lundi 9 janvier 2017

AMG cite Dupré qui cite Drieu et peut-être Barrès, au sujet de la Grande guerre, de la guerre en général, de Mai 68...

Oui, c'est un peu compliqué à première vue, la densité de l'écriture de G. Dupré contribuant à cette complexité. Nous sommes en 1968, après les événements, dans une préface à une édition condensée par ses soins des articles de presse de Barrès durant la guerre 1914-1918 - celle qui fit passer la France de deuxième puissance mondiale au rang de pays subalterne et vieilli -, G. Dupré médite sur l'héritage de la génération en partie broyée par cette guerre, et sur les générations sans guerre. L'extrait que je vous rapporte commence avec une citation de Drieu - dont Barrès avait semble-t-il très tôt repéré le talent. Il me semble que les citations suivantes, entre guillemets, sont à attribuer à Barrès :

"[Drieu :] « A moi qui le 23 août et le 29 octobre 1914, au cours de deux charges à la baïonnette, ai connu une extase que tranquillement je prétends égaler à celle de sainte Thérèse et de n'importe qui s'est élancé à la pointe mystique de la vie. » A Drieu nous ramènera toujours l'amicale des fils refusant l'âge du père, la mélancolie de ceux qui ne savent pas vieillir. Ils sont aussi nos pauvres. (…) La charité est aussi une mémoire. A tant d'agonies demeurées inconnues, nous rêvons devant ces tendresses qu'elle a rendues possibles, devant ces félicités charnelles où elles entrent en tiers. Ce fut l'arrière-été de la Personne France et son plus grand amour. Il n'y a plus d'été. Il n'existera plus jamais de patrie. Il n'y aura plus jamais de départs gare de l'Est. Et parce que Maurice Barrès a nourri, cinq années durant, sa vie et son art de ce difficile amour d'arrière-été, nous ne le dissocions pas de cette saison violente de la France. Dans cette coïncidence d'un destin particulier avec un destin collectif nous voyons s'épanouir, s'exalter quelques-uns des plus beaux thèmes qui permettent à une âme de surmonter la mort, d'enchanter, de leurrer sa propre fin. Quoi ? A lui qui s'efforça de faire voir ce qu'il y eut « de douceur et de beautés mêlées à tout l'effroyable de cette guerre », nous revenons comme à l'un, comme au premier de ces « pauvres », sûrs qu'il aurait aimé que nous ne le séparions pas de ses compagnons de service. Ils n'auront bientôt plus que nous pour les disputer à la poussière, nos amoureuses pour fleurir les lieux de leur beauté. « La guerre est aux hommes ce que l'eau dormante est aux cygnes : le lieu de leur beauté. » Que deviendront-ils quand nous aurons été, à notre tour, évincés, rejetés du domaine sensible ? Car voici venir la plus déshéritée des générations, la génération qui n'aura connu la guerre ni par l'ardeur amoureuse ni par la mémoire filiale. La plus effaçable car elle n'aura de son sang arrosé que des itinéraires de fuite."

Allusion aux porteurs de valise ? Il s'agit là en tout cas d'une sous-estimation des dégâts qu'allait accomplir - il est vrai qu'il lui fallut plusieurs décennies... - la génération 68. Au regard de la guerre, elle n'avait certes l'air de rien, elle laissera avec bonne conscience ses descendants (je ne vais pas écrire héritiers) redécouvrir ces tristes plaisirs. Mais au regard de l'histoire, combien plus d'importance ! Comme disait Baudelaire, la plus grande ruse du diable est de nous faire croire qu'il n'existe pas, et c'est ce qui trompa Dupré...