samedi 22 septembre 2012

"C'est précisément l'immédiateté de cette expérience ontologique qui nous la rend directement inaccessible..."

Mon père, pourquoi m'as-tu abandonné ?


D'abord, cette phrase qui fournit un élément de réponse à certaines des questions qu'avec Simone Weil notamment je me posai la dernière fois :

"Dieu peut tirer le bien du mal, sans notre consentement. Le Diable peut tirer le mal du bien, mais non pas sans notre consentement."

Léon Bloy, Mon journal, en date du 16 novembre 1899 (p. 297 du premier tome de l'édition « Bouquins », 2006.)

Ficelle rhétorique ? En tout cas, sain principe de morale. - Voici maintenant ce que Bloy écrit à un mathématicien qui se pose des questions sur Dieu, son existence, le dogme, etc. :

"Vous me parlez de points obscurs pour vous, « le dogme de l'enfer, l'irrévocabilité de la damnation, la prédestination et la réprobation à concilier avec le libre arbitre ». Tous ces points de foi, aussi tridentins les uns que les autres, puisqu'ils ont tous été fixés par le concile de Trente, ne sont pas moins obscurs pour moi que pour vous, et j'ose dire qu'ils le sont pour tout le monde. Mais ils ne le sont pas plus que n'importe quel axiome de géométrie élémentaire ou de telle autre science qu'il vous plaira. Quand on dit, par exemple, que le « tout est plus grand que la partie », si, dans la même minute, je pense à l'Eucharistie, je me trouve en face de la plus contestable des évidences. Ainsi de tout. Nous sommes dans les ténèbres et voilà ce que l'orgueil n'accorde pas. La Foi seule est claire et c'est pour cela que l'Orgueil, prince des Ténèbres, la repousse, ayant l'horrible prétention d'être cru lui-même la Lumière. La Foi seule est certaine, qu'avons-nous besoin d'autre chose ?

Vous voudriez comprendre comment la prescience de Dieu peut se concilier avec la liberté humaine. Ah ! pour moi, c'est bien simple. C'est comme si vous me disiez que vous ne comprenez pas comment l'idée du nombre trente peut se concilier avec l'idée du nombre cinq multiplié par le nombre six, ce que je ne comprends pas davantage. Je sais, sans pouvoir le comprendre, que la prescience divine et la liberté humaine n'ont aucun besoin d'être conciliées parce qu'elles sont exactement, absolument, essentiellement et consubstantiellement la MÊME CHOSE...

[La liberté humaine comme preuve, garantie et conséquence de l'existence de Dieu, Dieu comme preuve, garantie et cause de la liberté humaine ? Ou : peut-il y avoir un concept de la liberté humaine sans un concept de Dieu ?]

Vous voudriez comprendre et vous vous croyez ambitieux !

Vous ne voyez pas qu'il vaut mieux savoir que comprendre. Vous avez étudié je ne sais quelles sciences naturelles pour en arriver à l'ignorance totale de ce rudiment de l'unique Science ! Autrefois, du temps des Saints, au sublime Treizième Siècle surtout qui fut l'apogée de l'esprit humain, les enfants même n'avaient pas la permission d'ignorer que le rôle unique, infiniment glorieux de la Raison, c'est de croire et que croire c'est savoir, savoir EN HAUT. Le reste découlait de là, le plus simplement du monde. Aussi les plus ordinaires paroles des gens d'alors produisent-elles en nous l'éblouissement, quand nous lisons les chroniques.

Aujourd'hui, on s'imagine que la raison consiste à expliquer des théorèmes ou à conditionner des catalogues. On dit d'un homme qu'il est raisonnable, comme les putains disent d'un client qu'il est sérieux. Nous ne pourrions même plus faire de bons esclaves, tant nous sommes devenus imbéciles.

[C'est vrai, d'ailleurs nous sommes de mauvais esclaves.]

(...) Un homme intelligent, un ingénieur, expliquera très bien que deux parallèles ne peuvent pas se couper à angle droit. Un pauvre homme, incapable de comprendre quoi que ce soit et ne faisant usage que de sa raison, SAURA, sans pouvoir l'expliquer, qu'il en est ainsi et qu'il a fallu, absolument, que les deux parallèles se rencontrassent pour que le monde fût sauvé. On ne démontre que le contingent, et cette démonstration est la besogne des esclaves. Le Nécessaire, c'est-à-dire l'Absolu, c'est-à-dire l'Éblouissement, est indémontrable, et les Amis de Dieu sont assis dans des demeures impossibles à concevoir dont ils n'auront jamais le souci d'étudier l'architecture.

Le voici, le seuil de la Prière. De même que le Miracle est une restitution de l'Ordre, de même l'harmonie béatifique a pour départ l'humble acceptation des antinomies." (...et merde à Kant.)

(En date du 8 août 1899, pp. 282-283.)

Sacrés catholiques qui retombent toujours sur leurs pattes... Bloy fait ici, vous l'aurez remarqué, du Chesterton.

Enchaînons avec Jean Borella :

"Outre que c'est l'expérience du langage et du processus de nomination qui nous fait découvrir que, par-delà leur présentation sensible, les choses sont (on va du substantif à la substance), il est clair que cette découverte de l'être en tant que tel, de l'être en soi, exige, pour se former en nous, que son idée ait du sens pour nous, alors que pourtant elle ne correspond à nulle donnée sensorielle et psychique, et ne saurait donc en être abstraite à la manière d'un concept. Et d'ailleurs tout montre qu'aucun animal ne la possède. C'est donc qu'elle est innée et répond à une sorte d'intuition. Il y a en nous un sens de l'être (comme nous disons le sens de la vue), par quoi le mot « être » a du sens pour nous, ou encore un sens du réel - et donc de l'illusoire - par quoi le mot « réalité » a du sens pour nous ; un tel sens est inné, ingénérable, « inapprentissable » et présupposé à tout jugement. Au demeurant, ce caractère inné est déjà prouvé par le fait qu'il est impossible de définir proprement et directement l'être ou le réel : certes la rencontre avec les existants physiques, médiatisée par le langage, en éveille en nous la conscience, mais elle ne nous l'apprend pas, au sens où seule l'expérience sensible nous apprend ce qu'est un coquelicot, la chaleur ou le porphyre syénitique.

Or, ce sens inné de l'être-en-tant-que-tel (on pourrait dire : de l'êtréité ou de l'étantité), d'où vient-il ? Pourquoi est-il en nous, c'est-à-dire dans notre intelligence dont il définit l'intention première ? Point d'autre réponse, semble-t-il, que la suivante : il est en nous le « souvenir » (subconscient) de notre origine ontologique. Dans l'acte créateur par lequel l'Être premier et auto-subsistant nous a conféré l'être, nous avons « connu » et « contemplé » cet Être pur, connaissance et contemplation qui sont constitutives de notre être même, car chaque créature n'existe qu'en tant qu'elle regarde vers le Principe pour recevoir en elle le regard vers elle du Dieu créateur. En vérité, chaque être créé est un mode de contemplation de l'Être incréé.

- J. Borella fait ici du Bloy : "La personnalité, l'individualité, c'est la vision particulière que chaque homme a de Dieu."


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Lorsque cet être créé est doué d'intelligence, il ne peut pas ne pas porter en lui, dans la substance de son esprit, le souvenir de cet « événement » ontologique où l'Être lui a donné d'être.

- Sans revenir sur les questions d'existence, d'essence et de don, on notera ici une formulation possible de cette dernière idée : l'existence comme fidélité, ou volonté de fidélité, à l'événement du don fait par Dieu. C'est Badiou qui va être content !

(...) Telle est la conclusion de la méthode que nous avons suivie, laquelle consiste à recueillir, aussi fidèlement que possible, le témoignage de notre « conscience d'intelligibilité », c'est-à-dire la conscience que nous avons de ce qui « fait sens » en nous et qui constitue ce que nous avons appelé « expérience sémantique ». Cette méthode - la seule dont nous disposions en métaphysique et qui se fonde sur les données de notre réceptivité intellective - constate que l'idée d'être, quant à son intelligibilité (à son retentissement sémantique dans notre intelligence), ne peut être expliquée par aucune genèse : elle est donc innée. Étant innée - en sorte qu'on peut définir l'intelligence comme le sens de l'être ou du réel (et donc de ce qui n'est pas ou de l'illusoire) -, cette idée est donc nécessairement « première » et, finalement, s'identifie à l'idée de l'Être premier. Cette idée de l'Être premier - idée dont seules la culture et la réflexion nous permettront de prendre peu à peu et difficilement conscience -, c'est ce qui reste en nous de l'expérience (supraconsciente) que nous avons faite de Dieu au moment (intemporel) de notre création, centre « ombilical » de notre esprit. En ce sens, on doit admettre comme une expérience immédiate de Dieu au coeur de notre être, qui nous constitue ontologiquement et justifie notre irréductible royauté sur le monde. C'est là, nous semble-t-il, la part de vérité de l'ontologisme. Son erreur - dans la mesure où ce fut la sienne - a été de soutenir qu'à cette expérience immédiate de l'Être premier nous pouvions avoir expressément accès. De ce point de vue, la condamnation dont il fut l'objet en 1861 de la part de l'Église était légitime, car c'est précisément l'immédiateté de cette expérience ontologique qui nous la rend directement inaccessible, notre intelligence étant soumise à la nécessité des médiations des formes de la nature et de la culture, d'une part, et, d'autre part, n'appréhendant son objet qu'en mode spéculativo-sémantique. Condition métaphysique de la présence en nous de l'idée d'être, nous ne pouvons connaître explicitement cette expérience en elle-même : pas plus que nous voyons en elle-même la lumière qui nous fait voir [l'apparition n'apparaît pas], sinon, indirectement, en ce que, précisément, elle nous fait voir, pas plus nous ne saisissons l'Être qui nous fait être, sinon, indirectement, en acceptant le don qu'Il nous fait de l'être et en accomplissant ainsi Sa volonté créatrice." (Penser l'analogie, pp. 110-112)

Ce qui nous ramène aux liens entre liberté et (concept de) Dieu. Mon Dieu est assez logique, dans plusieurs sens du terme, je sais - mais il ne manquerait plus que Dieu soit illogique !

Quoi qu'il en soit, et bien que je me sente pas capable pour l'heure de préciser pourquoi, je dois avouer que quelque chose ici me gêne - est-ce justement un côté kantien ? Je ne voudrais pas non plus être injuste à l'égard d'un philosophe que je n'ai pas lu depuis mes années d'études, il y a un bail -, sinon dans les résultats auxquels semble parvenir Jean Borella, du moins dans sa méthode. Le vieux sage lorrain a beau expliquer que ladite méthode est "la seule dont nous disposions en métaphysique", cela a beau correspondre à ce que j'expliquais récemment chercher dans ses livres, je reste quelque peu sceptique devant cette nécessité de postuler quelque chose d'impossible à prouver - alors même que le paradoxe dont j'ai fait le titre de ce petit texte, lui, me séduit.


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Je lis en quatrième de couverture du premier tome du Journal intime de Marc-Édouard Nabe : "Plus on connaîtra ma vie dans les moindres détails, plus je serai libre." Qui est ce on ? Revenons à Bloy : dans le passage que j'ai coupé, il renvoie son interlocuteur au premier tome, déjà publié, de son propre journal (Le mendiant ingrat), où, en date du 31 juillet 1894, il écrivait :

"Accord parfait de liberté divine et de la liberté humaine. De toute éternité, Dieu sait que, tel jour, tel individu accomplira librement un acte nécessaire." (p. 97 de l'édition « Bouquins ».) Vous l'aurez noté, cette formulation n'est pas strictement équivalente à celle de Bloy en 1899 : "La prescience divine et la liberté humaine... sont... la MÊME CHOSE.", ou, du moins, ne compliquons pas ce qui n'est déjà pas si simple, n'est pas équivalente à la reformulation que je me suis cru autorisé à faire découler de cette thèse. J'essaie de réfléchir en termes de logique et de concept, Bloy est plus - entre autres - dans le domaine de la publicité : Dieu sait, c'est le savoir de Dieu qui est la même chose que la liberté humaine.


La coexistence de la chair des seins et des os m'a toujours...


Qui donc est le on de MEN ? L'ensemble de ses lecteurs ? Peut-être, oui, mais comme, plus il y en aura et plus « Nabe » (l'auteur/personnage) sera libre, ce on peut virtuellement recouvrir l'humanité entière. Simplement, l'humanité, prise comme un tout, et que celui-ci soit ou non plus grand que la partie ou que la somme des parties, c'est Dieu : Dieu est le seul nom de l'humanité. Par conséquent, la publicité des actes de Nabe par l'édition de son journal, publicité qui en un sens fait (ou est censée faire) la liberté de Nabe, est une sorte de mise en pratique, ou d'expérimentation éditoriale, de l'idée bloyenne selon laquelle le savoir de Dieu et la liberté de l'homme sont la MÊME CHOSE. - MEN est d'ailleurs extrêmement conscient, je l'indique dans le texte auquel je viens de vous renvoyer, de l'importance de cet acte de publication. Commettre l'acte, on pourrait filer la métaphore, surtout en repensant à la publicité des scènes dites intimes dans le Journal du même nom.

Récapitulons. Le 22 juillet 1983, Marc-Édouard Nabe encule sa compagne Hélène. Le soir même, le lendemain, un peu plus tard je l'ignore, Marc-Édouard Nabe écrit dans son journal : "Bel amour avec Hélène qui a repris sa tête de déesse chaude, pleine d'envie. Je sors de moi par son derrière." En mai 1991, plus de huit ans après cet acte, le premier tome du journal intime de l'auteur est publié, une publicité est donnée page 47 à ce "petit fait vrai". Aux alentours du 10 septembre 2012, presque vingt ans après les faits - mais ici, il n'y a pas prescription - je prends connaissance de l'existence de cet acte.

Si l'on suit Bloy, ce 22 juillet 1983, Marc-Édouard Nabe a accompli librement un acte nécessaire que Dieu sait de toute éternité qu'il va accomplir. Si Dieu est l'autre nom de l'humanité, chaque lecteur supplémentaire depuis mai 1991, y compris bibi il y a une dizaine de jours, contribue à la liberté rétrospective de cet acte : en lisant en septembre 2012 que Marc-Édouard a enculé Hélène en juillet 1983, je rends cet acte plus libre. Les deux conceptions ne sont pas nécessairement contradictoires. Mais on en arrive à ce paradoxe que la conception la moins paradoxale est la plus « fondamentaliste », à savoir celle de Bloy. La mienne, c'est-à-dire celle à laquelle j'aboutis à partir de l'idée que Dieu est le seul nom de l'humanité, idée qui est un peu le point limite de ma propre capacité religieuse actuelle, est plus « ésotérique » - ce qui ne signifie pas qu'elle soit incohérente. Rappelons tout de même que tout lecteur du journal n'est pas Dieu, il n'en est, pour reprendre l'expression de Jean Borella, qu'un "mode de contemplation".

- Je vous laisse réfléchir à tout ça. Il faudra de toute évidence, pour clarifier ces problèmes, revenir à l'épineuse question des rapports entre Dieu et son (Son) nom. Qu'est-ce, entre autres questions, qu'être le nom de l'humanité ?


Point de vue / fidélité au don

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samedi 15 septembre 2012

Y a-t-il une métaphysique de la mort de Jean-Luc Delarue ?




Rien à faire, il y a toujours quelque chose qui me dérange chez Alain Soral : comment puis-je être aussi souvent d'accord avec quelqu'un avec qui il m'arrive de me sentir autant en désaccord sur certains points fondamentaux ?

Pour ce qui est du dernier entretien, le loup apparaît à la toute fin, durant la dernière partie, aux alentours de la 18e minute : "Il n'est pas normal que les méchants ne soient pas punis et que ceux qui ont choisi le mauvais chemin triomphent." De même serait-il "choquant" que BHL meure dans son lit - de sa belle mort, comme on dit. A. Soral fournit illico des éléments de théologie qui vont à l'encontre de ces naïvetés, mais peut-être cela ne fait-il que rendre les naïvetés en question plus révélatrices encore. Quoi qu'il en soit d'ailleurs, que mon incipit soit ou non excessif, l'important n'est pas tant ce que notre ami a exactement voulu dire que les questions que ce qu'il dit pose. Ach, si les méchants étaient toujours punis, il y aurait beaucoup moins de méchants, pour sûr, mais où serait le mérite à être, ou à essayer d'être bon ?

Peut-être le Président devrait-il lire ou relire Joseph de Maistre, voir ou revoir Last action hero.

Sorti de l'univers de fiction dans lequel il évoluait et où il savait que son destin était de se faire casser la gueule par Schwarzenegger, le méchant de ce film s'aperçoit vite que dans la « vraie vie » on n'est pas nécessairement puni pour le mal que l'on fait : son entrée dans la vie, pour reprendre le titre d'un livre autrefois célèbre, se confond avec la découverte de la persistante existence du Mal, ou de la découverte de ce que dans notre monde le Mal n'est pas une anomalie - ce qui est une forme de définition de l'accession à l'âge adulte. (Bien sûr, nous sommes à Hollywood, donc ce méchant sera tout de même puni à la fin...)

Maistre de son côté explique :

"Je n'ai jamais compris cet argument éternel contre la Providence, tirée du malheur des justes et de la prospérité des méchants. Si l'homme de bien souffrait parce qu'il est homme de bien, et si le méchant prospérait de même parce qu'il est méchant, l'argument serait insoluble ; il tombe à terre si l'on suppose seulement que le bien et le mal sont distribués indifféremment à tous les hommes. Mais les fausses opinions ressemblent à la fausse monnaie qui est frappée d'abord par de grands coupables, et dépensée ensuite par d'honnêtes gens, qui perpétuent le crime sans savoir ce qu'ils font. C'est l'impiété qui a d'abord fait grand bruit de cette objection ; la légèreté et la bonhomie l'ont répétée : mais en vérité ce n'est rien. Je reviens à ma première comparaison : un homme de bien est tué à la guerre ; est-ce une injustice ? Non, c'est un malheur. S'il a la goutte ou la gravelle ; si son ami le trahit ; s'il est écrasé par la chute d'un édifice, etc., c'est encore un malheur, mais rien de plus, puisque tous les hommes sans distinction sont sujets à ces sortes de disgrâces. Ne perdez jamais de vue cette grande vérité : Qu'une loi générale, si elle n'est injuste pour tous, ne saurait l'être pour l'individu. Vous n'avez pas telle maladie, mais vous pourriez l'avoir ; vous l'avez, mais vous pouviez en être exempt. Celui qui a péri dans une bataille pouvait échapper ; celui qui en revient pouvait y rester. Tous ne sont pas morts, mais tous étaient là pour mourir. Dès lors plus d'injustice : la loi juste n'est point celle qui a son effet sur tous, mais celle qui est faite pour tous : l'effet sur tel ou tel individu n'est plus qu'un accident. Pour trouver des difficultés dans cet ordre de choses, il faut les aimer ; malheureusement, on les aime et on les cherche. Le coeur humain, continuellement révolté contre l'autorité qui le gêne, fait des contes à l'esprit qui les croit ; nous accusons la Providence pour être dispensés de nous accuser nous-mêmes ; nous élevons contre elle des difficultés que nous rougirions d'élever contre un souverain ou contre un simple administrateur dont nous estimerions la sagesse. Chose étrange ! Il nous est plus aisé d'être juste envers les hommes qu'envers Dieu.

Il me semble, messieurs, que j'abuserais de votre patience si je m'étendais davantage pour vous prouver que la question est ordinairement mal posée, et que réellement on ne sait ce qu'on dit lorsqu'on se plaint que le vice est heureux et la vertu malheureuse dans ce monde ; tandis que, en faisant même la supposition la plus favorable aux murmurateurs, il est manifestement prouvé que les maux de toute espèce pleuvent sur tout le genre humain, comme les balles sur une armée, sans aucune distinction de personnes. Or, si l'homme de bien ne souffre pas parce qu'il est homme de bien, et si le méchant ne prospère pas parce qu'il est méchant, l'objection disparaît et le bon sens a vaincu." (Les soirées de Saint-Pétersbourg, 1809, éd. « Bouquins », 2007, pp. 464-65)

BHL est sans nul doute méchant : criminel de guerre revendiqué et multi-récidiviste, n'hésitant pas même à essayer de faire de l'argent avec les crimes de guerres en question, peut-être serait-il temps d'oublier les bouffonneries comme sa chemise, sa tête de con et les histoires du genre Botul, qui finalement masquent la vraie nature - satanique, oui, pourquoi pas, A. Soral est fondé à employer ce terme - de quelqu'un qui a certainement compris depuis un bail qu'il pouvait se servir de la condescendance de ceux qui se moquent de lui. Noël Godin n'est finalement qu'un allié objectif de sa victime : l'entartage, c'est trop ou pas assez.

La question ceci dit, malgré une éventuelle ambiguïté dans la façon dont nous pouvons recevoir les dernières formules de Maistre, ne doit pas être mal comprise : BHL ne prospère pas parce qu'il est méchant, si par « prospérer » on entend vivre en bonne santé, quand bien même son argent lui permet d'être, en cas de besoin, mieux soigné que d'autres. (Cela n'empêche pas, au demeurant, de bonnes surprises à la Lagardère.) - Il est regrettable, il est agaçant, que BHL ne soit pas atteint d'un cancer qui lui cause d'atroces souffrances, je suis bien d'accord, mais, comme le dit Maistre, "c'est un malheur, rien de plus", cela n'a rien de « choquant », cela ne fait que confirmer ce qui n'a guère besoin de confirmation, à savoir que le Mal existe. Et il existerait tout autant même si dès demain BHL attrapait une maladie aussi insupportablement douloureuse qu'incurable et longue. Cela ne prouverait rien à rien, cela n'ajouterait, d'un point de vue métaphysique, absolument rien, cela ferait plaisir, "rien de plus".

De même, Alain Soral, pour prendre le premier exemple venu, ne "souffre pas parce qu'il est un homme de bien", il se vante même d'être en bonne santé, et c'est tout ce dont il s'agit. Qu'il ait des ennemis parmi les méchants et que cela lui cause des problèmes est une autre question, qui n'a rien à voir avec la théologie.

Aussi, et contrairement à ce que donc A. Soral semble par moments suggérer, la mort de Jean-Luc Delarue, occasion de ces digressions, ne relève en rien de quelque forme de « justice immanente » que ce soit. Elle obéit seulement à une certaine logique : en l'occurrence, si vous menez une vie stressante, épuisante et pleine de coke, statistiquement, oui, vous avez plus de chances de crever rapidement que d'autres. Keith Richards ceci dit rigole bien en lisant ça...


- Est-ce à dire qu'il n'y a aucune justice immanente ? Je n'irais pas nécessairement jusque-là. La question - qui, finalement, motive ma modeste intervention du jour - est celle-ci : dans quel cadre se situe-t-on ? Dans l'univers qui est celui des entretiens d'Alain Soral, non, il n'y a pas de justice immanente. Dans l'univers bloyen, pour en revenir à des thèmes récemment abordés, en revanche, oui, il y a une justice, immanente et transcendante, ne serait-ce que parce que tout, absolument tout, a une signification. On ne peut être providentialiste à moitié, voilà le point. Ce serait même une forme d'hérésie - rappelons qu'au sens étymologique le mot signifie choix, préférence : il est vraiment trop simple de choisir dans la trame du monde ce qui nous semble relever de l'ordre de la providence, et laisser tomber le reste. Il y a pour l'honnête homme plus de plaisir à repenser à la mort de Jean-Luc Lagardère ou à imaginer celle de BHL qu'à évoquer celles de Jean-Luc Delarue, Mouammar Khadafi, voire - mais la question est plus complexe - celle de Sena Jurinac, que Dieu la cajole comme elle le mérite ; mais ce plaisir ou ce déplaisir, la Providence s'en fout, et ce serait péché d'orgueil que de vouloir la mêler à nos préférences.

Admettons-le tout de suite, à lire Bloy, on a parfois l'impression que son interprétation rétrospective de tel ou tel événement aurait pu avoir été autre. Ce n'est pas étonnant : si Bloy - ou Marchenoir dans le Désespéré, qui a un projet d'explicitation de l'histoire universelle - avait pu tout expliquer, il serait plus Dieu que Léon Bloy. Et, donc, ce qui compte, ou du moins ce qu'il faut dans un premier temps envisager et comprendre, c'est la cohérence globale du cadre d'explication. On n'est pas forcé d'être convaincu par ce que Bloy dit de Napoléon, de Louis XVII, de Christophe Colomb, etc., mais ce qu'il en dit ne jure pas avec son angle d'analyse.

Ce qui me gêne au contraire dans les phrases d'Alain Soral sur Jean-Luc Delarue, c'est que, n'entrant pas vraiment dans le système d'interprétation qui est normalement celui du Président, elles finissent par déboucher sur une morale de catéchisme un peu débilitante, sur le vieux thème : "C'est le bon Dieu qui t'a puni" - phrase que j'ai entendue pour la première fois lorsque je me cognais le crâne sur une table en-dessous de laquelle j'essayais de peloter une cousine réticente, vers 7 ans si je ne dis pas de bêtise, phrase que donc je n'étais pas d'humeur à apprécier et que je remercierai toujours mes parents de ne m'avoir jamais apprise. - Bref : je ne suis pas en train de chipoter, le diable se cache dans les détails : que BHL soit vivant n'a rien d'injuste, comme dirait Calimero, ça fait juste chier.


Quelques remarques diverses et variées par ailleurs, d'abord sur cet entretien d'Alain Soral puis sur d'autres sujets d'actualité :

- je ne comprends pas très bien le scénario qui nous est présenté de la 3e guerre mondiale à venir, si le nouveau grand méchant hitlérien est l'Iran ou Al-Quaida, ou les deux ;

- oui, est-ce un reste de gauchisme, je ne sais pas, mais j'ai vraiment du mal avec les grands spectacles de masse comme les extraits du film de Riefenstahl ou de la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques de Pékin, ça me dégoûte toujours un peu ;

- A.S. évoque la religion comme fondée sur la crainte de Dieu, ou la crainte du jugement de Dieu. C'est un peu court jeune homme, quand même, un peu catéchisme aussi, bien que pas faux ;

- lapsus amusant pour en finir avec notre ami Président, "il ne faut pas jeter le bonbon avec l'eau du bain" ;

- poursuivant mon travail d'archivage de tout ce que j'ai pu écrire sur ce blog, je retombe sur cette note, où apparaît l'inénarrable Jacques Attali ;

- j'ai de vieux souvenirs d'un texte où M.-É. Nabe évoque cette idée de justice immanente, je ne sais plus où. Je ne vais pas de nouveau faire appel aux spécialistes, on verra si je retrouve ça tout seul. J'en profite pour remercier la sympathique nabienne qui m'a fait parvenir L'âge du Christ, livre qui devrait me permettre d'approfondir cette question de la prière dans l'oeuvre et la vie de MEN ;

- si j'étais aussi assidu pour écrire que je le suis pour lire, ce blog serait bien meilleur... Je n'aurai peut-être pas le temps ni le courage de vous parler des livres de la dernière victime du politiquement correct, Richard Millet, auteur que je n'avais jamais lu auparavant. Sur le fameux Éloge littéraire d'Anders Breivik, j'avoue partager, avec moins de sévérité peut-être, le point de vue du Stalker. J'en dirai autant sur la posture prise par R. Millet, posture qui vient de lui revenir dans le cul. J'ai été plus intéressé par son Antiracisme comme terreur littéraire, on verra si je vous en reparle.

Un petit mot de mépris pour finir sur les contempteurs de Richard Millet, à commencer par Annie Ernaux, écrivaine - ce qui est une bonne manière de la présenter, écrivain ne faisant manifestement pas l'affaire. Au passage, je me permets de faire remarquer à tous ceux qui depuis des lustres nous cassent les couilles avec des sentences sur "des propos que l'on n'avait plus entendus depuis les années 30", que ce genre de formules ne veut plus rien dire : depuis le temps que l'on n'entend plus ces propos depuis les années 30, cela fait longtemps qu'on les entend ! (De même, d'ailleurs, peut-être ai-je déjà parlé de ça, à propos du pont-aux-ânes sur les négationnistes, comme quoi ils "tuent une deuxième fois" les victimes de l'extermination des Juifs : ça fait beaucoup de fois maintenant que ces victimes ont été tuées une deuxième fois.)

Tocard Ben Jelloun [et non pas Ben Jelloum, comme je l'avais d'abord écrit, ça fait des années que je me trompe sur ce sujet, ajout du 17.09] aussi s'étant attaqué à Richard Millet, c'est sur un petit fait vrai le concernant que je conclurai. J'ai aperçu l'autre jour une vieille pute en train de lire son dernier livre, dont le titre je le rappelle est Le bonheur conjugal. Ayant repéré de loin le format de la collection dite "blanche" chez Gallimard (quel pleutre, l'Antoine, quelle famille!), j'avoue avoir été déçu des goûts littéraires de la dame - déception peut-être sans fondement, peut-être trouvait-elle ça très mauvais. Mais j'avais eu le temps de souhaiter qu'une femme par certains côtés aussi respectable soit plongée dans du Céline - pour prendre l'exemple d'un auteur que le fameux comité de lecture de Gallimard, que Richard Millet vient donc de quitter, ce qui évitera à Annie Ernaux d'être lue par quelqu'un qui s'y connaît tout de même un peu en littérature, pour prendre l'exemple d'un auteur, disais-je que le comité de lecture de Gallimard avait en son temps, et non sans logique ma foi, refusé.


Lisez bien !


Lisez bien !

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mercredi 5 septembre 2012

Prière aux nabiens.

Nabiens étant pris ici au sens large : il se trouve que depuis quelques jours le cas Nabe m'obsède, pour de multiples raisons. J'y reviendrai bien sûr, mais ce matin j'avais une question à poser à ceux et celles qui le lisent et me lisent : y a-t-il une scène dans son oeuvre - scène de fiction, de journal, etc., qu'importe - où on le voit prier ? J'ai l'impression que nous sommes devant un catholique qui ne prie pas, ce qui mérite investigation, mais autant ma mémoire défaillante que ma connaissance fragmentaire de ses livres font que je peux très bien me tromper. - Je précise pour les paranoïaques que je ne poursuis aucune fin maligne, comme d'habitude j'essaie de comprendre, et comme d'habitude je me mets dans tous mes états lorsque je ne comprends pas.


Le septième sceau

(Plus marrant que du Bergman...)




Si l'usage de la fonction "Commentaires" vous est de quelque manière problématique, vous pouvez m'envoyer directement un mail. Merci d'avance !

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lundi 3 septembre 2012

Bonne rentrée à tous !

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(Moi, ça va, merci. Quelques légers problèmes à résoudre du côté de l'existence de Dieu, mais je reviens bientôt. Priez, baisez, lisez, ne travaillez jamais...)

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