samedi 15 septembre 2012

Y a-t-il une métaphysique de la mort de Jean-Luc Delarue ?




Rien à faire, il y a toujours quelque chose qui me dérange chez Alain Soral : comment puis-je être aussi souvent d'accord avec quelqu'un avec qui il m'arrive de me sentir autant en désaccord sur certains points fondamentaux ?

Pour ce qui est du dernier entretien, le loup apparaît à la toute fin, durant la dernière partie, aux alentours de la 18e minute : "Il n'est pas normal que les méchants ne soient pas punis et que ceux qui ont choisi le mauvais chemin triomphent." De même serait-il "choquant" que BHL meure dans son lit - de sa belle mort, comme on dit. A. Soral fournit illico des éléments de théologie qui vont à l'encontre de ces naïvetés, mais peut-être cela ne fait-il que rendre les naïvetés en question plus révélatrices encore. Quoi qu'il en soit d'ailleurs, que mon incipit soit ou non excessif, l'important n'est pas tant ce que notre ami a exactement voulu dire que les questions que ce qu'il dit pose. Ach, si les méchants étaient toujours punis, il y aurait beaucoup moins de méchants, pour sûr, mais où serait le mérite à être, ou à essayer d'être bon ?

Peut-être le Président devrait-il lire ou relire Joseph de Maistre, voir ou revoir Last action hero.

Sorti de l'univers de fiction dans lequel il évoluait et où il savait que son destin était de se faire casser la gueule par Schwarzenegger, le méchant de ce film s'aperçoit vite que dans la « vraie vie » on n'est pas nécessairement puni pour le mal que l'on fait : son entrée dans la vie, pour reprendre le titre d'un livre autrefois célèbre, se confond avec la découverte de la persistante existence du Mal, ou de la découverte de ce que dans notre monde le Mal n'est pas une anomalie - ce qui est une forme de définition de l'accession à l'âge adulte. (Bien sûr, nous sommes à Hollywood, donc ce méchant sera tout de même puni à la fin...)

Maistre de son côté explique :

"Je n'ai jamais compris cet argument éternel contre la Providence, tirée du malheur des justes et de la prospérité des méchants. Si l'homme de bien souffrait parce qu'il est homme de bien, et si le méchant prospérait de même parce qu'il est méchant, l'argument serait insoluble ; il tombe à terre si l'on suppose seulement que le bien et le mal sont distribués indifféremment à tous les hommes. Mais les fausses opinions ressemblent à la fausse monnaie qui est frappée d'abord par de grands coupables, et dépensée ensuite par d'honnêtes gens, qui perpétuent le crime sans savoir ce qu'ils font. C'est l'impiété qui a d'abord fait grand bruit de cette objection ; la légèreté et la bonhomie l'ont répétée : mais en vérité ce n'est rien. Je reviens à ma première comparaison : un homme de bien est tué à la guerre ; est-ce une injustice ? Non, c'est un malheur. S'il a la goutte ou la gravelle ; si son ami le trahit ; s'il est écrasé par la chute d'un édifice, etc., c'est encore un malheur, mais rien de plus, puisque tous les hommes sans distinction sont sujets à ces sortes de disgrâces. Ne perdez jamais de vue cette grande vérité : Qu'une loi générale, si elle n'est injuste pour tous, ne saurait l'être pour l'individu. Vous n'avez pas telle maladie, mais vous pourriez l'avoir ; vous l'avez, mais vous pouviez en être exempt. Celui qui a péri dans une bataille pouvait échapper ; celui qui en revient pouvait y rester. Tous ne sont pas morts, mais tous étaient là pour mourir. Dès lors plus d'injustice : la loi juste n'est point celle qui a son effet sur tous, mais celle qui est faite pour tous : l'effet sur tel ou tel individu n'est plus qu'un accident. Pour trouver des difficultés dans cet ordre de choses, il faut les aimer ; malheureusement, on les aime et on les cherche. Le coeur humain, continuellement révolté contre l'autorité qui le gêne, fait des contes à l'esprit qui les croit ; nous accusons la Providence pour être dispensés de nous accuser nous-mêmes ; nous élevons contre elle des difficultés que nous rougirions d'élever contre un souverain ou contre un simple administrateur dont nous estimerions la sagesse. Chose étrange ! Il nous est plus aisé d'être juste envers les hommes qu'envers Dieu.

Il me semble, messieurs, que j'abuserais de votre patience si je m'étendais davantage pour vous prouver que la question est ordinairement mal posée, et que réellement on ne sait ce qu'on dit lorsqu'on se plaint que le vice est heureux et la vertu malheureuse dans ce monde ; tandis que, en faisant même la supposition la plus favorable aux murmurateurs, il est manifestement prouvé que les maux de toute espèce pleuvent sur tout le genre humain, comme les balles sur une armée, sans aucune distinction de personnes. Or, si l'homme de bien ne souffre pas parce qu'il est homme de bien, et si le méchant ne prospère pas parce qu'il est méchant, l'objection disparaît et le bon sens a vaincu." (Les soirées de Saint-Pétersbourg, 1809, éd. « Bouquins », 2007, pp. 464-65)

BHL est sans nul doute méchant : criminel de guerre revendiqué et multi-récidiviste, n'hésitant pas même à essayer de faire de l'argent avec les crimes de guerres en question, peut-être serait-il temps d'oublier les bouffonneries comme sa chemise, sa tête de con et les histoires du genre Botul, qui finalement masquent la vraie nature - satanique, oui, pourquoi pas, A. Soral est fondé à employer ce terme - de quelqu'un qui a certainement compris depuis un bail qu'il pouvait se servir de la condescendance de ceux qui se moquent de lui. Noël Godin n'est finalement qu'un allié objectif de sa victime : l'entartage, c'est trop ou pas assez.

La question ceci dit, malgré une éventuelle ambiguïté dans la façon dont nous pouvons recevoir les dernières formules de Maistre, ne doit pas être mal comprise : BHL ne prospère pas parce qu'il est méchant, si par « prospérer » on entend vivre en bonne santé, quand bien même son argent lui permet d'être, en cas de besoin, mieux soigné que d'autres. (Cela n'empêche pas, au demeurant, de bonnes surprises à la Lagardère.) - Il est regrettable, il est agaçant, que BHL ne soit pas atteint d'un cancer qui lui cause d'atroces souffrances, je suis bien d'accord, mais, comme le dit Maistre, "c'est un malheur, rien de plus", cela n'a rien de « choquant », cela ne fait que confirmer ce qui n'a guère besoin de confirmation, à savoir que le Mal existe. Et il existerait tout autant même si dès demain BHL attrapait une maladie aussi insupportablement douloureuse qu'incurable et longue. Cela ne prouverait rien à rien, cela n'ajouterait, d'un point de vue métaphysique, absolument rien, cela ferait plaisir, "rien de plus".

De même, Alain Soral, pour prendre le premier exemple venu, ne "souffre pas parce qu'il est un homme de bien", il se vante même d'être en bonne santé, et c'est tout ce dont il s'agit. Qu'il ait des ennemis parmi les méchants et que cela lui cause des problèmes est une autre question, qui n'a rien à voir avec la théologie.

Aussi, et contrairement à ce que donc A. Soral semble par moments suggérer, la mort de Jean-Luc Delarue, occasion de ces digressions, ne relève en rien de quelque forme de « justice immanente » que ce soit. Elle obéit seulement à une certaine logique : en l'occurrence, si vous menez une vie stressante, épuisante et pleine de coke, statistiquement, oui, vous avez plus de chances de crever rapidement que d'autres. Keith Richards ceci dit rigole bien en lisant ça...


- Est-ce à dire qu'il n'y a aucune justice immanente ? Je n'irais pas nécessairement jusque-là. La question - qui, finalement, motive ma modeste intervention du jour - est celle-ci : dans quel cadre se situe-t-on ? Dans l'univers qui est celui des entretiens d'Alain Soral, non, il n'y a pas de justice immanente. Dans l'univers bloyen, pour en revenir à des thèmes récemment abordés, en revanche, oui, il y a une justice, immanente et transcendante, ne serait-ce que parce que tout, absolument tout, a une signification. On ne peut être providentialiste à moitié, voilà le point. Ce serait même une forme d'hérésie - rappelons qu'au sens étymologique le mot signifie choix, préférence : il est vraiment trop simple de choisir dans la trame du monde ce qui nous semble relever de l'ordre de la providence, et laisser tomber le reste. Il y a pour l'honnête homme plus de plaisir à repenser à la mort de Jean-Luc Lagardère ou à imaginer celle de BHL qu'à évoquer celles de Jean-Luc Delarue, Mouammar Khadafi, voire - mais la question est plus complexe - celle de Sena Jurinac, que Dieu la cajole comme elle le mérite ; mais ce plaisir ou ce déplaisir, la Providence s'en fout, et ce serait péché d'orgueil que de vouloir la mêler à nos préférences.

Admettons-le tout de suite, à lire Bloy, on a parfois l'impression que son interprétation rétrospective de tel ou tel événement aurait pu avoir été autre. Ce n'est pas étonnant : si Bloy - ou Marchenoir dans le Désespéré, qui a un projet d'explicitation de l'histoire universelle - avait pu tout expliquer, il serait plus Dieu que Léon Bloy. Et, donc, ce qui compte, ou du moins ce qu'il faut dans un premier temps envisager et comprendre, c'est la cohérence globale du cadre d'explication. On n'est pas forcé d'être convaincu par ce que Bloy dit de Napoléon, de Louis XVII, de Christophe Colomb, etc., mais ce qu'il en dit ne jure pas avec son angle d'analyse.

Ce qui me gêne au contraire dans les phrases d'Alain Soral sur Jean-Luc Delarue, c'est que, n'entrant pas vraiment dans le système d'interprétation qui est normalement celui du Président, elles finissent par déboucher sur une morale de catéchisme un peu débilitante, sur le vieux thème : "C'est le bon Dieu qui t'a puni" - phrase que j'ai entendue pour la première fois lorsque je me cognais le crâne sur une table en-dessous de laquelle j'essayais de peloter une cousine réticente, vers 7 ans si je ne dis pas de bêtise, phrase que donc je n'étais pas d'humeur à apprécier et que je remercierai toujours mes parents de ne m'avoir jamais apprise. - Bref : je ne suis pas en train de chipoter, le diable se cache dans les détails : que BHL soit vivant n'a rien d'injuste, comme dirait Calimero, ça fait juste chier.


Quelques remarques diverses et variées par ailleurs, d'abord sur cet entretien d'Alain Soral puis sur d'autres sujets d'actualité :

- je ne comprends pas très bien le scénario qui nous est présenté de la 3e guerre mondiale à venir, si le nouveau grand méchant hitlérien est l'Iran ou Al-Quaida, ou les deux ;

- oui, est-ce un reste de gauchisme, je ne sais pas, mais j'ai vraiment du mal avec les grands spectacles de masse comme les extraits du film de Riefenstahl ou de la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques de Pékin, ça me dégoûte toujours un peu ;

- A.S. évoque la religion comme fondée sur la crainte de Dieu, ou la crainte du jugement de Dieu. C'est un peu court jeune homme, quand même, un peu catéchisme aussi, bien que pas faux ;

- lapsus amusant pour en finir avec notre ami Président, "il ne faut pas jeter le bonbon avec l'eau du bain" ;

- poursuivant mon travail d'archivage de tout ce que j'ai pu écrire sur ce blog, je retombe sur cette note, où apparaît l'inénarrable Jacques Attali ;

- j'ai de vieux souvenirs d'un texte où M.-É. Nabe évoque cette idée de justice immanente, je ne sais plus où. Je ne vais pas de nouveau faire appel aux spécialistes, on verra si je retrouve ça tout seul. J'en profite pour remercier la sympathique nabienne qui m'a fait parvenir L'âge du Christ, livre qui devrait me permettre d'approfondir cette question de la prière dans l'oeuvre et la vie de MEN ;

- si j'étais aussi assidu pour écrire que je le suis pour lire, ce blog serait bien meilleur... Je n'aurai peut-être pas le temps ni le courage de vous parler des livres de la dernière victime du politiquement correct, Richard Millet, auteur que je n'avais jamais lu auparavant. Sur le fameux Éloge littéraire d'Anders Breivik, j'avoue partager, avec moins de sévérité peut-être, le point de vue du Stalker. J'en dirai autant sur la posture prise par R. Millet, posture qui vient de lui revenir dans le cul. J'ai été plus intéressé par son Antiracisme comme terreur littéraire, on verra si je vous en reparle.

Un petit mot de mépris pour finir sur les contempteurs de Richard Millet, à commencer par Annie Ernaux, écrivaine - ce qui est une bonne manière de la présenter, écrivain ne faisant manifestement pas l'affaire. Au passage, je me permets de faire remarquer à tous ceux qui depuis des lustres nous cassent les couilles avec des sentences sur "des propos que l'on n'avait plus entendus depuis les années 30", que ce genre de formules ne veut plus rien dire : depuis le temps que l'on n'entend plus ces propos depuis les années 30, cela fait longtemps qu'on les entend ! (De même, d'ailleurs, peut-être ai-je déjà parlé de ça, à propos du pont-aux-ânes sur les négationnistes, comme quoi ils "tuent une deuxième fois" les victimes de l'extermination des Juifs : ça fait beaucoup de fois maintenant que ces victimes ont été tuées une deuxième fois.)

Tocard Ben Jelloun [et non pas Ben Jelloum, comme je l'avais d'abord écrit, ça fait des années que je me trompe sur ce sujet, ajout du 17.09] aussi s'étant attaqué à Richard Millet, c'est sur un petit fait vrai le concernant que je conclurai. J'ai aperçu l'autre jour une vieille pute en train de lire son dernier livre, dont le titre je le rappelle est Le bonheur conjugal. Ayant repéré de loin le format de la collection dite "blanche" chez Gallimard (quel pleutre, l'Antoine, quelle famille!), j'avoue avoir été déçu des goûts littéraires de la dame - déception peut-être sans fondement, peut-être trouvait-elle ça très mauvais. Mais j'avais eu le temps de souhaiter qu'une femme par certains côtés aussi respectable soit plongée dans du Céline - pour prendre l'exemple d'un auteur que le fameux comité de lecture de Gallimard, que Richard Millet vient donc de quitter, ce qui évitera à Annie Ernaux d'être lue par quelqu'un qui s'y connaît tout de même un peu en littérature, pour prendre l'exemple d'un auteur, disais-je que le comité de lecture de Gallimard avait en son temps, et non sans logique ma foi, refusé.


Lisez bien !


Lisez bien !

Libellés : , , , , , , , , , , , , , , ,