vendredi 25 mars 2011

A Caligula, Caligula et demi.

Ajout le lendemain.



On dit que Rioufol est ma « tête » (je n'ose pas dire de Turc, il se vexerait), mais l'ai-je forcé à écrire, à propos de l'intervention « humanitaire » de la France en Libye, cette phrase :

"Ouvrant le feu, samedi à 17h45, contre des blindés de ce Caligula, la France a retrouvé un peu de son honneur et de ses idéaux, en frappant un tyran qui l'avait humiliée à plusieurs reprises, notamment en plantant sa tente à deux pas de l'Elysée."

La plume même du meilleur peut certes déraper, mais cette sentence aurait une belle place dans une anthologie de la connerie et de la bassesse. On a les « rossignols du massacre » que l'on mérite, et de ce point de vue il faut bien avouer qu'entre un Président ridicule, un écrivain et cinéaste aussi nul que prétentieux

(il y a une justice : deux semaines après leur sortie les livres de BHL sont déjà proposés à 50 cm chez les soldeurs - dix ou vingt ans après leur parution ceux de Nabe sont volés dans les bibliothèques municipales, se vendent à 150 euros pour certains sur le net : il existe bien quelque chose comme un verdict du public, qui ne repose pas sur rien)

, et un barde stupide et peu inspiré tel que le Rioufol, il y a là une sainte trinité de la vanité et de la nullité qui ne manque pas de cohérence. Si tout cela était du jeu et pas de la politique de chair et de sang, on en rirait - ou peut-être est-ce le contraire, peut-être est-ce justement parce que c'est du « vrai » que cela peut et doit faire rire. A cela deux raisons : si c'était « pour de faux », cela n'aurait guère d'intérêt, nos trois assassins ne seraient pas différents des ados qui tuent plein de monde sur la Playstation ; et c'est justement le fait qu'ils ne comprennent pas que ce n'est pas ici de la Playstation qui est, à sa façon, drôle.

(On se désolera en passant que N. Dupont-Aignan, qui me semblait jusqu'ici d'assez bon sens, ait cru bon de se joindre au choeur des va-t-en guerre, mais depuis le début je me méfiais de sa gueule de puceau-premier de la classe : voilà, au premier problème un peu complexe, certaines vérités se dévoilent. - Notons que j'avais d'abord, lors de mon premier jet, mis un lien vers ce texte là où je l'avais lu, sur ce site, et qu'il en a été entretemps supprimé. Quelqu'un parmi les « gaullistes » s'est mis à réfléchir ?)


Je renonce à commenter dans toutes ses implications la phrase de Rioufol, et notamment sa conception rigoriste de la loi du talion (ce n'est plus même « pour un oeil, toute la gueule », mais « pour un oeil, une dizaine de Rafale »), qui ferait passer l'esprit originel de cette « loi » pour un modèle d'humanisme, ou sa haine mal dissimulée du Bédouin. Je note juste que si la France a bien été humiliée par M. Khadafi lors de son dernier voyage, c'est en grande partie à travers et grâce à Nicolas Sarkofumier, et que personne à part un illuminé comme Rioufol ne peut voir dans le bombardement du pays un châtiment à la mesure de cette offense (assez drôle par ailleurs : cela n'exonère pas M. Khadafi de ses crimes, mais il y a chez lui un certain esprit que l'on serait bien en peine de trouver chez Sarkon et sa raideur de parvenu peu sûr de lui).

Peut-être trouvera-t-on que j'en fais beaucoup pour une simple incise, mais pourquoi ne pas la prendre au premier degré ? Ce n'est même pas que les pulsions d'Ivan Rioufol s'y révèlent plus qu'ailleurs, elles sont assez clairement exposées à longueur d'articles, c'est que cette phrase, prise dans son sens premier (et, après tout, n'est-ce pas le moins que l'on doit à un auteur que de le lire pour ce qu'il veut dire ?), pousse jusqu'à l'absurde les raisonnements habituels de notre chroniqueur préféré. Et quand on chante la guerre, quand on applaudit à la mort, ne doit-on pas faire un minimum attention à ce qu'on écrit ? On n'ira pas jusqu'à écrire qu'appeler au massacre est légitime si l'on a du style, mais au moins, en ce cas, se hisse-t-on quelque peu à la hauteur de son sujet, au lieu de donner cette risible impression de faire sous soi sa haine de l'Autre.


- Par ailleurs et pour finir, en laissant Ivan le pas terrible de côté, on s'amusera à réfléchir aux implications distrayantes que peut avoir le concept utilisé par l'ONU pour justifier l'intervention, la protection des populations contre leurs gouvernants. Le peuple français aurait ainsi bien besoin d'être protégé de Sarkoracaille, un Poutine pourrait de bonne foi chercher à nous en débarrasser, dans un renouvellement audacieux quoiqu'un peu brusque de l'alliance franco-russe. Et les Libyens, un jour, du moins ce qu'il en restera après le double traitement de choc khadafio-lévyen, les Libyens qui connaissent leur Berlusconi, devraient s'aviser de son rôle nocif pour le peuple italien et balancer quelques bombes (de fabrication française ? j'ai oublié d'évoquer les armes françaises dans cette histoire...) sur Rome, pendant que les gardes suisses, envoyés par un Benoît XVI lui-même las des frasques de Silvio, lanceraient l'insurrection terrestre... Bien évidemment, les États-Unis déclencheraient, enfin, la guerre contre la Chine et son régime de potentats autoritaires qu'un milliard d'êtres humains attendent avec impatience - tout en risquant d'être attaqués dans le dos par Chavez et Ahmadinejad, qui, ne pouvant plus supporter l'injuste misère du peuple américain réduit à la pauvreté par Wall Street, mettraient sur pied une coalition militaire dirigée par Alain « Che » Soral. Maurice G. Dantec, toujours plus courageux que le reste du monde, envahirait crânement, à lui tout seul, l'Iran et l'Afghanistan. On n'entendrait bientôt plus parler de lui, comme maintenant. Les Israéliens, devant ces tristes spectacles, décideraient de s'auto-génocider, dans un éclair de lucidité mêlé à une forme de fierté à ne pas laisser à d'autres moins doués qu'eux la joie de faire ce travail.

Enfin du fun ! Lévy, Rioufol et Sarkonyahou, finalement, ont raison : le monde réel, c'est plus drôle que la Playstation...


(Au cas où : pour être plus « constructif », voici l'essentiel des arguments contre cette guerre, résumés par Jean Bricmont, et que je partage dans une grande mesure - tout en étant un peu surpris par le dernier paragraphe et son apologie du « doux commerce » cher à Benjamin Constant. Mais ce n'est pas le plus important en l'espèce.)



Ajout le 26.03.
Je lis qu'Emmanuel Todd "approuve" la guerre en Libye. C'est foutrement dommage. Cet avis donné en une simple incise, sans argument, dans une interview par ailleurs plutôt intéressante n'appelle pas de commentaire : je le signale surtout pour montrer que, hélas ou pas hélas, et comme des conversations privées avec des amis me l'avaient déjà montré, il n'y a pas que des cons ou des manipulateurs qui soient favorables à cette manoeuvre. C'est la vie !

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samedi 19 mars 2011

"On vivait dans le contraste..."

Peut-être y a-t-il un peu de confusion, ou du moins un aspect « poupées russes » dans ce qui suit, je vais essayer de présenter clairement cet enchaînement de remarques. La citation d'ensemble est issue du livre de Serge Audier, Tocqueville retrouvé. Genèse et enjeux du renouveau tocquevillien français (Vrin, 2004). Durant ce passage, S. Audier suit le fil d'une analyse développée par Raymond Aron dans Les désillusions du progrès (Gallimard, 1969), au cours de laquelle celui-ci met en regard l'oeuvre de Tocqueville et le livre de Philippe Ariès L'enfant et la vie familiale sous l'Ancien Régime (Seuil, 1960), livre qui a par ailleurs influencé Michel Foucault pour son Histoire de la folie (1961). Les notes sont de Serge Audier. J'abrège, sans signaler mes coupures, certains passages en note, justement, m'efforçant de préserver la profusion d'idées diverses qui me paraît constituer l'intérêt de cette séquence. Je souligne deux idées qui me plaisent particulièrement en fin de texte, avant de me permettre quelques commentaires.

"Un examen approfondi des thèses de Tocqueville sur la famille montre la pertinence et les limites de sa conception de la modernité. Le diagnostic de Tocqueville opposant la famille démocratique de l'avenir, fondée sur l'égalité, à la structure hiérarchique de la famille aristocratique ou même bourgeoise, doit en effet, selon Aron, être fortement complexifié, si on le confronte aux travaux de l'historien Philippe Ariès. Comme on le sait, l'auteur de L'enfant et la vie familiale sous l'Ancien Régime se propose d'expliquer comment s'est formée la famille moderne sous l'Ancien Régime, selon un modèle élaboré par la bourgeoisie. Certes, Aron laisse entendre que bien des acquis des recherches d'Ariès confirment les intuitions de Tocqueville. Ainsi, Ariès montre que la famille moderne naît aux XVIIe et XVIIIe siècles avec un souci nouveau pour les enfants et leur éducation : le « sentiment moderne de la famille » se caractérise par une « affectivité nouvelle » répondant manifestement à une exigence égalitaire, puisque la « préparation à la vie » devient une tâche qui ne se limite pas à l'aîné et qui, même, à la fin du XVIIe siècle, commence à concerner les filles.

De ce point de vue, la prévision de Tocqueville semble en partie corroborée. En même temps, la mutation égalitaire de la famille s'accompagne selon Ariès d'une transformation dans les rapports entre les groupes sociaux qui, paradoxalement, ne va nullement dans le sens de l'homogénéisation sociale. En effet, Ariès souligne que l'enfant peut être considéré à la fois comme bénéficiaire et victime de l'affection familiale : la famille et l'école le soustraient du monde des adultes et tendent à l'enfermer dans un milieu « disciplinaire » étroit et isolé [1]. Telle est, plus généralement, l'évolution de la famille bourgeoise, qui retire de « la vie commune » non seulement les enfants, mais aussi les adultes. Où l'on voit que le « sentiment moderne de la famille » marque une double mutation qui valorise désormais à la fois, et selon une même logique profonde, le besoin « d'intimité » et celui « d'identité » sociale - évolution qui n'aurait pas véritablement d'équivalent dans la noblesse, et encore moins dans les « classes populaires » [2].

Ariès aurait ainsi parfaitement fait ressortir, selon Aron, le lien entre le « sentiment de la famille » et le « sentiment de classe ». Le développement de la figure moderne de la famille s'accompagne en effet, à suivre ses analyses, du refus manifesté par la bourgeoisie de se mêler aux classes populaires. Alors qu'il fut un temps, précise Aron, où « l'extrême diversité des conditions était acceptée sans protestation ni répugnance » [3], la bourgeoisie désormais ne supporte plus la pression de la multitude et fait en quelque sorte sécession. Notons que, dans son analyse, Aron n'interprète pas cette sécession comme une résurgence du modèle traditionnel, mais tâche au contraire, paradoxalement, de l'expliquer par la dynamique égalitaire elle-même. Car pour comprendre selon quelle logique la bourgeoisie se sépare de la multitude, on doit avoir à l'esprit le fait que les hiérarchies ne vont plus désormais de soi. Ariès explique en effet que la bourgeoisie, face aux inégalités de toute espèce, adopte une attitude inédite : « la juxtaposition des inégalités, jadis naturelle, lui devenait intolérable : la répugnance du riche a précédé la honte du pauvre » [4]. Si Aron cite ce texte, c'est manifestement parce qu'il corrobore son jugement sur la grandeur et les limites de la prophétie tocquevillienne : bien que les sociétés modernes soient foncièrement égalitaires, elles ne sont nullement devenues homogènes, car, du fait même de la nouvelle légitimité démocratique tendent à se reconstituer et même à se renforcer des inégalités entre les groupes sociaux. Ainsi Aron interprète-t-il et prolonge-t-il les analyses d'Ariès d'une manière tout autre que ne l'avait fait Foucault dans l'Histoire de la folie à l'âge classique : c'est à la lumière de la dynamique égalitaire de la modernité qu'il entend rendre compte des nouvelles formes d'exclusion. Autrement dit, si les bourgeois ne tolèrent plus ce qu'Ariès appelle « le rapprochement baroque des conditions les plus écartées », si le lépreux (ou le fou) se trouve désormais mis à l'écart, ce n'est pas du fait de ce qu'Ariès lui-même appelle parfois « l'intolérance à la diversité », ou en raison d'un grand partage coïncidant avec l'avènement d'une modernité fondamentalement répressive, mais bien parce que la différence suscite désormais un malaise, dans la mesure où elle se trouve à présent perçue sur un fond d'égalité." (p. 104-106)


[1]
Voir l'analyse d'Ariès concernant le passage de l'apprentissage à l'école comme moyen d'éducation : « cela veut dire que l'enfant a cessé d'être mélangé aux adultes et d'apprendre la vie directement à leur contact (…) il s'est séparé des adultes, et maintenu à l'écart dans une manière de quarantaine, avant d'être lâché dans le monde. Cette quarantaine, c'est l'école, le collège. Commence alors un long processus d'enfermement des enfants (comme des fous, des pauvres et des prostituées) qui ne cessera plus de s'étendre jusqu'à nos jours et qu'on appelle la scolarisation. »

[2]
Les désillusions du progrès, p. 109. Ariès résume son propos en affirmant que, contrairement à la famille du XVIIe siècle, qui conserve encore « une énorme masse de sociabilité » - même si la rupture avec le modèle traditionnel est déjà engagée -, la famille moderne « se retranche du monde, et oppose à la société le groupe solitaire des parents et des enfants », toute l'énergie du groupe étant « dépensée pour la promotion des enfants, chacun en particulier, sans aucune ambition collective : les enfants, plutôt que la famille ».

[3]
Sur ce mélange des conditions, voir parmi les nombreuses observations d'Ariès : « les fils de famille persistaient encore au XVIIe siècle à remplir des fonctions domestiques qui les rapprochaient du monde des serviteurs, en particulier le service à table ». Ariès décrit d'ailleurs les relations entre maître et serviteur sur un mode qui n'est pas sans évoquer les analyses de Tocqueville, même s'il ne le cite pas : « il demeurait toujours entre maîtres et serviteurs, quelque chose qui ne se réduisait ni à l'observation d'un contrat ni à l'exploitation d'un patron : un lien existentiel qui n'excluait pas la brutalité des uns, la ruse des autres, mais qui résultait d'une communauté de vie de presque tous les instants ».

[4]
P. Ariès, cité par Aron. Voir l'analyse d'Ariès sur le caractère des relations sociales avant l'avènement de la famille moderne : « on vivait dans le contraste, la grande fortune côtoyait la misère, le vice la vertu, le scandale la dévotion. Malgré ces stridences, cette bigarrure ne surprenait pas ; elle appartenait à la diversité du monde qu'il convenait d'accepter comme une donnée naturelle. Un homme ou une femme de qualité n'éprouvaient aucune gêne à visiter dans leurs somptueux habits les misérables des prisons, des hôpitaux, ou des rues, presque nus sous leur haillon. La juxtaposition de ces extrêmes ne gênait pas plus les uns qu'elle n'humiliait les autres ».


(Je reprends la main.) Tout ceci ne peut que me faire penser à ce que j'ai appelé le paradoxe de Murray-Wittgenstein, je me cite : "On a plus de chances d'avoir un comportement d'homme libre en posant la règle comme extérieure à soi (la Loi divine, par exemple), ce qui permet dans une certaine mesure de ruser avec elle, qu'en la posant en soi (le protestantisme, la loi morale kantienne), ce qui est une bonne manière d'être en permanence esclave." L'Ancien Régime n'avait rien du paradis sur terre, mais il avait au moins cet avantage, en faisant porter beaucoup de choses au bon Dieu, de débarrasser les hommes de nombreux soucis. On répondra - ce sera l'objet peut-être de notes ultérieures - que la démocratie a en contrepartie l'avantage, en remettant en cause les hiérarchies dites naturelles, d'obliger les gens à se poser des questions, à évoluer. Il se peut, mais méfions-nous des « contreparties », je veux dire des fausses symétries. Ce qu'on perd d'un côté on ne le gagne pas nécessairement de l'autre et réciproquement. Sautons quelques paragraphes dans le livre de S. Audier et voyons en effet les conséquences que tire Aron de la démonstration précédente :

"Loin d'être parvenues à une égalité réelle, les sociétés modernes sont et demeureront le lieu de conflits entre groupes en grande partie hétérogènes. (…) En s'en tenant (…) à l'idée d'un processus foncièrement homogène - sans méconnaître l'importance de certaines inégalités -, Aron estime que Tocqueville a manqué la dialectique de l'égalité : « il suffit qu'une sorte d'égalité soit obtenue pour que surgisse une nouvelle revendication. L'égalité juridique n'est rien sans l'égalité économico-sociale. Or celle-ci demeure impossible, même en une société ethniquement homogène. Cette inégalité, compatible avec l'idéal de la société moderne si elle avait un caractère strictement individuel, apparaît toujours collective en son origine, sociale, nationale ou raciale. Aussi, bien loin de se desserrer, les liens de la nation, de la race, et parfois de la classe tendent à se renforcer. Nationalisme et racisme sortent spontanément d'une civilisation démocratique qui détruit les communautés closes, fait de chaque individu le membre d'un groupe et incite chaque groupe à comparer son sort à celui des autres groupes. »." (pp. 107-108, les italiques sont de S. Audier.)

A la vérité, n'ayant pas le texte des Désillusions du progrès sous la main, je ne suis pas certain de comprendre exactement le raisonnement de R. Aron, ou que la façon dont je le comprends soit exactement conforme à ses intentions. Il me semble que c'est une sorte de variation sur l'idée de Louis Dumont de l'individualisme moderne comme « hanté par son contraire », le holisme : l'individu moderne sent bien que la société agit toujours, qu'il y a du social ; de plus, cela peut lui permettre, s'il est en bas de l'échelle, de trouver un justificatif, plus ou moins fondé en réalité selon les cas, à son échec. D'où deux raisons pour lui à voir dans l'inégalité un phénomène collectif, la conscience qu'elle l'est en partie, sa mauvaise conscience individuelle par rapport au fait qu'il se trouve du mauvais côté du manche.

Plus profondément, Aron attire l'attention sur ce fait qui me semble fondamental : à partir du moment où l'idéologie de la société est égalitaire, la différence devient un problème, au lieu d'être un donné.

Nous y reviendrons, d'une manière ou d'une autre. Il y aurait notamment, peut-être, quelque chose à creuser du côté du sentiment de la honte et de l'humiliation évoqué par Ariès et qui me rappelle la notation à ce sujet de Nietzsche via Guéhenno : "Épargnez à tout homme la honte.", notation dont j'ignore le contexte. - La honte comme sentiment profond de l'individu démocratique ?


(La honte en tout cas d'être Français ces jours-ci. Sarkolordure réussit à faire regretter Chirac y compris dans ses aspects moins reluisants, à savoir la fidélité, contre vents et marées, à des tyrans africains : fidélité à des assassins, mais fidélité quand même, là où Sarkolapute prend l'argent, taille des pipes,


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(d'autres photos de ce genre ici…)

avant de lâcher le miché et même d'aller aider à lui arranger le portrait dès qu'il a un problème. Quant à la thématique si saine d'un Rioufol entre autres, cette espèce de chantage humanitaire à l'immigration, cette adaptation de l'ingérence bien-pensante à la montée de Marine Le Pen, sur le thème : par pitié pour le bronzé, allons lui casser la gueule là-bas pour éviter qu'il nous envahisse ici, elle se passe de commentaires. Enfin, Sarkolecon est d'un extrémisme caricaturant les défauts français bien connus : dernier à réagir sur la Tunisie, où les choses étaient assez simples, il se précipite sur la Libye, où la situation est bien plus complexe. La façon même dont on a retourné sa veste concernant Khadafi et dont on pousse à l'ingérence en Libye montre clairement que le soutien à Ben Ali relevait bien plus de l'indifférence et de l'incompréhension à l'égard de la révolte tunisienne que de la fidélité sus-mentionnée ou du refus de l'ingérence. Il est indéniable que Kadhafi a la main militaire plus lourde que Ben Ali, mais s'il suffisait qu'un régime ami de la France sorte quelques canons, éventuellement made in France d'ailleurs, pour que Sarkolystérique pousse des cris de harpie, cela se saurait… Comme disait Léo : de quoi dégueuler, vraiment !)

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lundi 14 mars 2011

« Le sens social. »

Je vais citer aujourd'hui un humaniste de gauche, ça nous change, Jean Ghéhenno. La lecture de son Journal des années noires. 1940-1944, malgré ce qui peut me séparer de l'auteur, de son goût pour les grands mots et de son côté, pour le dire vite, « laïcard », est rafraîchissante : après des mois passés avec des auteurs proches de Vichy ou des Allemands, il n'est pas désagréable de lire quelqu'un de moins brillant certes que Rebatet, mais qui lui ne s'est jamais bercé d'illusions sur la bonne volonté du Fürher. De surcroît, sans faire d'un seul témoignage une vérité d'évangile, on ne peut que noter que l'image donnée dans ce livre des Français est moins unilatérale que ce que l'on a pu lire ces dernières années, suivez mon regard.

Quelques citations au fil du texte (j'utilise l'édition « Folio » actuelle) :

- "Ce matin, dans La Gerbe, un curieux article de Drieu La Rochelle. Il nous reproche nos hésitations, nos « lanternements » : qu'attendons-nous pour choisir enfin ? Et, bien, entendu, l'Europe contre l'Angleterre. « Car l'Allemagne, écrit-il, c'est pour nous l'Europe, même si nous entrons dans cette Europe avec une figure bien triste et bien humiliée. » Et ce Gilles nonchalant, à la voix traînante, qui est le plus grand paresseux que j'ai connu [AMG : Malraux dira que c'est un cliché, inexact mais conforme à l'image que Drieu voulait donner de lui-même] remet la France au travail et joue les réformateurs. Il confesse d'ailleurs, et avec une sorte de jubilation, sa propre fainéantise. Il semble qu'il se roule encore dans ses draps. Mais c'est fini. Il va travailler. Il travaille. Il était fainéant comme Français, maintenant le voilà bon européen : sous Hitler il promet de travailler comme quatre. Étrange réformateur. (...)

Le génie de Hitler est peut-être d'avoir compris qu'en jouant la lâcheté des hommes il pourrait tout, dans cette période des années 30-40 où le souvenir de la Grande Guerre et de ses horreurs ne laissait vivante dans la conscience des Européens que la peur. Il ne fait pas la guerre, il organise des paniques." (12 septembre 1940)

- "La N.R.F.-maison est sous scellés (...), mais la N.R.F.-revue va tout de même reparaître, sous la direction de Drieu la Rochelle. Au sommaire de décembre : Gide, Giono, Jouhandeau... Au sommaire de janvier : Valéry, Montherlant... L'espèce de l'homme de lettres n'est pas une des plus grandes espèces humaines. Incapable de vivre longtemps caché, il vendrait son âme pour que son nom paraisse. Quelques mois de silence, de disparition l'ont mis à bout. Il n'y tient plus. Il ne chicane plus que sur l'importance, le corps du caractère dans lequel on imprimera son nom, sur la place qu'on lui donnera au sommaire. Il va sans dire qu'il est plein de bonnes raisons. « Il faut, dit-il, que la littérature française continue. » Il croit être la littérature, la pensée française, et qu'elles mourraient sans lui. (...)

Que penser d'écrivains français qui, pour être sûrs de ne pas déplaire à l'autorité occupante, décident d'écrire de tout sauf de la seule chose à quoi tous les Français pensent, bien mieux, qui, par leur lâcheté, favorisent le plan de cette autorité selon lequel tout doit paraître en France continuer comme auparavant ?" (30 novembre)

- "L'hypocrisie de Déat est de se donner pour pacifiste, comme s'il ignorait que la Collaboration avec une Allemagne qui fait la guerre implique une participation grandissante de la France à cette guerre." (3 janvier 1941)

- "Samedi j'ai dû faire la queue à la mairie pour changer ma carte d'alimentation. (...) Pendant trois heures j'ai écouté les conversations. Les propos étaient d'une effarante bêtise. La majorité des gens demande la fin, la fin à tout prix. Ils imaginent qu'alors tout recommencera comme auparavant. Un infiniment petit nombre a quelque idée de ce qui se passe et de ce qui nous attend. Peu d'hommes méritent la liberté. C'est pour cela qu'elle est en train de mourir peut-être." (28 avril)

- "Hommes d'honneur. Brasillach, officier prisonnier, libéré par l'autorité occupante pour diriger à Paris un des journaux. Il expose à la librairie Rive gauche (Rive gauche du Rhin, disent les étudiants) le prix de sa libération : c'est un livre : Notre avant-guerre, où ce Français courageusement dénonce, pour le compte de Hitler, les faiblesses de la France." (6 juin)

- "Aujourd'hui [un an après l'entrée des Allemands dans Paris] les Parisiens (...), par un accord secret, portent tous une cravate noire : Résistance à l'oppression ! A l'école, ce matin, une petite fille coupable d'avoir un ruban noir dans ses cheveux a été appelée chez la directrice. « De quoi donc êtes-vous en deuil ? » - « De Paris », a-t-elle répondu, vite, comme elle sentait, sans prendre garde à l'insolence. On l'a mise à la porte, pour huit jours, sous le prétexte qu'elle « n'avait pas le sens social »." (14 juin)

- "Roulier a été arrêté la semaine passée à la gare Saint-Lazare. Il s'amusait à crier Heil Staline et à lever le poing sous le nez de chaque officier allemand qu'il rencontrait. Il n'est pas du tout communiste, français cabochard plutôt. Il levait le poing et criait Heil Staline pour se moquer d'eux et était au comble de la joie quand parfois l'un de ces lourdauds, totalement éberlué, lui répondait Heil, en levant le bras, par habitude." (23 juillet)

- "Le Maréchal a parlé. Discours vulgaire, tortueux et menaçant, assez extraordinaire aveu de solitude et d'impuissance. Il lui faut bien reconnaître que la France n'est pas derrière lui. Il prétend l'y mettre de force et nous promet la persécution. Nous verrons bien.

La logique de la trahison oblige le gouvernement à trahir toujours davantage." (13 août)

- sur Montherlant : "Ce « chevalier » [auto-proclamé] rallie toujours à temps le camp du plus fort. Affaire de goût, dirait-il. On sait qu'il a le goût de la force." (2 novembre)

- "Drieu a rapporté hier soir, de l'ambassade d'Allemagne, le bruit que le Maréchal démissionnait. (...) Selon un autre bruit, l'Italie ferait avec l'Angleterre une paix séparée. C'est l'une de nos misères de vivre ainsi, sans rien savoir, rien sur quoi nous puissions prendre appui, construire le moindre raisonnement, dans une sorte de nuage mental fait de vagues bruits, de fausses nouvelles, de mensonges intéressés, d'illusions imbéciles." (28 novembre)

- "L'opinion, il y a un an, molle et lâche, était prête à tout. Vichy et Berlin ont si bien fait ensemble que le pays tout entier a désormais le sentiment de sa servitude. Il se sent asservi, non gouverné. Il déborde de haine et [s']il ne sait pas encore ce qu'il veut, il sait du moins très bien ce qu'il ne veut pas : c'est justement tout ce qu'il subit." (12 décembre)

- "B... et moi étions d'accord hier pour penser que les Français ne sont pas plus vaincus aujourd'hui qu'ils n'ont été vainqueurs en 1919. Leur erreur serait de croire à leur défaite. Une erreur tient à l'autre. Il faudrait les rendre conscients de l'une et de l'autre." (25 décembre)

- les voeux de nouvelle année de Pétain à la radio : "Un moment pénible a été celui où sans s'en rendre compte il a relu deux fois tout un paragraphe de son message." (1er janvier 1942)

- "Depuis huit jours les Juifs doivent porter l'étoile jaune et appeler sur eux le mépris public. Jamais les gens n'ont été avec eux si aimables. C'est qu'il n'est sans doute rien de plus ignoble que de contraindre un homme à avoir à tous les instants honte de lui-même et le gentil peuple de Paris le sait. Comme le savait Nietzsche. « Épargnez, disait-il, à tout homme la honte. »

Rien qu'en voyant les Juifs de ce quartier, on peut vérifier à quel point ils sont « le capitalisme international » : la plupart sont dans une évidente misère et le petit peuple tout entier s'indigne qu'on s'applique à déshonorer ainsi la pauvreté." (16 juin)

- ça doit être ça, les « racines juives de la France »... A suivre !

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mercredi 9 mars 2011

Le 700e post...

...est promotionnel, je viens d'ouvrir mon compte twitter, à l'adresse ACAFEDUCOMMERCE (caféducommerce était déjà pris). Venez tous participer à la révolution anti-enculiste ! Alcool, sexe, philosophie, fidélité, Providence...



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