samedi 16 novembre 2013

Veille technologique de la pensée fasciste.

Lu l'autre jour le « Soral & Naulleau ». Sentiment mitigé. Quelques remarques :

- le moins que l'on puisse dire est que Naulleau en prend pour son grade. Pas tant pour sa posture d'intellectuel de gauche lettré qui cite des auteurs étrangers pas toujours très connus - cela peut agacer, ce n'est pas un crime - que parce qu'il ne peut répondre grand-chose aux accusations de Soral, lorsque celui-ci lui reproche de se protéger. Je ne connais pas bien Naulleau et ne risque donc pas de le soupçonner des pires avanies, mais si l'on veut discuter avec Soral il faut accepter de parler de sionisme, et ne pas donner l'impression, comme il le fait, d'éviter ce sujet que l'on ne saurait voir. Or, s'il est possible que Soral surestime le rôle du sionisme dans la vie politique française, s'il est sûr qu'il veut ouvrir trop de portes avec sa clé anti-juive, il est bien évident qu'aucune analyse un tant soit peu sérieuse de l'état de notre pays ne peut faire l'économie de la prise en compte du poids qu'y ont pris les sionistes. Je comprends bien que l'on hésite à s'embarquer là-dedans, que l'on soit ou non ancien éditeur devenu chroniqueur de télévision, car on a l'impression de quelque chose d'un peu glauque, lugubre. Se mettre à lister des Juifs, oui, cela gêne, je comprends bien. Mais Attali et BHL ne se gênent pas, eux, pour dire aux Français ce qu'ils doivent faire. Et ce n'est ni la faute de Naulleau, ni celle de Soral, ni la mienne si, pour prendre un exemple volontairement très vulgaire, le plateau des "Enfants de la télé" peut être occupé par 90% de Juifs et 10% d'époux de Juive. Remarquer cela ne conduit pas nécessairement à Auschwitz d'un point de vue logique, il s'en faut ;

- du coup, Naulleau se condamne à ne l'emporter que sur des points mineurs. Il met mal à l'aise Soral sur l'histoire de Pennequin, membre du FN qui semble avoir aidé Cahuzac pour l'ouverture de son fameux compte, mais si cette histoire, que j'ignorais, n'est pas anodine, elle est tout de même secondaire par rapport à la question du positionnement du FN en regard du système bipartite actuel. De même, on peut condamner que des propos homophobes (il faudrait mettre des guillemets tant ce mot ne veut, stricto sensu, rien dire, mais passons) aient été proférés lors des manifestations contre le mariage pour tous, cela reste moins important que de savoir si cette loi est bonne. (Ceci est écrit par quelqu'un qui est plutôt contre cette loi mais qui ne la juge pas aussi importante que cela. Je m'expliquerai à l'occasion sur le sujet.)

- d'où la question : pourquoi les généralités sur les Juifs de Soral auraient-elles une légitimité, quand bien même on en discuterait la véracité, alors que celles de Naulleau sur les opposants au mariage pour tous ou les liaisons louches de certains membres du FN seraient de peu de portée ? C'est là l'intérêt réel qu'aurait pu avoir cette confrontation, si les duellistes avaient décidé de creuser le sujet au lieu de ne l'aborder qu'en passant : quel rapport entre l'individu et le groupe ? Ce rapport est-il le même pour toutes les communautés (en donnant à ce mot un sens très large) ? A la décharge de Naulleau, on admettra que certaines exagérations soraliennes sur les Juifs peuvent donner l'impression, par contrecoup, qu'il n'y a pas de sujet, que l'aborder, même avec de bonnes intentions, ne peut que rendre con, bref, qu'il n'y a pas de question juive. Pas de bol, il y en a une, et complexe. S'il est parfaitement stupide de dire du mal de tous les Juifs, s'il est bien délicat de déceler des traces d'un « esprit juif » dans tout ou partie de ce que font au quotidien les Juifs (de France, d'Europe, d'Amérique, tous ?…), il est en revanche indiscutable que le mode de transmission des composantes de ce que l'on appellera pour aller vite l'identité juive, ainsi que la situation souhaitée et pensée par de nombreux représentants de cette identité, comme extérieure (et extérieure par le haut) au reste du monde, dessinent un particularisme plus fort que pour d'autres identités religieuses ou culturelles. J'ai remarqué moi-même au fil du temps des généralisations abusives de la part de Soral, cela ne signifie pas que toute généralisation en ce domaine soit illégitime - les Juifs qui nous expliquent que les Juifs ont toujours tout inventé, la démocratie, l'universel, l'humanisme, le monothéisme, la tolérance, voire l'intelligence, le feu (mal leur en prit !) et l'orgasme, ne se privent pas, eux, de généraliser.

Ce que l'on peut aussi formuler de cette façon : même si l'esprit de corps que l'on peut constater tout de même aisément entre les Juifs - ce qui n'exclut pas les coups de pute internes à la communauté, ces gens sont tout de même de très humains pécheurs - n'était effectivement que la conséquence de l'inexplicable instinct de haine des goys à leur égard, même si les Juifs n'étaient au fond malgré quelques petits défauts pittoresques qu'innocence et bonté, cet esprit de corps suffirait déjà à les différencier et à justifier d'énoncer quelques généralités - plus ou moins vraies - à leur endroit. Il suffit de remplacer Juifs par Corses et goys par continentaux pour voir à quel point tout cela relève du simple bon sens.

- cette question juive se compliquant de la question sioniste, d'une manière non unilatérale - quoique souvent très directe -, on voit l'importance du problème, pour nous pauvres goys français. A titre personnel de nombreuses autres questions m'intéressent plus, mais je n'ai pas inventé Anne Sinclair, laquelle a il faut donc l'avouer tout à fait raison de s'en prendre à Naulleau et de lui reprocher de donner une légitimité au discours de Soral (j'aime beaucoup la thèse selon laquelle celui-ci "ne touchait plus grand monde", chutzpah mon amour), puisqu'en dernière instance on ressort de la lecture de ce livre avec l'idée qu'il y a là des choses à creuser, avec ou contre Soral. (Il est vrai que je suis en train de les creuser de mon côté, sans faire de listes, je rassure mes amis de gauche - ici aussi, rendez-vous "à l'occasion").


Au seuil d'une anthologie des écrits de l'auteur de La France juive, publiée dans les années 60 par l'antisémite gauchiste bien connu Jean-François Revel, Édouard Drumont ou l'anti-capitalisme national, Emmanuel Beau de Loménie soutient que Drumont a écrit de bien meilleures choses que son best-seller anti-juif, sa réflexion s'étant peu à peu étendue à d'autres cercles et ayant dépassé un certain judéo-centrisme. J'ignore si cela est vrai, mais j'ai parfois l'impression que Soral suit le chemin contraire, ce que le début de ses Coups d'épée dans l'eau - pardon, de son Anthologie, semble confirmer. Ainsi que je le rappelais dans le temps, un monde sans Juifs resterait un monde de pécheurs. Mais un monde sans sionistes serait aussi, très probablement et au moins pour quelque temps, un monde plus sûr.


Quelques autres remarques avant de nous quitter :

- Soral nous fait une « Finkie », lorsqu'il critique Imre Kertesz, qu'il n'a pas plus lu que l'autre malade n'avait vu le film de Kusturica qu'il avait attaqué (proverbe antisémite mais humaniste, ou le contraire : à Finkie, Finkie et demi) ;

- Soral a bon goût puisqu'il met en exergue de son Anthologie des phrases élogieuses de Jean-Pierre Voyer le concernant. Heureuse surprise pour bibi !

- mais Soral, s'il ne manque pas de sens de l'humour, ne peut rivaliser en la matière avec le juge des référés du tribunal de Bobigny qui a accepté le voeu de la Licra de caviarder un livre qui d'une part est par certains côtés - ceux que l'on comprend - un chef-d'oeuvre, d'autre part est disponible depuis toujours, d'autre d'autre part enfin est considéré par une bonne partie de ses lecteurs, qu'ils l'en louent ou le lui reprochent, comme philosémite, j'ai nommé bien sûr Le Salut par les Juifs. Une France sans Licra resterait une France de pécheurs, mais serait tout de même une France un peu moins surréaliste.

- finissons par Bloy, d'ailleurs, ou recommençons par Bloy, puisqu'aussi bien la première idée qui m'est venue en refermant les Dialogues désaccordés est que tout cela manquait tout de même de transcendance. Il ne fallait certes pas trop y croire. Mais la transcendance est aussi un moyen de lutte - c'est peut-être d'ailleurs ça, d'une certaine façon plus ou moins consciente, que la Licra reproche, in fine, à Bloy. Comme disait Boutang, "Le premier travail de la reconstruction sera métaphysique", on ne sort pas de là. (Et je n'en sors pas, et je ne m'en sors pas.)