vendredi 31 décembre 2010

La vérité sort de la bouche de Cioran.

"La Fin du Monde apparaîtra quand l'idée même de Dieu aura disparu. D'oubli en oubli, l'homme réussira à abolir son passé et à s'abolir lui-même."

"Aucun ami ne nous dit jamais la vérité. C'est pour cela que seul le dialogue muet avec nos ennemis est fécond." - ce n'est pas exactement l'idée, mais cela suggère que se fâcher avec ses amis est un moyen de connaître un peu plus de vérité sur soi.

"« Impitoyable par vanité » - ce mot de Custine sur le Français est d'une indéniable justesse. Il sert en tout cas à expliquer la Grande révolution et les petites non moins."

"J'ai lu un nombre appréciable de mémoires sur l'état de choses avant la Révolution : tous ces livres m'ont convaincu qu'elle était nécessaire et inévitable ; j'en ai lu à peu près autant sur la Révolution même, et je l'ai exécrée - à regret."

"Je n'ai jamais voulu une chose, sans vouloir en même temps ou immédiatement après le contraire."

"Il n'y a pas de problème isolé ; quel que soit celui que nous abordons, il pose implicitement tous les autres."

"Toutes ces nations occidentales - des cadavres opulents."

"Il faudrait renoncer à porter un jugement d'ordre moral sur qui que ce soit. Personne n'est responsable de ce qu'il est ni ne peut changer de nature. Cela est évident et tout le monde le sait. Pourquoi alors encenser ou calomnier ? Parce que vivre, c'est évaluer, c'est émettre des jugements, et que l'abstention, quand elle n'est pas effet de la lâcheté, exige un effort épuisant."

"Tout n'est pas perdu, tant qu'on est mécontent de soi."

"Toute analyse qui finit par une note d'espoir sacrifie à la convention et se détruit elle-même."

Meilleurs voeux !

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samedi 25 décembre 2010

La dialectique peut-elle casser des briques, la dialectique peut-elle nous rendre vierges à nouveau…

Voici de larges extraits d'un entretien donné par Raymond Abellio, en 1969, à la revue Planète Plus, au sujet de René Guénon.

En le retranscrivant (je ne signale pas les quelques coupures que j'ai opérées ici et là) je n'ai pas de but bien précis : je ne suis connaisseur ni de l'oeuvre de Guénon ni, et encore moins, de celle d'Abellio, répugnerais donc à utiliser sans précautions le travail de l'un contre les idées de l'autre ; de même ferais-je preuve de forfanterie si je commençais à distribuer bons et mauvais points, ce pourquoi je ne vous abreuverai pas aujourd'hui de commentaires. Disons que cet entretien permet au moins de voir en quoi ces deux auteurs sont à la fois proches et éloignés l'un de l'autre. Vous jugerez.


"Obligé de porter sur Guénon certains jugements restrictifs, je tiens tout d'abord à souligner qu'il y a chez lui une positivité considérable, sur laquelle la plupart des critiques d'ailleurs sont d'accord. Lorsque Guénon est apparu au début de ce siècle, les doctrines ésotériques constituaient un véritable fatras de notions confuses et mal définies. Il a effectué un travail d'épuration considérable, il a défini des notions et fixé un vocabulaire, et surtout il a étudié la convergence des différentes traditions et dégagé les concepts primordiaux.

- Il ne semble donc pas que Guénon ait été votre « maître spirituel ». Quels sont ceux qui vous ont permis de prendre cette attitude critique et réservée en vous apportant, peut-être, une vision plus vaste ?

Les livres ne sont certainement pas le meilleur moyen pour recevoir l'influence spirituelle. Mais, à cet égard, Maître Eckhart, par exemple, m'a infiniment plus touché que Guénon. Je n'ai pas connu Guénon, je ne l'ai pas approché. A le lire, je ne sens pas chez lui « l'homme intérieur » que je sens au contraire chez Maître Eckhart. Dailleurs Guénon me semble surtout avoir fait une critique « externe » de la Tradition. Je ne sais pas s'il l'a vécue de façon intérieure et sur ce point je ne peux porter qu'un jugement subjectif. Tout cet appareil d'érudition dont s'entoure Guénon est impressionnant, mais ce n'est en fin de compte qu'un travail sur la Tradition et non une oeuvre de re-création intérieure. Tout au moins c'est ainsi que je le sens. J'avoue que les jugements négatifs, les prises de position polémiques de Guénon me gênent. Mais même son apport positif ne me nourrit pas autant que je voudrais.

- Comment avez-vous découvert l'oeuvre de Guénon, trouve-t-on quand même René Guénon quelque part à l'origine de vos ouvrages ?

J'ai connue cette oeuvre indirectement, il y a trente ans, par l'intermédiaire de celui que j'appelle mon maître spirituel, c'est-à-dire Pierre de Combas. Il avait digéré tout ce qu'il y a à digérer, et, en quelque sorte, me l'a donné tout mâché. Et ce n'est qu'après que cet enseignement direct m'eut transformé, que je me suis trouvé en contact avec l'oeuvre de Guénon proprement dite. Est-ce parce que j'y étais ainsi préparé que je n'ai pas connu de « choc » ? C'est possible. Je serais quand même injuste si je ne me rappelais pas le souvenir que je garde d'oeuvres comme Le symbolisme de la croix ou Les états multiples de l'être. Je sortais du marxisme et je me rappelle avoir été frappé par cette opposition que faisait Guénon entre l'ampleur et l'exaltation. J'y ai retrouvé l'opposition marxiste de la quantité et de la qualité, mais, comment dire, avec moins de force dialectique. Je me rappelle aussi que l'aspect géométrique de la présentation du Symbolisme de la Croix m'avait paru spécialement démonstratif.

Je n'ai pas retrouvé cette même impression à la relecture récente de ce texte. C'est là que je suis conduit à dire qu'il s'agit d'abord de critique externe. La formule est bien entendu trop simple, trop sévère, elle ne rend pas compte du rôle d'éveilleur que Guénon eut en son temps, mais ce symbolisme reste, de son propre aveu, purement spatial. Le temps en est absent. Il est pour ainsi dire insuffisamment dialectique. Je sais bien que Guénon est, et à juste raison, anti-évolutionniste. Mais il y a quand même, devant la conscience, une genèse de l'être, ou, si vous préférez, une genèse de la conscience. Quand j'ai été appelé à étudier par moi-même, bien plus tard, ce symbolisme de la Croix, le problème capital m'a paru être au contraire cet aspect temporel même si, à la sortie, la temporalité doit être dépassée. Mais à la sortie seulement. Il faut revivre de l'intérieur cette montée qui va déboucher hors du temps. C'est pour cela que je mets des flèches entre les branches de la Croix. Mon essai sur la Structure absolue est, comme le Symbolisme de la Croix, une méditation sur la croix à six directions. Mais je retrouve ce symbole par mes propres voies, il ne m'est pas donné au départ. Je le reconstitue par une expérience intérieure. C'est pour cela que ce travail est intitulé essai. Si, à la sortie, je peux vérifier la concordance entre mes conclusions et les textes de la Tradition, tant mieux. Mais c'est pour moi une illustration plus qu'une preuve. Guénon, lui, n'écrit pas des essais. Il expose la Tradition, il la veut et la voit toute donnée. Il ne la re-crée pas du dedans. Il la dégage comme on fait d'un trésor enfoui qu'on débarrasse de sa gangue de terre mais qui apparaît alors tout constitué et intact. Il est bien évident que l'ésotériste capable de mener à bien ce travail de dégagement et de nettoyage doit être lui-même éclairé de l'intérieur pour savoir reconnaître la qualité de ce qu'il tire au jour, mais c'est justement sur la nature de cette lumière intérieure et sa communication que je m'interroge et que Guénon ne m'aide pas.

- En d'autres termes, vous faites davantage confiance aux méthodes d'approche de la philosophie occidentale ?

Oui et non. Il faudrait s'entendre sur ce qu'on appelle philosophie occidentale. Mais il est certain qu'en tant qu'Occidentaux nous avons cru devenir majeurs au temps de Galilée et de Descartes, et que, depuis ce moment-là, nous n'avons rien voulu reconnaître pour vrai que nous n'ayons reçu pour tel de notre propre intuition de l'évidence. C'est à ce travail de reconstruction intérieure que l'Occident s'est consacré. D'où la notion de table rase chez Descartes. Et ce besoin radical de la phénoménologie husserlienne de partir des choses mêmes. Je ne crois pas que cette tentative soit futile. Ce qui ne veut pas dire, bien entendu, que tous les produits de l'enseignement philosophique occidental soient ou deviennent des hommes « véritables ». C'est un tout autre problème.

- Mais Husserl est, selon vous, un homme « véritable » ?

Celui qui a dit : « La phénoménologie est une communauté gnostique », même s'il ne se réfère pas à la Tradition, était sûrement ouvert aux problèmes de l'homme intérieur.

- Pouvez-vous préciser votre pensée lorsque vous dites que le guénonisme vous apporte surtout une critique « externe » des textes traditionnels ?

Voyez la signification de la Triade, dont Guénon traite longuement. Avec ses trois « éléments », la triade établit en fait un rapport : deux termes et une relation entre eux. Elle annonce par conséquent un processus dialectique, mais elle ne l'opère pas complètement. Le processus dialectique n'est complètement opéré que par la proportion, ou rapport de rapports (que Platon appelle la médiation). C'est donc en fait le nombre Six qui à cet égard est fondamental. Si vous n'établissez pas ce fait par une analyse proprement phénoménologique, vous vous condamnez à surestimer la triade et à sous-estimer le sénaire, et par exemple à ne pas comprendre l'importance du nombre Six en Kabbale… [AMG : je coupe ici, ceux que ce thème intéresse n'ont qu'à se reporter à la version papier ou (re)lire Abellio…] Voyez de même ce que Guénon dit, dans le Symbolisme de la Croix, sur les trigrammes et les hexagrammes de Fo-Hi utilisés dans le livre chinois du Y-King. Pourquoi les 64 hexagrammes couvrent-ils la totalité de la manifestation ? Vous ne le comprendrez qu'en dégageant complètement une dialectique de la proportion que l'exégèse habituelle des textes de la Tradition laisse dans l'ombre. En s'enfermant dans le ternaire Père-Fils-Saint-Esprit, d'où la Mère et la Femme sont curieusement absentes, la tradition chrétienne s'est également privée de la puissance dialectique du sénaire. C'est tout le problème de la Femme et de la féminisation du Fils qui a été ainsi éludé. Le livre de Julius Evola, Métaphysique du sexe, qui présente une importance considérable mais s'inscrit dans la ligne guénonienne, est ainsi amené à traiter de la Femme absolue là où je préfère parler de femme ultime, concept génétique qui implique une expérience vécue.

- La position de Guénon à l'encontre de l'Occident moderne traversant l'Age noir et tel qu'il le dénonce, par exemple, dans le Règne de la Quantité doit alors vous paraître unilatérale, trop négative.

Oui, parce que l'Age noir contient lui aussi des facteurs positifs. En paraphrasant Héraclite, on pourrait dire : Rien n'avance que par la discorde et la nécessité. La genèse de la conscience transcendantale implique un affrontement à la résistance, à l'opacité du monde. On peut admettre que l'Occident actuel est le lieu de la plus grande opacité, mais aussi, par la loi des polarités, pour notre âge, celui de la conscience la plus qualifiée. Les guénoniens qui accablent l'Occident se refèrent à un Orient traditionaliste idéal, tout à fait théorique et intemporel, alors que l'Orient réel, nullement protégé par sa Tradition, est engagé dans un processus d'entropisation qui n'a rien à envier à celui de l'Occident. L'Orient actuel vit-il réellement sa Tradition ? Pas moins, mais pas plus, dans ses hauts-lieux, que l'Occident dans ses ordres contemplatifs ou ses vrais gnostiques. Il est clair que l'enseignement de la Tradition telle que la conçoit Guénon présente une importance capitale. Encore convient-il que cette Tradition ne se fige pas en une orthodoxie et un littéralisme. Aussi, recréer et revivre la Tradition de l'intérieur à travers une expérience historique cataclysmique est au moins aussi important. A cet égard, la construction de la philosophie finale de l'Occident constitue une oeuvre admirable, et sa convergence avec la Tradition, même si l'Occident n'en est pas encore conscient, sera une des caractéristiques majeures de la prochaine assomption.

- Qu'est-ce aujourd'hui que l'initiation ? Quel est son contenu ?

Je crois que l'initiation aujourd'hui est de l'ordre de l'immanence autant que de la transcendance. L'initiation ne peut-elle venir que d'une transmission, d'une filiation ininterrompue d'initiés, est-elle le produit exclusif, en Occident, d'institutions reconnues comme ayant reçu le dépôt régulier de la Tradition primordiale telles la Maçonnerie ou l'Église catholique ? Je ne méconnais pas l'importance des rites et des institutions, mais c'est sous-estimer, me semble-t-il, le pouvoir de l'invisible que de ne pas reconnaître la possibilité d'un autre mode de consécration. En d'autres termes, je croix à une tradition re-virginisée par l'effort « autonome » de l'esprit occidental, tout en prenant soin de mettre le mot « autonome » entre guillemets puisque tout participe de l'interdépendance universelle. Mais c'est peut-être le propre de l'esprit occidental de s'affirmer d'abord comme autonome pour mieux prendre ensuite conscience, dans la crise diluvienne de l'Occident, des conditions mêmes de sa dépendance et de sa soudaine ordination.

[AMG : ach, un commentaire, tout de même ! c'est peut-être la phrase la plus importante de cet entretien, tout étant dans le « ensuite ». On pourrait dire que nous sommes dans cet « ensuite », dans cette prise de conscience, au cours même de la débâcle impulsée par l'esprit occidental. Aurons-nous le temps, et avons-nous la possibilité de « re-virginiser » le réel, ou est-ce trop tard (et a-t-il toujours été trop tard ?), seul un apocalypse pouvant reproduire de la virginité ? - Les paris sont ouverts !]

- Guénon a vu dans notre époque celle de la contre-initiation. Comment l'entendez-vous ?

Je l'entends de façon dialectique, au sens où la réaction accompagne l'action. Il est certain que dans ses effets matériels et intellectuels visibles, le monde actuel descend dans la plus grande multiplicité. C'est bien l'Age noir dont parle la Tradition. Mais c'est le contraire dans ses effets invisibles au sommet de quelques consciences. Il est même significatif que la contre-initiation prenne aujourd'hui pour principal moteur la force extraordinairement entropique du marxisme asiatique, appelant ainsi une réaction initiatique d'une puissance équivalente. Et là je crois à la mission des Occidentaux. En fin de compte, je ne vois pas l'initiation comme un donné facilement reçu mais comme le produit d'un drame, d'une passion. Ce drame, je n'en sens pas, chez Guénon, la présence, même latente. Mais il faudrait ici donner la parole à ceux qui l'ont connu intimement. Tout le débat réside finalement sur la conception qu'on se fait du rôle génétique de l'histoire, même si on considère que l'initiation est, au stade ultime, ce qui vous fait sortir de l'histoire et vous rend indépendant des « événements ». Les Traditionnalistes orientaux sont sortis depuis longtemps de l'histoire, les Occidentaux ont encore à la vivre. Les premiers sont en quelque sorte dépositaires de la Tradition, les seconds sont obligés de la conquérir."

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samedi 18 décembre 2010

Décousu.

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Un peu de tout aujourd'hui. Le monde lui-même est de plus en plus décousu, alors pourquoi pas mes textes ou moi, de temps en temps.

J'ai déjà cité cette phrase de J.-P. Voyer, qui m'avait marqué dès la première bénie lecture, où le maître disait en substance que le fait même qu'un type comme lui ne puisse pas ne pas être au courant de l'existence d'un type comme BHL prouvait que le monde allait bien mal. Vingt-cinq après, que quelqu'un comme moi puisse à l'occasion - pas souvent, mais pas exceptionnellement non plus - se retrouver d'accord avec quelqu'un comme I. Rioufol, qui représente à peu près tout ce que je déteste, est peut-être, et quoique le fait même que l'accession de cet enfoiré à une tribune publique ne soit pas bon signe, est peut-être, paradoxalement, un signe positif, même très minime : qu'un salaud qui prêche et la division, et la séparation, se retrouve à énoncer quelques vérités, il faut bien qu'elles soient de plus en plus visibles...

Un blogueur di qualita, di qualita, m'écrivait, après la première charge d'Alain Soral contre Marc-Édouard Nabe, que beaucoup de forumeux soraliens du Net s'en prenaient désormais à Nabe, sans se poser de questions sur la validité des propos tenus par leur Che. Il y a quelques jours, un universitaire à qui j'avais fait parvenir un texte que j'avais écrit sur lui, se lamentait que je l'aie "trainé dans la boue", et même "assassiné", les gens selon lui ne se fondant plus que sur Internet pour se faire une opinion. Il y a de la meute, je veux bien, sur le Net au moins autant qu'ailleurs, mais il faudrait nuancer. Dans sa biographie de Daniel Halévy, Sébastien Laurent montre ainsi que lorsque Halévy a commencé à s'éloigner de sa famille politique de gauche, il eut très vite des difficultés pour écrire dans les journaux où il avait l'habitude de s'exprimer : bientôt il ne put plus publier (aïe !) que grâce aux milieux proches de l'Action Française. Sébastien Laurent fait remarquer, s'inspirant de remarques analogues de F. Brayard dans son Comment l'idée vint à M. Rassinier (Fayard, 1996), que le même phénomène s'est produit avec le premier négationniste : une fois radié par son milieu d'origine, l'extrême-gauche, lui qui resta toute sa vie anti-colonialiste, n'eut plus d'autre choix, pour essayer de faire connaître ses thèses révisionnistes, que de se faire éditer par l'extrême-droite, avec tout ce que cela implique des points de vue symbolique et concret.

On peut penser ce que l'on veut de ces démonstrations et de ces exemples, il reste que, au moins pour les gens qui ne vivent pas de leur plume, Internet permet d'éviter ces logiques sectaires. - A contrario d'ailleurs, ceux qui, malgré ces possibilités nouvelles de non-allégeance à personne d'autre qu'à ce qu'ils croient être la vérité, rejoignent tout de même des sites idéologiquement marqués, peuvent s'interroger sur ce qui les motive, ainsi que sur ce qu'à long terme ils peuvent risquer, ces remarques venant de quelqu'un qui n'aime pas les amalgames ni ceux qui les font.


Ayant fini L'homme qui arrêta d'écrire, que je qualifierai très sommairement de livre généreux, à la fois au sens où l'on parle des formes généreuses d'une femme, et parce que l'auteur y fait preuve de générosité, envers son lecteur comme à l'égard de la plupart de ses personnages, j'ai un peu approfondi la question du conspirationnisme. A part l'attaque d'Alain Soral déjà mentionnée, voici les principales pièces du dossier, à ma connaissance, sous l'angle du livre de Nabe :

- la réponse du Libre Penseur au portrait qui est fait de lui et aux objections qui lui sont présentées par MEN ;

- l'étude précise et convaincante de Laurent James, principalement axée sur le palimpseste de la Divine Comédie par Nabe, mais qui évoque ces questions ;

- le texte que cela inspira au Libre Penseur ;

- et enfin la réponse de Laurent James.

Cette problématique du conspirationnisme est importante en ce que s'y croisent une question proprement politique : qui est l'auteur du 11 septembre ? d'où vient la crise financière ?, etc., la réponse à chacune des questions de cet ordre étant évidemment riche d'implications sur la direction que l'on tente de donner à son combat ; et une question psychologique : individu lambda, que puis-je croire sur le monde actuel ? L'aspect politique nous concerne tous d'une certaine manière, mais il n'est dramatique, au sens où peut et doit l'être une action théâtrale, que pour ceux qui sont consciemment engagés dans une lutte politique ; l'aspect psychologique est central pour tout un chacun - et tout un chacun le sait - dans notre monde mal-enchanté. Les deux angles de vue sont par ailleurs liés, puisque bien sûr vous ne pouvez porter le même regard sur les possibilités de confiance dans ce qu'on nous raconte si vous arrivez à la conclusion que le 11 septembre est une opération américaine, ou une action d'Al-Qaïda. Dans l'autre sens, on voit bien que, dans certains cas - c'est un des propos de L'homme qui arrêta d'écrire - c'est une méfiance originelle, qui aimerait bien qu'on l'assimile à l'esprit critique mais qui va en réalité plus loin, qui est à la source de la remise en cause des versions officielles. Ce qui n'empêche pas, réciproquement, que certains puissent s'accrocher à ces versions officielles par peur de devoir se poser trop de questions s'ils y renonçaient.

Après avoir fait remarquer incidemment que l'argument que j'utilisais début 2009, que l'on trouve aussi dans le livre de Nabe, selon lequel il est tout de même étonnant, si le 11 septembre est un complot, qu'aucun de ceux qui y a participé, et cela fait nécessairement pas mal de monde, n'ait éprouvé le besoin, ne serait-ce que pour goûter au quart d'heure warholien de célébrité, de lancer un pavé dans la mare sur le Net - le Libre Penseur utilise des déclarations de personnalités officielles italiennes ou russes, députés ou militaires, mais qui n'ont pas participé au complot -, après avoir fait remarquer que cet argument non seulement est toujours valable mais devient un peu plus vrai chaque jour que Dieu fait - tout en risquant bien sûr de devenir brutalement faux… -, voici quelques modestes diagnostics :

- je le dis sans citer d'exemples précis, j'ai commis l'erreur d'écouter sa réaction au livre de Nabe sans noter sur l'instant les passages qui me semblaient les plus caractéristiques, je serai plus précis si on me demande de l'être : certaines formulations du Libre Penseur me semblent d'une rigidité intellectuelle cadavérique qui donne pleinement raison, pour lui comme pour d'autres, à la façon dont Nabe a évoqué sa silhouette dans son dernier livre ;

- en particulier, au centre de cette problématique, on trouve l'idée selon laquelle "le hasard est la Providence des imbéciles" : cette fameuse sentence de Bloy, connue de Nabe, du Libre Penseur, de Laurent James, et, probablement, de Soral, est susceptible de diverses interprétations, soft ou hard. L'interprétation hard est psychologiquement difficilement tenable - comment ne pas sombrer dans la paranoïa ? - et dangereuse d'un point de vue chrétien : pour Dieu peut-être il n'y a pas de hasard - et encore est-ce loin d'être une évidence -, mais il est tout de même au fondement du christianisme de se méfier de la volonté d'être comme des dieux ;

- on me répondra, avec probablement Guénon à l'appui, que l'initiation n'est pas faite pour les chiens. J'admets ici, sans ironie aucune, que j'atteins vite mon seuil d'incompétence, n'ayant jamais suivi aucun processus d'initiation. Il ne me semble pas pour autant vain de citer de nouveau ce qu'écrivait Pierre Boutang en 1946, dans son Sartre est-il un possédé ? :

"Nulle part, mieux que dans l'oeuvre de Dostoïevski, l'opposition de la contemplation et de l'action n'a été mise à jour. Les contemplatifs de Dostoïevski vivent une solitude qui s'oriente vers les autres : les possédés s'assemblent au contraire, ils forment même des sociétés secrètes et transportent dans les cités leur désert intérieur. La clandestinité est un des signes de la possession, une certaine forme du secret est l'inverse démoniaque du mystère sacramentel. Que les cités menacées soient contraintes d'organiser leur résistance clandestine, voilà un effet du malheur et de la défaite, et les hommes peuvent s'y adapter... mais qu'ils attendent de cette clandestinité la révélation de leur relation à la patrie ou à la cité, voilà qui ne serait guère sérieux, si ce n'était diabolique." (La Table Ronde, 1950, pp. 59-60)

Boutang, qui a consacré sa thèse à l'Ontologie du secret, ceci pour signaler que ce thème n'avait pour lui rien de secondaire, n'était pas que je sache ésotériste. Je ne prétends pas par ailleurs clore le débat avec cette citation. Mais je crois avoir suffisamment clarifié certaines idées de mon côté pour pouvoir mettre en garde les libres penseurs sur la minceur de la ligne de partage, particulièrement lorsque que, sous l'effet « du malheur et de la défaite », on se retrouve contraint d'organiser la « résistance clandestine » contre l'Empire, la minceur de la ligne de partage entre la recherche et/ou la conscience de l'existence des antiques mystères divins, païens ou chrétiens (ou autres…, sachant bien que le statut du mystère n'y est pas toujours le même), et la possession paranoïaque et « démoniaque ».


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Ce que l'on pourrait appeler l'interprétation semi-hard de la sentence de Bloy n'est donc pas sans danger non plus. Je suis bien loin d'avoir la compétence pour le faire, mais peut-être serait-il utile de se demander si les sociétés secrètes n'ont pas eu tendance, avec la modernité, à basculer du « côté obscur » de cette ligne de partage. Si la modernité naît sous le sceau de la méfiance, il ne serait en tout cas pas incongru que les ordres anciens soient peu à peu devenus des réunions, sinon de possédés, du moins de paranoïaques, persuadés d'être les seuls à avoir raison. Pour rester chez les catholiques, on pourrait ainsi étudier sous cet angle l'évolution qui mène des Templiers à l'Opus Dei en passant par les Jésuites. Exemples choisis à dessein parmi des groupes qui ont effectivement eu du pouvoir, qui savent donc que c'est possible d'en avoir - et qui jouissent d'en avoir.

C'est une piste, je vous la livre. Et je comprends en la formulant pourquoi les appels récurrents, au XXe siècle, à la création d'élites secrètes - on trouve ça chez des gens comme Caillois ou Abellio, par exemple - m'ont toujours un peu gêné. Je ne suis pas en train de ranger tous les membres de sociétés secrètes dans la catégorie des possédés, histoire de me débarrasser d'eux une bonne fois pour toutes, je relève que le remède peut ne pas être éloigné du mal, s'il ne le nourrit pas. Et je crois plus, même si elle n'est pas exclusive de la solution élitiste, à la proposition de Laurent James, d'incarner "nos esprits par l’engendrement d’enfants beaux, sensibles et intelligents" - comme les miens ! La vertu de l'exemple, de la publicité… ce qui peut aussi se retrouver dans le travail de ceux qui exposent au grand jour des relations occultes, quand ils nous apprennent réellement quelque chose, nous sommes d'accord.


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- "La Bête n’est pas d’un seul tenant (elle a sept têtes et dix cornes), et Saint Jean nous décrit même de terribles combats entre ses différentes incarnations : ce sont la Bête venue de la mer et la Bête venue de la terre qui dévorent Babylone au chapitre XVII de l’Apocalypse. Le Diable est celui qui divise, car il est lui-même infiniment fragmenté", écrit Laurent James, notant avec raison que c'est un point important de clivage entre lui et le Libre Penseur. On retrouvera bien sûr des idées de ce genre chez les grands romanciers catholiques. Elle est abondamment exploitée dans un livre dont je vous ai un peu parlé il y a deux ans, La part du diable de Denis de Rougemont. J'y rejette un oeil à l'occasion. Notons que si ce livre est notamment fondé sur l'idée baudelairienne selon laquelle "la plus belle ruse du Diable est de vous persuader qu'il n'existe pas", l'idée symétrique est tout autant, et par-là même, valable : une belle ruse du Diable revient à nous convaincre de sa toute-puissance éternelle, depuis toujours et pour toujours ;

- cette incise faite, et puisque nous venons d'évoquer des romanciers catholiques, comment ne pas voir qu'il y a une confusion, chez Alain Soral maintenant, entre les « imbéciles » évoqués par la formule de Léon Bloy et, si j'ose dire, magnifiés par Bernanos, et les « idiots utiles » de la doxa stalinienne ? J.-P. Voyer évoque avec raison une « crise de stalinite » dans certains emportements récents d'Alain Soral contre Nabe ou J.-L. Mélenchon. Certains propos du Libre Penseur, refusant à Laurent James - ou à moi-même - la possibilité de douter encore sur le 11 septembre, sous le prétexte que se tromper sur un sujet aussi important est une complicité objective avec l'Empire, vont dans le même sens. Soyons précis : je ne dis rien sur ce qui s'est passé le 11 septembre, je ne crois pas a priori à l'absence de tout complot, je crois tout à fait que notre époque en est farcie (et même, ainsi que je le suggérais plus haut, il faudrait se demander, je rejoins par ce biais Laurent James, s'il n'y a pas d'autant plus de complots maintenant qu'il y a de gens qui y croient… A idiot utile, idiot utile et demi !), je ne conteste pas que la passivité de la masse puisse faire d'elle l'allié objectif, pour utiliser une autre tournure typique de la rhétorique stalinienne, de l'Empire : il faut simplement se méfier de la tournure d'esprit qui, sous prétexte de logique, de fermeté, de courage - l'enfer est pavé de bonnes intentions - veut envoyer les imbéciles au Goulag ou au Pal, comme si être imbécile ne suffisait pas, d'un point de vue métaphysique…


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- « A idiot utile, idiot utile et demi », viens-je d'écrire : on peut, en constatant les passes d'armes entre MEN et le Libre Penseur sur ce sujet, les renvoyer dos à dos et critiquer chez eux la résurgence du vieil argument sartrien, "Il ne faut pas désespérer Billancourt". Savoir qui on désespère, qui on démotive, en attribuant le 11 septembre aux Arabes ou aux Ricains, est une question totalement secondaire, qui ne fournit que des arguments aisément réversibles. Ce qui, au passage, affaiblit aussi, d'un point de vue politique, la position, critiquable d'un point de vue psychologique, des pourfendeurs des « alliés objectifs ». Quelle que soit la vérité sur le 11 septembre, cela ne change rien aux tendances de fond : les Américains sont des salauds, avec un pouvoir énorme, mais qu'ils sont en train de perdre. Dans quelle mesure vont-ils le perdre et en combien de temps, je ne suis pas devin. Il est sûr qu'ils risqueraient de le perdre plus et plus rapidement s'il venait à être prouvé aux yeux du monde qu'ils sont responsables du 11 septembre. Mais quoi que veuille en croire le Libre Penseur, nous n'en sommes pas là - et cela n'empêche pas, heureusement et comme il le souligne avec raison, la résistance irakienne d'affaiblir l'envahisseur ;

- on remarquera au passage qu'il est d'autant plus regrettable qu'Alain Soral se laisse dominer par ses pulsions staliniennes et manichéennes, qu'il est par ailleurs bienveillant, voire parfois un peu trop, quant aux faiblesses et erreurs des hommes du passé. La part du diable, sans doute…

- j'en profite pour caser ça, cela fait des mois que je cherche une occasion, que j'ai été frappé de constater que le raisonnement du même Soral vis-à-vis des immigrés est analogue à celui que j'ai utilisé dès l'ouverture ou presque de mon café au sujet du « conflit israélo-palestinien » : nous n'avons pas créé ni désiré la situation, mais autant essayer de la résoudre aussi pacifiquement que possible, entre gens de bonne volonté…

-…et je conclus sur le sujet. Il se peut que le Libre Penseur et Soral aient raison sur le 11 septembre, et que cela soit un jour prouvé. Rien ne les autorise pourtant, et rien ne les autoriserait rétrospectivement si cela devait être prouvé, à excommunier ceux qui sont en désaccord avec eux. S'il s'avérait qu'ils avaient mieux compris que Nabe ce qui s'est passé ce jour-là, ce serait tout à leur honneur. Mais, des points de vue psychologique et métaphysique - en admettant qu'on puisse les séparer - leur position me semble moins riche, moins humaine, que celle de Nabe, de Laurent James - ou, il est logique de m'y inclure, de bibi.

Il faudrait prolonger du côté du sexe ces réflexions, j'aurai des choses à ajouter à ce qu'écrit Laurent James, peut-être serait-il intéressant de lier la question de la prostitution à tout cela… Je m'arrête là, et, comme chez Brel, "je parle encore de moi", en vous relatant pour finir ce rêve fait il y a deux nuits. Évidemment, vous devez me croire sur parole…

Je me trouvais dans un bus, je suis accosté par une ravissante demoiselle de 25 ans environ, au sourire divin, à la poitrine d'une rondeur fluide. Nous parlons, je sens une relative attirance envers elle, sans grande flamme toutefois. Nous continuons notre chemin, en fiacre maintenant, elle me regarde, toujours avec ce sourire sublime, et me dit qu'elle me croit de gauche. Je ne réponds rien, elle ajoute que, quant à elle, elle est… je conclus en même temps qu'elle : "d'extrême-droite", et lui répond illico "Moi aussi !" : c'est cet accord conceptuel, cette harmonie naissante, qui me donne vraiment envie de l'embrasser, ce qu'elle me laisse faire avec un plaisir aussi évident qu'agréable pour mon ego

Sans commentaire !


P.S. : je découvre au moment de mettre sous presse cette vidéo, mise en ligne sans source par Égalité et Réconciliation. Tout ce qui peut contribuer à nourrir la vérité est bon à prendre, yawohl, mais il ne faut pas non plus tomber dans des simplismes exactement inverses à la doxa : ce que dit ici Éric Zemmour, s'appuyant sur les livres de Simon Epstein, est vrai, mais est résumé - c'est tout Zemmour : amener les gens à s'intéresser à des faits inattendus, mais en les schématisant parfois à la limite de la contre-vérité - à la truelle. En l'occurrence, que de nombreuses personnalités venues de ou passées par la gauche aient été des collaborateurs est un fait ; que, comme le dit E. Zemmour, leur antisémitisme ait été plus « important » que celui de l'extrême-droite, en est un autre, moins établi - Rebatet, auteur du livre le plus vendu sous l'Occupation, 65000 exemplaires pour Les décombres, n'avait rien à voir avec la gauche. Simon Epstein, dont s'inspire ici Zemmour, est plus nuancé. Quitte en ce qui le concerne à faire totalement l'impasse sur les juifs collaborateurs : pour Epstein, que j'ai lu avec intérêt, la question ne se pose pas, les Juifs étaient par définition du bon côté. On sait ou l'on devrait savoir que, malheureusement ou pas, les choses ne furent pas si simples. J'y reviendrai j'espère. A simpliste, simpliste et demi…

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mardi 7 décembre 2010

"Il est dans l'ordre du monde, à cet instant..."

"Dieu est l'auteur de tout ; Dieu n'est l'auteur que du bien, on ne peut se tirer de là."


"Aimer d'une part tout indistinctement. D'autre part le bien seul. Mystère."




"Que la souffrance soit un mal, rien ne force à l'admettre."


"Le malheur ne suffit pas, il faut un malheur sans consolation.

Malheur à eux [les riches] : ils tiennent leur consolation. (Luc, VI, 24.)

Il ne faut pas avoir de consolation. Aucune consolation représentable. (La consolation ineffable descend alors.)

Remettre les dettes. Accepter le passé sans demander, pour le passé, de compensation à l'avenir. C'est aussi l'acceptation de la mort. Arrêter le temps à l'instant présent."


"Se dépouiller de la royauté imaginaire du monde pour se réduire au point qu'on occupe dans l'espace et le temps. Solitude absolue. Alors on a la vérité du monde.

S'il n'y avait pas d'être fini et pensant ? Seulement Dieu et le monde ?
Dieu est crucifié par le fait que des êtres finis pensent. Des êtres soumis à la nécessité.

S'il n'y avait que Dieu et la matière... ?

Dieu est crucifié du fait que des êtres finis, soumis à la nécessité, à l'espace et au temps, pensent.

Savoir que comme être pensant et fini, je suis Dieu crucifié.

Ressembler à Dieu, mais à Dieu crucifié.
A Dieu puissant pour autant qu'il est lié par la nécessité."


"Si nous nous considérons à un instant déterminé - l'instant présent, coupé du passé et de l'avenir - nous sommes innocents. Nous ne pouvons être à cet instant que ce que nous sommes ; tout progrès implique une durée. Il est dans l'ordre du monde, à cet instant, que nous soyons tels.
Isoler ainsi un instant implique le pardon. Mais cet isolement est détachement. Tous les problèmes se ramènent au temps."


"Vous serez comme des dieux. (Genèse, III, 5.) Le péché est de désirer être comme des dieux autrement que par la participation à la divinité de Dieu. Nous naissons avec ce péché. C'est le péché luciférien.

Nécessité du médiateur pour que l'adoration de Dieu soit une imitation et que cette imitation soit pure.

Il [Jésus] s'est vidé de sa divinité. Nous devons nous vider de la fausse divinité avec laquelle nous sommes nés.

Les empêcher de manger l'arbre de vie. Nous empêcher d'être de faux dieux. La mort nous avertit que nous ne sommes pas dieux. C'est pourquoi elle nous est si douloureuse, tant que ne nous l'avons pas complètement compris. (Et même le Christ...)

Tuer est mauvais (et enivrant) parce que nous nous sentons soustraits à la mort que nous infligeons."


"L'institution de l'esclavage cache aux hommes (maîtres et esclaves) cette vérité, que l'homme comme tel est esclave.
Les meilleures institutions sont celles qui mentent le moins.
L'argent est un mensonge ; signe trop général."


"Lire Dieu en toute manifestation, sans exception, mais selon le juste rapport de manifestation propre à chaque apparence. Savoir de quelle manière chaque apparence n'est pas Dieu.

Foi, don de la lecture.

Le don de la lecture est surnaturel, et sans ce don il n'y a pas de justice. Intelligence de cette réalité suprême qu'est cette absence d'objet qui est l'objet de l'amour, et lecture de cette réalité dans les objets pris tous ensemble et chaque objet en particulier. Condition de l'obéissance, qui est la justice.
La foi a rapport à la lecture, et la charité à la pesanteur.

On ne peut s'empêcher d'aimer. Mais on peut choisir ce qu'on aime.
Il faut aimer ce qui est absolument digne d'amour, non pas ce qui en est digne à certains égards, indigne à d'autres. (Platon.)
Rien de ce qui existe n'est absolument digne d'amour.
Il faut donc aimer ce qui n'existe pas.
Mais cet objet d'amour qui n'existe pas n'est pas sans réalité, n'est pas une fiction. Car nos fictions ne peuvent pas être plus dignes d'amour que nous-mêmes, qui ne le sommes pas.

La foi. Croire que rien de ce que nous pouvons saisir n'est Dieu. Foi négative. Mais aussi, croire que ce que nous ne pouvons pas saisir est plus réel que ce que nous pouvons saisir. Que notre pouvoir de saisir n'est pas le critérium de la réalité, mais au contraire est trompeur. Croire enfin que l'insaisissable apparaît néanmoins, caché."


"Incarnation. Dieu est faible parce qu'il est impartial. Action non agissante. Envoie les rayons de soleil et la pluie sur les bons et les méchants. Cette indifférence du Père et la faiblesse du Christ se répondent. Absence de Dieu. Le royaume des cieux est comme un grain de sénevé... Dieu ne change rien. On a tué le Christ, par colère, parce qu'il n'était que Dieu."


"De la misère humaine à Dieu. Mais non pas comme compensation ou consolation. Comme corrélation."


"Lien nécessaire du surnaturel et de la souffrance. L'homme fait de chair, comment ne souffrirait-il pas quand il s'unit à la créature divine ? Dieu souffre en lui d'être fini. Souffrance impliquée par la création. Souffrance sans consolation, car les consolations sont fabriquées par l'imagination, dont il faut s'être vidé pour laisser la place à Dieu. L'imagination est la fausse divinité.
Certains actes (ex. tuer, sauf peut-être cas exceptionnels) sont par essence imaginaires, bien qu'on les accomplisse effectivement. Ce sont eux qui sont interdits.
En laissant place dans l'esprit à Dieu, on abandonne la chair à la nécessité. Obéissance, vertu suprême de la créature."


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"Les mêmes mots (ex. un homme dit à une femme : je vous aime) peuvent être vulgaires ou extraordinaires, selon la manière dont ils sont prononcés. Et cette manière dépend de la profondeur de la région de l'être d'où ils procèdent, sans que la volonté y puisse rien. Et, par un accord merveilleux, ils vont toucher, chez celui qui écoute, la même région. Ainsi celui qui écoute peut discerner, s'il a du discernement, et seulement à cette condition, ce que valent ces paroles. Ce rapport est aussi celui de l'art et du goût. Et celui des deux formes de la foi, celle par laquelle on agit, celle par laquelle on croit."


"La souffrance et la jouissance comme sources de savoir. Le serpent a offert la connaissance à Adam et Ève. Les Sirènes ont offert la connaissance à Ulysse. Ces histoires enseignent que l'âme se perd en cherchant la connaissance dans le plaisir. Pourquoi ? Le plaisir peut-être est innocent à condition qu'on n'y cherche pas la connaissance. Mais il est permis de la chercher dans la souffrance."

S.W., 1941-42.

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dimanche 5 décembre 2010

Mon « pamphlet » dans ton cul...

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Dans la série "Comment vous disqualifier un auteur en trois lignes", voici un exemple de toute beauté :

"La thèse de P.-A. Taguieff converge très largement avec celle d'un disciple et ami de M. Gauchet, le sociologue Paul Yonnet, qui dénonce dans son pamphlet contre SOS racisme, Voyage au centre du malaise français, la très grave responsabilité des soixante-huitards dans la haine de la nation, en s'attardant sur le slogan : « Nous sommes tous des juifs allemands ! » Même si P.-A. Taguieff juge le propos de P. Yonnet trop polémique, l'orientation est semblable, tout comme celle de Shmuel Trigano, qui dresse un réquisitoire contre le mouvement altermondialiste, accusé de connivence avec l'islamisme radical : « Nous assistons aujourd'hui à une remontée à la surface des postures idéologiques qui étaient courantes dans les années 1970, dans la nébuleuse gauchiste et tiers-mondiste. » Comme chez P. Yonnet ou S. Trigano, la critique continue du legs de mai 1968 par Taguieff dessine en creux sa conception de la nation et du républicanisme. Celle-ci est d'abord inséparable des questions soulevées dans son champ premier de spécialisation : l'antisémitisme et l'extrême-droite."

Ces lignes sont extraites d'un livre de Serge Audier, La pensée anti-68. Essai sur les origines d'une restauration intellectuelle, La Découverte, 2008 (p. 336). Il s'agit de la seule et unique évocation du travail de P. Yonnet, une brève allusion au cours d'un chapitre consacré à P.-A. Taguieff. Il me semble difficile, si on est plutôt proche, d'un point de vue idéologique, de la ligne générale des éditions La Découverte et si on ne connaît pas Yonnet, de ne pas déduire de ces lignes qu'il est « encore plus à droite » que P.-A. Taguieff, en empathie par ailleurs avec le sioniste de choc Trigano, et férocement anti-68, de même que Marcel Gauchet, dont il est le « disciple » (?) et l' « ami ».

Que le nom de Yonnet, que je lis avec intérêt, soit accolé à celui du révisionniste Taguieff ou du négationniste Trigano ne m'irrite pas plus que ça, je découvre même à la lecture du livre de S. Audier qu'il y a peut-être des choses intéressantes dans les textes les moins polémiques du premier cité. Ce qui est gênant est cet amalgame, dont on n'est même pas sûr qu'il soit volontaire, qui vous range ipso facto un auteur dans une catégorie, rien moins finalement que celle de « ceux-qu'il-ne-faut-pas-lire ».

Je n'exagère pas : selon une vieille technique stalinienne que l'on retrouve malheureusement trop souvent dans les livres de la Découverte ou de la Fabrique, l'usage abusif de qualificatifs comme « très droitier », « catholique ultratraditionnaliste » vient régulièrement, dans le livre de S. Audier noircir les auteurs étudiés et nuire à l'analyse d'ensemble, qui vaut ce qu'elle vaut, mais qui aurait très clairement gagné à ne pas « restaurer » (allusion au sous-titre dépréciateur) en permanence une ligne jaune à ne pas franchir entre bons et méchants. En témoignent ces lignes révélatrices :

"Une première tension manifeste tient au contraste entre les choix normatifs affichés par P.-A. Taguieff - la République et sa devise, « Liberté, Égalité, Fraternité » - et les cadres conceptuels mobilisés pour défendre la modernité démocratique. Cette difficulté, on a vu qu'elle était déjà celle de M. Gauchet, dont les grands paradigmes sont très largement issus de l'anthropologie de Dumont, marquée par des accents traditionalistes dont les sources remontent à Guénon et à sa critique de la modernité." (p. 341)

Il y a ici deux niveaux : si, comme P.-A. Taguieff, on utilise des auteurs anti-démocrates tels Guénon, Nietzsche ou Sorel, tout en se proclamant républicain, on doit au lecteur des éclaircissements sur la possibilité qu'il y a, non pas à « vouloir réconcilier post mortem les ennemis d'hier », comme l'écrit dans une formule révélatrice S. Audier (p. 342), mais à concilier des idées qui sont ou ne sont pas conciliables. L'exigence de cohérence théorique de S. Audier est tout à fait légitime, mais qui ne voit, c'est l'autre niveau, que l'enjeu est plus général ? En tant que lecteur de Gauchet et Guénon, en tant que « disciple », allons-y sur les grands mots, de Dumont, je me sens évidemment visé par ces lignes, qui visent à empêcher que l'étude de ce que S. Audier, dans un passage où il évoque encore Guénon et Gauchet, appelle l'« exceptionnalité problématique des sociétés modernes occidentales » (p. 326), soit faite d'un autre point de vue que celui de cette exceptionnalité. Schématisons : si Castoriadis, souvent cité dans ce livre, J. Rancière ou A. Brossat expliquent pourquoi la démocratie est différente des autres régimes, c'est intéressant parce qu'ils sont pour la démocratie. Si c'est Guénon ou Dumont qui le fait, attention…

Je ne sais pas si P.-A. Taguieff donne des éclaircissements sur ce sujet, mais il n'est pas bien compliqué pourtant d'aboutir à une position qui est au demeurant celle de nombreux auteurs - relisez Les antimodernes d'Antoine Compagnon : on peut être très dubitatif, de façon plus ou moins argumentée, de façon plus ou moins subjective, sur les avantages réels des régimes démocratiques, tout en estimant que ces régimes sont les mieux adaptés à l'humanité actuelle et que, au moins pour l'instant, ne se dessine rien de beaucoup mieux à l'horizon. Je ne dis même pas que ce soit mon point de vue, en admettant que j'en aie un bien défini sur cette question, j'affirme simplement qu'une telle position n'a rien d'incohérent et regrette qu'un livre de 370 pages ne soit pas capable de lui donner droit de cité.

Par ailleurs, pour en finir, au moins aujourd'hui, sur cette Pensée anti-68, on ne peut que sortir d'un tel ouvrage en se demandant en quoi il est digne de confiance. Par-delà la limite naturelle de ce genre de livres, S. Audier étant nettement plus intéressant lorsqu'il évoque Aron, qu'il connaît bien, que lorsqu'il s'aventure dans des contrées pour lui inconnues, au point, errare humanum est certes, mais combien révélatrice, d'écrire La Règle du jeu pour Le Grand Jeu (p. 326), au-delà de cette limite naturelle, on ne peut qu'être atteint, en voyant à quel point les thèses d'un Jean-Claude Michéa ou d'un François Ricard sont mal présentées - je parle d'auteurs que j'ai lus dans le texte -, par une impression d'ensemble dubitative : si je prends S. Audier en faute sur tel cas que je connais de première main, pourquoi lui donner crédit sur tel autre cas, au sujet duquel son analyse semble crédible, mais où je n'ai pas les outils pour juger de sa validité ? Et en même temps, les critiques portées à Marcel Gauchet par exemple, sont souvent pertinentes.

Bref, revenons aux textes…

…et à ce propos, La pensée anti-68 m'a au moins donné une idée - du grain à moudre pour Paul Yonnet en l'occurrence. Page 180, Serge Audier cite Tocqueville :

"L'individualisme est un sentiment réfléchi et paisible qui dispose chaque citoyen à s'isoler de la masse de ses semblables et à se retirer à l'écart avec sa famille et ses amis ; de telle sorte que, après s'être ainsi créé une petite société à son usage, il abandonne volontiers la grande société à elle-même." (De la démocratique en Amérique, vol. II, Deuxième partie, ch. 2 : "De l'individualisme dans les pays démocratiques".)

Issues d'un chapitre célèbre et cité jusqu'à la nausée par les libéraux français des années 80, notamment pour sa fin crépusculaire ("Non seulement la démocratie fait oublier à chaque homme ses aïeux, mais elle lui cache ses descendants et le sépare de ses contemporains ; elle le ramène sans cesse vers lui seul et menace de le renfermer enfin tout entier dans la solitude de son propre coeur."), chapitre qui à la relecture donne le vertige tant les aperçus admirables y voisinent avec les généralisations imprudentes, ces lignes, contre justement d'autres passages de ce chapitre, proposent une définition souple de l'individualisme, qui inclut l'accompagnement permanent de l'individu, durant son existence, par la « petite société » de « sa famille et ses amis ». "La filiation devient individualiste", écrivais-je récemment en me plaçant dans l'optique de Paul Yonnet, que Tocqueville dans ces quelques lignes conforte brillamment, avant d'oublier cette idée, ou tout au moins de la masquer dans la sentence finale de son chapitre : non, l'individu moderne n'est pas seul (il est en revanche séparé), il a même du mal à être seul, l'individu moderne vit avec et est fondé par une « petite société ».

Ce que d'ailleurs Facebook, dans son usage le plus courant (hors utilisation à des fins professionnelles, politiques ou promotionnelles, etc.), manifeste sans ambiguïté, puisqu'on y prolonge ad nauseam l'existence de cette société d'« amis », qui préexiste - et est alors renforcée dans sa cohérence - à son actualisation via Internet. Passer son temps dessus, ce n'est pas lutter contre la solitude au sens où l'on serait seul et abandonné si l'on n'était pas sur Facebook, puisque l'on y retrouve encore et toujours des amis que l'on a déjà ; en revanche, c'est lutter contre la possibilité d'être un peu seul de temps en temps avec « son propre coeur », dirait Tocqueville - comme si c'était si effrayant.


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mercredi 1 décembre 2010

Ma réacosphère dans ton cul.

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- Ce serait le titre d'une mise au point où je dissiperais quelques ambiguïtés dont je dois être en partie responsable, tant il m'arrive de me retrouver cité par des blogs que j'ai peine à ne pas trouver caricaturalement de droite, où l'on ne s'éloigne de Sarkozy que pour tomber dans du mauvais Maurras. J'avais commencé à prendre quelques notes à ce sujet, n'ai pour l'heure pas réussi à tourner ça de manière à ce que ce soit intéressant pour quelqu'un d'autre que moi, et encore,

venons-en donc au thème du jour, cas particulier de ce qui précède. J'ai repensé à cela en lisant à deux jours d'intervalle une déclaration de Renaud Camus et un lamento de Jean Raspail chez Kling-Kling, où l'on nous explique que le remplacement de la population française par des immigrés-venus-de-partout-et-qui-font-plein-d'enfants est en cours, voire déjà effectué - et planifié depuis longtemps par grand-méchant-Boumediene.

Le sujet ne peut être évacué d'un haussement d'épaules. Je me souviens avoir été frappé de constater l'évolution à cet égard d'un Paul Yonnet, qui dans son Voyage au centre du malaise français, en 1993, ne semble pas prendre très au sérieux des prédictions assez catastrophistes de ce genre d'Alfred Sauvy, avant de les considérer plus attentivement, dans Le recul de la mort (sauf erreur de ma part), en 2006. Il est de plus parfaitement légitime de faire la part entre ce que l'on peut penser de l'immigration et ce que l'on peut penser des immigrés - sans compter qu'il est indéniable que l'on, c'est-à-dire les merveilleux démocrates qui nous gouvernent, n'a pas beaucoup demandé leur avis aux Français là-dessus, et que l'on ne fait semblant de le faire qu'en cas d'affaire Woerth ou autre.

Ceci posé, ce qui est frappant dans les deux textes de MM. Camus et Raspail, c'est à quel point ces défenseurs de la France voient finalement celle-ci comme une vieille femme un peu impotente en train de se faire violer, sans réaction. Enlevons d'elle la queue de l'Arabe déchaîné, et tout ira bien… Outre que ce tableau qui « victimise » la France est bien dans l'air du temps, ce qui ne manque pas de sel venant d'esprits soi-disant anti « politiquement correct », soi-disant « virils », etc., il ne correspond pas à la réalité.

Sans tomber dans le jeu du « qui c'est qu'a commencé » (nous avons colonisé, disent les uns, nous avons colonisé à cause du Turc, répondent les autres…), un peu de recul historique importe. Je vous le signalais, certaines mutations essentielles de la société française, notamment l'articulation entre Paris et la province, n'ont rien à voir avec l'immigration. Je suis pleinement d'accord avec Debord lorsqu'il estime que l'essentiel du processus de dislocation de la société française se serait passé de la même manière si nous étions restés bien au chaud entre « nous ». Ce « nous », nous - c'est-à-dire, notamment mais pas seulement, la génération 68 et la génération précédente - avons cherché plus ou moins consciemment à le détruire - et d'ailleurs, pour le détruire, nous avons eu besoin de main-d'oeuvre immigrée, bien utile pour construire les infrastructures nécessaires à la croissance si désirée par tous. Que nous payions les pots cassés de la politique d'alors, à travers notamment la question emblématique des cités, n'est d'une certaine manière que justice.

Plus généralement, et puisque certains aiment bien parler de civilisation ces derniers temps, disons que les trente Glorieuses (de mon cul !) ont été le lieu de la confirmation d'un choix de civilisation qui était le choix de la modernité, et que ce choix a de facto impliqué la soumission de la nation à autre chose qu'elle-même. C'est toute l'ambiguïté du gaullisme, je vous en rebats les oreilles en ce moment : avoir fait croire que cette évolution pouvait se faire dans le cadre national, ou plutôt, car ce n'était pas impossible d'un point de vue logique, avoir fait croire que cette évolution se faisait dans un cadre national, alors même, immigration de main-d'oeuvre (puis de peuplement dans la décennie suivante) d'un côté, clefs donnés au patronat (qui est par définition cosmopolite, ce qui est son droit mais doit être sans cesse rappelé) de l'autre, alors même qu'elle se faisait d'une manière et à un rythme qui conduisaient à l'affaiblissement du cadre national.


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Fort bien, me répondra-t-on, mais MM. Camus et Raspail ne prétendent pas nécessairement laver la France de ses propres responsabilités ; du reste, votre analyse implique que l'immigration actuelle (au double sens de : la présence d'immigrés, l'arrivée de nouveaux immigrés) n'arrange pas franchement les choses.

Certes, mais :

- à voir la fréquence à laquelle ce genre de positions est évoqué par des sites nettement plus pressés de dire du mal des musulmans et des gauchistes que de retracer les responsabilités proprement françaises dans la question qui nous intéresse, un tel rappel ne semble pas inutile ;

- "Nous nous sommes faits américains. (…) Quelle prétention, envisageant la proliférante présence des immigrés de toutes couleurs, retrouvons-nous tout à coup en France, comme si l’on nous volait quelque chose qui serait encore à nous ?" Il ne s'agit pas seulement d'admettre que Debord avait raison d'écrire cela en 1985, mais de comprendre que c'est encore vrai, et c'est dans cette mesure que le modèle de la France violée me semble erroné. Nous continuons à nous faire américains (= enculistes), et les immigrés depuis des années l'ont bien compris : les déclamations d'un Régis Debray , d'un Max Gallo ou d'un Henri Guaino n'en peuvent mais, les Français sont plus séduits par les États-Unis que par la France. Il est donc logique, et en partie de notre responsabilité, que les immigrés s'américanisent eux aussi. D'autant - c'est en ce sens que nous ne sommes qu'en partie responsables de cette situation - qu'ils peuvent être déjà plus ou moins américanisés avant d'arriver.

Avant de préciser les causes et les conséquences globales de ce dernier point, attardons-nous sur ses conséquences particulières, c'est-à-dire limitées à notre beau pays : si l'on en reste aux immigrés musulmans, qui focalisent tant l'attention, il ne faut jamais oublier, lorsqu'on évalue les bienfaits et méfaits de leur venue, qu'ils sont au moins autant américanisés qu'islamisés, et que leur venue en France les américanise bien plus qu'elle ne les « islamise » et/ou « musulmanise ». Il faut être crétin et/ou manipulateur comme Ivan Rioufol pour ne se concentrer que, à travers quelques cas spectaculaires, sur la dimension religieuse et oublier la dimension enculiste. Et si l'on répond que c'est encore plus grave pour la France, on aura peut-être raison, mais on retombera sur la démonstration précédente : les musulmans ne font ici que suivre le même chemin que l'ex-fille aînée de l'Église, en cherchant à concilier foi et confort capitaliste.

- enfin, et là encore nous suivons Debord, tout en l'accompagnant de Cioran, il est bien évident que ces évolutions dépassent largement le cadre français : "Après tout, ce continent n'a peut-être pas joué sa dernière carte. S'il se mettait à démoraliser le reste du monde, à y répandre ses relents ? - Ce serait pour lui une manière de conserver encore son prestige et d'exercer son rayonnement." Cioran n'a pas ici dit le dernier mot sur tout, la question de la mondialisation appelle celle des échanges entre cultures, que Lévi-Strauss ou Sahlins doivent nous permettre d'aborder avec circonspection, mais il a bien compris, et nous en resterons là pour aujourd'hui, que l'Occident en ce qu'il a de plus sinistre risquait bien de se survivre à lui-même, hélas…

"La France est assurément regrettable. Mais les regrets sont vains.", écrivait Debord. J'avais noté dans un coin de ma tête il y a quelques mois une formule à la signification très proche : La France est un pays de merde, qui malheureusement n'existe plus. Ma formulation est encore plus excessive que celle de Debord, car outre qu'il n'est pas si sûr que la France ait disparu, elle n'était, avec tous ses défauts, pas si nulle que ça. Bref : pour conclure, je rejoins une nouvelle fois Debord lorsqu'il estime que la question centrale est « profondément qualitative », loin donc des fausses évidences des statistiques démographiques,

dont l'utilisation par R. Camus, j'allais oublier de le signaler, est d'ailleurs contestable : à lire P. Yonnet on a au contraire l'impression, et cela amène de l'eau à mon moulin, que les immigrés s'alignent rapidement, et même de plus en plus rapidement, sur le modèle français (et même le modèle made in France, legs de la France au monde entier), et font vite de moins en moins d'enfants. Ici encore la France n'est pas inactive et soumise…

, fausses évidences quantitatives qui mettaient par exemple un Pierre Boutang en fureur lorsqu'il entendait Giscard d'Estaing faire une croix sur le destin de la France sous le simple prétexte qu'elle était moins peuplée que les États-Unis, l'URSS ou la Chine. "Il vivra des gens sur la surface de la terre, et ici même, quand la France aura disparu. Le mélange ethnique qui dominera est imprévisible, comme leurs cultures, leurs langues mêmes." C'est ce qui sortira de ce mélange, de l'enculisme au carré ou au contraire un compromis à peu près satisfaisant entre les valeurs traditionnelles et ce qu'il en reste en Occident - l'humanisme -, qui compte. Le reste...


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(Pour mémoire : me relisant avant mise en ligne, je trouve ce texte proche dans son esprit de L'homme qui s'arrêta d'écrire. A vous de juger.)

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