samedi 30 septembre 2017

Les aventuriers de l'arche perdue.

Dans l’introduction à son La Fontaine politique, Pierre Boutang fait allusion à une importante lettre à lui adressée par Maurras, depuis la prison de Clairvaux, en 1950, alors que le jeune successeur du fondateur de l’Action française songeait à se retirer du combat politique pour revenir à ses amours philosophiques et littéraires. Lettre qui eut l’effet escompté, Boutang repartant au combat (était-ce une bonne chose en soi, c’est une autre question) ; lettre dont j’avais fortuitement le texte complet sous la main. J’en ai déjà cité des extraits dans le temps, en voici une citation plus longue et plus complète : 

"Songez ! Abandon du combat ! Songez encore ! Expatriation ! Joli, l’engagement, alors ! Ces choses graves donnent aux mots le sens le plus dur (…). Nous bâtissons l’arche nouvelle, catholique, classique, hiérarchique, humaine, où les idées ne seront plus des mots en l’air, ni les institutions des leurres inconsistants, ni les lois des brigandages, les administrations des pilleries et des gabegies, où revivra ce qui mérite de revivre, en bas les républiques, en haut la royauté et, par-delà tous les espaces, la Papauté ! Même si cet optimisme était en défaut et si, comme je ne crois pas tout à fait absurde de le redouter, si la démocratie étant devenue irrésistible, c’est le mal, c’est la mort qui devaient l’emporter, et qu’elle ait eu pour fonction historique de fermer l’histoire et de finir le monde, même en ce cas apocalyptique il faut que l’arche franco-catholique soit mise à l’eau face au triomphe du Pire et des pires. Elle attestera dans la corruption éternelle et universelle, une primauté invincible de l’Ordre et du Bien. Ce qu’il y a de bon et de beau dans l’homme ne se sera pas laissé faire. Cette âme du bien l’aura emporté, tout de même, à sa manière, et persistant dans la perte générale, elle aura fait son salut moral et peut-être l’autre. Je dis peut-être, parce que je ne fais pas de métaphysique et m’arrête au bord du mythe tentateur, mais non sans foi dans la vraie colombe, comme au vrai brin d’olivier, en avant de tous les déluges."

(La coupure est à la fois de l’éditeur et de moi : il y a une coupure, et c’est à cet endroit que j’en ai aussi pratiqué une.)

Il est bien évident que Maurras joue de la fibre catholique du croyant Boutang, mais ce n’est pas que manipulation ou stratégie : s’il a tourné autour de la question de Dieu une bonne partie de sa vie, il finira par se convertir avant de mourir. 

 - Et ce n’est pas une question anecdotique. Ce texte a été écrit il y a 57 ans : par-delà sa beauté propre, quand on pense aux dégâts commis par l’« irrésistible » démocratie depuis, l’accélération de ce processus « apocalyptique » ces dernières années, on se dit que l’« arche » pour laquelle il faut encore lutter, les raisons de Maurras demeurant valides, si elle est encore franco-catholique, ne sera peut-être plus française que d’esprit, pas de lieu, en tout cas pas nécessairement. Depuis 1950 un pas aurait été franchi, l’« expatriation » à laquelle pensait Boutang et que Maurras condamnait étant maintenant un processus « démocratique » à l’oeuvre en France même et s’exerçant sur les Français. - Heureux ceux qui ont une foi religieuse, qui leur permet d’affronter cette déconfiture avec d’autres armes que les miennes… Je décrypte ici la pensée de Maurras tout en parlant en mon nom. 



Et pourtant, au jour le jour, malgré la saleté et la tension croissantes à Paris, on y vit toujours agréablement. C’est encore civilisé…