dimanche 6 mai 2012

Barrage contre l'extrême-droite...

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Est-il utile ou non de l'expliquer, je l'ignore, mais dans l'histoire Nabe / Soral ce qui m'intéresse n'est pas tant de savoir qui a raison et qui a tort, que de comprendre les psychologies, courants de pensée, enjeux sous-jacents à ce conflit. - Enfin, « conflit », oui, mais on ne peut que noter que depuis des mois les attaques ne viennent que d'un camp, MEN ne réagissant pas personnellement. (Évidemment, nous sommes un certain nombre à nous demander ce qu'il en sera quand il décidera de le faire, et de quelle façon il s'efforcera de massacrer Alain Soral.)

- Ceci posé, si donc il ne m'importe aucunement de désigner un vainqueur, une fois que l'on a commencé à donner son avis, on est tenu, non pas de compter les points à chaque échauffourée, mais de signaler certaines nouveautés. Il y en eut dans le dernier « entretien du Président ». D'abord le président en question, après avoir longtemps été pro-assimilationniste, se lance dans un plaidoyer pro-communautariste : tout le monde a le droit de changer d'avis, mais la façon dont A. Soral vous balance ça sans prévenir, c'est-à-dire sans faire remarquer qu'il est en train d'effectuer un pourtant spectaculaire virage à 180°, m'a quelque peu surpris. Certes, il n'a pas osé pousser la chutzpah jusqu'à faire comme si cette nouvelle position avait toujours été la sienne, mais quand on commence à filer ce genre de coton...

Plus généralement, ce qui menace A.S. est, très classiquement pour quelqu'un qui vient du communisme puis se fait une culture droitarde, sa tendance à traiter l'opposition théorique qu'il peut rencontrer comme ne pouvant ressortir que de la trahison politique. Que l'on croie détenir la vérité et qu'on se batte pour elle est une chose, cela n'implique pas que ceux qui ne sont pas d'accord avec vous alors qu'ils pourraient l'être soient des traîtres, des vendus, etc. "Alors qu'ils pourraient l'être", cette précision est importante, et là encore Alain Soral obéit à une mécanique d'une grande banalité : sous prétexte qu'avec les adversaires de longue date les choses sont claires, on en vient à voir de plus grands ennemis dans ceux qui ont les mêmes ennemis que vous mais pas la même manière d'aborder les problèmes et questionnements que vous avez en commun. Tous ceux qui sont passés par l'extrême-gauche ou l'extrême-droite verront de quoi je parle.

Le problème étant que si ceux qui ont tort sont des traîtres, vous risquez vous-même de donner l'impression que vous en êtes un si vous avez une position commune avec tel ou tel d'entre eux, ou si vous évoluez sur un point - d'où que l'on « oublie » de signaler que l'on a en l'occurrence évolué. Il serait très facile de faire ici du Soral contre Soral et de montrer comment l'exaltation du communautarisme conduit à la disparition de la République française, un des derniers points de résistance à l'Empire, et que plaider pour que les maghrébins se prennent en main de cette façon, et se mettent de surcroît à gagner de l'argent, les conduit à une mentalité capitaliste et indifférente à leur pays d'accueil, et que tout cela profite en dernière instance à l'atlantisme sioniste, etc. Tout l'attirail stalinien des notions d'« idiot utile », d'« allié objectif », de « regardons à qui profite le crime » pourrait ici sans peine être utilisé contre le Président. - Alors qu'il serait tout aussi aisé de plaider pour l'idée que ce communautarisme est un pis-aller, que ce sera toujours mieux pour les Arabes que la situation actuelle, plus pacifique, etc. Encore faudrait-il ne pas sembler croire que l'on se met dans une position de faiblesse lorsque l'on change d'avis, encore faudrait-il ne pas avoir confondu et confondre de plus en plus polémique et manipulations policières.

Car, et c'est la seconde nouveauté qui m'a frappé dans cet entretien, j'ai trouvé l'attaque du Président contre M.-É. Nabe d'une grande bassesse. "Il faudrait voir qui lui achète ses peintures", par qui il est financé : ça veut dire quoi ? Outre que si l'on fait des calculs simples à partir des ventes annoncées des deux derniers bouquins de MEN, on constate que l'intéressé a gagné de coquettes sommes, le problème est simple : soit A. Soral sait des choses, et il n'a qu'à les dire, soit il ne sait rien, et peut se taire au lieu de faire un sous-entendu de ce type. Soit Marc-Édouard Nabe est un vendu, et il faut le prouver, soit on ne peut le prouver, et dans ce cas l'accuser d'être un vendu relève autant de la calomnie que d'une certaine forme de paranoïa.


"Ce qui menace Alain Soral", ai-je écrit plus haut. C'est de cela qu'il s'agit : c'est lui qui va y perdre dans cette histoire, et avec lui ce qu'il a pu apporter d'intéressant dans le débat. Il est vrai que je ne suis pas obligé, en toute rigueur, de lier le fait qu'A.S. change de position sur un point sans prendre la peine de le signaler à ses fans, à son accusation minable contre M.-É. Nabe. Mais il est difficile à qui a un peu de culture historique et de pratique politique du militantisme, de ne pas voir que ces façons de faire vont dans le même sens.



Allez, un peu de Chesterton pour donner de la hauteur à tout cela :

"Au plus fort de sa colère, Thomas d'Aquin sait ce que tant de défenseurs de l'orthodoxie oublient. Rien ne sert de taxer un athée d'athéisme ; de faire grief à l'incroyant de ce qu'il ne croit pas à la résurrection des corps ; on ne peut convaincre quelqu'un en invoquant des principes auxquels il ne croit pas. L'exemple de saint Thomas prouve, ou devrait prouver, que l'on doit renoncer à convaincre si l'on refuse de discuter sur le terrain de son adversaire et non pas sur le sien. Nous pouvons, au lieu d'argumenter, recourir à d'autres méthodes qui correspondent mieux à ce que nous croyons devoir ou pouvoir faire ; mais s'il y a discussion, qu'elle soit [comme le dit T. D'Aquin] « sur les arguments et les affirmations des philosophes eux-mêmes ». Il y a le même bon sens dans la parole attribuée à un ami de saint Thomas, le grand et saint roi Louis que l'on cite en général comme un modèle de fanatisme : parole selon laquelle nous n'avons que le choix de discuter avec les mécréants, comme avec d'authentiques philosophes, ou « de leur pousser l'épée dans le ventre si loin qu'elle peut aller ». Un vrai philosophe tout le premier, même s'il est d'une école adverse, m'accordera que ce propos est parfaitement philosophique." (Saint Thomas du Créateur, Dominique Martin Morin, 1977 [1933], pp. 65-66)

Pris dans l'autre sens : si on ne veut pas, pour quelque raison que ce soit, tuer les gens avec qui on est en désaccord, il faut discuter honnêtement avec eux. Toute attitude intermédiaire est inefficace, incohérente et quelque peu lâche.



Dernier point, sans grand rapport, mais je le case ici : j'ai écrit il y a peu que "le bonheur individuel rest[ait] la meilleure forme de militantisme". On peut préciser que la société est là pour vous donner du sens, pas du bonheur. Et encore, lorsque j'écris donner, ce n'est pas comme un cadeau : plutôt comme un cadre dans lequel vous naissez. Après, le bonheur, c'est votre affaire. Et bon courage !


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