vendredi 25 novembre 2011

On ne meurt que deux fois. (Le sexe..., III ter.)

Le sexe, c'est le sexe et autre chose que le sexe, I.

Le sexe, c'est le sexe et autre chose que le sexe, II.

Le sexe, c'est le sexe et autre chose que le sexe, III.

Le sexe, c'est le sexe et autre chose que le sexe, III bis.


"C'est pour trois fois rien qu'on payait la richesse de ces femmes. Clopinettes pour un miracle ! Elles se donnaient à l'acte de se vendre ! Quels éclats de corps glorieux ! Quelles personnes parfaites ! Elles semblaient revêtir leur chair glorieuse et sainte ! Comme des pharaones dans leur propre pyramide, les Putes vivaient dans le tombeau de leur sexe. C'est ça peut-être qui leur donnait cette dignité. Même la star du porno se justifie en disant qu'elle fait ça parce qu'elle aime ça. La Pute dit qu'elle fait ça pour le fric. (…)

La vraie noblesse, c'est l'honnêteté. Entre l'ouvrier qui a économisé sur ses heures supplémentaires, le producteur de cinéma qui claque tout ce qu'il veut et l'adolescent qui a cassé sa tirelire, la Pute ne fait pas de différence. C'était le seul exemple où le fric, paradoxalement, libère les êtres de leur lien social. L'argent servait à retrouver une gratuité perdue. En vérité, ce que gagnaient les Putes n'était qu'un pourboire divin, encaissé pudiquement par elles, pour justifier leur travail religieux sur les autres (apostolique, évangélique, sacerdotal selon les cas). Ces magiciennes avaient l'art de remettre l'être dans son âme. En faisant sauter d'emblée l'articulation désir/fric, elles proposaient un montage de l'amour. Elles compressaient le temps entre la première rencontre et la première baise. Les Putes sont des métaphysiciennes en action, car elles ne travaillent que sur le présent éternel, comme au théâtre." (Alain Zannini, p. 503)

"Je suis un lève-tôt. Depuis le temps, j'en ai vu décarrer des régiments de bonnes femmes comme ça... aux aurores courant vers les métros, la mine barbouillée, on dirait - des fois - des vieilles bougies trempées dans des cafés crème. C'est pas beau, des travailleuses !

- Il ne peut pas y avoir que des putes.

- Et pourquoi pas ? Des travailleurs et des putes, au moins comme ça on saurait pourquoi on travaille.

- Ouais... Vous êtes un idéaliste, Monsieur Léonce."

(M. Audiard)


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Le meilleur moment dans l'amour, c'est quand on monte l'escalier…


"De ma traversée chaste de la prostitution, il me restait une drôle d'impression. J'avais tout compris de ces femmes qui me ressemblaient si fort, mais pas pourquoi elles me ressemblaient si fort. Je me dirigeai vers la sortie en les évitant. Face au grand miroir du couloir de l'entrée, je me regardai, et en voulant saisir bêtement mon reflet, je saisis ce qui faisait que c'était bien le mien. Nous avions, les Putes et moi, échangé beaucoup d'amour, mais cet amour était d'autant plus pathétique qu'il débouchait sur quelque chose que les hommes et les femmes de l'Extérieur fuyaient, faute de pouvoir l'affronter violemment comme nous : l'impossibilité d'être avec un autre ! La Pute ne vend ni son âme ni son corps, elle vend son rapport à l'Autre. Pour ce sacrifice religieux, je ne les en aimais et plaignais que davantage, surtout me regardant dans la glace du Paradis [le bar où Nabe passe de nombreuses soirées à dialoguer avec les « Putes », sans coucher avec elles]. Chaque fois que je faisais la pute moi-même, j'exhibais ma terrible solitude. J'étais devenu une allégorie du non-contact absolu : c'est ce qui donnait tant de prostitution à mon comportement. Et c'est de ça désormais qu'il fallait faire quelque chose !… Quelle divine connerie ! De l'enfer paradisiaque au paradis infernal ! De la recherche d'amour à la découverte de l'impossible. Le constat, il était là : aucun être humain n'est pénétrable. Cette tragédie touche si naturellement les artistes et les putains que seuls eux deux peuvent faire semblant de s'entendre en s'écoutant. La panacée de l'altérité est dans l'expression artistique ou prostitutionnelle, et c'est une misère… Alors, imaginez ce que ne vivent pas les autres ! Je ne voyais pas d'autre explication à mon acharnement à avoir voulu montrer ce que chacun cachait (en écrivant et en publiant mon Journal intime, comme en « transgressant » les attitudes « normales » de l'existence). Puisque , au fond, personne ne se laissait pénétrer, nous, les Putes, nous accéderions à ce plaisir métaphysique ! J'avais mis ma peau à l'envers. Qui d'autre qu'une pute aurait pu me ressembler dans cet auto-écorchage à vif permanent? Certains critiques en étaient arrivés à accuser mes organes ! Délit de sale pancréas ! Jamais ça n'était arrivé dans l'histoire de la Littérature : attaquer un écrivain pour ce qu'il a dans son corps !… Mes soeurs solitaires aussi étaient humiliées au nom de leurs organes. Je le comprenais alors : ce n'était pas le désir que provoquait la Pute, c'est la Solitude. Comme elle, j'étais une Solipute." (Alain Zannini, pp. 521-22)


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