samedi 30 avril 2011

Variations sur la parole...

Voici une seconde livraison de quelques extraits du Journal des années noires de Guéhenno.

Commençons par cette anecdote :

"Souvent, les après-midi, dans les couloirs du métro presque sans lumière, au Châtelet, un jeune mendiant se livre à la même innocente provocation et continue le même petit commerce. Solidement assis sur un pliant, contre le mur, sa canne blanche couchée à terre devant lui et marquant les limites du lieu d'asile où il s'est réfugié, une fausse fierté empreinte sur son visage au menton levé, aux yeux vides, condamnés à ne jamais rien voir, il joue d'un air martial et sans discontinuer sur son accordéon : La Marseillaise. Il a planté sur son instrument un ridicule petit drapeau et arboré une cocarde dont les rubans traînent à terre. Les sous pleuvent dans sa casquette. Chacun se croit vengé par cet aveugle et se sauve à trop bon compte de la honte par cette aumône. Lui fait des journées de marché noir. Il a eu une de ces idées qui font les grandes fortunes : il se sent protégé par son infirmité et se dit qu'ils n'oseront pas le faire taire. De fait les Allemands passent indifférents. Même parfois sans doute, l'un d'eux pousse la délicatesse jusqu'à faire à cette image de la France sa petite offrande ; il lui rend vingt sous qu'il lui a volés." (11 décembre 1943)

Et reprenons le fil du journal :

"Politicien et politique. Nous appelons politiques les politiques qui pensent comme nous, politiciens ceux qui ne pensent pas comme nous." (11 mars 1943)

"Préserver sa propre liberté dans un monde d'esclaves. C'est toute la politique de bien des gens qui se croient par comble des sortes de héros. Mais ce n'est que la politique de Narcisse. La liberté, c'est la liberté des autres. Un homme vrai se sent esclave dans un monde d'esclaves." (1er juin 1943) - j'avais sélectionné et même déjà mis sur mon compte Twitter une phrase issue de ce passage, ainsi qu'une autre que vous retrouverez quelques lignes plus bas. Il était donc évidemment abusif de la part de mon contradicteur de la dernière fois de m'accuser, en gros, de ne penser qu'à moi. Je ne sais pas s'il y a des degrés de liberté, mais il y a des degrés d'indépendance et d'autonomie, et certaines façons, pour tout un chacun, de se rendre plus autonome, financièrement et intellectuellement, contribuent, à une toute petite échelle, à diminuer l'esclavage général. Le problème est de se croire alors "par comble des sortes de héros".

Je reviendrai, avec l'aide des premiers socialistes français, dont l'héritage reste perceptible dans le travail de Guéhenno, sur ces problèmes de liberté individuelle et et collective. C'est évidemment quelque chose que les « socialistes » actuels ne sont plus capables de comprendre ni de formuler. Continuons :

"Mussolini a démissionné.
Le général Nadoglio devient chef de gouvernement pour faire la besogne des Maréchaux sans doute, livrer bientôt son pays. Les bonnes gens du village sont dans la jubilation, mais la basse comédie continue. Un pétainiste notoire et hier encore grand admirateur de Mussolini se démène sur la place en criant à tous les passants : « Hein, les Macaronis ? » Tous les traîtres s'apprêtent à trahir de nouveau. La victoire n'est pas loin." (26 juillet 1943)

"C'est la société qui sauve l'homme." (22 août 1943)

"Tout se passe comme si, grâce à une longue possession des mots, les intellectuels avaient réduit les choses qu'ils nomment à leur seul usage. La liberté, par exemple, n'est pour eux que la liberté intellectuelle, la liberté des intellectuels." (10 septembre 1943)

"« Que de héros, que d'imbéciles », pensait Montaigne sans doute en regardant ses contemporains. Montaigne ou d'Aubigné ? Le héros ou le sage ? Quel est l'homme exemplaire ? L'un et l'autre. Je ne peux pas choisir. Il est tel temps, le nôtre, où il faudrait avoir le coeur de d'Aubigné pour défendre et sauver les idées de Montaigne." (3 décembre 1943). - C'est un thème que j'avais abordé dans cette incise, avec les exemples de Russel et Wittgenstein - non sans mentionner, je m'en aperçois à la relecture et vais y revenir, le goût du premier pour les grands mots.

"Il n'y eut jamais de héros de Verdun. Il n'y eut que des hommes qui tinrent bon, avec peur et humilité, avec honneur aussi, parce qu'on est ainsi fait, parce qu'ils le devaient et qu'ils ne pouvaient faire autrement. Même[,] la France commença d'être malade peut-être quand on commença à parler tant de ses héros, quand la dignité naïve des combattants se mua en la gloriole intéressée des anciens combattants. L'enflure des paroles dispensa de la solidité des pensées. Il y eut trop de médailles, trop de rubans, trop de défilés, trop de pensions aussi, un petit commerce avilissant de vanité." (1er janvier 1944)

Un des anciens élèves de Guéhenno, devenu chef de maquis, passe quelques jours à Paris : "Il m'interroge, il voudrait savoir si les Français sont dignes de cette souffrance que ses camarades assument pour eux, s'ils en valent la peine." (18 février 1944) - Vaste question !


Et pour finir, presque à la conclusion du Journal : "Les grands mots sont les mots vrais. C'est là ce que nous avons appris dans les épreuves." (21 août 1944)

Guéhenno connaît son attirance pour les grands mots, et les dangers de celle-ci, ainsi que le montrent les extraits que j'ai choisis. Je vous citais de mon côté récemment la phrase de Karr : "Défiez-vous des mots sonores : rien n'est plus sonore que ce qui est creux". Il reste qu'à cette période de Libération ces mots ont eu un sens - comme il est possible qu'ils aient eu un sens en Tunisie il y a quelque temps. Mais, "les intellectuels [ayant] réduit les choses qu'ils nomment à leur seul usage", nous ne savons plus ce que certains mots veulent dire, ou plutôt ces mots n'ont plus de sens pour nous. C'est un de nos problèmes, parmi d'autres... Comme disait Léo :

"La parlote ça n'est pas un détonateur suffisant
Le silence armé, c'est bien, mais il faut bien fermer sa gueule...
Toutes des concierges !.." - On n'en sort pas !

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jeudi 21 avril 2011

Politique.

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"La littérature ne peut conserver un lien essentiel avec la morale que parce que la morale n'a justement pas le genre de simplicité et d'univocité que lui attribue l'idéalisme. « Vous pouvez, dit Iris Murdoch, connaître une vérité, mais si elle est un tant soit peu compliquée, vous devez être un artiste pour ne pas l'énoncer comme un mensonge. »" (Jacques Bouveresse) - « idéalisme » pouvant être pris ici au sens de moralisme, de « grands mots ». J'y reviendrai, c'était pour marquer le coup et noter que cette Iris Murdoch a l'air intéressante. Au plaisir !



P.S. (ajouté quelques heures après) : je m'aperçois que cela fait un an jour pour jour que j'ai cessé d'être esclave salarié. Sensation indescriptible !


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samedi 16 avril 2011

Trifonctionnalité.

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"Écrivain, c'est le seul métier, avec l'art de gouverner, qu'on ose faire sans l'avoir appris", disait Alphonse Karr. Ajoutez-y la prostitution, et vous aurez la sainte Trinité « française » actuelle : BHL - Sarkozy - Bruni. Et on se demande pourquoi la France n'est pas au mieux... d'autant que le métier de journaliste, d'Artagnan de ces trois mousquetaires, réunit à lui seul ces fonctions duméziliennes, la vanité personnelle, le désir de commander, le tapin permanent.

(Il faudrait d'ailleurs se demander si ces deux dernières « fonctions », au moins, ne sont pas, sinon équivalentes, du moins très liées l'une à l'autre. Pour la beauté de notre parallèle mythico-littéraire, restons-en là pour aujourd'hui.)

Est-ce l'essence de la démocratie, est-ce « le Règne de la Quantité », est-ce l'effet de « l'égalité des conditions », je ne sais pas, mais la démocratie actuelle fait de nous des êtres dirigés par des membres de professions qui n'en sont pas vraiment, qui en tout cas n'obéissent pas à de stricts critères de qualité. Oublions (momentanément) la prostitution, qui, telle le Saint-Esprit, se trouve un peu partout et nulle part ("Le tapin souffle où il veut"), et reconnaissons que l'écrivain, en tout cas sous la forme de l' « intellectuel », et l'homme politique partagent cette spécificité de connaître des petites choses dans beaucoup de domaines, mais de n'être vraiment compétents sur rien. Comme dirait Soral, c'est dans leur logiciel. Il n'y a donc pas lieu de s'en étonner, et c'est d'ailleurs ce qui explique la tentation permanente et compensatrice de la technocratie, et du recours aux « experts ». Miracle de notre monde, depuis que les énarques, au lieu de rester dans leur domaine de spécialité, et au service des politiques, sont devenus des politiques, sont devenus comme les politiques, ou même sont devenus les politiques, on peut maintenant aussi, comme dirait Karr, « faire expert sans l'avoir appris » (les éditorialistes), ou désapprendre à être expert, ce qui n'implique, au contraire et bien évidemment, aucune dimension de saine modestie. Le technocrate d'un monde qui fonctionne à peu près, au moins en apparence, croit avoir raison, le technocrate d'un monde qui fonctionne comme le nôtre, écrivons ça sans rire, a besoin d'avoir raison - pour ne pas changer de métier ou se tirer une balle. Une sidérante et pourtant souriante ordure comme Jacques Attali synthétise et symbolise ces itinéraires.

Emmanuel Todd ne cesse de répéter, sinon que « le niveau monte », du moins que nos sociétés n'ont jamais été aussi instruites. C'est un point sur lequel il peine à me convaincre, sans que ma religion soit faite. Mais il est clair que si le niveau d'instruction global est une chose, son utilisation intelligente pour le bien de la collectivité en est une autre. La promotion de l'incompétence à grande gueule n'est probablement pas ce que l'on a trouvé de mieux en la matière. "Défiez-vous des mots sonores : rien n'est plus sonore que ce qui est creux", cet autre mot d'Alphonse Karr s'applique bien à nos bruyantes « élites » - de même d'ailleurs que la vieille sentence de Rivarol : "La plus mauvaise roue fait le plus de bruit", qui m'a toujours fait penser à Sarkohumanbomb.

"En France on ne veut pas arriver à la démocratie mais par la démocratie. C'est comme ces marchands de tisane qui crient leur marchandise mais n'en boivent jamais", écrivait encore A. Karr. Aussi vraie et percutante que soit cette phrase, il n'est pas certain qu'il soit nécessaire d'être un grand démocrate pour bien diriger une démocratie. Cela dépend d'ailleurs de ce qu'on entend par « démocrate » : au sens a minima qui est souvent celui de nos éditorialistes, s'il s'agit de dire que, dans l'hypothèse où il se présente aux prochaines élections et y est battu, Sarkognome ne fera pas un coup d'État pour rester à l'Élysée, je veux bien admettre que, comme de Gaulle et Giscard avant lui, il sera là « démocrate ». Mais on peut tout de même en demander un peu plus à ce mot, et le coup de la trahison du traité de Lisbonne après le référendum sur le TCE en dit me semble-t-il assez long sur le respect de la démocratie montré par notre Président.

Quoi qu'il en soit de ces derniers points, quoi qu'il en soit, pour parler de choses plus intéressantes, des rapports d'un de Gaulle à la démocratie, ou de la notion d'un pouvoir démocrate : le pouvoir n'est pas démocrate, mais la démocratie peut organiser les pouvoirs d'une certaine façon (équilibre à la Montesquieu, conseillisme à la Mauss, tirage au sort à la Chouard…) ;

quoi qu'il en soit donc !, et sans minimiser la part d'illusion et d'« hypocrisie » nécessaire à une marche relativement bonne d'institutions quelles qu'elles soient, on reste parfois stupéfait par la forme de paradoxale cohérence qu'il arrive à notre monde de prendre. J'avais en son temps, suivant en cela P. Muray, lorsque les moeurs de Frédéric Mitterrand avaient fait débat, rappelé que le tourisme sexuel ne faisait scandale que parce qu'il permettait de faire diversion, d'oublier le scandale du tourisme en tant que tel. D'une manière quelque peu analogue, il est difficile de ne pas noter que la prostitution officielle, de nouveau remise en cause ces derniers temps, semble gêner d'autant plus que le monde est d'autant plus régi par la règle du tapin. Tout se vend de plus en plus dans notre monde, il faut donc que celles qui se vendent carrément et franchement disparaissent pour que les autres croient ne pas savoir qu'ils font exactement pareil. L'esclave salarié des années 50-60 était assez content de son sort pour parvenir à se donner l'illusion qu'il ne travaillait pas sur le même modèle que la putain du coin : avec la « crise », les CDD, les stages, etc., il ne peut plus se le cacher (il peut en revanche se faire croire que ses parents ne tapinaient pas). Pour ceux dont l'esprit n'est pas assez sensible, et ils sont malheureusement légion, c'est le mal au cul qui dit la vérité : le suppositoire que l'on prenait dans la rondelle durant les « trente glorieuses » pouvait endormir l'esclave salarié sur sa condition : à présent que ce tranquillisant a fait place à une batte de base-ball, le salarié-précaire-chômeur ne peut plus ignorer de quel côté du manche il se situe.


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- L'évolution des hommes politiques, qui ont si souvent été vendus en démocratie, est moins linéaire, mais elle aboutit avec Sarkotraînée à la même prostitution officielle.

Ce sont donc les putes qui vont payer ou risquent de payer les pots cassés de la mauvaise conscience des autres. Deux autres phénomènes participent à la campagne actuelle. D'une part la répugnance typiquement moderne (au sens de L. Dumont) à l'égard de la différence, la vraie, celle des curés, des clodos, des catins, des fous, de ceux qui prennent en charge, par un particularisme profond (chasteté, misère, incohérence mentale…) quelque chose que la collectivité aurait du mal à assumer sans eux et/ou dont elle voudrait ignorer l'existence ou la possibilité. D'autre part la volonté castratrice de certains et certaines. Michel Schneider le notait avec a-propos, les projets d'abolition de la prostitution ou de durcissement de la législation la concernant viennent le plus souvent de femmes non prostituées et de pédés, c'est-à-dire de gens qui ne sont pas directement concernés mais qui peuvent avoir des comptes à régler avec le mâle normal.


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Passons (sic…). Et finissons en notant que si Nicolas Sarkozy est, selon une formule d'Emmanuel Todd que j'ai déjà citée, une manière de « triomphe bouffon de l'égalitarisme français », cela est ici, de nouveau, le cas, avec sa demi-mondaine à temps plein, sa « putain de la République », comme disait l'autre… Les (de plus en plus) vieilles pontonières de la rue Blondel offriront par conséquent leur corps usé et méritant pour que Carla joue à se croire pure, love is in the air...


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mercredi 13 avril 2011

Je ne sais pas s'il y eut, au XXe siècle tout au moins, philosophe qui ait su autant que Simone Weil articuler les implications métaphysiques et morales du concept, ou de la pensée, de Dieu.

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mardi 12 avril 2011

Trop long pour un tweet.


Félix gray & didier barbelivien "à toutes les...


Soit une chanson écrite par D. Barbelivien : si vous n'avez jamais entendu une chanson d'amour, si vous ne comblez pas vous-mêmes les carences du texte, en remplaçant ce qui est effectivement chanté par ce qui l'est d'ordinaire dans de telles productions, si vous abordez le texte sans opinion pré-conçue, vous trouvez ça incompréhensible - parce que ça l'est.

Toutes proportions gardées, très mal édité, assez mal écrit, Comprendre l'Empire obéit au même schéma : si vous ne connaissez pas Soral l'orateur, si vous ne vous aidez pas du souvenir de ses vidéos pour éclaircir certains passages de son livre, si vous le lisez sans aucun a priori, alors vous risquez fort d'être perdu.

Cette comparaison vaut ce qu'elle vaut et n'offre guère de garanties épistémologiques, puisque je suis moi-même un amateur de ces vidéos depuis plusieurs années. Je ne peux donc en toute rigueur me forcer à lire ce livre en faisant totalement abstraction de ce que je sais.

Mais qu'elle me soit venue à l'esprit me semble marquer une des limites de ce livre, ainsi qu'une des raisons pour lesquelles je ne vous en ai pas encore parlé. Malgré ces défauts je l'ai lu avec intérêt - et, parfois, agacement -, mais l'idée même de le rouvrir, de retrouver ces innombrables fautes de frappe et ces phrases parfois peu intelligibles, fait que je remets ça à demain.

Et demain, j'ai apocalypse, alors nous ne sommes pas sortis de l'auberge.


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lundi 4 avril 2011

Liberté, liberté, que d'enculages on commet en ton nom...

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"Vous n'êtes ni Romains, ni Spartiates ; vous n'êtes même pas Athéniens. Laissez-là ces grands noms qui ne vous vont point. Vous êtes des marchands, des artisans, des bourgeois, toujours occupés de leurs intérêts privés, de leur travail, de leur trafic, de leur gain ; des gens pour qui la liberté même n'est qu'un moyen d'acquérir sans obstacle et de posséder en sûreté." (Rousseau, cité par P. Chanial, Justice, don, association. La délicate essence de la démocratie, La découverte / M.A.U.S.S., 2001, p. 95)

"Les ouvriers français se dérobent à la réquisition. Laval annonce donc qu'il « ne tolérera aucune atteinte à la liberté du travail »!" (J. Guéhenno, Journal des années noires. 1940-1944, en date du 17 octobre 1942)


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samedi 2 avril 2011

"Cela je l'affirme, comme le disait l’astrophysicien russe Tsiolkovsky, 1 + 1 = 2..."

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(Photo piquée à L'Organe.)


"And you know something is happening here, but you don't know what it is..."

Moi aussi je peux mettre des citations en anglais pour démarrer mes articles, ça fait cool. - Bref, dans la série les trous du cul ont la peau dure, que ceux qui avaient eu la chance de ne pas s'en rendre compte le sachent : après avoir fermé sa grande gueule durant quelques années, pour s'être trompé avec autant de constance que de véhémence dans l'inénarrable American Black Box, Maurice Dantec est de retour, et il est toujours aussi pénible.

Si vous avez du temps à perdre, vous pouvez lire ce texte sans queue ni tête, publié sur un site lui-même déprimant.

(quelle merde, ce Ring, tout ce que je déteste ou presque, les petits merdeux de droite même pas méchants et qui se croient drôles, avec le prétentieux salonnard Bilger pour caution « adulte », quelle pitié.

Avec l'âge on se rend compte qu'il est souvent plus aisé de parler avec un homme de droite qu'un homme de gauche, que le premier peut être plus ouvert à la discussion que le second, qui finit bien souvent par employer un argument d'autorité. Mais ce qui est vrai dans une conversation libre, sans témoins, ne vaut pas quand les droitards se retrouvent entre eux : on a l'impression que c'est alors à qui sera le con de droite le plus authentique.
)

Pour ceux qui veulent s'épargner ce pénible détour, voici quelques extraits et commentaires, qui ne feront que prouver que ma longue analyse de 2007 sur ce triste sire, si elle me semble, avec le recul, un peu lourde, visait parfaitement juste. En gros : Dantec est un charlatan. En détail, et sur son dernier texte : instruit par l'expérience et le ridicule d'avoir eu tort sur des points où il claironnait si fort, et avec tant d'agressivité, ses certitudes, il devient un peu plus prudent. Et ce qui motive cette réaction de ma part, je le précise, ce n'est pas le peu d'intérêt de l'oeuvre polémique de M. G. Dantec, mais les techniques rhétoriques qu'il utilise pour embrouiller son lecteur, techniques qu'il est toujours bon de signaler, tant on peut les retrouver ailleurs.

Ma thèse d'ensemble est simple : M. G. Dantec est le M. Defensa du pauvre. Là où celui-ci dépeint avec autant de justesse qu'il lui est possible la confusion actuelle du monde, celui-là croit pouvoir s'autoriser de cette confusion pour être confus - tout en sous-entendant qu'il est le seul à avoir tout compris.

Pour cela, autant prendre un concept vague, non défini, dont l'allure provocatrice et paradoxale est censée permettre de se prémunir contre les critiques trop précises : ainsi des « Chinois » qui se révoltent actuellement, au Maghreb et ailleurs. Un peu de métaphore, un peu de métaphysique marxisante, l'espoir qu'avec un peu de chance les Chinois de Chine se rebelleront aussi bientôt et viendront donner, rétrospectivement, un aspect prophétique à ce qui pour l'heure ne veut pas dire grand-chose, et permet surtout de mettre dans le même sac Tunisiens, Égyptiens, Libyens, Gazaouis, Syriens, etc., sans prendre trop la peine d'étudier les différences entre ces peuples -

voilà le procédé principal utilisé par M. Dantec pour pouvoir énoncer des généralités sans grand intérêt, qui se résument finalement à cette idée plutôt simple : « on ne sait pas trop ce que tout ça va donner ». Quelques tours de passe-passe stylistiques doivent aider à emballer l'affaire :

- la supposition gratuite, ça ne mange pas de pain :

"Cela je l’affirme, mais je ne suis pas un prosélyte d’occasion, les Chinois ont été le berceau de l’Islam, mais comme disait l’astrophysicien russe Tsiolkovsky, « qui a dit que l’Homme était fait pour rester au berceau ?». Un jour, les Chinois eux-mêmes convoqueront son nécessaire dépassement, et pour ce qui le concerne, une remise en question fondamentale des préceptes fondateurs du Coran, une analyse froide et objective d’où ce mixage improbable d’hérésies diverses les a conduits durant plus d’un millénaire, alors qu’ils le démontrent chaque jour depuis qu’ils ont décidé d’abattre leurs tyrans : ils sont probablement un des plus grands peuples du monde. S’ils étaient restés, ou devenus chrétiens, une Grande Europe unie et circumméditerranéenne existerait depuis le Moyen-âge, le berceau mésopotamien de la civilisation écrite intégré à la tête chercheuse technique des Celtes et des Germains gréco-romanisés."

Si mon père était ma mère... Ceci dit, pour qui a lu American Black Box, il est assez piquant de voir maintenant M. Dantec parler des musulmans, fussent-ils « Chinois », comme "probablement un des plus grands peuples du monde".

- la phrase qui ne veut rien dire mais qui en jette :

"Après s’en être pris à des employés de bureau hautement verticalisés [le 11 septembre], puis à des touristes parfaitement horizontalisés d’une discothèque balinaise…" ; notons au passage pour les curieux que la suite de cette phrase dénote une conception pour le moins laxiste de la grammaire. Mais Maurice Dantec est un grand écrivain, donc il doit avoir le droit de mal écrire.

- la polémique imprécise :

"Vous devez continuer d’être sacrifiés, en toute bonne conscience, pour les antisémitismes de tinettes jazzophiles et les ténias réconciliateurs-égalitaires…", un coup pour Nabe, un coup pour Soral, mis dans le même sac justement sur un point où ils ne sont pas d'accord, vraiment pas de chance.

- et bien sûr, c'est de bonne guerre, la précaution rhétorique à l'aide de laquelle on espère se prémunir contre les critiques :

"Les événements survenus ces tous [sic] derniers jours sembleraient vouloir contredire entièrement ce que je viens d’affirmer."

Ce qui ressemble plus à un aveu qu'autre chose.


Je m'arrête là, ça ne vaut pas plus d'efforts - d'autant que je dois avouer qu'un doute me taraude : et si c'était un gag ? Ce texte aurait paru le 1er avril, je me serais posé de sérieuses questions. C'est la spécificité de M. Dantec, finalement, ce en quoi il est bien de son époque : il est aussi grotesque que le serait sa parodie par un pasticheur malveillant.



Profitons maintenant d'avoir pris le temps de rouvrir ce comptoir, pour vous offrir une consommation d'un autre niveau. Je remets toujours au lendemain le début de la rédaction d'un texte sur Simone Weil, dont l'oeuvre me fascine mais me rend, pour ce qui est de l'analyser, aussi timide qu'un puceau devant les formes de Catherine Zeta-Jones. Sans doute cela vient-il de son intransigeance qui, si elle n'interdit pas la critique, vous pousse à ne pas vous lancer, même dans le plus simple compte-rendu de ses textes, sans avoir fait l'effort de vous hisser, sinon certes au même niveau qu'elle, du moins au-delà de vous-même ; ce n'est, par définition, pas aisé.

Cela heureusement n'empêche pas de lui laisser la parole, ni même, sans prétention, de croire retrouver au détour d'un de ses Cahiers une tension entre Durkheim et Musil à laquelle on est personnellement sensible :

"Destruction d'une cité, d'un peuple, d'une civilisation : quelle action mieux que celle-là donne à l'homme la fausse divinité ? Déjà tuer un homme, son semblable, l'élève [l'homme qui tue, pas l'homme tué] en imagination au-dessus de la mort. Mais tuer du social, ce social qui est au-dessus de nous, que nous ne pouvons jamais comprendre, qui nous contraint dans ce qui est presque le plus intérieur de nous-mêmes, qui imite le religieux au point de s'y confondre sauf discernement surnaturel."

Deux autres ?

"L'essence de Dieu n'est pas sujet, ni objet, mais pensée."

"La joie est le sentiment de la réalité." - Ou pourquoi Dantec est triste...

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