jeudi 23 février 2012

Smoke gets in your eyes... (Apologie de la race française, IV-3.)

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Apologie I.

Apologie II.

Apologie III.

Apologie IV-1.

Apologie IV-2.

Apologie V.

Apologie VI-1.

Apologie VI-2.


Dans la livraison « IV-2 » de cette Apologie, je citais Pierre Chaunu pour essayer de comprendre le pourquoi du sacrifice massif de la population française « par elle-même » durant la Grande guerre :

"A cette époque, la démocratie est couplée avec des valeurs holistes (c'est-à-dire des valeurs opposées à l'individualisme et renvoyant à des ensembles, couple, famille, communauté, nation, humanité), religieuses ou laïques, ces dernières étant des valeurs religieuses transposées. Même si elles sont par moments en veilleuse, elles permettent plus facilement le sacrifice de la vie lorsqu'une menace se présente."

Je commentais et m'efforçais ensuite de préciser cette idée.

Dans son dernier livre, L'avènement de la démocratie, III. A l'épreuve des totalitarismes 1914-1974 (Gallimard, 2010), Marcel Gauchet nous permet de faire un pas en avant dans cette logique. Ouvrons les guillemets :

"L'exaltation de la mort pour la patrie a une vénérable tradition derrière elle. (…) L'élément nouveau qui va modifier le sens et la portée du phénomène réside dans le passage au premier plan de la figure du sacrifice de soi. C'est cette appropriation personnelle qui va insuffler à la mort de masse un extraordinaire rayonnement symbolique. Ce qui se met à compter en priorité, dans le sacrifice, c'est sa qualité d'expérience individuelle, mieux, d'expérience où l'individu trouve sa propre mesure. Il acquiert le statut d'épreuve de vérité à l'aune de laquelle juger de sa condition d'individu. (…) On a affaire, désormais, à des êtres déliés, pourvus de la conscience de leurs droits, forts du sentiment de leur indépendance et de leur singularité, qui n'entendent pas se contenter de subir leur sort, mais qui ambitionnent de s'en rendre maîtres. Des êtres, en même temps, toujours suffisamment définis par l'appartenance, toujours suffisamment inscrits par toutes leurs fibres dans leur communauté pour ne pas pouvoir imaginer leur existence en dehors d'elle. De telle sorte qu'ils vont prendre sur eux l'obligation que leur communauté leur imposait auparavant de l'extérieur. Ils cessent d'être simplement les sacrifiés de la patrie en danger ; ils deviennent, aux yeux de tous aussi bien qu'à leurs propres yeux, ceux qui se sacrifient délibérément pour le salut de la patrie et qui trouvent, dans ce don d'eux-mêmes, là est le point crucial, la confirmation, l'accomplissement de leur existence d'individus. C'est dans l'auto-immolation à la communauté à laquelle elle doit sa consistance que la vie se découvre elle-même pour ce qu'elle est et devient pleinement individuelle. (…)

La force symbolique prodigieuse de cette figure tient à la double opération de fusion des opposés et de renversement du rapport habituel de ces opposés qui s'y concrétise. D'un côté, elle associe la primauté inconditionnelle du tout et la souveraineté de la partie, mais cela, de l'autre côté, en faisant dépendre la primauté du tout de la volonté des parties. Le sommet de la liberté individuelle réside dans l'identification de l'individu à la contrainte absolue de l'appartenance. L'individualisme, autrement dit, s'affirme au travers de l'assomption du holisme. Dans le miroir de cette expérience limite, l'individu moderne, détaché, hautement conscient de sa possession de lui-même et de sa singularité, renoue avec une très ancienne expérience, de la fidélité, de l'obéissance, du service, de l'adhésion au groupe et sa règle, mais dans un cadre qui en modifie radicalement le sens et la teneur intime. Elle était une confirmation de la place, et par conséquent, de l'identité, de chacun, en fonction de la soumission à un ordre émanant de l'autre monde. Elle devient quelque chose comme une expérience mystique profane - mystique, puisqu'elle est une expérience du dépassement des limites du moi dans l'exposition à l'abolition de soi, une expérience de l'accès à un mode supérieur de réalité ; et profane, cependant, puisque ce plan supérieur a son site tout en ce monde et n'a d'autre substance que celle des liens de la communauté politique. (…)

Cette expérience, il est essentiel de le souligner, n'est pas qu'une expérience existentielle réservée aux hommes du front et appelée à se diffuser exclusivement par le canal du témoignage des survivants. De par ses conditions d'éclosion, elle est un fait culturel, né du choc entre la persistance de la structuration religieuse des communautés politiques et l'avancement de l'individualisation. A ce titre, elle est une expérience qui parle spontanément, peu ou prou, à tous. Ce qui se joue au travers de la figure du combattant et de son sacrifice est lisible de partout dans l'espace social. (…)

On touche ici à la donnée de structure qui rend la figure du sacrifice si largement parlante et appelante pour les esprits de l'époque, bien au-delà de la mort au combat, même si celle-ci en représente l'attestation de loin la plus éclatante et la plus haute. Elle résout la tension inhérente à l'articulation du soi et de la société, lorsque le moi est devenu suffisamment puissant pour constituer le juge suprême, tout en restant suffisamment inscrit dans une communauté pour ne pouvoir se penser indépendamment d'elle, de telle sorte qu'il ne reste d'autre issue à l'individu qui veut assumer intégralement sa condition, dans le moment critique où le sort de son pays est en jeu, qu'à le prendre totalement à son compte. Il atteint alors le comble de la puissance subjective en se donnant sans réserve à sa communauté et ne faisant plus qu'un avec elle. Au lieu de n'être qu'un atome irresponsable perdu au sein de la collectivité, il devient en conscience l'agent porteur de l'existence collective. (…)

S'il est essentiel d'y voir aussi clair que possible dans les ressorts de cet investissement sacrificiel, c'est en raison des suites qu'il comportera. Il y va ni plus ni moins du terreau anthropologique à partir duquel pourront fleurir les phénomènes totalitaires. Le complexe d'attitudes qui et de convictions qui se noue ici ne se résorbera pas avec le retour de la paix. (…) Ce qui confère à la figure du sacrifice son rayonnement extraordinaire auprès des contemporains, c'est de conjoindre deux choses qui normalement s'excluent : la réalisation de la souveraineté personnelle et la soumission inconditionnelle à la communauté. Elle fournit une issue héroïque à l'antinomie, en satisfaisant simultanément aux exigences antagonistes de l'indépendance et de l'appartenance. En quoi elle vaut promesse d'un dépassement possible de la déchirure du présent entre la survivance de l'absorption religieuse dans le tout et l'avancée de la déliaison légitime des parties. Elle est typique d'une phase historique où l'individualisation l'a emporté, mais où l'incorporation n'est pas morte pour autant, de telle sorte que, si une transaction équilibrée n'est plus possible entre elles, le problème de leur conciliation continue de se poser. C'est à ce problème que le sacrifice apporte une solution, en enrôlant l'incorporation au service de l'individualisation, en érigeant le don de soi en expression suprême de la possession de soi ; c'est ce qui rend sa figure fascinante ; c'est ce qui fait de cette figure un pôle de référence pour tous et un modèle pour quelques-uns. Elle dominera l'imaginaire de l'époque tout le temps où cette configuration et ce rapport de force prévaudront." (pp. 39-46)


A l'épreuve des totalitarismes est, sinon le meilleur livre de M. Gauchet, en tout cas celui qui m'a le plus intéressé, peut-être aurez-vous l'occasion de vous en apercevoir dans les semaines à venir. Il importe toutefois de préciser que s'y pose le même problème que dans ses autres travaux, à savoir que j'ai toujours l'impression qu'il a une vision un peu sèche, en tout cas réductrice, des sociétés traditionnelles, et notamment du rapport à la loi qui y est celui des individus (au sens basique de : personnes). Je ne peux le répéter à chaque fois que je cite cet auteur, mais cette réserve ne me quitte pas, réserve plus ou moins prégnante selon le cadre dans lequel l'analyse se déploie.

En l'occurrence, ici, la thèse qu'implique la description de la figure du sacrifice me semble pertinente : en 1914 et dans les années suivantes (jusqu'en 1945, mettons), on ne peut recréer un lien avec la communauté à laquelle on est supposé appartenir qu'en acceptant de mourir pour elle (Grande guerre) ou en se dissolvant en elle (phénomènes totalitaires). Il y a comme un phénomène de compensation : les liens traditionnels se défaisant, l'individu (cette fois au sens de l'idéologie individualiste moderne) les prend en charge et, du coup, les surinvestit, leur donne même, la modernité est paradoxale ou n'est pas, plus de coloration religieuse qu'ils n'en avaient auparavant. Ce que l'on retrouve, donc, aussi bien dans l'acceptation du sacrifice - l'"assomption par le holisme" -, que dans l'ivresse de la baignade collective dans le grand Tout, Heil Hitler.

Dans le texte où je citais P. Chaunu, j'émettais l'hypothèse qu'une "ordalie victorieuse de masse" du type de 1914-1918, ou de la bataille d'Angleterre, était encore susceptible, malgré les apparences et malgré certains éléments contraires, de se produire. Il faut préciser que je n'ai aucun « souhait » en la matière, d'autant que, c'est une des thèses que j'avais alors développées, et que je maintiens, cette question du sacrifice n'est pas une question de courage des uns (les Modernes) par rapport au courage des autres (les Anciens) : ce qui veut dire qu'un nouveau sacrifice de masse ne serait pas à mes yeux une preuve de courage. Ce que d'un certain point de vue confirme l'analyse de M. Gauchet, qui renvoie la figure du sacrifice à des questions de rapport entre individualisme et holisme.

Il est donc délicat de poursuivre plus loin cette analyse, puisqu'il faudrait justement faire un long détour par les évolutions respectives de l'individualisme et du holisme depuis 1945, évolutions qui ne sont au surplus pas identiques dans des pays comme la France, l'Allemagne, les États-Unis. J'aurais simplement tendance à penser aujourd'hui que si une « ordalie » devait de nouveau se produire, elle serait , au vu des rapports de nos « concitoyens » à la notion de communauté (au sens le plus basique, le moins nostalgique…) justiciable de la fameuse sentence de Marx sur les répétitions de l'histoire : "la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce."


(Ceci posé, il y avait déjà une évidente dimension grotesque dans le nazisme. Je découvre de plus dans le livre de M. Gauchet (p. 485) que Hitler était un "dilettante", que jusqu'à la guerre il n'a pas foutu grand-chose d'autre qu'entretenir sa popularité.


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(Private joke foireuse...)

Cela ne fait jamais que prouver que c'était le peuple allemand qui faisait le travail de sacralisation, ce qui n'est pas nouveau, mais contribue à donner une teinte d'ironie noire au phénomène. En même temps, quitte à être un peu médiocre sur les bords - ce qui répétons-le fait partie de Hitler et explique pourquoi il a été difficile à combattre par ses adversaires ; toutes choses égales d'ailleurs, il y a de ça chez notre président -, Hitler n'avait pas tort de se la couler douce. Lui savait, en tout cas sentait que les autres bossaient pour lui, il aurait été bien bête de ne pas en profiter pour aller roucouler avec Eva dans les montagnes teutonnes...)


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