vendredi 23 mars 2012

Rêve d'amour.

fragonard--reve-d-amour-1768


Suite aux réflexions en cours relatives au désir d'Apocalypse qu'il me semble découvrir chez mes contemporains, je tombe, toujours chez Chesterton, sur un passage consacré à la fin du paganisme, dans lequel le génial catholique francophile anglais exprime l'idée qu'à partir d'un certain stade l'homme païen sent que sa religion n'est qu'artifice - ou n'est plus qu'artifice :

"La religion rustique qui faisait le bonheur de la vie des champs avait trahi son intime faiblesse, au fur et à mesure que la société se faisait plus complexe : elle s'était contentée d'apparences, et l'être lui faisait défaut. Le monde avait passé sa jeunesse à se griser de fables et à s'amouracher d'images ; il avait fait la fête sans souci du lendemain. (...) Je ne crois pas... que la mythologie commence par l'érotisme, mais je suis persuadé qu'elle doit en finir par là ; de fait, c'est ce qui arriva, et plus la poésie devint luxurieuse, plus la luxure devint fangeuse. Vice grec, vices orientaux [?], vieux démons sémites [?], tous les maléfices et toutes les perversions s'abattirent sur l'imagination romaine comme des mouches sur un fumier.

On se lasse de tout, surtout de « faire semblant », et l'heure vient immanquablement où l'enfant en a assez de jouer au voleur et au sauvage, et se met à tourmenter le chat (...). Cette satiété produit dans tous les paradis artificiels le même résultat, qui consiste à doubler la dose. L'homme cherche des péchés nouveaux et d'inédites obscénités, il s'abandonne aux plus sales pratiques et aux pires folies des superstitions orientales (...). Le somnambule cherche le réveil dans le cauchemar." (L'homme éternel, 1925, Plon, coll. "Le roseau d'or", 1927, pp. 287-89)

C'est évidemment à cette dernière phrase que je voulais en venir. Je ne développe pas plus avant, puisque j'ai justement écrit récemment ce que j'avais à écrire sur le sujet.

Tout au plus ajouterai-je qu'il m'arrive de penser qu'après tout vivre une période de décadence n'est peut-être pas si terrible que ça. "Nous aurons eu la mauvaise partie..." : certes, à tout prendre mieux vaut vivre dans une époque faste que de sentir le sol se fendre sous nos pas un peu plus rapidement chaque jour, comme c'est le cas en ce moment. Mais être témoin de la disparition en cours de « l'homme de gauche », par exemple, c'est un luxe... Plus généralement, se sentir contemporain d'un moment où l'humanité risque de tester ses potentialités à se massacrer, ce n'est peut-être pas bandant, mais on se dit que ça risque d'être instructif. L'enfer, c'est pour bientôt, on va voir à quoi ça ressemble - en sachant bien que l'on ne peut y rester simple témoin.

J'espère que vous comprenez que cet état d'esprit n'est pas le même que celui, « kojévien », que je critiquais dans ma dernière chronique de l'Apocalypse à venir. Je ne souhaite rien, et ne me découvre certes pas le goût du sang. En revanche, oui, j'ai une certaine impatience : si tout doit disparaître, que ce soit pour bientôt, je n'ai pas envie de passer les dix ou vingt prochaines années dans cette atmosphère mollassonne et « somnambule », comme dit Chesterton, pour être un vieux con apeuré au moment où ça s'écroulera vraiment.

Bon, ceci dit, mon frère se marie en grande pompe ce week-end, ce qui signifie, d'une part que j'ai plein de choses à faire et dois vous laisser, d'autre part et surtout que la vie pendant ce temps continue, ce qui j'imagine n'est pas plus mal.


"Alors les nations craindront le nom de Iahvé
et tous les rois de la terre ta gloire ;
quand Iahvé rebâtira Sion,
qu'il y apparaîtra dans sa gloire,
il se tournera vers la prière des dépouillés,
il ne méprisera pas leur prière.

Que cela soit écrit pour la génération future
et que peuple régénéré célèbre Iah !"

(Psaume CII)

Shalom !

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