lundi 9 janvier 2012

Passage à l'acte... (Ajouts le 11 et le 12.01.)

A David P., tout de même.


"Je me retrouve dans le fait de rencontrer une femme et de pouvoir faire l'amour avec elle tout de suite, le jour même, dans une liberté totale. Ça m'est arrivé assez souvent et à DSK aussi j'imagine. C'est ce que tous les hommes rêvent de vivre, la plupart ne le font pas parce qu'ils n'ont pas l'occasion, la force, ou le courage et ne savent pas prendre le présent à bras-le-corps. Moi je n'ai rien à voir avec ce mec et sa brutalité me répugne, je suis beaucoup plus tendre comme amoureux du sexe, mais l'impulsion originelle, fondamentale, primordiale, est là chez moi aussi, évidemment."

"Beethoven, sa musique n'exprime que le manque de baiser, « je souffre de ne pas baiser », c'est ce que dit la Neuvième Symphonie, L'Hymne à la joie est en fait un hymne à la jouissance qui ne peut pas s'accomplir pour le pauvre Beethoven." - ce qui, toute révérence gardée (et même si j'ai de longue date une préférence pour la 7e), explique pourquoi c'est une partition qui malgré sa grandeur a toujours eu un côté officiel. M.-É. Nabe met sur ce point en rapport Mozart et Beethoven, à l'avantage du premier - pour en revenir à notre dernière apparition derrière notre comptoir, il est de fait à l'honneur de Mozart que l'on n'imagine guère un pouvoir officiel prendre pour hymne n'importe lequel des monuments d'allégresse sensuelle qui composent les Noces de Figaro, Chérubin qui bande pour n'importe quel jupon, Suzanne qui anticipe tranquillement (et avec un double-jeu tout féminin où mensonge et vérité se nourrissent l'un l'autre et se confondent presque, les amateurs comprendront) sur sa jouissance à venir, le soir dans un bois, la Comtesse surtout, la Comtesse dont il faut rappeler que malgré son titre de noblesse elle n'a pas 25 ans

- c'est une des tragédies de l'opéra, que les chanteuses - sans compter le fait qu'elles soient souvent un peu trop girondes, mais passons -, c'est une tragédie surtout de l'opéra mozartien, que les chanteuses n'arrivent à maturité vocale qu'à un âge, certes peu avancé, surtout dans notre société vieillissante..., mais qui est sensiblement supérieur à celui des héroïnes qu'elles incarnent. La Comtesse est une belle jeune femme, momentanément délaissée par un mari très queutard (nettement plus queutard et séduisant que Figaro, d'ailleurs), Fiordiligi et Dorabella surtout sont des petites pucelles de 16 ans à peine, à qui l'opéra Cosi fan tutte fait subir un dépucelage moral d'une grande violence...

...je vais revenir là-dessus, mais finissons avec cette chère Comtesse, dont les deux airs sont si évidemment des moments de masturbation - si évidemment que je comprends un peu qu'ils ne soient pas (à ma connaissance) mis en scène sous cette forme : à part les difficultés pratiques de la chanteuse à assurer la beauté du chant tout en se touchant, il y aurait là comme une sorte de trahison de la métaphore. En même temps, ça vaudrait le coup que les choses soient dites (et montrées), une fois... Comme le dit MEN dans Alain Zannini :

"Dans ma guerre contre le silence, j'ai remporté de belles victoires sur le fameux « ça ne se dit pas ». Telle ou telle chose n'a l'air de rien, mais si on la dit, elle en dit plus sur ce qui ne se dit pas que les non-dits qui croient toujours en dire plus que ce qu'ils ne disent pas !" (p. 762)

Je n'accepterais pas ce raisonnement dans tous les domaines sans quelques réserves, mais l'excellente interview de MEN à Hot Vidéo (que je m'en vais de ce pas acheter pour ma collection nabienne, ça fera bien dans la bibliothèque...), qui par ailleurs me semble utilement compléter mon récent bilan sur le porno

- encore un domaine où l'on retrouve cette ambiguïté du statut de Nabe (le personnage littéraire comme ce que l'on peut imaginer de l'individu lui-même) : d'un certain point de vue le monde irait mieux (et serait à coup sûr plus vivant...) s'il y avait plus de gens comme lui, d'un autre côté ce qui est valable pour lui ne peut dans l'état actuel des choses être généralisé à toute l'humanité. Concernant le porno, je suis pleinement d'accord, sur le fond (pour ce qui est des exemples qu'il cite, c'est autre chose... chacun ses érections !), avec ce qu'il dit ici, mais on voit bien que son expérience, hélas sans doute, n'est pas universalisable à l'heure actuelle.

cette excellente interview, disais-je, va dans le sens de cette franchise, et, de derrière mon petit comptoir je me solidarise totalement avec l'auteur de L'enculé, non seulement lorsqu'il déclare, de façon d'ailleurs « evolienne », que :

"Les femmes qui se connaissent elles-mêmes savent qu'elles sont fondamentalement « et putes et soumises » et que toute leur vie est un combat contre cette putasserie et cette soumission. Alors tant mieux si ça les a fait évoluer sur le plan social, mais fondamentalement, quand une femme est excitée dans votre lit, elle est et pute et soumise, et ça la fait jouir, je ne parle pas de l'homme qui jouira de ça, c'est elle qui jouira d'être pute et soumise. C'est la nature féminine qui est comme ça, et tant mieux, c'est ça qui est magnifique, splendide.",

mais aussi quand qu'il clame que de tels propos n'ont strictement rien de macho, au contraire... Ah, que les femmes appartiennent donc aux petits binoclards qui ne pensent qu'à ça, à ceux qui, à l'encontre de leurs contemporains « sportifs », mettent toute leur énergie physique dans la satisfaction de leur bite et de la chatte où celle-ci se trouve, et pas dans le jogging... - La malingrité comme signe d'une virilité qui sait ne pas se disperser, comme signe de la conscience de l'essentiel sexuel - et de la conscience de la conscience qu'ont les femmes de l'essentiel sexuel, un certain rapport entre votre langue et votre bite, if you see what I mean, le reste, biceps et billets de banque, s'ils peuvent jouer le rôle de lubrifiants, n'étant en comparaison qu'accessoires, le lubrifiant humidifie mais ne fait pas mouiller...

(Ajout le 11.01 : j'allais écrire "le lubrifiant n'est pas métaphysique", ce qui est vrai, mais l'argent, lui, l'est-il ? That is the question ! Le concept de fétichisme vient à l'esprit, mais ne résout pas le problème. Après tout, je connais des femmes qui sont sexuellement plus excitées par l'argent des hommes que par les hommes, on peut toujours se dire que c'est dommage pour elles, mais bon. L'argent et la sexualité ne sont pas ignorés de l'enfant, certes, j'ai assez de souvenirs de mes rapports avec Marylin dès l'école primaire pour ne pas le nier, il n'en reste pas moins que ce sont les deux problématiques centrales de l'âge adulte, au moins en notre monde : que l'on cherche à remplacer l'un par l'autre n'est déjà pas étonnant, mais que la métaphysique de l'un déteigne un peu sur l'autre ne l'est pas non plus...)

- Par parenthèse, il est amusant de constater qu'un philosophe au moins a pu vivre une vie sexuelle qui se rapproche assez de ce que M.-É. Nabe dit de la vie sexuelle de l'artiste dans son interview : je lisais hier le livre de Barbara Cassin et Alain Badiou, Heidegger, les femmes, le nazisme, la philosophie (Fayard, 2010), d'où il ressort que le lourd Martin a souvent fait avancer les aventures de ses concepts en même temps que celles de sa queue, le tout sous le regard, si j'ose dire, plus ou moins consentant de Madame Heidegger - qui, ceci dit, je l'ignorais, lui a quand même fait un enfant dans le dos, important très tôt un petit bâtard dans la famille, comme une vengeance précoce par rapport à toutes les infidélités qu'il allait lui infliger... Pauvre Martin, Pauvre Heidegger, il y a un côté Eyes wide shut dans l'affaire... A quand un porno, La vie sexuelle de Martin H. ?, le premier samedi du mois sur Arte, avec Michelle Wild dans le rôle de Hannah Arendt ?


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hannah_arendt


Bon, une dernière remarque avant que vous ne commenciez votre semaine d'esclave salarié ou de chômeur - bien enculé dans les deux cas, et pas dans le sens strausso-nabien... Je ne sais pas s'il existe des textes là-dessus, mais il y aurait toute une thèse à faire sur la notion de dépucelage à l'opéra, et notamment dans l'opéra le plus bourgeois, le verdien (Verdi, encore un qui savait profiter de la vie). Otello notamment me semble particulièrement retors de ce point de vue - quand le héros déniaise-t-il Desdemone ? Avant l'opéra, ou à la fin du premier acte ? Comment est-ce que cela peut s'accorder avec sa jalousie envers Cassio ? A moins d'admettre que Desdemone n'était plus vierge en rencontrant Otello, mais est-ce possible ? Etc. - Wagner est plus explicite, à la fin de Siegfried par exemple, où ça nique dès le rideau tombé. Mozart, dans un univers moins bourgeois encore que celui de Verdi, peut être plus direct, mais, comme je l'évoquais plus haut, au moins aussi subtil... Zerline notamment mériterait une étude à part, vierge symbolique dans le duo "La ci darem la mano", parfaitement pute, soumise (et rusée) avec son promis quelque temps après ("Batti Batti O bel Masetto / La tua povera Zerlina...")... Allez, champagne !






Ajout le 12.01 : à propos de Heidegger, et de sa propension à qualifier de "Sainte" les femmes avec qui il avait couchées, voici ce qu'écrit, dans l'essai déjà cité, A. Badiou :

"Toute femme peut être dite « sainte », en tant que toute femme est capable d'au moins un miracle, celui de sa nudité amoureuse. La psychanalyse a établi que ce miracle est au point où le corps féminin fait tout le réel du Phallus, cette clé de l'ordre symbolique. Le dévoilement féminin « réellise », osons le vocable, l'ordre symbolique tout entier. Concluons donc que l'usage du vocabulaire religieux [par Heidegger] n'est qu'une transcription anticipée de l'énoncé bien connu : « Girl is Phallus ». En sorte que finalement on a la formule : « Sainte = Phallus », laquelle est inapplicable au Saint." (p. 80)

Je n'ai pas assez de culture psychanalytique pour comprendre vraiment cette idée du Phallus comme « clé de l'ordre symbolique », mais j'ai bien aimé (et rigolé à) ce passage, dont on peut tout de même se demander s'il veut vraiment dire autre chose que l'idée, certes éminemment juste, qu'un phallus sans femme n'est pas vraiment un phallus. - Ceci dit, un des axes de l'essai d'A. Badiou et B. Cassin est justement la façon dont Heidegger enjolive, voire recrée totalement, sa vie quotidienne, à l'aide de la puissance de sa prose. Alors, pourquoi pas un peu de grands mots...

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