dimanche 25 novembre 2012

Prophylaxie métaphysique...

SIPA/00008462/000002


"Quelque chose attire la chair vers le divin ; autrement comment pourrions-nous jamais être sauvés (…) Si le désir charnel était seulement mauvais, ceux qui l'éteignent dans la débauche, pour en libérer leur pensée, n'auraient pas tort, au moins par rapport à eux-mêmes."

Paradoxal hommage de la vertu au vice, signé Simone Weil (citée par Pierre Boutang, Apocalypse du désir, p. 209. La coupure est de P. Boutang), laquelle ajoute aussitôt : "C'est parce qu'il [le désir charnel] est si précieux qu'il ne faut pas le satisfaire." Ce qui est abuser, mais c'est aussi durement logique. Si les saints passent pour avoir fini (pas forcément commencé) par mener une vie chaste, ce n'est pas un hasard. Mais je n'ai pas nécessairement d'aspirations à la sainteté. - Je ne sais pas.

Dans un passage de son livre (pp. 209-212), peu de temps après cette citation, Pierre Boutang dit sur la sexualité humaine des choses à la fois personnelles et générales, dans lesquelles j'avoue m'être reconnu. Pour aujourd'hui, je voudrais surtout insister sur quelques points. Dans l'économie du livre de Boutang, il s'agit du début du chapitre dans lequel, après avoir attaqué différentes conceptions du désir, de Hegel à Deleuze pour le dire vite, l'auteur commence à exposer la sienne propre.

Pour ce faire, il part d'une vieille photographie de lui petit enfant, presque encore bébé, en train de sourire à sa mère, laquelle le tenait dans ses bras, pour lui donner confiance, tout en n'apparaissant pas elle-même (elle est recouverte d'une étoffe) sur la photographie. Si je ne méprends pas sur les intentions de l'auteur, à propos duquel j'ai lu récemment qu'il avait toujours eu le sentiment, qu'il était malheureusement le seul à partager, d'être parfaitement clair, l'important ici est un certain balancement entre la pureté et l'impureté de la situation, telle que Boutang adulte peut la juger lorsqu'il regarde cette photographie. L'enfant sourit, d'un sourire d'avant le mensonge, d'un sourire d'« enfant à qui personne encore n'a menti », et ceci en partie en raison, si ce n'est d'un mensonge, du moins d'un « artifice », cette mère à la fois présente et absente, sans qui la photographie de l'enfant en confiance et souriant n'aurait pu se faire, mais qui se cache, se dissimule. Cette image…

"…ne donne le sentiment d'aucun désir, prononce seulement un équilibre naturel et précaire, d'une nature au seuil du désir, libérée du besoin et de l'inquiétude, pas de l'interrogation, et pour cela objet de désir. Lorsque j'avoue que j'aurai passé ma vie à rechercher cela seul, et dans le visage humain, je n'ignore pas à quels moments la sexualité s'en mêle, et qu'Éros ne se satisfait pas de laisser être le monde dans un état dans un regard plus pur que le vôtre. Pourtant, s'il y a eu le sourire originel - dont le diable sait très bien s'emparer, voyez « La chambre de cristal » de Blake - le désir ne l'oubliera jamais entièrement, ou ne sera jamais hors de son atteinte. Je ne connais pas de vrai désir sans un sourire, au seuil entre l'absence et la présence, et j'ai appris que tout le corps sourit avec le visage. (…)

Encore une fois, la sexualité n'est pas absente de cette quête du sourire - du moins ai-je connu peu d'êtres pour qui elle le soit restée. (…) Le sourire serait clairement le propre de l'homme. (…) Si le désir va au sourire, le sexus, inventé par les Latins pour dire la « section » entre mâles et femelles (et c'était un mot neutre à l'origine) que les Grecs ignoraient et appelaient « physis », pour relier au lieu de séparer, ne décide en rien du désir. Comment alors le désir sexuel et ce désir du sourire, de la présence mystérieuse déposée sur le visage et dans le corps de l'autre, peuvent-ils se rencontrer, s'unir sans que vacillent la terre et le ciel ? Simone Weil que l'on imagine souvent très peu disposée à le comprendre, et à y voir un fait essentiel - mais nous aurons recours à elle (…) car elle aura été, chez les modernes, la femme la plus « savante dans les choses de l'amour » - Simone Weil proclame que « quelque chose attire la chair vers le divin », et que, réciproquement, « il n'est pas entre notre pouvoir d'admirer un être humain chez qui il n'apparaît aucune beauté sensible d'aucune espèce. »"

Ajoutons que, dans le même passage, évoquant cette situation « première, originelle », Boutang en parle comme une situation de confiance, mot qu'il relie à l'utilisation par le « réaliste empirique » Platon du terme pistis pour désigner "la « foi » naturelle dans les choses, qui ne sont ni des reflets ni des fantasmes."


A vingt ans je suis tombé follement et très bêtement amoureux d'une fille juste pour le sourire qu'elle m'avait adressé la première fois que je la quittai devant chez elle ; aujourd'hui encore, après bientôt quinze ans de vie commune, certains sourires de ma femme me bouleversent toujours autant, si ce n'est, parfois, plus qu'à nos débuts. Autant dire que j'ai été sensible à cette approche, qui n'est pas peut-être le fin mot de Boutang sur le désir humain, mais qui me semble un point de départ fécond. Je résume ce que j'en ai compris et ce que je souhaite en retirer pour la livraison de ce jour.

Ces idées sont un peu complexes, et c'est ce qui les sauve, d'une part de la mièvrerie, d'autre part de la banalité. Si je passe mon temps à vous répéter que le sexe est le sexe et autre chose que le sexe, ce que Simone Weil dit à sa façon dans la phrase par laquelle j'ai commencée - même si elle a voulu, pour sa propre voie, atteindre cet « autre chose » sans passer par le sexe -, le dispositif théorique ici construit par Pierre Boutang revient à dire, dans le même esprit, que le désir est à la fois pur et impur.

Pur parce qu'il est issu d'une situation de confiance originelle que l'on cherche à retrouver ("Il n'y a pas de réelle sexualité enfantine ni d'Oedipe sexuellement désirant, mais la sexualité adulte est enfantine pour toute une part" (p. 215) où elle "tente de s'accorder" avec l'esprit de cette situation de confiance), impur parce que le désir et la quête du sourire sur le visage de celle que l'on aime / aimera ne garantit pas l'absence d'artifice. A la base, dans la scène primitive de Boutang, il y a l'artifice de la mère, à la fois présente et absente. J'insiste là-dessus, c'est un artifice, pas un mensonge : la situation n'est pas mensongère à la base, elle n'est pas viciée, mais elle est en partie artificielle. Et de même que la mère est à la fois présente et absente, le sourire est "au seuil entre l'absence et la présence", il donne tout - sinon pourquoi tomber amoureux d'un sourire ? pourquoi le rester quinze ans après ? -, et rien - sinon, pourquoi ce lien avec le désir charnel, pourquoi "tout le corps sourit-[il] avec le sourire ?"

Qu'on le comprenne, cette insistance sur le sourire de la femme aimée ne verse dans aucun sentimentalisme, le lien avec le désir charnel est d'emblée présent. Quitte à ce qu'il faille, d'un côté, se méfier de certains pièges, comme, c'est le thème étudié immédiatement après par Boutang, l'inceste, les relations frère-soeur, les relations qui se rapprochent d'une relation frère-soeur, ou les relations qui, j'extrapole un peu par rapport à ce qu'écrit P. Boutang, qui finissent par se fonder sur l'identité plus que sur la rencontre. Quitte à ce qu'il faille, d'un autre côté, et plus tardivement, dépasser le stade sexuel ou s'en éloigner, le Platon du Banquet pointant ici le bout de son nez. - Mais cette insistance rappelle en même temps l'aspect « métaphysique » ou « divin », comme l'on voudra, du désir humain.

C'est pour cela, notons-le au sujet d'un passage que j'ai cité avec des coupures nécessaires pour la clarté de mon propos du jour, mais qui ne contribuent pas, en revanche, à la clarté du propos de P. Boutang, c'est pour cela que celui-ci peut écrire : "Comment alors le désir sexuel et ce désir du sourire, de la présence mystérieuse déposée sur le visage et dans le corps de l'autre, peuvent-ils se rencontrer, s'unir sans que vacillent la terre et le ciel ?" Ce n'est pas la femme qui est divine, elle ne l'est ni plus ni moins que l'homme, là-dessus je suis d'un égalitarisme d'une simplicité biblique, c'est la rencontre de l'homme et de la femme qui l'est.

Au passage encore, et pour en finir avec cette première approche, on notera que celle-ci peut expliquer les sentiments mêlés que l'on ressent couramment à propos de la représentation de l'acte sexuel, sous quelque forme - littéraire, picturale, cinématographique, même musicale (Chostakovitch…) - et dans quelque esprit - poétique, allusif, paillard, pornographique - que ce soit. Ne peuvent qu'y figurer, toujours, cette pureté primordiale et cette impureté humaine. On peut aussi mettre ces idées en rapport avec les textes de Marc-Édouard Nabe que je vous citais récemment.



Ne sachant quand je pourrai faire une autre livraison, je commente très brièvement ici-même la dernière vidéo du Président. Deux remarques :

- s'il se plaint de coups bas (j'y reviens dans la deuxième remarque), le Président peut aussi admettre qu'il faut parfois le soutenir contre lui-même. Sa dévalorisation, par ailleurs bassement machiste, du roman (23e minute) au profit du concept d'un côté, de la poésie de l'autre, est, je suis désolé, d'une grande stupidité. Le roman brasse aussi les concepts, à sa façon bien particulière et qui est précisément difficile à définir parce que sinon, on n'aurait pas besoin d'écrire ces romans… Je vous renvoie au Proust de Vincent Descombes, et tant pis pour le Président s'il préfère Félix Niesche à Proust, tous les goûts sont dans la « nature » ;

- j'avais évoqué à deux reprises sur la foi de quelques intuitions l'éventuelle homosexualité du Président : il semblerait, vu le discours de ce dernier, que le sujet soit évoqué par d'autres sur le net, ce que j'ignorais quant à moi. Comme je l'ai fait surtout, outre le plaisir de faire chier mon monde, parce que je trouvais amusant qu'un gars qui clame sa virilité, se vante de ses sept cents conquêtes (ce qu'il refait dans cette vidéo, non sans goujaterie me semble-t-il vis-à-vis de sa femme) et traite volontiers ses adversaires de fiottasses, puisse se laisser tenter par les amitiés particulières ; comme, par ailleurs, et ceci étant dit, je me fous complètement de ce qu'il fait de son temps libre, je ne me sens pas visé par la riposte du Président. Je « répondrai » seulement que, d'une part, l'on ne peut pas se permettre de balancer des coups bas à certains (je pense notamment à une évocation hors de propos, ou justifiée seulement par l'antijudaïsme de A. Soral, sur la « sexualité déviante » de Woody Allen) et se plaindre d'en recevoir ; d'autre part, que si l'on se réclame de Weininger et de son étude Sexe et caractère, qui essaie précisément de traiter des liens entre la sexualité d'un individu et sa personnalité, il est tout à fait légitime pour certains d'envisager sous cet angle le « caractère » du Président.

Ce qui signifie : si on choisit un terrain, l'adversaire (ou, en l'occurrence, le témoin tel que bibi) a toute légitimité pour répondre sur ce terrain. Dans le même ordre d'idées, les "Femen", qui croient, si j'ai bien compris, à l'égalité absolue entre hommes et femmes, ne peuvent se plaindre, pour celles qui se sont fait tabasser à la manifestation contre le mariage homosexuel, de s'être pris des coups. Les lâches qui les ont frappées n'en sont pas moins lâches ni méprisables, mais ils n'ont fait, d'une certaine manière, qu'accepter, cela les arrangeait bien, l'arme choisie par les "Femen".

Bon dimanche !

Libellés : , , , , , , , , , , , , , , , , ,

mercredi 14 novembre 2012

A force de parler des Juifs, je suis sur les moteurs de recherche et reçois de nombreux spams pour devenir propriétaire à Tel-Aviv. Mais je ne suis pas venu pour parler de ça.

(Légèrement modifié le 27.11.)

On connaît la formule d'August Bebel - ou du moins qui lui est couramment attribuée, de façon peut-être aussi rigoureuse que le Credo quia absurdum est attribué à Tertullien - : "L'antisémitisme est le socialisme des imbéciles." Je ne la discuterai pas pour elle-même, le propos est assez clair et vise à briser une certaine équivalence entre Juifs et grand capital. Ajoutons d'ailleurs, en référence à un texte récent, que Drumont lui-même aurait peut-être pu reprendre à son compte cette sentence, puisque, dixit Edouard Beau de Loménie, l'auteur de la France juive a peu à peu élargi son analyse des méfaits dudit grand capital en ne la centrant plus sur les seuls « sémites ».

Ajoutons encore, toujours rapport à ce texte sur Drumont et Bloy, que ce dernier aurait aussi pu écrire que l'antisémitisme est le christianisme des imbéciles.

Mais je ne suis pas venu pour parler de ça. Je repensais à une formule d'Alain Badiou qui me trotte périodiquement dans la tête, selon laquelle la classe moyenne "ne dispose jamais d'une capacité politique autonome." (Heidegger, le nazisme, les femmes, la philosophie, écrit avec B. Cassin, Fayard, 2010, p. 16) Quoi qu'il en soit de la véracité de cette idée,

- le poujadisme ne relevait-il pas d'une "capacité politique autonome" ? Certes on peut compter sur A. Badiou pour nous démontrer, Platon et Cantor à l'appui, que les mouvements politiques droitiers ne sont pas authentiquement politiques ; certes encore le contenu doctrinaire d'un discours de Robert Poujade n'est peut-être pas aussi élevé que certaines envolées lyriques d'un Jean Jaurès. Mais cela résout-il la question ?

, quoi qu'il en soit de la véracité de cette idée, si on croise ces deux sentences, en faisant un glissement me semble-t-il nécessaire de la « capacité politique » à la « pensée politique », on obtient une synthèse simple : "L'antisémitisme est la pensée politique des classes moyennes."

Il y a là du vrai, mais cette synthèse est tout de même et justement trop simple. Il me semble que l'on peut trouver une formulation plus proche de la vérité si l'on fait entrer en jeu, sinon Jean-Jacques Rousseau lui-même, que je n'ai pas lu depuis bien longtemps, du moins le concept de rousseauisme, cette « idée » selon laquelle il y a quelque chose qui ne va pas, sans quoi tout irait bien (ou à peu près bien), ce quelque chose pouvant être, en l'occurrence, « les Juifs ».

Ce qui donne maintenant : "L'antisémitisme est le rousseauisme des classes moyennes." C'est moins ambitieux que la formule précédente, moins polémique aussi (quoi que cette « polémique » dépende du point de vue où on se place...), et, justement, plus neutre, même si, ne soyons pas hypocrites, le « rousseauisme » en question nous semble une illusion. Ce qui ne signifie pas que les choses n'iraient pas mieux si certains Juifs avaient moins de pouvoir, mais c'est une autre question.


Voilà, c'est à peu près tout pour aujourd'hui, trois petites remarques pour finir :

- si Alain Soral est évidemment évoqué entre les lignes dans ce qui précède, et s'il a récemment clamé son admiration pour le philosophe genevois, il ne faut pas, en tout cas pas avant examen, assimiler trop vite l'antisémitisme d'Alain Soral, ce qu'il estime devoir à Rousseau, et le « rousseauisme » dont je viens de parler. Bien sûr que les rapports existent, bien sûr que la formule que je vous suggère aujourd'hui traite de ces rapports, mais je n'irai quant à moi pas plus loin sans lectures supplémentaires ;

- pour ceux qui ont le courage de suivre les liens que je donne : dans le texte où j'ai comparé Edouard Beau de Loménie et Alain Soral, je parle d'un autre auteur qui me semble soralien avant la lettre. Ne cherchez pas, je n'ai jamais creusé cette piste. Il s'agit de Jacques Debû-Bridel, dont le De Gaulle contestataire (Plon, 1970) ne déparerait pas dans une Anthologie des premiers soraliens, ou une Anthologie des soraliens avant Soral, comme on en faisait pour les socialistes avant Marx dans les années 70. Je n'ai pas jusqu'ici pris le temps de travailler sur le bouquin de Debû-Bridel, on verra...

- dans le même ordre d'idées : si le texte de Péguy sur Jaurès auquel je vous ai renvoyés me semble toujours aussi bon, je vous laisse voir jusqu'où on peut poursuivre l'analogie entre le rôle que Péguy fait jouer à Gustave Hervé et celui que joue depuis quelque temps M. Mélenchon. Ajoutons, pour ceux qui vont jusqu'au bout, que le texte de M. Alexandre Adler évoqué sur la fin, reste, pour employer le même terme que l'auteur, d'une incroyable bassesse. Que Bernanos l'encule...

Libellés : , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

mardi 13 novembre 2012

Parler des autres, c'est parler de soi,

disait en substance Jean Renoir. Parler de soi, c'est aussi un peu parler des autres. Depuis quelques semaines, je ne sais plus quoi lire, je commence des livres que pour des raisons en apparence variées je laisse vite tomber. J'ai fini par m'apercevoir, alors que je pensais avoir trouvé une bouée de sauvetage, ou un point d'ancrage, avec La femme pauvre de Bloy et que j'ai dû constater, avec autant de surprise que de déception, que le premier chapitre me semblait bourré de procédés grossiers, j'ai fini par m'apercevoir, disais-je, que quelque chose n'allait pas, et que ce quelque chose venait de bibi.

Au vrai, il ne s'agit ici que de clarifier encore un thème autour duquel je tourne depuis des mois. Avec tout le respect que je leur dois et la reconnaissance que je leur porte, Alain Soral et Marc-Édouard Nabe ne me sont plus très utiles - surtout le premier - pour ce que je recherche maintenant. (Quant à Jean-Pierre Voyer, le bougre n'écrit presque plus, en tout cas pas assez pour des accros de mon genre et de mon copain Ph., c'est bien triste. - Ceci dit, je ne lui écris de mon côté pas beaucoup, lacune que je promets publiquement de réparer sous peu.)

Donc : je me sens dans un entre-deux où les guides sont rares. (Massignon ? Je ne sais pas.) J'imagine que ce n'est pas bien original, et j'en suis même plutôt content. Mais cela peut expliquer à quel point je ressasse les mêmes choses ces derniers temps, un peu comme un alpiniste bloqué dans un coin assure pour la trentième fois ses appuis alors que ceux-ci ne lui sont pas si utiles que ça.


Une remarque générale par ailleurs, assez proche de A.S. et MEN pour le coup. La vie des gens est chiante, des privilégiés qui ne veulent que garder leurs privilèges à ceux qui galèrent et qui vivent une galère bien prosaïque et bien sinistre. Difficile pour un romancier d'en sortir quelque chose d'intéressant. Même les Rastignac, ma foi, ne sont plus bien drôles, peut-être sont-ils les plus pathétiques de tous par leur adhésion inconsciente aux « valeurs » d'une société en voie d'autodestruction. En revanche, l'époque est stimulante - inquiétante bien sûr, mais stimulante. D'où que les gens qui nous parlent, au sens où ils nous intéressent, se situent dans une optique sociologique, quitte à ce qu'il y ait un peu d'abus de langage de la part d'Alain Soral dans l'usage de ce terme, ou travaillent très au près d'un certain réel, intime et politique, comme dans le cas de Marc-Édouard Nabe.

- Ceci posé, l'argent, l'antre de ma douce et Dieu attendent (quoique...), ensemble ou séparément, que je les recherche, aide-toi et le fric, le vagin et le Ciel t'aideront, donc : à bientôt.


Amour du livre

Libellés : , , , , , , , , , , ,

jeudi 8 novembre 2012

Une certaine tendance de l'antisémitisme français. (Genèses, limites et ambiguïtés du « soralisme », IV.)

Shining+dissolve


Genèses, limites et ambiguïtés du « soralisme », I.

Genèses, limites et ambiguïtés du « soralisme », II.

Genèses, limites et ambiguïtés du « soralisme », II bis.

Genèses, limites et ambiguïtés du « soralisme », II ter.

Genèses, limites et ambiguïtés du « soralisme », III.



Alain Soral, encore, je sais… Mais ce sera l'occasion j'espère de parler de choses intéressantes. Donc, dans la cinquième partie de son dernier entretien, le Président s'aventure en terre bloyenne, estimant que si Bloy critique dans Le Salut par les Juifs l'antisémitisme de Drumont c'est pour, en dernière analyse, se révéler plus antisémite que l'auteur de La France juive.

Avant de et pour mieux corriger ce qui nous semble devoir l'être, une parenthèse sur cette rubrique "L'antisémite du mois". Les citations peuvent y être intéressantes, mais on risque par la répétition du procédé d'entrer dans cette espèce de dialogue de sourds qui est paradoxalement une forme de complicité entre l'antisémite et le Juif (ou le philosémite), et qui revient à accepter comme une évidence le fait que tout le monde déteste les Juifs. Les antisémites, et c'est un peu ce que fait le Président, en concluent que le nombre leur donne raison, les Juifs sont confortés dans leur orgueil et le sentiment de leur élection : tout le monde nous déteste, donc nous sommes meilleurs que tout le monde. Tout le monde nous déteste, tout le monde nous a toujours détestés, tout le monde nous détestera toujours, donc : 1/ nous sommes les meilleurs depuis toujours ; 2/ on emmerde tout le monde. Cette dernière idée, si j'ose dire, pouvant revêtir des formes plus ou moins policées et nobles, du Juif qui va essayer de sauver les goys malgré eux et malgré la haine que ceux-ci lui portent, à celui qui vend à Christian les fameux pantalons à une jambe.

A titre personnel, je veux bien donner beaucoup aux Juifs, y compris le plus important, à savoir l'élection, mais ça, non : tout le monde ne les a pas toujours détestés, tout le monde ne les déteste pas en France en ce moment.

Quoi qu'il en soit, c'est cette espèce d'alliance de fait, qui n'est pas le discours constant d'Alain Soral mais qui est une indéniable tendance de son parcours, qui rend le cas de Léon Bloy important. Car il ne s'agit pas ici d'un écrivain parmi d'autres dans une liste d'auteurs ayant à l'occasion ou plus souvent dit du mal des Juifs, un de plus, un de moins, etc. Il s'agit, précisément, de quelqu'un qui à sa paradoxale façon sort du cadre balisé par la thématique judéo-soralienne du "tout le monde les [nous] déteste".

Précisons donc l'enjeu de cette discussion. Alain Soral, lorsqu'il se laisse porter par cette « indéniable tendance », fait preuve d'un conformisme certain, moins parce qu'il semble s'abriter derrière l'opinion d'autres, que parce qu'il considère comme Musil au début de L'homme sans qualités, qu'il s'agit de Toujours la même histoire, et surtout qu'il s'agira Toujours de la même histoire. Alors que Musil, comme Bloy, cherche justement à rompre ce fil et à trouver les possibilités pour que surgisse une autre histoire.


tumblr_m7fq1tNLc31qb8dz1o1_500


Vous suivez ? Que le Président nous donne une interprétation trop sommaire du Salut par les Juifs, comme je vais brièvement le démontrer par la suite, est une chose, mais ce qui est gênant dans l'affaire, c'est qu'il s'efforce ici d'empêcher que l'on trouve une sorte de solution, autre que finale, finalement…, à la « question juive ». A la limite, si l'on suit le Président dans sa « tendance », les Juifs ont tout simplement raison de se soucier des goys comme d'une guigne, puisque ceux-ci les ont toujours détestés et les détesteront toujours, ils peuvent donc les enculer à loisir, les goys de leur côté, sachant à quoi s'attendre, ont toutes raisons de détester ceux qui les enculent, et ça peut durer encore longtemps, avec une petite expulsion et une petite flambée de temps à autre, immédiatement récupérée et exploitée par les Juifs, etc. - et à sa façon Alain Soral participe à ce bal.

- Ce n'est pas, ceci dit, que je croie beaucoup aux chances de sortir de ce cercle. Mais enfin, ce n'est pas une raison pour lui donner encore plus de raisons d'exister. - J'ai annoncé une démonstration, il est temps de l'exposer.

Dans le texte récemment repris par Mafia juive, et dont je viens de relire la seconde partie, je me suis efforcé de mettre en relief certains traits logiques de certaines formes d'antisémitisme. J'y jouais Bloy contre Rebatet, montrant que le premier était beaucoup plus cohérent que le deuxième, en l'espèce bien brouillon. J'y utilisais précisément Le Salut par les Juifs, et notamment l'analyse qu'en avait faite celui que, en référence à son site aujourd'hui disparu, enfoiré, j'appelais M. Limbes - dont vous pouvez, je vous y renvoyais récemment, lire un texte chez Laurent James. Cette analyse n'est plus disponible sur le net, l'auteur me l'a gentiment renvoyée à ma demande, je vais de nouveau y avoir recours, avec une certaine inflexion par rapport à ce que j'écrivais dans le texte sur Rebatet. Disons que l'accent sera un peu moins mis sur la logique, un peu plus sur la métaphysique.

On peut dire les choses très (trop) simplement : Jésus était juif. Ça fait bien chier les Juifs, justement, mais, là-dessus, Alain Soral, dans une certaine forme de marcionisme, les rejoint une nouvelle fois ; et c'est au contraire un point sur lequel Bloy revient avec acharnement. Le christianisme n'est pas le judaïsme, il n'est pas soluble dans le judaïsme, mais il vient du judaïsme. On pourrait même pousser jusqu'à dire que celui-ci est un peu le péché originel de celui-là, ou sa croix. Quoi qu'il en soit, pour Bloy comme pour votre modeste serviteur, si l'on peut très facilement être juif et antichrétien, c'est même cohérent, il est en toute rigueur impossible d'être chrétien et antisémite. Je sais bien que ça s'est beaucoup vu et que ça se voit encore, mais cela reste une bêtise. Soyons plus précis : on peut être chrétien et reprocher plein de choses aux Juifs, on peut être chrétien et les considérer comme le peuple déicide, mais on ne peut pas, en toute rigueur, être chrétien et ne les considérer que comme le peuple déicide. C'est ce que Bloy critiquait, entre autres chez Drumont, cette façon plus ou moins consciente de rêver à un christianisme complètement déjudaïsé.

Bloy bien sûr n'est pas dupe de l'infamie de certains Juifs modernes, Rothschild et Cie, il commence même par là lorsqu'il évoque les Juifs dans Le désespéré, passage cité par Alain Soral. Il se reprochera pourtant rapidement, et c'est un des propos du Salut par les Juifs, d'avoir eu une vision trop schématique de cette question, n'hésitant pas, je cite ici l'article de M. Limbes, à écrire, à ce sujet :

"Il ne me coûte rien d'avouer qu'à l'époque, lointaine déjà, du Désespéré, sans remonter aux temps mythologiques de mes années de lycéen, j'ai pu dire ou écrire des sottises que mon âge plus mûr a restituées au néant. J'appelle ça un changement heureux et normal." (in Le Pèlerin de l'Absolu)

Une des raisons de ce « changement » est la prise en compte plus grande dans le Salut que dans le Désespéré du rôle joué par la modernité dans cette affaire. C'est là qu'Alain Soral a à la fois raison et tort. Raison parce que oui, Bloy dit en quelque sorte à Drumont : vous catholiques « respectables », vous avez beau jeu de critiquer les Juifs alors que vous faites comme eux, vous êtes autant qu'eux dans le commerce, vous êtes de ce point de vue trop enjuivés pour être en position de les critiquer. Mais tort parce que ce n'est pas le dernier mot de Bloy sur la question : d'une part cela signifie que c'est le monde moderne en son entier qui est détestable et que les catholiques feraient mieux de balayer devant leur porte ; d'autre part et surtout cette indéniable infamie juive, si son caractère de plus en plus envahissant est une preuve de l'infamie du monde moderne qu'elle contribue à aggraver, est aussi une preuve supplémentaire de la grandeur du peuple juif et du rôle qu'il jouera forcément un jour dans le Salut du monde. Je reconnais que ce n'est pas un raisonnement d'un abord très facile, je sais bien que des Juifs eux-mêmes sont moyennement convaincus par cette position. Elle ne fait pourtant que prendre au sérieux, pour le meilleur et pour le pire, l'idée d'élection. Les Juifs ont eu Abraham, Moïse - avec qui tout n'a pas été facile -, le Christ, qu'ils ont à la fois produit, si j'ose dire, et tué. Tout cela se situe à un niveau métaphysique élevé, dans la fécondité comme dans l'abjection. Au cours d'un passage du Sang du Pauvre que j'ai déjà cité, Bloy écrit ainsi :

"Vu d'en haut, le commerce est un véritable sacrilège. Les Juifs, Race aînée auprès de qui tous les peuples sont des enfants et qui ont eu, par conséquent, le pouvoir d'aller du côté du mal beaucoup plus loin que les autres hommes du côté du bien, les profonds Juifs doivent sentir qu'il en est ainsi."

L'indéniable infamie actuelle des Juifs (en tout cas de ceux qui traficotent avec le monde moderne, mais ils sont justement de plus en plus nombreux) est à la mesure de leur grandeur biblique, ou métaphysique, et elle en est en même temps un symbole. Le supposé antisémite Bloy peut aussi écrire, dans le même livre : "Les Juifs sont les aînés de tous et, quand les choses seront à leur place, leur maîtres les plus fiers s'estimeront honorés de lécher leurs pieds de vagabonds."

M. Limbes évoque à ce sujet le concept d'analogie inverse, je pourrai vous détailler ça si vous le demandez, je ne veux pour l'heure ni piller complètement son article, ni utiliser plus de cartouches qu'il ne me semble nécessaire. Dans le fameux passage du début du Salut, cela revient à dire que les trois épouvantables vieillards juifs que Bloy décrit en termes fort peu gracieux, ne sont infâmes que si, précisément, je cite M. Limbes, "l'on admet la sainteté et la splendeur d'Abraham, Isaac et Jacob."

Abraham, je vais y revenir, il faut avant cela compléter le tableau. Dans une autre de ses « tendances », aussi « indéniable » que l'autre mais je crois moins profonde, et en tout cas moins fréquemment exposée, Alain Soral, qui manifestement n'y connaît pas grand-chose (moi non plus) en matière de métaphysique juive, s'appuie sur des témoignages ou des écrits de rabbins qui évoquent une déviation du judaïsme par rapport à ses vrais principes. De la même façon, Bloy peut, j'emprunte ces citations à M. Limbes, écrire que, "au point de vue moral et physique, le Youtre moderne paraît être le confluent de toutes les hideurs du monde", et exposer ainsi son projet du Salut par les Juifs :

"Dire mon mépris pour les horribles trafiquants d'argent, pour les youtres sordides et crapuleux dont l'univers est empoisonné, mais dire en même temps ma vénération profonde pour la Race anathème d'où le Rédempteur est sorti (Salus ex Judaeis), qui porte visiblement comme Jésus lui-même les péchés du monde, qui a raison d'attendre le Messie et qui ne fut conservée dans la plus profonde ignominie que parce qu'elle est invinciblement la race d'Israël, c'est-à-dire du Saint-Esprit dont l'Exode sera le prodige de l'Abjection."


Enchaînons :

"Par un phénomène apocalyptique, depuis avant-hier, il y a ici-bas un État d'Israël qui refuse le Messie, d'ailleurs ; qui ne signifie rien au point de vue de l'histoire du monde, si ce n'est que pour nous chrétiens, il rappelle : que le monde a une figure et que notre Foi doit se tourner vers son axe, Jérusalem, cet axe qu'Israël retrouve sans savoir pourquoi ; parce qu'il a été chassé de partout, qu'il y retrouve un vieil autel où Abraham a offert son puîné, en préfigure de notre Christ."

Ces lignes ont été écrites par Louis Massignon en 1949, fort peu de temps donc après la création de l'État d'Israël. Complétons-les par celles-ci, elles aussi de 1949 :

"La vraie internationale qui « sera le genre humain » n'est pas l'ensemble des groupes humains additionnés avec leurs appétits, et même leurs théories, c'est une structure supranationale centralisant l'effet des voeux et sacrifices des croyants ; cela même dont le Sionisme vient d'arborer à la face du monde l'énigmatique et ambivalent symbole, le Signe eschatologique indéniable du Retour d'Israël."

Suit un passage sur Bloy, puis sur les croisades, puis ceci :

"Aux 400 millions de musulmans pour qui le pèlerinage de Jérusalem est lié au retour du Christ-Juge, de façon voilée mais irrécusable, viennent de s'ajouter depuis l'an dernier en bloc monolithique les délégués sionistes des 12 millions de Juifs, sous une forme si mystérieusement ambivalente, si étonnamment eschatologique. Sont-ce toujours ces « Khowéwé Zion », ces pauvres « amants de Sion », chassés par les pogroms, venant rejoindre les sublimes pleureurs séculaires du Mur des lamentations ? Ou bien ces racistes à la technique cruellement athée, qui, pour avoir le monopole d'une colonisation impie de la Terre Sainte, se font les forçats volontaires des grandes firmes colonialistes américaines et s'imaginent pouvoir y construire le Nouvel Adam comme un robot suprême et le Royaume de Dieu comme un laboratoire atomique ? Malgré des apparences bien sombres, ce pèlerinage en masse des Hébreux qui veulent refaire à eux seuls Israël est un avertissement précieux de la Providence à l'adresse du Nouvel Israël, des chrétiens : pour que toutes leurs nations, divisées depuis les Croisades, se réconcilient, pour que cette reconstruction d'Israël ne se fasse pas diaboliquement, en en excluant la règle de perfection morale que le Christ avait en vain proposée aux « brebis perdues d'Israël »…" (L. Massignon, "Le pèlerinage", in Écrits mémorables, R. Laffont, coll. "Bouquins", 2009, t. 1, p. 8-9 et 11-12. Le texte précédent est issu de "La foi aux dimensions du monde", p. 16-17 de la même édition.)

Je laisse tomber, si j'ose dire, les musulmans pour l'instant, constatons que Massignon voit très bien, dès le début, qu'il y a à la fois un espèce de fenêtre de tir métaphysique pour Juifs et Chrétiens dans la création de l'État d'Israël, et tous les dangers portés en elle par cette création, qui peut même s'avérer « diabolique ». Plus de soixante ans après, on ne peut guère nier que ce sont plutôt les périls redoutés par Massignon qui semblent l'emporter, au point même, peut-être, de corrompre d'une certaine manière le judaïsme lui-même. On voit bien en tout cas la grande différence entre le rêve de Massignon - j'y reviendrai - d'une certaine réconciliation (ce terme est volontairement vague) des trois monothéismes issus d'Abraham - avec comme centre de gravité Jérusalem, et l'idée faussement oecuménique et très impérialiste de Jacques Attali de Jérusalem comme capitale du monde.

Revenons à Bloy : le Salut du monde par les Juifs se jouerait-il dans un combat de Juifs contre Juifs ? La solution finale à la question juive sera-t-elle trouvée par des Juifs ? A quel prix, pour le judaïsme ?

A suivre, mon Dieu...


tumblr_lxql6wNWWj1qbo39mo1_500

Libellés : , , , , , , , , , , , ,