vendredi 10 février 2017

"Veritas liberabit vos."

En français : la Vérité vous libérera. Ne croyez pas d'ailleurs que parce que je cite des locutions latines je maîtrise le latin - si c'est le cas un jour, ce ne l'est pas actuellement. De même, encore une fois, mes références actuelles au christianisme sont d'abord logiques et rationnelles - ce qui est paradoxal notamment pour la première citation à suivre et son évocation du surnaturel… Enfin, un commentaire rapide sur l'auteur de ce que vous allez lire, Jean Madiran. Parmi les nombreuses raisons qui me poussent à m'intéresser à ses écrits, il y a celle-ci : comme lorsqu'on lit Chesterton (que d'ailleurs Madiran admirait), on y découvre ou vérifie que certaines des thèses qui nous sont présentées comme nouvelles d'une part sont anciennes, d'autre part étaient déjà combattues, et parfois combattues comme très anciennes, par les meilleurs des intellectuels chrétiens, en 1900 pour le buveur de bière anglais, dans les années 50 (et pendant encore 50 ans, mais le livre dont je tire ce qui suit est de 1955) pour le buveur de vin français. On peut sourire de la façon qu'ont ces deux penseurs de dénicher le Diable en action derrière leurs adversaires - on peut aussi rester modeste et curieux à ce sujet. Je la ferme, bonne lecture :

"Si l'Évangile est vrai, les revendications et les révoltes ouvrières socialement les plus légitimes n'ont pas grand chose à voir avec le Royaume de Dieu. La charité du Christ partage avec chacun les souffrances qu'il endure et point le combat contre l'injustice qu'il supporte : ce n'est qu'une nuance, fine et délicate, mais c'est la frontière entre l'amour naturel et l'amour surnaturel. L'envoyé du Christ n'est pas celui qui parle à chaque homme des injustices qu'il subit, mais des injustices qu'il commet. Car le Christ n'est pas venu pour les justes, il n'est pas venu pour ceux qui se croient les justes, il n'est pas venu pour ceux à qui l'on a persuadé qu'ils sont les justes : et dans la mesure où la « classe ouvrière » serait victime et nullement coupable, dans la mesure où vous l'en laissez persuader, dans la mesure où vous aidez à l'en persuader, il est normal que le Christ en soit absent.

Le Christ est venu pour la rédemption des peuples : si vous persuadez un peuple qu'il est innocent, si vous croyez et lui faites croire qu'il n'a besoin ni de pénitence ni de rachat, vous lui tenez le langage du Malin, et vous fermez son âme. Le prêtre est d'abord celui apporte le message de saint Jean-Baptiste, ou ce n'est rien du tout (si l'Évangile est vrai)."


Au sujet de l'idée selon laquelle les pauvres s'éloigneraient du christianisme et de l'Église parce que ceux-ci ne prendraient pas assez au sérieux leurs préoccupations matérielles et sociales :

"Alléguer l'Évangile pour justifier de telles positions est singulièrement audacieux. C'est aussi ne rien connaître de l'histoire sociale et religieuse de la France : dire ou suggérer que l'injustice et la misère empêchent la foi est une bien mauvaise excuse à la déchristianisation ouvrière. C'est un fait que la déchristianisation de notre pays a commencé par les intellectuels, les aristocrates et les riches, d'où elle a gagné ensuite les classes pauvres. C'est un autre fait que le système scolaire imposé par l'État y est pour quelque chose…"


Les chrétiens de gauche, démocrates-chrétiens, prêtres-ouvriers, les intellectuels qui les soutiennent… :

"Le plus tragique est qu'ils défendent les « exigences » d'un « concret » qui n'existe pas ; ou plutôt qui n'existe que dans le schéma irréel, artificiel, mais mortellement efficace, imposé aux esprits par le pilonnage mécanique de la propagande communiste. Ces malheureux sont étrangement prisonniers, et leur passion même leur ferme les voies de la libération. Veritas liberabit vos : la dialectique qu'ils sont apprise au contact des « penseurs » soviétiques et qu'ils croient entièrement nouvelle, leur souffle la très vieille réplique : « Qu'est-ce que la Vérité ? » et leur suggère qu'elle « se fait » avec la marche des choses et le mouvement de l'histoire. Ils sont emportés pieds et poings liés, et de plus en plus inconscients, au rythme d'une fantasmagorie qui n'est ni l'abstrait ni le concret, mais le plus récent masque ou le dernier visage du Mensonge immuable."


Voilà qui donne un sacré coup de vieux à la french theory et autres gender studies, utilisons la langue de l'ennemi pour nommer ses diableries... - Et en guise de conclusion à ce plaidoyer anti-matérialiste, signalons que c'est un 10 février, comme aujourd'hui, que Louis XIII, qui, lui, croyait à la Vérité, « consacra » la France à la Vierge Marie, généreuse idée.