samedi 14 mai 2011

Struggle for life.

"L'idée d'établir, comme garantie de la paix sociale, des syndicats uniques, apolitiques et obligatoires, repose sur une vérité méconnue, mais claire pour quiconque réfléchit : c'est que les intérêts transigent toujours et que les passions seules ne transigent pas. C'est une vérité d'expérience, et en même temps presque démontrable, car pour peu que l'adversaire ait quelque force une transaction même peu satisfaisante coûte toujours moins qu'une lutte même victorieuse. Il faut [donc] croire que les conflits où l'intérêt seul est en cause sont rares : car de tout temps on a vu les hommes lutter plus souvent que transiger, et depuis l'époque où Eschyle montrait par quel mécanisme infaillible la démesure est punie, jusqu'à nos jours, les choses, à cet égard, n'ont pas changé. La doctrine du libéralisme économique a tout déformé en ne considérant dans le domaine de l'économie que des conflits d'intérêts ; et le marxisme a prolongé cette erreur du libéralisme, avec beaucoup d'autres, par son vocabulaire et ses mots d'ordre, bien que toutes les analyses concrètes de Marx fassent apparaître les luttes économiques comme des luttes de passion, à savoir volonté de puissance et volonté de libération. Quiconque trouverait le secret de limiter les préoccupations humaines à l'intérêt seul établirait du même coup la paix totale, paix entre les nations, paix entre les classes, paix entre tous les hommes. Il supprimerait en même temps, à vrai dire, toute vertu, tout art, toute pensée. On peut estimer, et pour moi j'estime, que ce serait acheter la paix trop cher, et qu'on aboutirait ainsi à une paix moins désirable que n'importe quelle guerre. Mais nous ne nous trouvons pas, nous ne nous trouverons pas devant un pareil choix. Le problème n'est pas de supprimer les passions, mais de les orienter de manière à éviter, si possible, les catastrophes."

(S. Weil, A propos du syndicalisme « unique, apolitique, obligatoire », 1938, Oeuvres, Gallimard, coll. « Quarto », p. 187)

Tout ceci, je me permets de le signaler, n'étant pas sans me rappeler par certains aspects ce que j'ai écrit en janvier dernier pour clarifier la polémique (qui continue...) entre A. Soral et M.-É. Nabe. Je reviendrai plus spécifiquement sur ce dernier, bientôt j'espère.

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