changée. Et les sociétés franchement individualistes, comme l'anglo-saxonne, ne supportent pas nécessairement mieux, dans les faits, ce mouvement perpétuel que des sociétés plus conservatrices (eh oui), comme la Française, mais au moins peuvent-elles l'assumer comme en accord avec leurs valeurs cardinales. Les Français ont beaucoup plus de mal à se dépatouiller de leurs contradictions entre la promotion des droits de l'homme et la préservation de leurs racines culturelles, entre l'égalité de tous et un certain « droit » à être encore soi, entre l'adhésion à un capitalisme qui par essence détruit tout sur son passage - relisez Marx - et la volonté de se préserver des effets indésirables du capitalisme. Évidemment, quand il s'agissait de faire suer le burnous, les choses étaient plus simples...

Un "immense réservoir de manoeuvres abrutis", ce métro du vendredi midi ? Plutôt de manoeuvres (et de chômeurs) hébétés, perdus tels des fantômes errant dans une nation qui se délite en tant que nation, pouvant regretter la leur - tout en sentant bien que celle-ci existe sans doute plus dans leur nostalgie qu'en réalité, et que le fait même qu'ils l'aient quittée y a contribué.


Voilà : la France ne se réduit certes pas une rame de métro sur la ligne 4, il ne m'en était pas moins difficile de ne pas être sensible à cette vision de désordre, de désorganisation. - A contrario, je me souviens de la première fois où, sur le RER B, j'étais le seul blanc, entouré de Noirs, vers 18h30 : cela m'avait amusé de me retrouver ainsi au milieu d'esclaves salariés (comme moi) rentrant du boulot, pensant à leur journée, à leurs enfants, etc. : « normaux » pour autant que la vie quotidienne d'un esclave salarié le soit, ils n'offraient pas la même vision babélienne.




Une précision en forme de ligne de fuite : j'ai parlé de "Ceux qui ont le pouvoir" : je veux dire par là ceux qui ont cherché à l'avoir - les courtisans sous l'Ancien Régime, les démocrates arrivistes sous le Nouveau. Il faut bien l'avouer : dans la France d'avant 1789, il y avait au moins un homme de pouvoir qui n'avait pas choisi d'être là, c'était justement le principal, à savoir le Roi - alors même qu'en démocratie, du moins telle qu'elle est organisée actuellement, tous ceux qui ont détiennent les rênes ont trimé comme des merdes pour en arriver là - ce qui me semble-t-il suffit à les juger. Cela ne préjuge pas de la compétence des uns et des autres, mais n'est pas indifférent en ces périodes où les peuples recherchent la stabilité, les élites le mouvement perpétuel.

Ce n'est pas une profession de foi royaliste (à ce propos, rétablissons dans son intégrité la citation de P. Boutang par laquelle nous avons commencé ce texte, et que j'avais amputée pour ne pas vous divertir de mon sujet principal : "La France est en effet l'oeuvre de ses rois, que la démocratie tend à défaire, mais elle n'est désormais ce qu'est elle qu'à travers une demi-douzaine de querelles, proches de la guerre civile qui nous font ce que nous sommes jusque dans notre passion d'en finir avec elles.") : pensons aux recherches d'un Étienne Chouard sur le rôle que peut jouer le tirage au sort en démocratie... Et évoquons une fois de plus Paulhan - dont j'apprends par Boutang qu'il admirait Maurras - et son texte "La démocratie fait appel au premier venu" (1939), au fait que ce premier venu s'appela de Gaulle, lequel j'en suis de plus en plus convaincu fut un héros à la Badiou : quelqu'un qui resta fidèle à ce qu'il ressentit lors d'un événement primordial... Il y a indubitablement un reliquat royaliste dans la manière dont les Français, entre autres d'ailleurs, se cherchent parfois un sauveur : mais on peut y trouver aussi, me semble-t-il (est-ce la même chose ?), un aspect très démocratique : on cherche quelqu'un de pareil aux autres, pas un type spécialement compétent, pas un expert réel ou autoproclamé : quelqu'un qui saura, plus que les autres, être à la hauteur de la situation. - Et il y faut certes plus qu'une paire de talonnettes !

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jeudi 4 mars 2010

"On se comprendrait."

Pléiade


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Le volume des Lettres de Céline, récemment paru à "La Pléiade" (Gallimard, 2009), était annoncé et attendu depuis des années. Les amateurs savaient - le titre le rappelle : il ne s'agit pas de l'édition de la « Correspondance » - qu'il ne serait pas complet. De nombreuses lettres de Céline sont aux mains de collectionneurs qui ne souhaitent pas les céder. On ne fera pas de mauvais procès à Gallimard pour n'avoir pas attendu que les conditions d'une publication (quasi-)intégrale de la correspondance de Céline soient réunies. D'une part il faut bien vivre, d'autre part ce volume - que je n'ai pas encore lu, seulement parcouru - se justifie au moins, outre la publication d'inédits et les corrections faites aux publications antérieures, par la vue d'ensemble qu'il donne.

Ceci étant admis, il est bien évident que tout choix se discute, et que certains se discutent plus que d'autres. L'éditeur Henri Godard écrit (p. XXXV) : "On a donc réuni ici, avec des lettres inédites, un choix de lettres reprises de publications antérieures, en ne retenant que les plus significatives et avec le souci que l'ensemble soit représentatif de la diversité des tons et des styles que Céline adopte en fonction de la personnalité de son correspondant et de ses relations avec lui." Dans le cas de Céline, il n'est guère besoin d'être obsédé par le sujet pour penser au « ton » de l'antisémitisme, tant l'auteur de Bagatelles pour un massacre est devenu, à tort ou à raison - et certes pas complètement à tort - le symbole de l'antisémitisme littéraire français. Admettons sans barguigner que ce volume n'omet pas cet aspect du maître, quand bien même la justification de la publication de tels écrits par H. Godard dans sa préface (p. XIII-XV) est d'un esprit scolaire et bien-pensant un rien navrant (on a d'ailleurs l'impression qu'il le fait presque exprès...).

Le choix que je discute aujourd'hui, c'est l'élimination de quasiment tout ce qui peut évoquer une forme de négationnisme de la part de Céline. Il me semble avoir écrit assez clairement ce que je pensais de ce sujet pour pouvoir me permettre de regretter l'absence dans ce volume de la plupart des ébauches de Céline dans cette direction. Mais essayons d'être précis à tous points de vue.

Et précisons d'emblée que nous en resterons ici au négationnisme proprement dit, c'est-à-dire la négation de l'existence des chambres à gaz. On évoque parfois un « révisionnisme » de Céline, en entendant par là qu'il relativisa les crimes nazis par rapport à ceux des alliés : c'est indéniable pour qui connaît son oeuvre d'après guerre, mais ce n'est pas mon sujet du jour (vous trouverez quelques renseignements à ce propos ici, dans un texte dont je ne cautionne d'ailleurs pas tout le contenu).

- Voici le passage le plus évocateur sur ce thème, tel qu'il est reproduit dans le tome 6 des "Cahiers Céline" (Lettres à Albert Paraz 1947-57), publié par Gallimard en 1980.


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Rappelons que que Céline se trouvait alors emprisonné au Danemark, et fort anxieux quant à son avenir, que Paraz avait préfacé le livre qui fait aujourd'hui figure d'ancêtre du négationnisme, Le mensonge d'Ulysse de Paul Rassinier, ce qui lui avait valu quelques ennuis judiciaires, lesquels inquiètent Céline, Paraz étant de santé fragile. Celui-ci et Rassinier avaient par ailleurs tenté de mettre au point un système de vente directe du livre, sans passer par les libraires.

"Rassinier est certainement un honnête homme... il ne va pas te compromettre plus oultre... dans ton état ! Ça suffit ! Son livre se vend-il ? Est-il content du système direct ? Son livre, admirable, va faire gd bruit - QUAND MÊME Il tend à faire douter de la magique chambre à gaz ! ce n'est pas peu ! Tout un monde de haines va être forcé de glapir à l'Iconoclaste ! C'était tout la chambre à gaz ! Ça permettait tout ! Il faut que le diable trouve autre chose... Oh je suis bien tranquille !" (8 novembre 1950, p. 276)

Dans la nouvelle édition de ces Lettres à Albert Paraz 1947-57, toujours chez Gallimard (2009),


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ce texte est reproduit (p. 325-26), avec quelques modifications d'ordre graphique que voici :

"Son livre, admirable, va faire gd bruit - QUAND MÊME. Il [tendra] à faire douter de la magique chambre à gaz !"

"C'était tout la chambre à gaz ! Ça permettait TOUT !"

On notera que les modifications de la première phrase diminuent l'expression d'un enthousiasme plus assumé dans la première version, alors que l'ajout de majuscules à "tout" renforcerait au contraire plutôt le sarcasme célinien, sinon quant aux chambres à gaz elles-mêmes, du moins quant à l'utilisation qui en est faite par certains depuis la Libération. - C'est d'ailleurs toute la question, mais continuons notre inventaire.

Dans l'édition de 1980, cette lettre appelle une note informative sur le livre de Rassinier et la condamnation de Paraz, sans autre commentaire concernant Céline. Dans celle de 2009 (les deux sont dûes à Jean-Paul Louis), une note, appelée par la "magique chambre à gaz", précise, :

"Par cette formule, Céline fustige une interprétation manichéenne de l'histoire récente, qui lui semble dominante et source de ses malheurs",

et nous renvoie à une autre lettre, où Céline revient sur le même thème (15 mars 1951 ; éd. 1980 : p. 312 ; éd. 2009 : p. 364), en réponse à un courrier de Paraz, sur le sujet, courrier qui n'a pas été retrouvé :

"Oh mon vieux, je ne prends pas du tout votre lettre contre les chambres à gaz à la légère ! C'est du Donquichottisme foutrement magnifique ! En saloperie d'égoïste, pensant bien à moi si je retournais en France et qu'on m'assassine - (recta !) mon meurtrier acquitté dans les bravos ! aurait pour grande excuse les chambres à gaz ! alors ? si je suis dans le coup ! tu causes !"

Ajoutons pour être, sauf erreur de notre part, complet sur ce sujet, que :

- dans une lettre plus précoce (9 octobre 1950 ; éd. 1980 : p. 268 ; éd. 2009 : p. 317) Céline commande à Paraz quatre (pourquoi ?) exemplaires du Mensonge d'Ulysse,

- dans une lettre du 22 décembre 1950 (éd. 1980 : p. 281 ; éd. 2009 : p. 332), Céline ajoute :

"Oh Rassinier fait bien de se tirer à n'importe quel prix de ce guêpier dégueulasse et toi itou ! La Vérité ? Tout le monde s'en fout. On veut savoir qui sera le plus fort." ;

- enfin, après la mort de Paraz, Céline écrivit lui-même deux lettres à Rassinier : celui-ci lui avait proposé de faire partie d'une Association des amis d'Albert Paraz. Céline lui répond (octobre et décembre 1957 ; éd. 2009 : pp. 498-99 ; ces lettres ne figurent pas dans l'édition 1980) à ce sujet, sans aborder le révisionnisme.

A ma connaissance, ces textes contiennent tout ce que l'individu Céline (par opposition au romancier, qui peut-être y a fait allusion, j'avoue ne pas m'en souvenir) a écrit sur les chambres à gaz [1]. Comme souvent avec les grands écrivains, on dira que c'est à la fois peu et beaucoup. Trop peu pour y voir l'expression d'une obsession, d'une hantise, mais assez, ne serait-ce que par les formules si évocatrices de la première des citations ici reproduites (la "magique chambre à gaz"...) pour que l'on ne puisse faire comme si ce thème n'existait pas. C'est pourtant ce que n'est pas loin de faire l'édition Pléiade, je vais y arriver - mais finissons-en d'abord avec Ferdinand.

Nulle part dans ces textes Céline n'affirme expressément que les chambres à gaz n'ont pas existé. Sans doute peut-on sans attenter à sa mémoire lui prêter le désir qu'elles soient un mensonge : pour un antisémite, quelle jouissance si des faits si scandaleux s'avéraient être une invention, juive de surcroît... Notre ami ne peut donc envisager qu'avec sympathie une entreprise comme celle de Rassinier. Mais s'il était un peu fou, Ferdinand n'était pas, loin de là, un imbécile, et se doutait bien que si complot il y avait, il fallait un peu plus qu'un livre comme Le mensonge d'Ulysse pour le démonter. Aussi insiste-t-il surtout sur l'efficacité politique, voire mythologique, voire, donc, "magique", des chambres à gaz. C'est l'aspect que Jean-Paul Louis, dans l'édition de 2009, met en évidence : il a raison mais ment me semble-t-il par omission, comme si Céline ne voyait absolument les choses que de ce point de vue, disons de sociologue.

Et ce M. Louis, qu'en pense-t-il ? Je ne suis certes pas dans son subconscient, mais j'ai été frappé par le ton qu'il emploie, dans sa bibliographie de l'édition de 2009, au sujet de l'ouvrage de Florent Brayard, Comment l'idée vint à M. Rassinier. Naissance du révisionnisme (Fayard, 1996) :

"Cet ouvrage est sans doute utile pour lutter contre ce qui s'est appelé le « révisionnisme », mais sans intérêt pour l'histoire de la littérature : il n'est cité ici que pour les indications que donne l'auteur en notes sur les archives Paraz (...). Les enseignements qu'il en tire sur la personnalité de Paraz sont caricaturaux et annoncés par ces mots de Pierre Vidal-Naquet dans sa Préface : «Albert Paraz, un anarchiste de droite qui était un peu le Céline du pauvre » - parangon des tautologies qu'inspire trop souvent l'étrange destin littéraire de Paraz." (p. 17) - cette dernière critique étant d'autant plus singulière que Jean-Paul Louis a lui-même opéré un virage à 180° concernant l'importance littéraire de l'auteur du Gala des vaches : dans sa première édition de 1980, il évoque "une écriture à la fois intimiste et polémique d'une grande originalité" (p. 10), alors que dans la seconde il justifie son refus de publier les lettres de Paraz en même temps que celles de Céline pour éviter un "pénible sentiment de disparate", tant la comparaison des styles serait peu flatteuse pour le premier - qui même, sans sa correspondance avec Céline, serait certainement oublié (pp. 16 et 10).

Bref : la façon dont J.-P. Louis décrit, alors qu'on ne lui demandait rien - si ce n'est, peut-être, justement, de le faire figurer dans sa biblio... - l'ouvrage de F. Brayard me semble sans équivoque sur la sympathie que peut lui inspirer ce genre d'ouvrage anti-négationnistes, pénibles à lire, mais qui trouvent si facilement éditeurs et commentateurs... Je ne suis pas en train de dire que ce monsieur a de la sympathie pour le négationnisme, mais je pense qu'en tant qu'éditeur de Céline de longue date, il en a un peu marre, de même que Henri Godard (cf. son Céline scandale, Gallimard, 1994), d'entendre les cris d'orfraie de ceux qui ne voient en Ferdinand que l'auteur des pamphlets.

De là à passer sous silence les textes que nous avons cités... Il y a déjà nous semble-t-il une évolution entre les deux éditions des Lettres à Albert Paraz : un peu plus de commentaires, une façon d'évoquer la question du négationnisme parce qu'on se sent obligé de le faire, tout en en dédouanant Céline autant et sans doute plus qu'il n'est possible - et en se vengeant au passage sur un assez miteux « historien ». Avec l'édition Pléiade - dont le même Jean-Paul Louis a assuré la deuxième partie, laquelle couvre la période qui nous occupe -, c'est encore différent : de tous les documents que nous venons de citer, elle n'en reproduit que deux : la lettre du 22 décembre 1950 ("La Vérité ? Tout le monde s'en fout. On veut savoir qui sera le plus fort"), et l'une des deux lettres à Rassinier (respectivement p. 1375 et 1552 ; cf. aussi les notes afférentes, pp. 1933 et 1974).

J'ai entendu parler de cette histoire de disparition magique par des céliniens d'extrême-droite, plus ou moins négationnistes eux-mêmes, et très franchement antisémites - certains sympathiques, d'autres non, point barre. Ils étaient évidemment à la fois choqués et ravis de cet escamotage, qui d'une certaine manière nourrit leurs penchants négationnistes. Après l'examen que vous venez de lire, j'aurais tendance à penser que nos deux braves éditeurs ont fait un mauvais choix, mais qu'ils ont néanmoins cru pouvoir aussi bien préserver leur honnêteté intellectuelle que sauver leur auteur préféré des fourches caudines du politiquement correct sioniste. Faire figurer la chambre magique, c'était - peut-être - s'exposer à une campagne de presse, c'était en tout cas prendre le risque que la réception du livre soit focalisée sur un aspect mineur de la pensée de Céline. Escamoter complètement le thème, cela dénaturait cette pensée, était une forme de lâcheté intellectuelle - et donnait qui plus est trop de grain à moudre aux négationnistes. Aussi MM. Godard et Louis ont-ils pu penser que la publication d'une lettre sur ce thème et d'une lettre à Rassinier (laquelle suffit à montrer que contrairement à ce qu'écrit R. Faurisson celui-ci n'était pas un « ami » de Céline) permettait de donner une idée assez exacte de la thématique célinienne à ce sujet.

- Que ces lettres soient effectivement, vérifications faites, représentatives de ce qu'a pu penser Céline, n'empêche pas ce calcul d'être faux, n'empêche pas ce comportement d'être regrettable : sur un thème aussi chaud, si j'ose dire, il fallait être complet, et notamment ne pas enlever les images les plus frappantes. Lorsqu'on m'a parlé de cette lacune dans le "Pléiade", j'ai d'abord été choqué : après examen, je suis toujours choqué, mais aussi, en quelque sorte, choqué de ne pas être plus choqué. C'est précisément parce que H. Godard et J.-P. Louis ont peut-être fait ce qu'ils ont cru être le mieux que leur attitude (par ailleurs naïve : même avec toutes les cartes en mains un Faurisson vous embrouille, alors si on lui donne de bonnes raisons de crier à la manipulation... ; de l'autre côté, les anti-céliniens regretteront cette omission qu'ils jugeront trop protectrice) est décourageante.

On peut certes se réjouir que Céline fasse encore problème. On peut surtout déplorer que le contexte actuel, à proprement parler non-sensique, pousse deux chercheurs compétents à une manipulation intellectuelle qu'ils auraient pu et dû éviter, dont ils auraient dû comprendre que, malgré qu'ils en aient, elle est une falsification. Tant pis ! - Ou, plus clairement encore : fait chier !



- Revenons au maître, pour finir, qui pour une fois confesse son amour des Juifs. Voilà du Céline, du vrai, du riche, du paradoxal, du réjouissant - et de l'actuel :

"Question Juifs. Imagine qu'ils me sont devenus sympathiques depuis que j'ai vu les Aryens à l'oeuvre : fritz et français. Quels larbins ! abrutis, éperdument serviles. Ils en rajoutent ! et putains ! et fourbes. Quelle sale clique ! Ah j'étais fait pour m'entendre avec les Youtres. Eux seuls sont curieux, mystiques, messianiques à ma manière. Les autres sont trop dégénérés. Et voyeurs les ordures, voyeurs surtout ! Les Juifs eux ont payé comme moi. Les autres, mes frères aryens ils se branlent sur les gradins du Cirque ! Je veux les voir tous dans l'arène et crever ! Vive les Juifs bon Dieu ! Certainement j'irai avec plaisir à Tel-Aviv avec les Juifs. Dans ma prison il y avait 500 gardiens tous aryens. 500 millions d'Aryens en Europe. On me fait crever pour antisémitisme ils applaudissent ! Où sont les traîtres, les ordures ? Tu voudrais que je pleure sur le sort de l'immonde bâtarde racaille sans orgueil et sans foi ! Merci ! Je pense des miens ce qu'en ont pensé au supplice Vercingétorix et Jeanne d'Arc ! De belles saloperies ! Vive les Youtres ! Les Fritz n'ont jamais été pro-aryens - seulement antisémites ce qui [est] absolument idiot. J'en voulais aux Juifs de nous lancer dans une guerre perdue d'avance. Je n'ai jamais désiré la mort du Juif ou des Juifs. Je voulais simplement qu'ils freinent leur hystérie et ne nous poussent pas à l'abattoir. L'hystérie est le vice du Juif, mais au moins il est une idée une passion messianique, leur excuse. L'aryen est une tirelire et une panse - et une légion d'Honneur -" (17 mars 1948 ; éd. 1980 : pp. 63-64 ; éd. 2009 : p. 77 ; Pléiade : pp. 1029-29)

- LA CLASSE !!


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[1]
Robert Faurisson ajoute une lettre de 1960, qu'il ne source malheureusement pas très précisément (elle semble venir du dernier tome de la biographie de F. Gibault (Mercure de France, 1981)). Cette lettre me paraît en tout cas confirmer ce que j'écris sur le rapport de Céline au négationnisme. Je vous laisse juge de la façon dont R. Faurisson l'interprète, dans ce texte confus qui passe sans arrêt du coq-à-l'âne. Sur le même thème, du même auteur, avec des références aux lettres à Paraz, vous pouvez aussi lire cette note.

Peut-être y a-t-il d'autres écrits de Céline à ce propos, mais mes recherches internet ne m'ont pas permis d'en trouver. Il faut ici regretter une fois de plus que les textes publiés par S. Thion soient si difficilement accessibles depuis la France, merci la police !

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