mardi 15 août 2017

Suite du précédent. La masturbation donne une petite bite. Le socialisme un petit cerveau.


Plein d'enthousiasme pour la prose de Flaubert et les conclusions que je me permettais d'en tirer, j'ai hier soir complètement oublié que j'avais d'abord prévu de citer un deuxième passage. Extrait d'une lettre adressée à sa maîtresse Louise Colet, qui semble avoir été, si l'on suit P. Muray, un beau brin de chieuse arriviste, quelque part entre S. Royal et C. Angot, une certaine éducation début XIXe en plus, tout de même. Je rappelle que l'époque se passionnait pour le spiritisme, et quand on dit l'époque, on entend les milieux à la mode, les prescripteurs d'opinion, les bobos ou hipsters de ce temps :

"Avoue que c'est fort, les tables tournantes. Ô lumières ! Ô progrès ! Ô humanité ! Et on se moque du Moyen Âge, de l'Antiquité, du diacre Pâris, de Marie Alacoque, et de la Pythonisse ! Quelle éternelle horloge de bêtises que le cours des âges ! (…, coupure de P. Muray.) C'est une chose curieuse comme l'humanité, à mesure qu'elle se fait autolâtre, devient stupide. Les inepties qui excitent maintenant son enthousiasme compensent par leur quantité, le peu d'inepties, mais plus sérieuses, devant lesquelles elle se prosternait jadis. Ô socialistes, c'est là votre ulcère ; l'idéal vous manque. Et cette matière même, que vous poursuivez (comme Onfray, note de AMG), vous échappe des mains comme une onde. L'adoration de l'humanité pour elle-même et par elle-même (ce qui conduit à la doctrine de l'utile dans l'art, aux théories de salut public et de raison d'État, à toutes les injustices et tous les rétrécissements, à l'immolation du droit, au nivellement du Beau), ce culte du ventre, dis-je, engendre du vent (passez-moi le calembour). Et il n'y a sorte de sottises que ne fasse et qui ne charme cette époque si sage."

Ce qui m'intéresse le plus ici, c'est un fragment de la parenthèse : l'adoration de l'humanité par elle-même conduit aux théories de salut public et de raison d'État. On a déjà sacrifié des individus à la collectivité bien avant les socialistes et les révolutionnaires, mais l'idée de Flaubert (et de Muray) est celle-ci : si l'on pense que l'humanité peut être sauvée par elle-même, cela légitime toutes sortes de sacrifices, d'autant que ceux qui se mettent au travers de ce salut (eh oui, terme religieux) peuvent être vus - et l'ont été - comme des traitres à la cause, et donc à la cause de l'humanité, et donc des traîtres à l'humanité, qui par conséquent s'en excluent eux-mêmes, etc. Hélas, avec l'esprit missionnaire du transhumanisme, cela semble toujours actuel.

(L'hypothèse inverse est nettement plus réconfortante : l'humanité, avec ses qualités et ses défauts, est irrécupérable, elle ne fera jamais mieux que ce qu'elle a déjà fait. Ce qu'on peut (et doit) améliorer, ce sont de petites choses au regard de l'histoire, mais qui, mises bout à bout, et si chacun y met du sien en pensant d'abord à se corriger soi-même, amélioreront, difficile de ne pas utiliser l'expression, le vivre-ensemble. Le péché originel, c'est grave cool. Pour un peu, ce serait de gauche.)