jeudi 23 février 2012

Smoke gets in your eyes... (Apologie de la race française, IV-3.)

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Apologie I.

Apologie II.

Apologie III.

Apologie IV-1.

Apologie IV-2.

Apologie V.

Apologie VI-1.

Apologie VI-2.


Dans la livraison « IV-2 » de cette Apologie, je citais Pierre Chaunu pour essayer de comprendre le pourquoi du sacrifice massif de la population française « par elle-même » durant la Grande guerre :

"A cette époque, la démocratie est couplée avec des valeurs holistes (c'est-à-dire des valeurs opposées à l'individualisme et renvoyant à des ensembles, couple, famille, communauté, nation, humanité), religieuses ou laïques, ces dernières étant des valeurs religieuses transposées. Même si elles sont par moments en veilleuse, elles permettent plus facilement le sacrifice de la vie lorsqu'une menace se présente."

Je commentais et m'efforçais ensuite de préciser cette idée.

Dans son dernier livre, L'avènement de la démocratie, III. A l'épreuve des totalitarismes 1914-1974 (Gallimard, 2010), Marcel Gauchet nous permet de faire un pas en avant dans cette logique. Ouvrons les guillemets :

"L'exaltation de la mort pour la patrie a une vénérable tradition derrière elle. (…) L'élément nouveau qui va modifier le sens et la portée du phénomène réside dans le passage au premier plan de la figure du sacrifice de soi. C'est cette appropriation personnelle qui va insuffler à la mort de masse un extraordinaire rayonnement symbolique. Ce qui se met à compter en priorité, dans le sacrifice, c'est sa qualité d'expérience individuelle, mieux, d'expérience où l'individu trouve sa propre mesure. Il acquiert le statut d'épreuve de vérité à l'aune de laquelle juger de sa condition d'individu. (…) On a affaire, désormais, à des êtres déliés, pourvus de la conscience de leurs droits, forts du sentiment de leur indépendance et de leur singularité, qui n'entendent pas se contenter de subir leur sort, mais qui ambitionnent de s'en rendre maîtres. Des êtres, en même temps, toujours suffisamment définis par l'appartenance, toujours suffisamment inscrits par toutes leurs fibres dans leur communauté pour ne pas pouvoir imaginer leur existence en dehors d'elle. De telle sorte qu'ils vont prendre sur eux l'obligation que leur communauté leur imposait auparavant de l'extérieur. Ils cessent d'être simplement les sacrifiés de la patrie en danger ; ils deviennent, aux yeux de tous aussi bien qu'à leurs propres yeux, ceux qui se sacrifient délibérément pour le salut de la patrie et qui trouvent, dans ce don d'eux-mêmes, là est le point crucial, la confirmation, l'accomplissement de leur existence d'individus. C'est dans l'auto-immolation à la communauté à laquelle elle doit sa consistance que la vie se découvre elle-même pour ce qu'elle est et devient pleinement individuelle. (…)

La force symbolique prodigieuse de cette figure tient à la double opération de fusion des opposés et de renversement du rapport habituel de ces opposés qui s'y concrétise. D'un côté, elle associe la primauté inconditionnelle du tout et la souveraineté de la partie, mais cela, de l'autre côté, en faisant dépendre la primauté du tout de la volonté des parties. Le sommet de la liberté individuelle réside dans l'identification de l'individu à la contrainte absolue de l'appartenance. L'individualisme, autrement dit, s'affirme au travers de l'assomption du holisme. Dans le miroir de cette expérience limite, l'individu moderne, détaché, hautement conscient de sa possession de lui-même et de sa singularité, renoue avec une très ancienne expérience, de la fidélité, de l'obéissance, du service, de l'adhésion au groupe et sa règle, mais dans un cadre qui en modifie radicalement le sens et la teneur intime. Elle était une confirmation de la place, et par conséquent, de l'identité, de chacun, en fonction de la soumission à un ordre émanant de l'autre monde. Elle devient quelque chose comme une expérience mystique profane - mystique, puisqu'elle est une expérience du dépassement des limites du moi dans l'exposition à l'abolition de soi, une expérience de l'accès à un mode supérieur de réalité ; et profane, cependant, puisque ce plan supérieur a son site tout en ce monde et n'a d'autre substance que celle des liens de la communauté politique. (…)

Cette expérience, il est essentiel de le souligner, n'est pas qu'une expérience existentielle réservée aux hommes du front et appelée à se diffuser exclusivement par le canal du témoignage des survivants. De par ses conditions d'éclosion, elle est un fait culturel, né du choc entre la persistance de la structuration religieuse des communautés politiques et l'avancement de l'individualisation. A ce titre, elle est une expérience qui parle spontanément, peu ou prou, à tous. Ce qui se joue au travers de la figure du combattant et de son sacrifice est lisible de partout dans l'espace social. (…)

On touche ici à la donnée de structure qui rend la figure du sacrifice si largement parlante et appelante pour les esprits de l'époque, bien au-delà de la mort au combat, même si celle-ci en représente l'attestation de loin la plus éclatante et la plus haute. Elle résout la tension inhérente à l'articulation du soi et de la société, lorsque le moi est devenu suffisamment puissant pour constituer le juge suprême, tout en restant suffisamment inscrit dans une communauté pour ne pouvoir se penser indépendamment d'elle, de telle sorte qu'il ne reste d'autre issue à l'individu qui veut assumer intégralement sa condition, dans le moment critique où le sort de son pays est en jeu, qu'à le prendre totalement à son compte. Il atteint alors le comble de la puissance subjective en se donnant sans réserve à sa communauté et ne faisant plus qu'un avec elle. Au lieu de n'être qu'un atome irresponsable perdu au sein de la collectivité, il devient en conscience l'agent porteur de l'existence collective. (…)

S'il est essentiel d'y voir aussi clair que possible dans les ressorts de cet investissement sacrificiel, c'est en raison des suites qu'il comportera. Il y va ni plus ni moins du terreau anthropologique à partir duquel pourront fleurir les phénomènes totalitaires. Le complexe d'attitudes qui et de convictions qui se noue ici ne se résorbera pas avec le retour de la paix. (…) Ce qui confère à la figure du sacrifice son rayonnement extraordinaire auprès des contemporains, c'est de conjoindre deux choses qui normalement s'excluent : la réalisation de la souveraineté personnelle et la soumission inconditionnelle à la communauté. Elle fournit une issue héroïque à l'antinomie, en satisfaisant simultanément aux exigences antagonistes de l'indépendance et de l'appartenance. En quoi elle vaut promesse d'un dépassement possible de la déchirure du présent entre la survivance de l'absorption religieuse dans le tout et l'avancée de la déliaison légitime des parties. Elle est typique d'une phase historique où l'individualisation l'a emporté, mais où l'incorporation n'est pas morte pour autant, de telle sorte que, si une transaction équilibrée n'est plus possible entre elles, le problème de leur conciliation continue de se poser. C'est à ce problème que le sacrifice apporte une solution, en enrôlant l'incorporation au service de l'individualisation, en érigeant le don de soi en expression suprême de la possession de soi ; c'est ce qui rend sa figure fascinante ; c'est ce qui fait de cette figure un pôle de référence pour tous et un modèle pour quelques-uns. Elle dominera l'imaginaire de l'époque tout le temps où cette configuration et ce rapport de force prévaudront." (pp. 39-46)


A l'épreuve des totalitarismes est, sinon le meilleur livre de M. Gauchet, en tout cas celui qui m'a le plus intéressé, peut-être aurez-vous l'occasion de vous en apercevoir dans les semaines à venir. Il importe toutefois de préciser que s'y pose le même problème que dans ses autres travaux, à savoir que j'ai toujours l'impression qu'il a une vision un peu sèche, en tout cas réductrice, des sociétés traditionnelles, et notamment du rapport à la loi qui y est celui des individus (au sens basique de : personnes). Je ne peux le répéter à chaque fois que je cite cet auteur, mais cette réserve ne me quitte pas, réserve plus ou moins prégnante selon le cadre dans lequel l'analyse se déploie.

En l'occurrence, ici, la thèse qu'implique la description de la figure du sacrifice me semble pertinente : en 1914 et dans les années suivantes (jusqu'en 1945, mettons), on ne peut recréer un lien avec la communauté à laquelle on est supposé appartenir qu'en acceptant de mourir pour elle (Grande guerre) ou en se dissolvant en elle (phénomènes totalitaires). Il y a comme un phénomène de compensation : les liens traditionnels se défaisant, l'individu (cette fois au sens de l'idéologie individualiste moderne) les prend en charge et, du coup, les surinvestit, leur donne même, la modernité est paradoxale ou n'est pas, plus de coloration religieuse qu'ils n'en avaient auparavant. Ce que l'on retrouve, donc, aussi bien dans l'acceptation du sacrifice - l'"assomption par le holisme" -, que dans l'ivresse de la baignade collective dans le grand Tout, Heil Hitler.

Dans le texte où je citais P. Chaunu, j'émettais l'hypothèse qu'une "ordalie victorieuse de masse" du type de 1914-1918, ou de la bataille d'Angleterre, était encore susceptible, malgré les apparences et malgré certains éléments contraires, de se produire. Il faut préciser que je n'ai aucun « souhait » en la matière, d'autant que, c'est une des thèses que j'avais alors développées, et que je maintiens, cette question du sacrifice n'est pas une question de courage des uns (les Modernes) par rapport au courage des autres (les Anciens) : ce qui veut dire qu'un nouveau sacrifice de masse ne serait pas à mes yeux une preuve de courage. Ce que d'un certain point de vue confirme l'analyse de M. Gauchet, qui renvoie la figure du sacrifice à des questions de rapport entre individualisme et holisme.

Il est donc délicat de poursuivre plus loin cette analyse, puisqu'il faudrait justement faire un long détour par les évolutions respectives de l'individualisme et du holisme depuis 1945, évolutions qui ne sont au surplus pas identiques dans des pays comme la France, l'Allemagne, les États-Unis. J'aurais simplement tendance à penser aujourd'hui que si une « ordalie » devait de nouveau se produire, elle serait , au vu des rapports de nos « concitoyens » à la notion de communauté (au sens le plus basique, le moins nostalgique…) justiciable de la fameuse sentence de Marx sur les répétitions de l'histoire : "la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce."


(Ceci posé, il y avait déjà une évidente dimension grotesque dans le nazisme. Je découvre de plus dans le livre de M. Gauchet (p. 485) que Hitler était un "dilettante", que jusqu'à la guerre il n'a pas foutu grand-chose d'autre qu'entretenir sa popularité.


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(Private joke foireuse...)

Cela ne fait jamais que prouver que c'était le peuple allemand qui faisait le travail de sacralisation, ce qui n'est pas nouveau, mais contribue à donner une teinte d'ironie noire au phénomène. En même temps, quitte à être un peu médiocre sur les bords - ce qui répétons-le fait partie de Hitler et explique pourquoi il a été difficile à combattre par ses adversaires ; toutes choses égales d'ailleurs, il y a de ça chez notre président -, Hitler n'avait pas tort de se la couler douce. Lui savait, en tout cas sentait que les autres bossaient pour lui, il aurait été bien bête de ne pas en profiter pour aller roucouler avec Eva dans les montagnes teutonnes...)


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dimanche 19 février 2012

Égalité et réconciliation.

Repensant à la réponse que j'avais faite à un commentaire laissé récemment, je me suis pris à imaginer ce que pourrait être le gouvernement de Marine Le Pen dans le cas où elle serait élue présidente. Si l'on ne peut, et pour cause, prévoir l'imprévisible, on peut du moins s'efforcer de l'anticiper. Les différences de format entre les diverses photographies n'ont pas de signification, mais des raisons pratiques.


Présidente de la République : Marine Le Pen.


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Premier ministre et Commissaire général aux Questions juives : Alain Soral.


Soral


Ministre de l'Intérieur et des Libertés publiques : Emmanuel Ratier.


Ratier

(Pour des raisons d'efficacité, l'intéressé ne souhaite pas apparaître en public.)


Secrétaire d'État à la Délation : Pierre-André Taguieff.


Taguieff



Ministre de l'Immigration et des Banlieues : Anne Kling.


Kling


Secrétaire d'État à la Délation pour l'Immigration, dans le 93 et dans le VIIe arrondissement parisien, et pour les Trafics dans les Banlieues : Rachida Dati. (On prête au Président cette phrase : "Quitte à remplir le quota de putes krouias, autant en prendre une qu'on connaît déjà !" Le Président n'a ni démenti ni confirmé cette rumeur.)


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(Vieille photographie remontant à la première entrée de Mme Dati dans un gouvernement.)


Ministre de la Justice : Étienne Chouard.


Chouard


Ministre de l'Économie, et, comme celle-ci n'existe pas, Porte-parole du Gouvernement : Jean-Pierre Voyer.


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(Sa compagne a par ailleurs été nommée Secrétaire d'État à la Gastronomie.)


Ministre du Culte et de la Tradition : Laurent James.


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(On ne manquera pas de noter la réunion en une personne du prêtre et du guerrier.)


Ministre des Affaires étrangères : Vladimir Poutine.


Poutine


Secrétaire d'État aux Affaires européennes : Emmanuel Todd.


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Ministre de la Défense : Maurice Dantec.


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(A droite sur la photographie.)


En raison de réelles possibilités de déclenchement d'une guerre nucléaire simultanée avec la Chine, la Russie, l'Iran, l'Arabie Saoudite, le Yemen, le Nigéria, le Québec et les îles Fidji, son mandat a pris fin au bout de deux jours, avant même le premier Conseil des Ministres.

M. Dantec fut remplacé par Dieudonné M'bala M'bala,


Dieudonné

qui manqua aussitôt de son côté provoquer un conflit avec Israël, les États-Unis, le Luxembourg et, de nouveau, la Chine et les îles Fidji. Jean-Marie Le Pen assure donc provisoirement l'intérim, une possible guerre avec l'Algérie semblant un péril négligeable par rapport aux risques encourus par ses éphémères prédécesseurs.


Secrétaire d'État aux Anciens Combattants : Alain Finkielkraut.


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Ministre de l'Information et du Culte de la Personnalité : Alain Badiou.


Badiou


Secrétaire d'État associé, en tant que Président de la Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés, plus spécialement en charge du respect de la confidentialité des données sur Facebook : Juan Asensio.


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Ministre de la Santé : Pierre "Fais ce que je dis, pas ce que je fais" Cormary.


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Secrétaire d'État à la Natalité : Simone Veil.


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Ministre de la Ville : Gérard Schivardi.


Schivardi


Ministre de l'Écologie, du Non-Développement durable et du Retour heideggérien à l'Étant : Alain de Benoist.


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(Le Ministre en plein travail, plissant pour les yeux pour mieux percevoir le bruissement de l'Étant.)


Ministre de l'Éducation nationale : Jean-Pierre Petit.


Petit


Secrétaires d'État à l'Enseignement de l'Histoire : Robert Faurisson et Serge Klarsfeld.


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Il semblerait que la publication des premiers travaux et projets du Secrétariat d'État soit reportée "pour raisons d'ordre méthodologique". Cela ne paraît pas suffire pour remettre en question la volonté de réconciliation nationale prônée par le Président et son Premier Ministre.



Ministre de l'Agriculture : Michel Onfray (le seul endroit où l'on a pu le recaser, le Président tenant absolument à la présence d'un "vrai philosophe" dans son gouvernement. Il n'a accepté le poste qu'à la condition de retirer aux vaches leurs cloches, héritage odieux de notre passé catholique. Ci-après une photographie du Ministre devant un public conquis d'agriculteurs.)


Onfray


Ministre de l'Art et de la Pornographie : Marc-Édouard Nabe.


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Secrétaire d'État en charge de l'Éducation sexuelle : Gérard Zwang.


Zwang

(Bien que pas toujours modeste, le secrétaire d'État a préféré s'effacer devant son sujet de prédilection).


Secrétaire d'État en charge de la Prostitution : Dominique Strauss-Kahn.


DSK


Secrétaire d'État en charge des Questions de Frigidité : Caroline Fourest (malgré la candidature de Michel Onfray, qui s'estimait nettement plus compétent en la matière et n'avait pas plus compris que l'intéressée la signification de ce poste, exprimée en aparté par le Premier Ministre : "Ça fait bien pour la réconciliation, et comme ça cette connasse pourra jouer avec ses godes toutes la journée au lieu de nous casser les couilles.")


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Ministre du Sport, du Poker et de la Rénovation des Châteaux de France : le Duc de Trèfle.


Trèfle


Ministre du Futur : Jean-Luc Godard.


Godard


Ministre de Tout et de Rien : Paul Jorion.


Jorion


Greffier pour les Réunions du Conseil des Ministres : moi-même.


Bibi





MM. Bernard-Henri Lévy et Arno Klarsfeld ont pour charge de servir en boissons et entremets les membres du gouvernement pendant leurs réunions. De ce fait, le Ministre de l'Intérieur M. Ratier apporte sa propre nourriture, estimant n'avoir pas fait tout ce chemin "pour finir empoisonné par des youpins, comme l'ont été Staline ou Kennedy." Les protestations du secrétaire d'État à l'Enseignement de l'Histoire M. Klarsfeld, dont le poids dans le gouvernement semble à certains disproportionné par rapport à l'intitulé de sa fonction et le budget officiel de son ministère, n'ont que peu altéré la bonne humeur du premier Conseil. La postérité ne pourra manquer d'en retenir l'harmonie et la cohérence. ÉGALITÉ ET RÉCONCILIATION !


Conseil des ministres

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mercredi 15 février 2012

(Personnel.)

Merci beaucoup, je potasse ce (difficile) sujet derechef !


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Si du moins on m'en laisse le temps...

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mardi 14 février 2012

Y a-t-il un rapport sexuel ?

"On voit, ce qu'on appelle voir, des choses simples et connues de longue date : le capitalisme n'est qu'un banditisme, irrationnel dans son essence et dévastateur dans son devenir. Il a toujours fait payer quelques courtes décennies de prospérité sauvagement inégalitaires par des crises où disparaissaient des quantités astronomiques de valeur, des expéditions punitives sanglantes dans toutes les zones jugées par lui stratégiques ou menaçantes, et des guerres mondiales où il se refaisait une santé."

"En dépit de tout ce qui en dévalue jour après jour l'autorité, il est certain que le mot « démocratie » reste l'emblème dominant de la société politique contemporaine. Un emblème, c'est l'intouchable d'un système symbolique. Vous pouvez dire ce que vous voulez de la société politique, vous montrer à son égard d'une férocité « critique » sans précédent, dénoncer « l'horreur économique », du moment que vous le faites au nom de la démocratie (dans le genre : « Cette société qui se prétend démocratique, comment peut-elle faire ceci ou cela ? »), vous serez pardonné. Car à la fin, c'est au nom de son emblème, et donc au nom d'elle-même, que vous avez tenté de juger cette société. Vous n'en êtes pas sorti, vous êtes resté son citoyen, comme elle dit, vous n'êtes pas un barbare, on vous retrouvera à votre place démocratiquement fixée, et sans doute, d'abord, aux prochaines élections." (A. Badiou, 2009)

"Non seulement nous sommes moins démocrates que Danton et Condorcet, mais nous sommes, sur bien des points, moins démocrates que Choiseul et Marie-Antoinette. Avant la Révolution, les nobles les plus aisés étaient de petits bourgeois besogneux si on les compare à nos Rothschild ou nos Russell. De par son image publique, la vieille monarchie française était infiniment plus démocratique qu'aucune monarchie contemporaine. Quiconque ou presque, en ayant envie, pouvait pénétrer dans le palais et voir le roi en train de jouer avec ses enfants, ou de se limer les ongles. Le peuple possédait le monarque comme il possède Primrose Hill : on ne peut déplacer la colline, mais on a le droit de se vautrer dessus. La vieille monarchie française reposait sur cet excellent principe qu'un chat pouvait regarder un roi. De nos jours, un chat ne peut regarder un roi, à moins de faire partie de son entourage. La presse jouit de toute liberté, mais elle ne s'en sert que pour aduler le pouvoir. La différence réelle revient (...) à ceci : la tyrannie du dix-huitième siècle signifiait que vous pouviez dire : « Le R*** de Br***rd est un débauché ». La liberté du vingtième siècle signifie, en fait, que vous avez le droit de dire : « Le Roi de Brenford est un père de famille modèle. »"

"La démocratie, au sens humain du terme, n'est pas l'arbitrage de la majorité ; ni même l'arbitrage universel. Il est plus juste de la définir comme l'arbitrage du premier venu. J'entends par là qu'elle repose sur cette habitude de club qui consiste à considérer un parfait étranger comme un prolongement de soi, à assumer que vous avez inévitablement certains points communs. (...) Les règles que vous observeriez devant n'importe quel nouveau-venu dans une taverne, c'est ça la véritable loi anglaise. Le premier passant que vous apercevez par la fenêtre, c'est le roi d'Angleterre. Le déclin des tavernes, qui n'est qu'un aspect du déclin général de la démocratie, a, sans aucun doute, affaibli cet esprit masculin d'égalité. (...) Il est déjà assez triste que des hommes qui jadis se retrouvaient dans la rue ne sachent plus se retrouver que sur le papier ; il est déjà assez triste que les hommes aient pratiquement réduit le suffrage à une fiction."

"Beaucoup peuvent penser que j'écarte trop rapidement la proposition d'accorder le droit de vote aux femmes, même si la plupart d'entre elles ne le souhaitent pas. On ne cesse de répéter que les hommes ont reçu le droit de vote (les travailleurs agricoles par exemple) alors qu'une minorité seulement était en faveur de celui-ci. (...) Si nous avons réellement imposé les élections générales à de libres travailleurs qui n'en voulaient sûrement pas, nous avons fait là quelque chose de profondément antidémocratique ; et si nous sommes démocrates, nous devrions revenir en arrière. C'est la volonté du peuple que nous voulons et non pas ses suffrages ; donner à un homme un suffrage contre sa volonté, c'est donner à ce suffrage plus de prix qu'à la démocratie qu'il exprime. (...) La question n'est pas de savoir si les femmes sont dignes de voter mais plutôt si le vote est digne des femmes."

"Quiconque a connu la véritable camaraderie dans un club ou un régiment, sait qu'elle est impersonnelle. Il existe une formule pédante utilisée dans les clubs, qui décrit à la perfection les émotions masculines : « suivre son idée ». Les femmes se parlent, les hommes s'adressent au sujet dont ils parlent. Plus d'un honnête homme s'est tant et si bien lancé dans l'explication de quelque système, qu'il en a oublié la présence à ses côtés de ses meilleurs amis ici-bas. Cela n'est pas réservé aux intellectuels ; qu'ils parlent de Dieu ou du golf, les hommes sont avant tout des théoriciens. Les hommes sont tous impersonnels ; c'est-à-dire républicains. A l'issue d'une passionnante conversation, nul ne se rappelle qui a dit ce qui méritait d'être retenu. Chacun parle à une multitude visionnaire ; à une nuée mystique, au « club »." (G. K. Chesterton, 1910)

"Positivement, cela veut dire que la politique, au sens de la maîtrise subjective (...) du devenir des peuples, aura, comme la science ou l'art, valeur par elle-même, selon les normes intemporelles qui peuvent être les siennes. On refusera donc de l'ordonner au pouvoir ou à l'État. Elle est, elle sera, organisatrice au sein du peuple rassemblé et actif du dépérissement de l'État et de ses lois."

- "Après quoi vient le moment de conclure : vivre « en Immortel », comme le désiraient les Anciens, est, quoi qu'on en dise, à la portée de n'importe qui." (A. Badiou, 2009)

- n'importe qui, mais pas tout seul... Peut-être avez-vous par ailleurs noté que dans ces citations que j'ai montées en système (j'aurais d'ailleurs pu trouver des phrases sur le « banditisme » de l'oligarchie aussi claires chez Chesterton que chez Badiou (ou Soral)), se pose le problème de la place des femmes. Nous y reviendrons, mais nous pouvons déjà formuler la thèse (de Chesterton, pas de Badiou, ce n'est pas un point sur lequel j'essaierai de les rapprocher) : c'est quand les femmes se sont mises en tête d'être démocrates que la démocratie a commencée à disparaître - et à être remplacée par le culte du suffrage et du bulletin. C'est une question d'équilibre. Je vous détaille ça la prochaine fois !


(Les citations d'Alain Badiou sont extraites des livres L'hypothèse communiste, Second manifeste de la philosophie et du recueil collectif de textes Démocratie, dans quel état ?, tous publiés en 2009, respectivement aux nouvelles éditions Lignes, chez Fayard et à La Fabrique. Pour Chesterton, j'ai utilisé (et parfois regroupé) des textes du Monde comme il ne va pas, édité par L'Age d'Homme en 1994.)

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mardi 7 février 2012

État des lieux.

Céline Appel

(Lettre de Céline parue en couverture du journal L'appel, n°40, 4 décembre 1941. Je frime un peu avec cette belle pièce de collection, et pour que ceux qui n'ont rien à faire de ce qui suit n'aient pas tout perdu en passant par ici...)


Résumé des épisodes précédents :

- le jeudi 26 janvier, dans la quatrième partie de son entretien du mois de janvier, Alain Soral s'en prend à Marc-Édouard Nabe, l'attaquant principalement d'un point de vue politique, non sans lancer quelques piques d'ordre général sur les « littéraires », piques dont la teneur et les présupposés plus ou moins explicites me semblent erronés. Je me dis qu'il faudra y revenir.

- le jeudi 2 février je m'attelle à cette tâche, facilitée par la découverte, juste avant de me mettre au boulot, du texte de Laurent James, paru la veille et consacré aux aspects politiques des charges de A. Soral contre M.-É. Nabe. Cela me permet de me consacrer sur l'aspect de la question qui m'intéresse le plus. Je mets en ligne mes idées en début d'après-midi.

- le lendemain je pense (je ne m'en souviens plus précisément), Jean-Pierre Voyer me signale discrètement et opportunément qu'une de mes thèses est une réminiscence - en l'occurrence tout à fait inconsciente et involontaire - d'une maxime du Prince de Ligne, avant de mettre un lien vers mon texte et celui de Laurent James.

Dans le même temps, nos deux textes se trouvent recommandés sur le "site des lecteurs de Marc-Édouard Nabe". Dans un premier temps, j'y suis qualifié de « proustien » et associé au « nabien » Laurent James.

- samedi 4 janvier au matin, j'apporte quelques compléments à mon texte : je clarifie un passage mal construit, précise ensuite quelques points. Comme il est de coutume à ce comptoir, ces ajouts sont dûment signalés en tant que tels.

- samedi soir, rentrant du turbin, je découvre dans les commentaires de mon texte une information laissée par Marc-Édouard Nabe depuis son compte Twitter, m'informant qu'il y a déposé un lien vers mon texte. Le temps d'aller constater que c'est bien le cas, je le remercie, toujours en commentaire.

- samedi soir toujours, mais bien plus tard, je découvre que le lien ne figure plus sur le compte twitter de MEN, et que l'on me recommande maintenant, sur le "site des lecteurs", par une annonce au ton mi-figue mi-raisin : "Arnaud M. Genevois se creuse trop (ou pas assez) la tête." (C'est la version comportant les ajouts du samedi matin qui est retranscrite sur ce site.)


Message codé, mais tellement codé qu'il ne m'est guère possible de le comprendre, même en me creusant, un peu, beaucoup, ou trop la tête... Diverses hypothèses me sont depuis passées par l'esprit, qu'il serait aussi fastidieux qu'inutile d'énoncer. Quelque chose n'a pas plu à M.-É. Nabe, que ce soit à la relecture de mes hypothèses ou à la découverte des ajouts, et à modifié son sentiment d'ensemble sur mon texte. - Bref : je mets tout cela au clair aujourd'hui sous la forme d'un post, pour deux raisons :

- permettre aux visiteurs qui n'ont pas tout suivi de comprendre ce qui s'est passé pour cette histoire de tweet, puisqu'en l'état actuel des choses ce qu'on trouve dans les commentaires de mon texte est difficilement compréhensible ;

- me faire un aide-mémoire de l'enchaînement de ces événements, pour le cas où j'aurais besoin d'y avoir recours un jour.

Voilà, ceux que cela intéresse, et même quelques autres, en savent maintenant autant que moi.

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jeudi 2 février 2012

Mon logos dans ton cul.

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(Quelques ajouts et compléments le 4.02.)


Soral-Nabe, épisode 25… Je découvre avant de commencer à rédiger ce qui suit les remarques de Laurent James, relatives aux aspects proprement politiques de la question, remarques que pour l'essentiel je partage. - C'est quelque chose que j'avais déjà remarqué, sans que cela me gêne trop, chez A. Soral : à force de vouloir ne pas être dupe, à force de toujours vouloir avoir une longueur d'avance sur l'adversaire (ou sur ses rivaux dans le champ de la contestation anti-système, comme dirait Bourdieu…), on prend le risque de ne jamais se tromper, on prend le risque de ne jamais prendre le risque de se tromper : en fait, on se met dans une situation où l'on n'aura jamais raison - même si, éventuellement, on avait raison. Comme l'écrivait en substance J.-P. Voyer, seul celui qui a prouvé qu'il était capable d'être méchant peut (éventuellement) être qualifié de gentil : seul celui qui prend le risque de se tromper peut (éventuellement) avoir raison.

Comme me semble-t-il Laurent James, lorsque j'écris ceci, je vise A. Soral et plus que lui : je critique surtout des tendances, des virtualités, des conséquences sur les soraliens - si A. S. était toujours justiciable de telles remarques, j'arrêterais de le suivre, tout simplement.

En revanche, le point sur lequel je voulais apporter ma petite pierre au débat concerne effectivement Alain Soral lui-même. Laurent James l'évoque en passant : "Seul un écrivain a le droit de mépriser le style d’un autre écrivain.", écrit-il en une phrase qui a plus l'air de s'appliquer aux soraliens du net qu'à A. S. lui-même - mais que je lui appliquerais quant à moi volontiers. Dans le dernier entretien du président, celui-ci reproche en effet à M.-É. Nabe, s'il voulait écrire un roman sulfureux, de ne pas s'être intéressé aux réseaux pédophiles de l'oligarchie, plutôt que d'aller en quelque sorte cracher sur la tombe, ou du moins tirer sur l'ambulance, de quelqu'un qui se contentait de « tirer des putes ».

Oublions que dans l'affaire DSK (que d'initiales !…) il ne s'agit pas de tirer une pute, mais d'un possible viol, il n'en reste pas moins que A. Soral dit ici une belle connerie. Pour le démontrer, il faut préciser tout de suite que d'un côté le « président » a quelques carences dans la compréhension de la littérature, et que, d'un autre côté (qui, en fait, est justement le même), son partage binaire entre lui le citoyen politique actif et « Nabe-le-littéraire », est tout simplement faux. Pas tant le concernant lui, Alain Soral, mais relativement aux bons écrivains en général, et en l'occurrence Marc-Édouard Nabe. Soyons clairs : si l'on se contente de dire qu'A. Soral n'a pas assez bien compris ce qu'était la littérature (ce que, soit dit en passant, certaines remarques ridicules sur Proust il y a quelques mois tendaient à montrer, je lui garde un chien de ma chienne depuis…), on prend le risque d'accréditer le dispositif que le chef d'E&R a mis en place, qui vise à rejeter MEN et autres dans l'abstraction littéraire-bourgeoise, et donc de s'entendre répondre que oui, bien sûr, il ne s'agit pas d'être « littéraire », que c'est dépassé, mais d'être efficace, en prise sur la réalité, etc.

(Ajout le 4.02. Je reviens sur cette question de l'appréhension littéraire ou romanesque du monde comme « dépassée » en fin de texte.)

Est-il possible d'écrire une grande oeuvre littéraire sur les réseaux pédophiles de l'oligarchie ? A priori, pourquoi pas, impossible n'est pas littérature. Est-ce que ça a déjà été fait ? Pas à ma connaissance - on ne va tout de même pas ranger Sade dans cette catégorie, et même si on le faisait ça ne donnerait pas un corpus très étendu. Prenons le problème par le versant de L'enculé : il me semble que ce qui a intéressé MEN dans cette histoire est la thématique du désir, de sa force - de sa violence - qu'est-ce, pour une femme surtout, de consentir au désir de l'autre ? Séduction, consentement, effraction, viol, où sont les frontières ? Thématique classique, qui dans l'affaire DSK s'est doublée d'un déballage pour le moins retentissant. Sans doute est-ce justement cette rencontre entre l'intimité des pulsions et le retentissement mondial des faits qui a donné naissance au projet de L'enculé. D'où, j'ai déjà insisté sur cette idée à la lecture du livre comme plus récemment, les liens intéressants et ambigus entre l'auteur et le narrateur-personnage principal du roman - ambiguïté qui semble passer au-dessus de la tête d'A. Soral ou en tout cas lui sembler de peu d'intérêt.

(Ajout le 4.02. Ce paragraphe est assez alambiqué. Ceci est peut-être en partie dû au fait que je n'y ai pas pris la peine de rappeler une évidence, à savoir que si ce qu'Alain Soral demande est un roman dénonciateur, pour montrer la méchanceté de tous ces salauds de riches en train d'enculer des gamins, la question d'un éventuel bon roman ne se pose même pas. - Si Marc-Édouard Nabe, ou un autre (qui, d'ailleurs ?), se mettait en tête d'écrire un livre qui prend comme point de départ les réseaux de ce type, il pourrait certes en montrer l'horreur, ou, reprenons un terme utilisé par A.S., le satanisme, mais pour que son roman ait un sens, il lui faudrait aussi, à un moment, faire descendre la grâce sur l'un de ses personnages...)

A contrario, on voit bien qu'un livre sur les réseaux pédophiles, étant donné le caractère forcé des relations en telles circonstances, serait potentiellement moins riche d'humanité. Ce n'est pas que toute séduction ou toute forme de relation un tant soit peu humaine soit nécessairement exclue même dans un tel cadre (où l'on retrouve d'ailleurs, toutes choses égales d'ailleurs, Eyes wide shut et la gentille fille qui sauve Tom Cruise), c'est qu'elle a moins de chances de s'y trouver dans ce contexte de relations forcées, avec des mineurs qui plus est, qu'au surplus la portée d'une affaire comme celle de DSK est liée au fait simple que tout mâle peut se demander ce qu'il ferait en se trouvant dans une situation analogue à celle du patron du FMI au sortir de la douche, alors qu'en règle générale on ne s'identifie pas à Jack L. ou Philippe D.-B. en train de participer à une partouze au Maghreb et encore moins de s'y faire « poisser »… - Je le répète, à grande littérature rien d'impossible, on peut peut-être écrire un grand roman sur un tel sujet, mais d'une part la matière humaine y est a priori moins riche, d'autre part et surtout, pour la rendre riche, ou pour en tirer la richesse qu'elle contient tout de même, on risque fort d'humaniser les protagonistes, ce qui déplairait sans doute à Alain Soral…

Plus généralement, ce que ne dit pas ou ne voit pas celui-ci, c'est que ce que la bonne littérature, bourgeoise ou pas, fait, c'est donner à mieux comprendre la réalité - d'où que son partage entre lui et les « littéraires » ne tienne pas -, mais qu'elle le fait par ses moyens propres et, le plus souvent, par le biais de constructions morales complexes - d'où que ce partage ne soit pas non plus complètement insensé. Je ne cherche pas d'ailleurs ici à faire à A. Soral ce qu'il fait à M.-É. Nabe et à le rejeter dans un camp séparé, qui serait celui de la simplicité voire du simplisme. Je tiens qu'il est ridicule de mettre la littérature hors du monde, alors que la bonne littérature est un formidable outil de meilleure compréhension du monde. Ce qui n'empêche pas du tout de grands écrivains de dire et écrire des conneries sur l'actualité, là n'est pas le problème.

Dit autrement : vous en apprendrez toujours plus sur le monde actuel (et, d'ailleurs, sur les réseaux pédophiles…) en lisant la Recherche qu'en regardant une vidéo d'Alain Soral, toute intéressante (et drôle) qu'elle puisse être. La grande littérature n'a de leçons de réalité à recevoir de personne. Mais elle a des moyens de compréhension et de présentation de cette réalité qui sont les siens, et que nul n'est obligé d'adopter ou d'utiliser.

- Ce sont là des généralités, en réponse à des remarques d'Alain Soral qui me paraissaient impliquer des présupposés eux-mêmes d'ordre général. Pour finir, j'oserais une hypothèse plus précise, une piste d'interprétation du différent Soral/Nabe. Disons que c'est une façon nabienne d'interpréter ce conflit, en tout cas de l'aborder. "Un seul métier est compatible avec une sexualité débridée chez un homme : celui d'artiste. En tant qu'artiste, on peut ne rien s'empêcher sexuellement, cette liberté profite toujours à l'Art", déclare MEN dans son interview à Hot Vidéo. Ce n'est pas nécessairement complètement vrai, ou du moins peut-être est-ce surtout une manière de dire que l'artiste, dans les divers modes d'appréhension, de compréhension et de connaissance du monde auquel tout un chacun peut avoir recours, donne une large part à l'appréhension, la compréhension, la connaissance du monde par le sexe. Il est parfaitement évident que ce n'est pas le cas d'Alain Soral - ce qui, je le précise pour ne pas le vexer ni ses fans, ne signifie pas qu'il ne baise pas, ou pas assez. Dans sa jeunesse, il semble avoir appris à connaître le monde notamment par ce biais. Mais, pour sa façon de travailler actuelle, cet angle de vue est bien mineur, et cela pourrait permettre d'expliquer en partie les divergences avec MEN, que ce soit sur DSK, qui est pure extériorité pour A. Soral alors que l'auteur de L'enculé a quelque empathie vis-à-vis de lui, ou au sujet du 11 septembre et de sa force dramatique, voire charnelle. Il ne s'agit pas de faire revenir par la fenêtre la dichotomie concret / abstrait que j'ai chassée précédemment par la porte : simplement, de même que l'on a coutume de dire qu'il n'y a pas que le cul dans la vie - ce qui est vrai, mais me semble de moins en moins vrai au fil du temps… -, on peut dire que même en matière de raisonnement, de connaissance et de démonstration, il n'y a pas que le logos, terme cher à A. Soral, dans la vie.

Bonne bourre à tous !



Ajout le 04.02. Ainsi que le me signale un lecteur en commentaire, certaines des idées générales que je rappelle ici ne sont non seulement pas inconnues à Alain Soral, mais il a pu les exprimer lui-même (quoique l'exemple de Balzac / Marx soit justiciable d'une discussion à part, mais passons). Je suis par ailleurs aussi conscient que d'autres de ce que les déclarations qui m'ont agacé ne sont pas du « meilleur Soral ». Après avoir montré en quoi elles étaient des conneries, je peux donc me faire en quelque sorte l'avocat d'A.S. contre lui-même, et ré-exprimer, en suivant certaines de ses formulations, son idée : ce qui était possible pour le romancier à une époque ne l'est plus. Si, justement, il n'y a pas si longtemps il était aussi simple, voire plus productif, de lire Balzac que Marx, maintenant le roman ne peut plus rendre compte de la réalité, maintenant, en gros, il vaut mieux lire Soral que Nabe si l'on veut comprendre quelque chose au monde.

Il y a dans ce diagnostic (assez répandu par ailleurs, ceci dit sans critique) deux vérités. Une vérité d'ordre pratique : le grand roman sur le monde d'aujourd'hui n'est pas écrit, j'entends par là le roman qui dit, peut-être pas la vérité, mais une vérité assez forte sur ce monde pour être largement reconnue par un important public. Et une vérité d'ordre théorique : en période pré-révolutionnaire ou pré-apocalyptique comme la nôtre, les grandes oeuvres artistiques se font plus rares. Balzac écrit justement une fois la Révolution finie et bien finie, Faulkner vient bien après la guerre de Sécession, le grand roman que je viens d'évoquer sera peut-être écrit dans vingt ans... De là à en conclure qu'il y a mieux à faire qu'à écrire des romans si l'on veut comprendre le monde ou agir sur lui, il y a un pas pratique que chacun est libre de franchir pour lui-même, mais aussi un pas théorique qu'il serait en revanche plus intelligent je pense de ne pas effectuer.

Revenons à M.-É. Nabe : pour écrire un roman d'ordre général sur les années 2000 et décrire ce à quoi ressemble Paris en 2010, il doit se mettre dans la peau de quelqu'un qui arrête d'écrire... C'est un cas extrême peut-être, il est par ailleurs loisible de discuter sur la réussite globale de l'entreprise, mais c'est une réponse de romancier, et, j'insiste, une réponse comme les romanciers en ont apportées en nombre depuis que le roman existe. C'est précisément lorsque l'on équivaut le roman au roman balzacien que l'on peut décréter que le roman est fini, « dépassé », etc. C'est au contraire un des intérêts des romans de MEN de chercher d'autres pistes. Dans Alain Zannini, les années 90 de la capitale étaient en grande partie vues par le prisme de la chatte des conquêtes féminines de l'auteur-narrateur (dialogues avec des vagins plutôt que monologues du vagin, somme toute), à travers un jeu complexe entre réalité et fiction.

Encore une fois, MEN ne fait ici, avec ses hantises propres, qu'affronter une difficulté qu'ont rencontrée à peu près tous les romanciers depuis qu'il y a des romans, à l'exception peut-être, justement, de ceux qui viennent immédiatement après Balzac et se coulent dans la forme qu'il a mise au point. L'idée qu'il y a mieux à faire qu'écrire des romans - parce que, finalement, c'est un genre mineur, que ce soit par rapport à la poésie ou par rapport à la politique - est aussi vieille que le roman, et est d'ailleurs justifiée en permanence par la médiocrité de la plupart des romans, éventuellement « néo-proustiens », comme le dit Alain Soral dans la vidéo que l'on m'a signalée. Ce n'est même pas une idée fausse : on pourrait même dire que c'est une idée périodiquement vraie - à Cervantès, Proust ou Céline près, en quelque sorte.

En ce point on pourrait revenir au rôle de la sexualité de l'écrivain. Ce sera pour une autre fois !

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